Научная статья на тему 'LE SOUS-TITRAGE DES FILMS RUSSES EN FRANçAIS: CONTRAINTES SPéCIFIQUES ET STRATéGIES PARAPHRASTIQUES'

LE SOUS-TITRAGE DES FILMS RUSSES EN FRANçAIS: CONTRAINTES SPéCIFIQUES ET STRATéGIES PARAPHRASTIQUES Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

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Ключевые слова
CINéMATOGRAPHIQUE / CINéMA RUSSE / SéMIOTIQUE DU CINéMA / TRADUCTION / SOUS-TITRAGE / SOUS-TITRE / TRANSFERT LINGUISTIQUE / ADAPTATION / TRANSLATION / SUBTITLING / SUBTITLE / CINEMATOGRAPHIC TRANSLATION / LINGUISTIC TRANSFER / RUSSIAN CINEMA / SEMIOTICS OF CINEMA

Аннотация научной статьи по языкознанию и литературоведению, автор научной работы — Jacq Jasmine

The reception of any audio-visual production abroad depends on the quality and the form of its translation. In France Russian films have been traditionally translated using subtitling, a technique which includes its own constraints and paraphrastic strategies (transposition from the oral code to the written code, semiotic transfer). The stake is one of synthesis allowing the transmission of verbal signs as well as non verbal signs present in the film. In this context, the morphology itself of Russian language represents an additional challenge for the translator.

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Текст научной работы на тему «LE SOUS-TITRAGE DES FILMS RUSSES EN FRANçAIS: CONTRAINTES SPéCIFIQUES ET STRATéGIES PARAPHRASTIQUES»

Вестн. Моск. ун-та. Сер. 19. Лингвистика и межкультурная коммуникация. 2009. № 1

ТЕОРИЯ И ПРАКТИКА ПЕРЕВОДА Jasmine Jacq

LE SOUS-TITRAGE DES FILMS RUSSES EN FRANÇAIS: CONTRAINTES SPÉCIFIQUES ET STRATÉGIES PARAPHRASTIQUES*

La réception à l'étranger de toute production cinématographique est conditionnée par la qualité et la forme de sa traduction. Les films russes en France ont traditionnellement été traduits par la technique du sous-titrage, soumise à des contraintes et à des stratégies paraphrastiques propres pour le traducteur (passage du code oral au code écrit, transfert sémiotique). L'enjeu est celui d'une synthèse, permettant la transmission des signes verbaux, comme des signes non-verbaux du film. Dans ce contexte, la morphologie même du russe représente un défi supplémental pour le traducteur.

Mots clefs: traduction, sous-titrage, sous-titre, traduction, cinématographique, transfert linguistique, adaptation, cinéma russe, sémiotique du cinéma.

The reception of any audio-visual production abroad depends on the quality and the form of its translation. In France Russian films have been traditionally translated using subtitling, a technique which includes its own constraints and paraphrastic strategies (transposition from the oral code to the written code, semiotic transfer). The stake is one of synthesis allowing the transmission of verbal signs as well as non verbal signs present in the film. In this context, the morphology itself of Russian language represents an additional challenge for the translator.

Key words: translation, subtitling, subtitle, cinematographic translation, linguistic transfer, adaptation, Russian cinema, semiotics of cinema.

2. Contraintes spécifiques du russe en vue de sa traduction sous-titrée

Les problèmes théoriques généraux du sous-titrage à présent posés, notre objectif consiste désormais à mettre en évidence quelques-uns des obstacles caractéristiques et spécifiques du processus de sous-titrage du russe en français. Notre propos n'est pas ici d'évoquer les obstacles traditionnels et connus de la traduction du russe en français, liés aux différences structurelles, morphologiques, syntaxiques (etc.) entre les deux

Jacq Jasmine - Maître de conférences et traducteur assermenté, Responsable de la Section de Russe, U.F.R. S.L.H.S. Université de Franche-Comté; e-mail: jasmine.jacq@ univ-fcomte.fr

* Suite du numéro 4. 2008.

langues. Nous chercherons exclusivement à éclairer les problèmes liés au transfert du code oral russe au code écrit français d'une part, et, d'autre part, ceux posés par la transposition de concepts culturels russes vers leur expression sous la forme d'une version française sous-titrée.

