Научная статья на тему 'ДВУЯЗЫЧНЫЙ ВОЕННЫЙ СЛОВАРЬ: РУССКО-ФРАНЦУЗСКИЙ/ФРАНЦУЗСКО-РУССКИЙ / DICTIONNAIRE MILITAIRE BILINGUE: RUSSE - FRANçAIS/FRANçAIS - RUSSE'

ДВУЯЗЫЧНЫЙ ВОЕННЫЙ СЛОВАРЬ: РУССКО-ФРАНЦУЗСКИЙ/ФРАНЦУЗСКО-РУССКИЙ / DICTIONNAIRE MILITAIRE BILINGUE: RUSSE - FRANçAIS/FRANçAIS - RUSSE Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

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Ключевые слова
ВОЕННАЯ ТЕРМИНОЛОГИЯ / ДВУЯЗЫЧНЫЕ СЛОВАРИ / МЕЖЪЯЗЫКОВАЯ АСИММЕТРИЯ / MILITARY TERMINOLOGY / BILINGUAL DICTIONARY / INTERLINGUAL ASYMMETRY

Аннотация научной статьи по языкознанию и литературоведению, автор научной работы — Гардер Рамунчо, Микулинский Владимир

Мы рады представить один из примеров тесного «терминологического» сотрудничества между Францией и Российской Федерацией. Это сотрудничество началось около 13 лет тому назад по инициативе директора Высшей школы перевода МГУ и Военной миссии Посольства Франции в России. Его целью было создание двуязычного военного словаря: русско-французского и французско-русского.

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Dictionnaire militaire bilingue Russe - français / Français - Russe

We are honored to present hereby an example of successful collaboration between France and the Russian Federation in the field of terminology. This joint collaborative effort started off some 13 years ago at the instance of the Director of the Higher School of Translation and Interpretation and the Military Mission of the French Embassy in Moscow. The project’s aim was to produce a Russian-French / French-Russian bilingual military dictionary.

Текст научной работы на тему «ДВУЯЗЫЧНЫЙ ВОЕННЫЙ СЛОВАРЬ: РУССКО-ФРАНЦУЗСКИЙ/ФРАНЦУЗСКО-РУССКИЙ / DICTIONNAIRE MILITAIRE BILINGUE: RUSSE - FRANçAIS/FRANçAIS - RUSSE»

Вестник Московского университета. Сер. 22. Теория перевода. 2016. № 4

ВОПРОСЫ ТЕРМИНОЛОГИИ

Рамунчо Гардер,

Эксперт по военной терминологии Министерства обороны Франции;

e-mail: [email protected]

Владимир Микулинский,

Эксперт по военной терминологии, переводчик-международник,

Франция; e-mail: [email protected]

ДВУЯЗЫЧНЫЙ ВОЕННЫЙ СЛОВАРЬ:

РУССКО-ФРАНЦУЗСКИЙ / ФРАНЦУЗСКО-РУССКИЙ1

Мы рады представить один из примеров тесного «терминологического» сотрудничества между Францией и Российской Федерацией. Это сотрудничество началось около 13 лет тому назад по инициативе директора Высшей школы перевода МГУ и Военной миссии Посольства Франции в России. Его целью было создание двуязычного военного словаря: русско-французского и французско-русского.

Ключевые слова: военная терминология, двуязычные словари, межъязыковая асимметрия.

Ramuntxo Gardères,

Expert in Military Terminology at the French Ministry of Defense, France;

e-mail: [email protected]

Vladimir Mikoulinsky,

Expert in Military Terminology, Translator and Interpreter, France;

e-mail: [email protected]

BILINGUAL MILITARY DICTIONARY:

RUSSIAN TO FRENCH / FRENCH TO RUSSIAN

We are honored to present hereby an example of successful collaboration between France and the Russian Federation in the field of terminology. This joint collaborative effort started off some 13 years ago at the instance of the Director of the Higher School of Translation and Interpretation and the Military Mission of the French Embassy in Moscow. The project's aim was to produce a Russian-French / French-Russian bilingual military dictionary.

Key words: military terminology, bilingual dictionary, interlingual asymmetry.

