Rapports semantiques
ENTRE LES MOTS LATINS CONSERVES EN ROUMAIN ET ALBANAIS ET LES EMPRUNTS SLAVES
Dans une perspective comparative, la chronologie des emprunts slaves en roumain et albanais a ete, tres probablement, moins etudiee que differents aspects concernant leur inventaire1. On peut constater que les opinions des linguistes different sur l’epoque a laquelle l’albanais a regu les premiers elements slaves et sur l’hypothese que cette periode coincide avec celle quand le roumain a fait les plus anciens emprunts2. Selon A. Rosetti (2002: 334, 335) «en albanais, l’influence slave a ete des le debut beaucoup moins accentuee, la patrie primitive des Albanais n’etant pas, durant les premiers siecles, en contact avec le monde slave. En general, les elements slaves ont penetre en albanais apres le X-e siecle». Tout au contraire, pour Ivan Duridanov (1977: 688, 695), qui observait que la chronologie des contacts slavo-albanais n’a pas ete etudiee systematiquement — les premiers contacts linguistiques entre l’albanais et les idiomes slaves devraient etre places avant les Vlll-e — X-e siecles. Appro-ximativement la meme chronologie etait soutenue auparavant pat E. Hamp (1970: 12). Il y faut mentionner aussi l’opinion de Xhelal
1 La synthese de G. Svane (1992), par exemple, a une annexe comprenant les termes slaves que le roumain et l’albanais ont en commun, sans, pourtant, que l’auteur s’ait propose de preciser si les mots slaves en question sont entres en roumain et en albanais a la meme epoque, ou dans des periodes differentes.
2 Sur l’importance de la recherche comparative des elements vieux slaves en roumain et albanais voir G. Mihaila en «Studii §i cercetari lingvistice» (1958). IX. 2: 221 et Mihaila 1973: 55.
Ylli (1987: 123), qui soutient que la periode des premiers emprunts slaves en albanais est comprise entre le VIII-e et le XII-e siecles.
Un aspect interessant, dont l’ex amen peut contribuer a l’eclair-cissement de la specificite en roumain, par rapport a l’albanais, de l’enrichissement lexical a l’aide des emprunts slaves et qui peut offrir une serie d’indices sur la periode de l’entree de chaque element dans les deux langues, — concerne la concurrence entre les mots slaves et les termes anciens conserves du latin3. Gr. Brancu§ (2004: 63) fait de precieuses observations sur les rapports qui se sont formes en roumain entre les mots herites du latin et leurs synonymes d’origine slave. Par exemple, les elements d’origine slave vorba et a vorbi se sont fixes dans le lexique populaire, tandis que les mots herites, cuvant et a cuvanta, ont ete integres dans la variante soignee de la langue. Dans la meme situation se trouvent les paires : nevasta et sotie, ma^tera et vitrega, vreme et timp, popa et preot et beaucoup d’autres. Une etude pareille en albanais, a notre savoir, fait encore defaut.
Dans ce contexte, il nous semble importante la remarque de Haralambie Mihaescu (1981: 223, 224) que l’albanais a conserve, de pair avec les langues romanes occidentales, une serie de mots latins auxquels correspondent en roumain des mots empruntes au slave4. Ce
3 Pour la theorie du contact des langues conduisant aux modifications d’inventaire lexical voir Sala 1997, 233-307, avec bibliographie.
4 En voici sa liste: alb. mik (lat. amicus) - roum. prieten, armik (inimicus) -dugman (tc.), i aftё (aptus) - potrivit, kёlqere (calcaria) - var, kafshё (causa) - pricina, qint (centum) - suta, qimkё (cimice) - plognita, kullos (colere) -hrani, kёshШ (consilium) - sfat, korqe (cortice) - coaja, kulm (culmus) -gramada, dragua (dracone) - zmeu, duq (ductus) - teava, shemё (examen) -roi, flas (fabulare) - vorbi, fejej (fallere) - gregi, gjel (gallus) - cocog, grel (gracilis) - slab, shtijё (hastile) - sulita, i Шё (liber) - slobod, mekoj (medicare) - hrani, marshtroj (ministrare) - pregati, moshtrn (monstrum) -dihanie, urdhёr (ordine) - randuiala, praW (parabola) - poveste, a^sye (ratione) - socoteala, dymen (temone) - carma, turjeШ (terebellum) - sfredel, tenje (tinea) - molie, tork (torculum) - teasc, tra (trabe) - barna, ^Аё (tructa) - pastrav. Il faut y ajouter la liste des termes chretiens d’origine latine que l’albanais a conserves et le roumain a remplaces par des emprunts slaves. Une liste se trouve chez Mihaescu 1981, 220 et le sujet merite une etude speciale. Il s’agit de termes importants, entres dans la langue populaire. Un exemple, qui ne figure pas chez Mihaescu, est le terme post ‘jeune’, qui affaiblit en roumain la position des termes latins sec (siccus), paresimi (quadragesima) et ajun (ajuna, lat. jejunare). Les correspondants albanais, 2б
fait prouverait, en suivant Mihaescu, une influence slave plus intense sur le roumain que sur l’albanais. Cette direction de recherche nous semble interessante et nous essayons de nuancer ses constatations, en accordant plus d’ attention aux rapports de synonymie entre la couche des mots conserves du latin et celle des emprunts slaves. Les donnees sont puisees dans les sources lexicographiques.
А notre avis, on peut distinguer deux situations: mots latins que le roumain ne continue pas, alors que l’albanais les a conserve (tout comme les langue romanes occidentales), le roumain presentant а leur place des emprunts faits au vieux slave et mots latins, dont on peut suivre la perte progressive et dont les correspondants albanais, depourvus de la concurrence des synonymes slaves, conserve la position forte dans le lexique.
Sans avoir la possibilite d’epuiser le theme, nous presentons une serie de faits (en suivant l’ordre alphabetique des mots roumains) afin d’illustrer l’interet du sujet.
La premiere categorie comprend des cas qui repondent effectivement, а notre avis, au critere enonce par H. Mihaescu : en albanais est perpetue un mot latin, tandis qu’en roumain existe un emprunt fait au slave. L’exemple le plus connu : roum. suta (< v. sl. sйto, «avec un traitement inusite de й par u, а une epoque ancienne» (Rosetti 2002 : 352; voir aussi : Cioranescu 2001 s. v., avec bibliographie) : alb. qint (lat. centum).
En ce qui suit, la comparaison entre la situation en albanais et celle en roumain de quelques paires d’exemples va nous permettre des precisions assez interessantes sur cette premiere categorie.
Coco§ ‘coq’ (sl. *kokosb ‘poule’) : alb. gjel (lat. gallus). En roumain, le mot slave a remplace, fort probablement, un terme anterieur d’origine latine, car on n’est pas possible que jusqu^ cet emprunt slave, dont le sens, d’ailleurs, le roumain a modifie5, il n’y
kreshme et agjerim (agjinoj vb.) gardent leur frequence. D’ailleurs, l’albanais elargit le sens du mot d’origine latine kreshme, qui ne designe pas seulement ‘les quarante jours de jeune avant les Paques’, mais toutes les periodes de jeune.