C'est en 2003, dès qu'un accord diplomatique et militaire put être établi entre nos deux pays, qu'un protocole de coopération définissant le mandat de travail et les modalités pratiques fut établi et qu'un groupe

1 Редакция публикует полный текст выступления в редакции авторов и на языке оригинала.

de travail conjoint fut constitué. Ce groupe se devait de réunir des experts tant militaires que linguistes français et russes. Bénéficiant d'un soutien appuyé des autorités militaires et diplomatiques française, la France mettait en place au profit du groupe deux officiers supérieurs, respectivement experts dans leurs domaines de spécialité, opérationnels et linguistes. Placé sous la direction du Professeur Garbowsky, et après avoir établi une cadre de travail et défini les modalités pratiques, le groupe trouva très rapidement et avec enthousiasme sa vitesse de croisière, à raison de 6 séances de travail d'une semaine par an, réunions se tenant alternativement à Moscou et Paris. Au regard de l'immensité de la tâche, il fut aussi décidé que, en inter-séance, de nombreux échanges par courriel électronique devraient permettre, au-delà des distances, de faire avancer de façon méthodique et significative l'élaboration du dictionnaire par les membres du groupe.

A partir d'un très important travail initial de recherche terminologique tant dans les domaines opérationnels, tactiques que techniques et la réalisation d'une volumineuse base de données patiemment et méti-culeusement réalisée par votre Directeur, ce dictionnaire bilingue présente et définit les termes et expressions clés dans tout ou partie des domaines suivants: Défense, structures interarmées militaires nationales françaises et russes, science militaire, sciences et techniques militaires, stratégie militaire, art tactique, opératif et stratégique, tactique, concepts de défense et politique technologiques. Le choix des articles s'est fait en fonction de leur importance et leur fréquence d'emploi.

Il est établi à l'intention des instances et institutions militaires de nos deux pays. Ce dictionnaire constitue un effort sans précédent, réunissant plus de 40 000 termes tant en russe qu'en français et couvre l'ensemble de la terminologie actuellement en usage dans les forces armées russes et françaises. La première phase de cette action coopération fut l'édition en 2008 du tome 1 russe-français de ce dictionnaire. La deuxième phase de travail porte sur la réalisation du tome 2 français-russe, à ce jour en cours de rédaction, qui présentera un nombre globalement équivalent d'entrées.

Ce dictionnaire militaire bilingue répond à un très réel besoin constaté lors des nombreux échanges entre nos deux pays et devrait rapidement se révélé comme indispensable à l'occasion d'actions de coopérations militaires, de manœuvres ou d'opérations conjointes de nos deux pays. Il devrait également faciliter la mutuelle compréhension à l'occasion de conférences, séminaires, groupe de travail et autres cadres de rencontres et de débats entre la France et la Fédération de Russie. Bien sûr, ce dictionnaire ne prétend pas englober la totalité des termes actuellement en usage au sein de la Fédération de Russie et de la France dans les différents domaines retenus. Cependant, notre groupe de travail

n'en espère pas moins qu'il contribuera à faciliter les échanges entre nos deux pays et leurs forces armées respectives.

La première étape de cette action de coopération s'est concrétisée par la parution en 2008 du tome 1 de ce dictionnaire, tome regroupant plus de 40 000 termes ou expressions. Ce tome présente en langue source les articles russes et la traduction en langue française de l'ensemble du corpus. Tiré et diffusé à plus de 5 000 exemplaires, ce premier volume, nous devons bien modestement le reconnaitre, a reçu un accueil extrêmement favorable des autorités militaires tant russes que françaises et peut être maintenant considéré comme «ouvrage de référence linguistique» au sein de nos institutions militaires respectives.

Bon, mais alors ce dictionnaire bilingue militaire, cette «œuvre commune», qu'est-ce que c'est effectivement?

Tout d'abord, et sans vouloir faire injure aux très nombreux «experts» rassemblés aujourd'hui, je me contenterai de rappeler que le mot dictionnaire, d'abord écrit avec un seul n, est dérivé du latin dictio signifiant «action de dire, propos, mode d'expression». A titre anecdo-tique, il me semble aussi intéressant de savoir que, sauf erreur de ma part, sa première utilisation remonte au XlIIème siècle à Jean de Garlande, professeur de grammaire et de musique dont le «Dictionarius cum commento» écrit vers 1250, est le plus ancien document qui fournisse une liste un peu détaillée et chronologique des métiers exercés à Paris. Dans cet ouvrage, dans ce premier dictionnaire, plusieurs pages y désignent, à l'usage de ses élèves parisiens, les activités auxquelles on se livrait autour d'eux pour leur apprendre à traduire en latin le nom des objets les plus usuels...

Pour simplifier et revenir à une définition généralement reconnue du dictionnaire, retenons que celui-ci est un ouvrage de référence contenant l'ensemble des mots d'une langue ou d'un domaine d'activité généralement présentés par ordre alphabétique et fournissant pour chacun une définition, une explication ou une correspondance (synonyme, antonyme, cooccurrence, traduction, étymologie).

Dans le cas particulier qui nous intéresse, je rappellerai seulement, et de façon très générique, qu'un dictionnaire bilingue ou dictionnaire de traduction est un dictionnaire indiquant les équivalences des mots et/ou expressions entre deux langues différentes.

Notre premier travail fut, dans la base de données terminologique réalisée par le «Père fondateur» de notre groupe de travail, de déterminer les catégories de mots, de termes ou d'expressions à retenir, en fonction du public visé qui était celui de la Défense au sens très large et tout particulièrement celui du monde militaire. Il nous a fallu d'abord délimiter le périmètre des domaines généraux et particuliers à aborder, puis décider dans le choix des entrées ainsi définies de la place à faire aux néolo-

gismes, aux termes rares ou archaïques, au vocabulaire opérationnel, scientifique et technique, aux mots d'un emploi trop technique, au vocabulaire d'origine étrangère, et parfois même aux expressions grossières, voire au vocabulaire... argotique de nos armées, et il ne fut pas rare que l'exercice soit amusant et sources de nombreux fou-rires !

Assez rapidement, fut arrêté un corpus de quelques 40 000 entrées, incluant termes et expressions des domaines précédemment présentés. Dans l'idéal, une entrée, ou article, comprend normalement un certain nombre d'informations : (a) la lexie, ou plus petite unité porteuse de signification, ses dérivés affixaux et ses composés (arme, armement, arme légère d'infanterie) ; (b) les morphèmes grammaticaux, c'est-à-dire les mots vides qui indiquent les rapports entre les mots pleins, porteurs de signification ou sémantèmes ; (c) la prononciation ; (d) les marques d'usage ; et enfin, souvent quelques exemples. A partir de ces éléments, il semblait nécessaire que soient définis un certain nombre d'informations ou de renseignements linguistiques. Ceux-ci sont de trois ordres :

Sémantiques : définitions ;

Formels: catégorie (verbe, adverbe, substantif, adjectif, etc.), possibilités combinatoires ;

Historiques si nécessaires à la compréhension : étymologie.

A l'issue de cette sélection de termes ou expressions et à la création de ce corpus, sélection qui fut la «grande œuvre» des experts militaires du groupe, spécialiste des différents domaines de la Défense, il nous fallut très vite entrer dans le «vif du sujet», c'est-à-dire passer à la phase de traduction et, dans notre cas, plus particulièrement à cette phase de «traduction technique». Traduction technique, car en effet — et cela est sans doute pour vous d'une évidence fondamentale — on distingue deux types de traduction : la traduction technique et la traduction littéraire.

Mais avant d'aborder ce problème très spécifique de «traduction technique», je voudrais en quelques mots, — et cela tout en ayant parfaitement conscience d'avoir ici devant nous un auditoire parfaitement au fait du sujet — vous rappeler avec un regard de Candide sur cet «Art» ce qu'est effectivement, et cela de façon très générique, la traduction. «L'art de la traduction».

La traduction (dans son acception principale de traduction interlinguale généralement admise) est le fait de faire passer un texte rédigé dans une langue («langue source», ou «langue de départ») dans une autre langue («langue cible», ou «langue d'arrivée»). Elle met en relation au moins deux langues et deux cultures, et parfois deux époques.

Une traduction (translation en ancien français) représente toujours un texte original (ou «texte source», ou «texte de départ») ; en cela, elle comporte un certain degré d'équivalence, bien que le concept d'équiva-

lence stricte entre les langues soit désormais dépassé en traductologie. Le concept de traduction repose depuis longtemps sur des dichotomies telles que «fidélité» versus «liberté», «fidélité à la lettre versus «fidélité à l'esprit», «traduction sourcière» versus «traduction cibliste», etc.

La traduction tient compte d'un certain nombre de paramètres (contexte, grammaire, etc.), afin de se rendre compréhensible pour des personnes n'ayant pas de connaissance de la langue source, ce qui est (hélas !) mon cas pour la langue russe, et n'ayant pas la même culture ou le même bagage de connaissances.

En effet, traduire implique une parfaite maîtrise de la langue source mais aussi de la langue cible (ou destinataire), qui est généralement la langue maternelle. Le bon traducteur possède plus que des compétences linguistiques car, pour traduire les textes scientifiques et techniques, il se doit de posséder de solides connaissances techniques et maîtriser le jargon, et Dieu sait que le domaine militaire — qu'il soit français ou russe, regorge de mots, termes ou expressions bien spécifiques — dans les deux langues. Fort heureusement, nous avions, et avons toujours la chance de pouvoir bénéficier, au sein de notre groupe de travail, de la redoutable et impressionnante expertise tant linguistique que technique en la personne du Professeur Garbowski. Du côté français, le groupe pouvait profiter du parfait «bilinguisme» de mon camarade le Colonel Vladimir Mikoulinsky, militaire d'expérience et surtout linguiste français reconnu au sein de l'institution militaire française.