5 Dans les langues slaves meridionales, les descendants du mot *kokosb conservent le sens ‘poule’ (bg. kokoska, dial. kokos, sb. kokos). Le neogrec a emprunte le mot en gardant le sens originaire : kokkooiov ‘poule’. Ce sont les descendants de l’espace slave du nord, a savoir en ukrainien, en tcheque et en slovaque, qui ont le sens ‘coq’, fait qui a conduit S. Pu^cariu a supposer qu’il
avait un terme pour designer le male de la poule. Pour designer la ‘poule’, le roumain a conserve du latin gallina, ne participant, de la sorte, a l’innovation qui comprend l’italien, l’espagnol, le portugais, le frangais et l’albanais aussi : dans ces langues est continue le terme latin pulla. Le roumain continue gallina et l’albanais a emprunte du latin, de la meme famille, le mot designant le coq, gallus, mot qu’il conserve de pair avec l’italien, le provengal, le catalan, l’espagnol et le portugais. La configuration lexicale en albanais, differente de celle du roumain, ne permet pas de supposer que le roumain aurait herite gallus. Selon S. Pu§cariu (en DR III : 757, DR VIII : 353), le mot remplace par coco$ serait cantator, nom derive du verbe canta ‘chanter’. A present, cantator est assez rare et d’usage plutot dans le langage poetique. En roumain contemporain, le mot coco$ a une position forte, etant le terme presque unique pour designer le ‘coq’. Il faut noter que le mot slave est entre en albanais aussi, ayant le meme sens qu’en roumain: kokosh a une position moins forte par rapport aux autres synonymes : gjel (gallus) et kendes, derive de kendoj ‘chanter’ (correspondant du roum. cantator). Gr. Brancu§ (2004 : 57), qui souligne cette concordance entre le roumain et l’albanais, attire l’attention sur le fait qu’en roumain, cantator, de regle au pluriel, apparait seulement dans des contextes lies a l’action de chanter, tandis qu’en albanais kendes est employe absolu, sans rapport obligatoire avec l’idee de chant, ou avec le moment de la journee. L’association entre le coq et son chant et le moment du minuit est faite en latin et dans les langues slaves aussi, ou il y a un derive semblable a ceux roumain et albanais, v. sl. pevec (voir Brancu§ l. c.) ; il faut retenir qu’en bulgare et en serbe aussi les descendants du v. sl. *petblb, *petel’b, provenant de *peti ‘chanter’, sont plus frequents que les descendants du v. sl. kokotb ‘coq’. A l’encontre du dacoroumain, les dialectes du sud (aroumain, meglenoroumain, istroroumain) ont emprunte le terme propre, kokotb : ar. cucot, megl. cocot, ir. cocot, terme qui est entre en albanais aussi pour designer le coq de grande taille. Pour conclure, il faut souligner que l’albanais et le roumain different par les elements latins conserves (en roumain, gallina, en albanais, pulla6 et gallus). Elles different aussi par la frequence des
s’agirait d’une influence semantique de la part du roumain (voir aussi Cioranescu 2001 : nr. 2224).
б Le roumain a conserve la forme masculine du mot, pullus, dans la variante *pulleus, *pulius >pui ‘poulet ; petit d’un animal’.
derives du verbe ‘chanter’, cantator, kendes. Malgre la difference de frequence entre alb. kokosh et roum. coco§, il faut observer que le changement de sens est present dans les deux langues. En albanais, le mot d’origine latine n’a pas ete remplace comme en roumain, pourtant, et a garde, meme, une position plus forte que son synonyme d’origine slave.
Dihanie (v. sl. dyhanije) ‘monstre, etre effrayant ; bete feroce’ correspond а l’alb. moshtHr^ ‘etre effrayant’ (Mihaescu 1981 : 224), qui etait employe par les auteurs du XVIIe siecle (P. Budi, voir Qabej 1982 : 38). Le terme albanais est rare, hors d’usage dans la langue contemporaine et semble etre soit un emprunt tardif fait au latin (monstrum), soit un emprunt fait de bonne heure а l’italien (mostro) (Cabej en SF 19б4 : 41), en tout cas, а une epoque qui laisse de cote le roumain, isole dёjа des autres langues romanes. La presence du mot en albanais ^й l’absence du timbre nasal fait que l’origine latine soit
douteuse) et l’existence dans le dialecte aroumain du mot mostru, qui
provient de la l’italien et n’est pas herite (Papahagi 1974, s. v.), ne sont pas des preuves permettant de supposer que le mot latin ait existe jadis en dacoroumain (son existence a ete supposee par Kristophson 1988 : 77).