Enfin, pour terminer cette première partie, je voudrai rappeler ce qui fut pour nous notre «ligne de conduite» durant ces travaux de traduction: l'application rigoureuse des phases successives du processus de traduction:

Compréhension : assimilation du sens véhiculé par un terme ou d'une expression ;

Déverbalisation : oubli des mots et conservation du sens ;

Réexpression : reformulation du vouloir dire en langue cible; retour aux mots.

Ce court rappel étant fait, je voudrais aborder maintenant ce qui fut depuis maintenant presque 13 années, et est toujours, notre travail de traduction technique de l'ensemble des mots, termes ou expressions retenu pour figurer dans notre dictionnaire.

Je viens de parler de «traduction technique», il me semble — peut-être à tort au regard de vos études en cours — utile de rappeler ce qu'est la «traduction technique». Cette traduction technique, aussi appelée traduction spécialisée est un domaine de la traduction concernant les travaux menés sur des textes propres à un art, une science, une activité, un savoir-faire ou encore même un fonctionnement. La traduction technique nécessite, et impose même, des connaissances linguistiques

et traductologiques, mais aussi et surtout une bonne connaissance du domaine technique concerné.

Durant ces déjà longues années passées à la réalisation et au montage de notre dictionnaire, trois membres sur quatre de notre «équipe» de travail furent des «traducteurs techniques» souvent confrontés à de multiples difficultés de traduction, mais aussi parfois de compréhension du sens des mots, des termes ou des expressions.

Mais d'abord, qu'est-ce qu'un «traducteur technique» ? Selon la définition donnée par le président de la Société française des traducteurs, le traducteur technique est un spécialiste de la profession dont la tâche est «d'assimiler un texte technique ou scientifique écrit dans une langue étrangère.. .et de la réécrire de façon à ce que le spécialiste auquel il est destiné ait l'impression qu'il a été écrit dans son propre pays».

Pour accomplir cette tâche avec succès, chaque membre du groupe de travail se devait d'avoir une double formation : l'une générale, l'autre spécialisée. Comme pour tout traducteur, il était nécessaire — et ce fut le cas pour 3 d'entre nous — de posséder une connaissance approfondie de la langue de départ et de la langue d'arrivée — connaissance des mots (lexique) et de la structure de l'expression et/ou de la phrase — agencement.

La seconde condition requise était la connaissance de la terminologie particulière et spécifique du domaine très général de la Défense, et ici dans notre cas plus spécifiquement, le domaine militaire sous toutes ses formes: conceptuel, stratégique, tactique et technique. En effet, ce monde militaire possède son vocabulaire, voire même son jargon, qui permet aux spécialistes et experts de ce vaste domaine qu'est la «chose militaire» de mieux saisir la réalité, souvent très concrète, de ce «monde» si spécifique.

Ce qui distingue la traduction «technique» des autres formes de traduction, et en constitue la grande difficulté, c'est le problème de compréhension du sens, du concept, de la valeur sémantique du terme ou de l'expression étudiée. Bien sûr, il est évident que l'on peut traduire un mot, ou une expression même si on ne les comprend pas. Or dans le cadre de ce type de traduction le cas peut se présenter fréquemment, soit qu'il s'agisse d'un domaine ou d'une terminologie qui nous sont peu ou mal connus parce que trop spécialisé, et je pense là tout particulièrement aux vaste champ de l'armement, soit que l'on ait affaire à une technique ou à un concept nouveau dont le vocabulaire n'est pas encore réellement fixé et encore moins enregistré dans les glossaires et lexiques existants. Comme par ailleurs la traduction technique du domaine militaire exige une grande précision et une grande exactitude, il ne peut être question d'éviter les difficultés ou de s'en tirer «élégam-

ment» par un tour de passe-passe comme parfois cela est possible dans d'autres domaines plus généraux.

En effet, il importait et imposait à chacun de très régulièrement se tenir informé et documenté, ne serait-ce que pour être au courant de ce qui se passe dans le monde militaire en général et dans ceux de nos deux pays respectifs, voire même au sein des grandes organisations militaires internationales et ainsi mieux comprendre et donc mieux rendre les termes, et expressions qui sont le reflet des évolutions doctrinales nationales et internationales et ainsi, enrichir, actualiser et renouveler — si besoin était — son vocabulaire.

Pour notre équipe, rédacteurs et traducteurs «technique», la consultation de la documentation — qu'elle soit tactique ou technique — la plus récente était une nécessité absolue sans laquelle il nous était impossible d'actualiser, de corriger, de rédiger, et encore moins de traduire, les expressions et termes nouveaux extraits des concepts les plus récents des pays ou organisations concernés par ce dictionnaire militaire.

Alors bien sûr, la première source à laquelle on pense est bien entendu la documentation écrite existante, c'est-à-dire dans l'ordre : les dictionnaires militaires, les glossaires technique et tactiques, les lexiques de domaines, les règlements et enfin les publications du monde de la défense en général et celles du monde militaire plus particulièrement.

Lorsqu'un terme ou une expression n'est pas clair ou très spécifique à un domaine donné, ou lorsqu'on a épuisé toutes les sources de documentation, il faut avoir recours à «l'expert» ou au «spécialiste». C'est dans cette partie des travaux que, non linguiste en langue russe, ma modeste participation fut mise à contribution: Responsable national au sein du ministère de la Défense français d'un groupe d'experts en terminologie et néologie militaire, j'ai en charge la coordination et la normalisation de l'ensemble de cette terminologie militaire ainsi que la responsabilité de mise à jour et d'actualisation des glossaires et lexiques existants au sein des armées françaises. Dans le cadre des travaux menés par notre groupe de travail, les différents états-majors d'armée furent souvent mis à contribution pour nous aider à comprendre, à expliquer et aussi — principalement dans la rédaction du tome 2 RUS/ FRA — à enrichir le corpus de ce dictionnaire.

Dans ce type de «traduction technique», la plus étroite collaboration entre traducteur et expert est indispensable. Il y a deux genres d'experts, qui remplissent tous deux un rôle différent: tout d'abord, l'expert de la langue de départ, qui est souvent l'auteur du texte, ce qui fut le cas dans le cadre de la réalisation du tome 1 de notre dictionnaire. Il est le mieux qualifié pour expliciter sa pensée ou expliquer l'origine, le sens, le cadre d'emploi d'un terme ou d'une expression et le traducteur ne doit pas hésiter à le consulter. «Son rôle premier n'est pas de traduire

mais d'expliquer»... En second lieu, il y l'expert de la langue d'arrivée qui, lui, peut fournir une traduction ou une explication, selon qu'il est bilingue ou non. Nous avons la chance d'avoir, comme je crois vous l'avoir déjà dit précédemment, au sein du groupe de travail, ces deux types d'expertise cumulées en les personnes de Professeur Garbowski et du Colonel Mikoulinsky. A l'éclairage de ces quelques années longues et passionnantes passées en très étroite collaboration au sein de notre «équipe», et comme cela fut parfois le cas — et je dirai cela avec une pointe d'humour — il faut toutefois prendre garde à ne pas accepter «aveuglement» les solutions proposées par «l'expert», et ceci parce que l'expert n'est pas forcément un linguiste, ce qui est et sera toujours dans le cadre de ces travaux mon cas, et il ne faut pas lui demander plus qu'il ne peut donner !

Cette réserve faite, l'expérience de ces presque 13 années passées à travailler et à réfléchir ensemble, m'a appris qu'il était utile, sinon indispensable, d'avoir des liens et relations au sein du maximum d'organismes de la défense à qui l'on puisse faire appel. Très souvent, grâce à eux, et par un simple coup de téléphone, nous avons pu nous épargner fréquemment des heures de recherches, parfois vaines !

Je voudrais maintenant, faire état et vous présenter les nombreuses difficultés qui furent rencontrées lors de travaux de traduction. En tant que non linguiste et parfaitement ignorant de cette si belle langue russe, et à plus fort titre de la langue militaire des forces armées russes — j'avais imaginé avec optimisme, Oh ! Candide, qu'il nous suffirait pour les travaux au profit du tome 2 de notre dictionnaire — et cela après avoir enrichi l'ensemble du corpus initial russe du tome 1 de mots, termes ou expressions spécifiques au domaine français de la défense et de l'art militaire — d'inverser les sens de traduction en faisant de la langue d'arrivée la langue de départ pour ainsi avoir une exacte correspondance dans la traduction des entrées.