Gre$i vb. (v. sl. gmsiti) ‘commettre une erreur, une faute, se tromper’ a comme correspondant en albanais fdjej (lat. fallere ‘tromper, manquer а’), un verbe frequent chez les premiers auteurs des siecles XVI —XVIII (Mann 1948 : 104, qui enregistre aussi une forme ancienne, fёlej). Le mot latin a ete conserve par toutes les langues romanes, а l’exception du roumain. Il faut ajouter que l’albanais a emprunte aussi le nom faj ‘faute, erreur; peche’ (reg. et ancien fal — Mann 1948 : l.c.) < lat. fallum, *fallium (Qabej 19б2 : 190), auquel en roumain correspond le derive postverbal de l’emprunt fait au slave, gre^eala. Quoique que l’origine latine des mots albanais a ete mise en doute par J. Kristophson (1988 : 8б), leur evolution
phonetique est une preuve qu’il s’agit des emprunts anciens. En
albanais contemporain, fdjej des premiers textes a ete remplace par le derive fajtoj. Les premiers textes utilisaient les paires synonymiques faj et mёkat (forme ancienne kuat) (peccatum). Si le roumain est le seul idiome roman qui n’a pas continue lat. fallum, il conserve pourtant, avec toutes les autres langues romanes, lat. peccatum. Pour les notions ‘peche’ et ‘faute, erreur’, l’albanais emploie soit faj, soit mёkat (dans son dictionnaire latin-albanais de 1б35, Fr. Bardhi traduit
tant lat. culpa que peccatum par mcat). Le roumain utilise seulement pacat et fait completer la serie par le derive d’un emprunt slave, gre^eala. Lа oй l’albanais emploie la serie synonymique mckat, faj, on a en roumain la serie pacat, gre^eala.
Hrani vb. (v. sl. hraniti) ‘nourrir’ a comme correspondant en albanais le verbe ushqej (lat. vesco, -ere ‘nourrir, alimenter’, Meyer 1891 : 459)7. En depit de l’evolution speciale du segment initial (Qabej, en SF 19б7, 1 : 81-82 ; Rusakov 1987 : 137 ; voir aussi Kristophson 1988 : 79), il faut retenir que le mot albanais est le seul continuateur du mot latin, qui manque dans toutes les langues romanes (Cabej 19б2 : 191); pour le sens ‘nourriture’, il y a le derive ushqim. Il est interessant de constater que le roumain a conserve dans le domaine de la nutrition un riche inventaire de mots latins : bibere, fames, *flammabundus, *imbuccare, manducare, masticare, *muccicare (?), *satium, satullus, saturare, sitis, sorbere, sugere, pendant que l’albanais continue une serie differente et plus pauvre par rapport au roumain : captiare (kafshoj ‘mordre’), medicare ‘traiter, guerir’ (m€koj ‘nourrir’, а savoir, ‘nourrir un enfant ou un malade’, terme qui figure aussi dans la liste de Mihaescu comme correspondant au verbe roum. a hranif. Il faut observer aussi le fait que c’est dans le domaine de l’elevage que le roumain a herite un terme special pour le sens ‘nourriture’: nutret ‘fourrage’ < nutricium ‘aliments’, precisement de la famille de nutrire (qui lui manque). A hrani possede comme seul synonyme ancien le syntagme a da de mancare, forme d’elements d’origine latine, fait qui peut suggerer l’absence d’un terme propre pour cette notion; il lui correspond en albanais un syntagme semblable: i jap p€r t€ ngrine, i jap t€ haj€. D’autre part, pourtant, il ne faut pas perdre de vue que, dans les textes anciens, hrana §i a hrani ont le sens ‘garde’ et, respectivement, ‘proteger, garder’, identiques aux sens primitifs des termes slaves anciens d’origine (DA, s. v. ; Rosetti 2002 : б74), revolution semantique etant, donc, d’une date relativement recente.
7 Chez H. Mihaescu figure le terme kullos. Le mot pris en consideration par Mihaescu fait partie du domaine de l’elevage et correspond au roum. a pagte < lat. pascere. Du point du vue semantique (lat. colere signifie ‘cultiver la terre ; habiter ; fig. proteger’) et phonetique, d’ailleurs, l’etymologie latine de kullos pose des problemes (Kristophson 1988 : 83).
8 Voir l’inventaire du domaine en roumain en TILR II : 133 et suiv. et la comparaison des listes, roumaine et albanaise, en Vatagescu 1997 : 41 et suiv.
Logodna ‘fiangailles’, logodi ‘fiancer’ remplacent dans le roumain standard incredintare, a incredinta, derives de credinta ‘foi, croyance’; les mots herites sont conserves dans les parlers du nord du pays (Brancusi 2004 : 127, 128). Les correspondants albanais survivent comme les seuls termes pour la notion : fejes€ et fejoj, derives de fe ‘foi’. On peut constater que les termes latins memes sont differents en albanais et roumain (< lat. credentia). Alb. godis provient de la forme slave de base et a, parmi ses nombreux sens, celui de ‘convenire’ (pour la discussion semantique et etymologique du terme albanais, voir Svane 1992 : 232, 233).
Obraz (sl. obrazu) ‘joue’ : alb. faqe (lat. facies). Le domaine des denominations des parties du visage en roumain et albanais presente des concordances et des differences interessantes : en roumain, en portugais et dans le dialecte sicilien, les continuateurs du lat. facies ont aussi - а cote du sens etymologique - le sens ‘joue’ (Pu§cariu 1905 : 51). Ces deux sens existent de meme en albanais, oй le sens ‘joue’ est plus frequent. Pour designer le visage, l’albanais emploie de regle le terme latin factura (qui avait dans les inscriptions des Balkans le sens ‘forme’, Mihaescu 19б0 : 204), devenu fytyr's. De factura ayant le sens chretien ‘creature’ (Densusianu 1901 : 189) provient aussi le terme roumain faptura ‘etre, creature’. Le sens ‘joue’ etait rendu en roumain par buca, le continuateur du lat. bucca (conserve par les autres langues romanes avec le sens d’origine, ‘bouche’). En albanais, buk£ (< bucca) a developpe le sens ‘pain’, qui part du sens ‘bouchee’ (conserve en roum. imbuca, imbucatura, bucate). Dans le roumain ancien, en Transylvanie et en Moldavie, falca ‘machoire’ (lat. falx, falcis) est utilise aussi avec le sens ‘joue’ (DLRLV : 12б). L’emploi en roumain de plusieurs termes herites designant autres parties du visage auxquels on a developpe le sens ‘joue’ a provoque la necessite d’user d’un terme mono semantique, fait qui a favorise probablement l’emprunt. En albanais, fytym et faqe ont partage, fort probablement, d’une maniere convenable le domaine, sans recours а un emprunt slave.
Nous avons inclus dans la deuxieme categorie les termes roumains herites devenus archai'ques ou dialectaux en face des synonymes generalises d’origine slave, tandis qu’en albanais leurs correspondants ayant les memes etymons latins continuent d’etre en usage dans la langue standard.
Barna ‘poutre’ (v. sl. brwmo) est devenu terme generique, ce role revenant en albanais au mot tra (lat. trabs, trabis). Pour nommer la ‘poutre du toit’, le roumain emploie caprior, provenant du lat. capreolus, un derive de capreus, et l’albanais le terme qepёr, emprunt du mot de base, capreus. En albanais, kapruall (< capreolus) est exclusivement terme zoologique.