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Je suis particulièrement honoré de pouvoir m'adresser à vous, ici, au sein même de l'Université d'Etat de Moscou. Je mesure à sa juste valeur l'auditoire ici présent. Aussi, alors que le Doyen de l'ESTI nous a demandé, à mon collègue et à moi-même de vous dire quelques mots à propos de notre projet, nous avons bien entendu accepté cette mission avec beaucoup d'enthousiasme. Cet enthousiasme, cette joie, est dû au fait que nous avons là l'opportunité de partager avec vous un peu de cette œuvre commune. Œuvre commune, fruit de nos expériences, de nos recherches, mais aussi de nos craintes, de nos approximations et de nos angoisses. Ce projet, qui a déjà vu en partie le jour, se poursuit encore pour, j'espère quelques mois seulement. Juste le temps qu'il faut pour mettre sous presse le tome 2 du dictionnaire bilingue de termes militaires.

Tout cela a été possible, comme vient de vous le dire mon collègue et ami Ramuntxo, grâce à une personne. Une personne qui a su ériger son activité professionnelle au niveau d'un art. Une personne qui a su aller vers d'autres pour réaliser quelque chose au profit de l'ensemble de la collectivité. En effet, ayant su passer de l'Art Opératif à l'Art de la Transmission du Savoir aux jeunes générations, Notre, je dis bien «Notre» car nous aussi, le binôme Français, avons avec vous la même personne en commun, ainsi donc, Notre Doyen, Notre Professeur, je parle bien entendu du professeur Nikolaï Konstantinovitch Garbovsky, est celui qui est à l'origine de cette belle démarche intellectuelle. Il est l'initiateur. L'homme qui a mis le feu aux poudres! Imaginez-vous le chemin parcouru toutes ces années. Avant la fin de la Guerre froide, dans les années 80, nous nous faisions face. Sans doute nous observions nous dans les jumelles. Chacun de part et d'autre de la frontière. De ce que l'on appelait «le Mur». Alors, je veux le dire à haute et intelligible voix, mieux vaut écrire ensemble un dictionnaire de termes militaires plutôt que d'avoir à utiliser celui-ci, chacun de son côté, pour tenter de percer les secrets stratégiques de son ennemi du moment.

Je voudrais également profiter de cette occasion pour rappeler l'aide précieuse du professeur Kostikova, Olga Igorievna Kostikova. Combien de fois, grâce au professeur Kostikova, l'équipe a été remise sur le droit chemin du travail !!! En effet, certains, en particulier la composante française, avait tendance à s'égarer dans des réflexions éloignées du corpus lexical souhaité. Madame Kostikova nous rappelait, très aimablement, qu'il fallait reprendre le cours des raisonnements intellectuels approfondis et abandonner les velléités primesautières. Son apport dans la rédaction du dictionnaire est capital.

Mais, venons-en au fait. «Rompons l'os et suçons la substantifique moelle» comme disait Rabelais qui, permettez-moi de le rappeler, a été moine, mais aussi traducteur et écrivain...

Quand on me demande d'aborder devant vous les difficultés de la traduction, je ne peux que penser à une chose: voilà qui est bien facile à traiter! Finalement, un dictionnaire de 40 à 60 000 termes, cela ne représente que 40 à 60 000 difficultés de traduction. Alors, passons en revue ensemble ces 60 000 difficultés. Je traiterai donc aujourd'hui, devant vous, des premières 20 000 difficultés et cette nuit nous finirons avec les 40 000 restantes. Des sandwichs et des boissons seront distribués pour vous empêcher de tomber en syncope durant cet exposé.

Non, rassurez-vous, c'est une boutade. Je ne serai ni exhaustif, ni trop long. Inutile de téléphoner pour prévenir vos familles que vous ne pourrez rentrer à la maison ce soir !

Les difficultés de la traduction vous sont bien connues. La langue, l'expression vocale de nos pensées est dite avec des mots. Ces mots

sont définis, ils ont un sens. Or, le sens évolue car la langue est une chose vivante. Et, c'est bien là que se trouve la difficulté pour traduire la plupart des mots.

Imaginez un peu, la langue correspond à la culture, aux sentiments, aux sensibilités intrinsèques de chaque pays, de chaque population nationale, de chaque groupe ethnique, voire même de groupes de personnes géographiquement localisés, on parle alors de patois plus que de langue.

Ainsi, la langue française se caractérise par une richesse de nuances exprimant les goûts et les saveurs. Comment traduire la «robe» d'un vin et surtout toutes les connotations qui l'accompagnent? Comment traduire «tavernier»2, «cabaretier»3 ou «marchand de vin»4? Leurs métiers sont si proches, car ils commercialisent tous les trois du vin. mais seules les quantités et les conditions de consommation de ce vin différencient ces artisans! Et, tout ceci à été fixé par décret royal en 1587, par Sa Majesté le Roi Henri III. Au passage, je tiens à remercier le Professeur Kostikova pour toute son aide. Elle nous a permis de nuancer nos propos et cela grâce à son excellente connaissance de la France et de sa capacité à mettre en perspective les spécificités de nos deux peuples.

Toujours à propos de cuisine. comment traduire la fameuse «салат Оливье» ? Eh bien c'est très simple: en français, nous dirons «salade russe» ! Amusant retour en France d'une recette française importée en Russie.

Comment différencier le registre linguistique du mot «kahwa» ? Est-ce de l'argot ou du vieux français ou un emprunt étranger? Bien entendu c'est un emprunt étranger. Mais aujourd'hui, kahwa est un mot familier, argotique. Or, c'est en 1672, qu'il est introduit en France, par un Arménien, à Marseille. Car, c'est dans cette ville que, pour la première fois, il sert cette boisson, en ouvrant le premier «Café français». Il introduit le café dans la cuisine française et introduit le Kahwa dans la langue française grâce au nom de son établissement, la «Maison Caova». Kahwa n'est rien d'autre qu'un emprunt turc ramené par cet Arménien d'Istanbul. A l'époque, pour beaucoup tout allait à peu près bien avec les Turcs. En revanche, le Café, en tant qu'institution, le typique «café parisien», n'a rien de vraiment français. Il nous vient d'un Sicilien. Un certain Francesco Procopio dei Coltelli qui fonde, en 1686, le fameux Café Procope. La boisson devient le nom d'un endroit où l'on aime se retrouver et lire les nouvelles. En 2016, 330 ans plus tard, ce café est toujours ouvert et je vous conseille vivement de le visiter si vous en avez l'occasion.

2 — Le tavernier vend du vin à emporter, les quantités sont peu importantes.

3 Le cabaretier vend du vin au détail et à consommer sur place.

4 Le marchand de vin commercialise du vin en quantité importante et non consommable sur place (bouteilles, fût, tonneau).

Maintenant que cet excellent café nous a ragaillardis, rappelons-nous que le Français a une réputation frivole. Son lexique courtois et ses expressions grivoises sont rarement traduites avec toute l'exactitude que l'on voudrait. Nous touchons là à la mentalité d'un peuple. Cette mentalité s'exprime aux travers de la richesse de certains champs lexicaux. Vous comprendrez bien que pour des raisons de temps limité, je ne pourrai aborder plus avant ce sujet aujourd'hui. En revanche, je reste disponible pour des cours particuliers, réservés de préférences aux dames.

Après une très brève approche de la langue française, qu'en est-il de la langue russe ? Qu'en est-il de la précision de ses termes ? De sa capacité à conceptualiser le ressenti ? Comment traduire le mot «уют» ? En anglais nous aurons «cosy» et les Allemands nous dirons «gemütlichkeit». Mais en français ? Le mot «confort» ne suffit pas. il nous faudra rajouter des adjectifs pour le qualifier. Nous devrons même recourir à la périphrase pour dire à quel point le confort chaleureux de la demeure familiale nous procure un sentiment de sécurité, de douceur et de tendresse. En russe. un seul mot, un mot puissant: «уют» !

Ah, la périphrase. cette succession de mots pour exprimer et décrire ce que l'on ne peut formuler d'un seul mot. Un auteur français du début du XXème siècle décrivait, en 1324 mots ou 7686 caractères, un petit gâteau joufflu dont les effluves et les arômes à la sortie du four lui rappelaient la douceur de son enfance. La fameuse «madeleine» de Marcel Proust a fait la joie de ses lecteurs, tant ces descriptions et toutes ces connotations étaient riches de sens. Mais, et je le dis avec un sourire malicieux, cette «madeleine» a également fait le malheur des étudiants en Lettres Classiques chargés, bien des années plus tard, de l'étude de son ouvrage en 7 tomes «A la recherche du temps perdu»5. Malgré toutes les recherches sémantiques et linguistiques, ce mot reste intraduisible et ne peut qu'être transcrit. Les noms propres ne sont pas traduisibles.

Un autre auteur, un auteur russe, Fiodor Mikhailovitch Dostoievsky a su, dans ses œuvres métaphysiques, décrire les affres de l'être humain saisi par la force irrationnelle de la passion ! Que de mots pour ces maux. Quelles difficultés pour la traduction de cette œuvre magistrale. Ainsi, que ce soit dans «Guerre et Paix» ou «les Frères Karamazov» apparaissent des mots dont le signifiant est limpide mais où le signifié n'est pas toujours facile à traduire. Et nous approchons là des difficultés que nous retrouvons dans l'élaboration du dictionnaire des termes militaires.