Boli vb. (sl. boWti) ‘etre malade’, boala (sl. bola) n. f. ‘maladie’, bolnav adj., n. ‘malade’ (bg. bolnav) sont les termes generiques en roumain actuel pour les notions que la langue ancienne nommait, avec les termes herites du latin, lanjesc (languesco, Pu^cariu 1905, s. v.), langoare (languor, DA, s. v.), langed (languidus, Densusianu 1938 : 758-759). Le mot latin languidus s’est perpetue seulement en roumain (Pu§cariu 1974 : 157 ; TILR II : 117) et languere et languor ont conserve leurs sens dans le domaine de la ‘maladie’ seulement dans le latin du Sud-est de l’Europe (Bahner 1970 : 95 ; Bahner en LR 1971.
2 : 14б). En albanais, Wngoj vb. ‘etre malade’ et lёngjyrё ‘maladie’, ayant les memes etymons que les mots conserves du latin dans le roumain ancien, sont frequents et connus dans la langue contemporaine. Il faut noter que pour ‘malade’, en albanais on emploie, pourtant, un mot qui ne fait pas partie de la serie de mots d’origine latine, le terme languidus n’etant pas emprunte. L’albanais utilise un derive provenant de la forme negative du verbe mund ‘pouvoir’, i sёmund, correspondant comme structure а l’aroum. niputut (Papahagi 1974, s. v.9). L’albanais et l’aroumain ont aussi sёmundje, niputeata ‘maladie’. En aroumain, а cote de niputut, on trouve le terme herite li’ndzit ‘malade’ (languidus) et le derive dzacй10, mais l’emprunt fait au slave, present en dacoroumain, n’existe pas. En dacoroumain, il faut observer que dans la serie d’elements d’origine slave c’est de meme le nom pour ‘malade’ qui a
9 En fait, T. Papahagi laisse la forme sans explication; il s’agit de la meme structure que celle du mot albanais, c'est-a-dire la forme negative du participe du verbe pot ‘pouvoir’. Il faut noter qu’en aroumain on utilise aussi d’une valeur absolue la forme negative du verbe: eu nu pot ‘je suis malade’. L’indication de T. Papahagi, selon la quelle un des sens du verbe pot serait ‘etre sain’, ne semble pas exacte, vu que, dans tous les exemples, le verbe a la forme negative et non pas affirmative.
10 L’aroumain et le dacoroumain emploient dans le domaine de la ‘maladie’ le verbe herite poly semantique: zacea ‘gesir’ (Cioranescu 2001 : nr. 9393), aroum. dzac (lat. jacere).
une position a part, provenant d’une couche plus recente que les emprunts pour les sens ‘maladie’ et ‘etre malade’.
Citi ‘lire’ (v. sl. citati) : alb. lexoj (legere). On peut supposer l’existence du terme herite en roumain commun, parce que le terme aroum. aleg ‘lire’ continue le derive allegere et parce que le verbe nommant l’action conjointe, ‘ecrire’, s’est conserve, a scrie (scribere) (Densusianu 1925 : 13-15). Dans la langue ancienne et populaire, pour le sens ‘lire’ - en aroumain aussi - on constate l’emploi de a numara (lat. nominare) et de a canta ‘chanter’, qui a son correspondant beaucoup plus frequent en albanais, kendoj (Brancu$, en LR, 1990 : 5-6, 389-390; Brancu§ 2004 : 59; selon Sandfeld 1930 : 93, il s’agirait d’un calque sur le turque, opinion mise en question par S. Pu§cariu dans un compte rendu en DR VII (1931-1933) : 489).