5 _ Dans «Du côté de chez Swann».

Appréciez ce délicat passage de la littérature au champ sémantique militaire.

A propos, «passage» voilà un mot simple mais pas obligatoirement facile à traduire. Il signifie à la fois le lieu, l'endroit mais aussi le processus: «ce passage est difficile d'accès» et «le passage d'un côté à l'autre débutera dans 5 minutes». «Проход» et «переход». seul le contexte permet de choisir le bon terme. Isolé du contexte le mot n'est pas traduisible sans un risque important d'erreur.

Comment traduire «родной»? Le mot «parentèle» n'exprime pas, avec la puissance du mot russe, le rapport affectif qui existe entre deux personnes qui, d'ailleurs, ne sont pas obligatoirement parents aux sens de l'état-civil.

Comment différencier en français «отчизна» de «родина»? Le mot français «patrie»6 convient bien à «родина» mais également à «отчизна». un seul mot français pour deux mots russes bien distincts et dont la signification est si importante? Nous touchons là, dans un domaine bien militaire, un terme qui a une grande charge politique. Alors, la «langue de la diplomatie», ainsi que les Russes caractérisaient la langue française au XIXème siècle, a trouvé une pirouette linguistique en parlant de la «Mère Patrie». Mêlant ainsi, dans ce raccourci, le Père et la Mère, rappelant la véritable origine de chacun d'entre nous. Pourtant, il nous faudra nous référer au droit du sol et au droit du sang pour déterminer ce mot. Deux conceptions qui font en France, aujourd'hui, l'objet de débats tendus chez nos politiciens au moment où l'on envisage, après les attentats de novembre 2015, de modifier la Constitution en vue de graver dans le marbre la déchéance de nationalité pour les terroristes. Les mots ne sont pas innocents.

Vous le voyez bien, que ce soit dans la cuisine ou dans les salons littéraires, que se soit par la politique ou par la chose militaire, force est de constater que, dans le métier d'interprète ou de traducteur, les difficultés ne manquent pas et les pièges sont nombreux. Il en est de même pour écrire un dictionnaire. Même de terminologie militaire.

On pourrait penser que les difficultés de la traduction relèvent de la propension à calquer les mots, à employer des anglicismes, à tomber dans le piège des faux-amis et je ne parle pas là de l'OTAN. Oui, bien entendu ce sont là des difficultés bien connues. Et, vous comprenez bien que pour faire face à tous ces obstacles, la véritable difficulté ne se trouve pas entièrement dans le terme à traduire.

En réalité, la véritable difficulté réside dans la direction d'une équipe parfois dissipée, souvent goguenarde, cherchant comme de jeunes

6 Patrie: pays où l'on est né ou bien pays auquel on appartient en tant que citoyen (droit du sol).

étudiants à biaiser. à laisser l'autre travailler. à raconter des bêtises pour faire rire la classe. Alors, et je vais faire là référence à la terminologie militaire, pour réaliser un ouvrage de cette envergure, il faut un chef (terme militaire), qui commande (terme militaire) avec fermeté (terme militaire) et bienveillance (terme rempli d'humanité), qui partage ses connaissances encyclopédiques, un homme qui est le Capitaine du vaisseau lorsqu'on navigue dans les méandres de la sémantique, un homme qui devient le pilote, chef de la patrouille, lorsqu'il faut fondre sur la difficulté en ménageant un effet de surprise, un homme qui reste parachutiste lorsque la situation exige que l'on se pose avec délicatesse sur l'objectif terminologique. Bien entendu, nous l'avons tous compris, il s'agit du professeur Nikolaï Konstantinovitch Garbovsky.

Avant de terminer mon propos, je voudrais avoir un petit mot pour ceux que l'on oublie fréquemment dans ce genre d'intervention. Je pense en particulier aux interprètes qui viennent de travailler et de nous permettre d'être unis malgré l'obstacle de la langue. Je les remercie pour leur aide précieuse. Je pense également à toutes vos équipes pédagogiques qui préparent ces futurs spécialistes de la traduction et de l'interprétariat et, permettez moi ces quelques mots dans la langue de Shakespeare: the last but not the least, je voudrais ici exprimer au professeur Nikolaï Garbovsky toute notre sympathie pour cette journée si particulière, lui exprimer notre gratitude de pouvoir travailler avec lui depuis maintenant de nombreuses années et pour de nombreuses années encore.

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