Coaja ‘ecorce (de l’arbre ; du fruit), peau (du fruit) ; pelure’ (v. sl. koza) : alb. korqe ‘cortice’ (Leotti 1937, s. v.) (cortex, -icis, Mihaescu 1993 : 45). A l’avis de Ion Coteanu et Marius Sala (Coteanu, Sala 1987 : 63), la configuration semantique de scoarta est due a l’action de coaja. Le terme d’origine latine s’est specialise pour le sens ‘ecorce de l’arbre’ tres probablement parce que le terme poly semantique d’origine slave, coaja, n’implique pas l’idee de rigidite et d’epaisseur, caracteristique pour scoarta. Il faut mentionner le fait qu’en albanais, shkorse (< scortea) n’a que le sens ‘tapis’ et ne connait pas le sens vegetal du roumain. Pour la relation entre cortex et scortea, il est a evoquer le cas du mot frangais ecorce, explique precisement comme le resultat du croisement entre les deux mots latins en discussion (Dauzat, Dubois, Mitterand 1964, s. v.). Pour ce qui est du mot albanais korqe, il faut observer le fait que les dictionnaires contemporains ne l’incluent pas et que les termes en usage dans la langue contemporaine sont lekure, levore, levozhge, kua et kore. Les trois premiers termes s’expliquent a l’interieur de l’albanais, tandis que kore est emprunte au slave (kora ‘ecorce’, Svane 1992 : 121, Orel 1998, s. v., avec la bibliographie du chaque terme)11. La variante roumaine coarje a ete expliquee par S. Pu§cariu, avec probabilite, comme un croisement de coaja avec sl. kora, que, d’ailleurs, le roumain n’a pas emprunte tel quel (Pu§cariu, DR VIII : 113 ;
11 Malgre son origine ancienne, kore, -ja, kore, -a semble avoir une diffusion dialectale (dans le dialecte tosque) et non pas generale (Svane 1992 : 121).
Cioranescu 2001, s. v. coaje). Nous n’excluons pas la possibilite que la forme albanaise korqe soit en fait derivee de kore.
Mila (v. sl. milo) ‘pitie, compassion’ : alb. mёshirё. Le roumain a herite du latin le verbe miserere ‘avoir de la compassion; prendre en pitie’, qu’il a continue d’utiliser dans sa periode ancienne dans la forme longue d’infinitif en qualite de nom : mesereare ‘pitie’ (DLRLV : 183). Le meme mot latin a ete emprunte en albanais, qui continue dans sa phase actuelle d’employer le verbe mёshiroj. De ce verbe, l’albanais a forme le nom mёshirё ‘pitie’, consolidant а la fois la position des deux mots. Le roumain a perdu non seulement mesereare mais aussi measer ‘pauvre, miserable’ (lat. miser) et a affaibli la position de mi^el ‘miserable, pauvre, lache’ (lat. mЇsёllus) (CDDE : nr. 107б, 1077, 1078).
Pour conclure, il faut rappeler que nous nous sommes proposes dans notre presentation bien limitee uniquement d’attirer l’attention sur l’utilite de l’etude systematique sur la synonymie des termes conserves du latin et des termes empruntes de bonne heure au slave dans la question de la chronologie du contact entre le roumain et l’albanais avec les langues slaves.
La categorie des mots latins que le roumain n’a pas conserve (les remplagant par des emprunts faits au vieux slave) et que l’albanais les a perpetues comme termes uniques est moins riche que la categorie des termes herites en roumain ayant de synonymes slaves et des correspondants en albanais sans synonymes. Il faut retenir, donc, que le terme slave n’existe en albanais et il ne menace pas la position du terme d’origine latine. Plusieurs situations sont possibles: le roumain presente des termes d’origine slave (qui peuvent avoir des synonymes herites, autres que les mots latins de l’albanais) et l’albanais continue des mots latins inexistants en roumain (barna, citi). L’emprunt slave est frequent en roumain (mais possede un synonyme herite d’une frequence semblable, les deux mots se specialisant semantiquement); en albanais, des mots d’autres origines concurrencent le terme latin que le roumain — en utilisant а sa place l’emprunt slave — ne connait pas (coaja). Le mot latin, reste en albanais le terme generalement connu, perd en roumain son usage general а la faveur de l’emprunt slave (boli, mila). La terminologie chretienne presente en roumain un riche inventaire d’elements slaves inconnus en albanais (gre$i, logodna, mila); ces mots font partie maintenant de la langue usuelle.
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