Nous avons isolé trois spécificités essentielles du russe - et notamment du russe oral - à l'origine de complications dans l'opération de sous-titrage.

2.1. Les "relationèmes" dans le russe oral, un écueilpour le sous-titrage

La linguiste C. Kerbrat-Orecchini définit par le terme de "relationèmes intratextuels" les indicateurs d'une relation et de son évolution au cours d'un échange verbal1. Ces relationèmes foisonnent en russe. Ils sont vides d'un point de vue sémantique pur: ils colorent le texte. Ils ont cependant une double caractéristique: ils sont à la fois les reflets et les constructeurs de la relation, et sont donc particulièrement importants dans l'élaboration du sens et de ses nuances.

Le meilleur exemple de ces relationèmes en russe est probablement celui des diminutifs. En russe en effet, l'ensemble des noms propres et presque tous les noms communs et adjectifs ont la possibilité de voir leur sens modifié, atténué, augmenté, pondéré, en fonction de l'ajout d'un suffixe. Ainsi pour les prénoms, si "Anna" est la forme officielle du prénom "Anne", "Anka", "Anjuta", "Annuska" en seront autant de variantes affectives. Pour les noms communs, les suffixes -ok, -ocek, -ik, -icek (masc), -ka, -ocka, -ecka, -ica, -icka, -en'ka, uska (fem.), -ecko, -ysko (neutres) permettent là encore d'atténuer le sens des mots. Ex:"veterok" ("un vent léger"), "parocka" ("un petit couple"), '"jablocko" ("une petite pomme"). Les adjectifs quant à eux peuvent aussi se voir prolonger par les suffixes -en'kij/-on'kij (masc.), -en'kaja/-on'kaja (fem.), -en'koe/-on'koe, qui colorent et modifient eux aussi le sens. Ex:"xorosenkij mal'cik" ("un bon/joli petit garçon", "vkusnen'koe bljudo" ("un bon petit plat"), etc.

Les diminutifs ont un pouvoir expressif très important et subtil en russe2. Cependant, ils vont poser un problème au traducteur en général, et au traducteur de sous-titres en particulier, du fait de l'absence d'équivalents affectifs en français différents d'une périphrase.

Les interjections sont un autre type de relationèmes du russe. Elles sont beaucoup plus nombreuses en russe qu'en français et interviennent pour exprimer:

1) différents sentiments (surprise, contentement, effarement, colère, lassitude, dégoût...):

1 Kerbrat-Orecchioni C. Les interactions verbales. T. I. Paris, 1990. P. 42.

2 См.: ДстговаВ. Русский язык. М., 2007. C. 438.

6 ВМУ, лингвистика, № 1

ex: "a/7", "ax!", "batjuski!", "oj!", "nu!", "uvy!", "boze moj!", "vot tebe na!", "ba!", "è-xe-xe!", "ogo!", "ura!", "fu!", "t'fu!", etc.

2) des colorations de l'humeur ou de l'expression (envie d'éloigner quelqu'un, d'interrompre une discussion, description d'un bruit...) :

ex: "proch'", "von", "tss", "nu-nu", "brys'", "sabas", etc.

Comme en français ("oh là là!", "dites donc".), ces interjections n'ont pas de fonction autonome mais renferment néanmoins un sens afférent très précis3, qui là encore ne pourra que rarement être transmis dans la version sous-titrée des dialogues. Elles sont le reflet de l'émotivité, de l'expressivité et de l'agilité du russe oral. Ces spécificités du discours en russe disparaîtront de la VOST qui a tendance à élaguer les éléments sémantiques superflus ou non indispensables à la compréhension globale de la séquence.

Tout comme les interjections, les particules discursives du russe, telles "prjamo", "lis'", "tol'ko", "esce", "uze", ou encore "to"; "èto", "sebe", les particules verbales "daj", "davaj, "bylo", "by", "ved'", "vis" sont omniprésentes à l'oral. Elles n'ont pas, elles non plus, de fonction indépendante et seront souvent impossibles à traduire alors même qu'elles indiquent des nuances souvent importantes. Ex:"On prjamo udivitel'nyj celovek". Le traducteur pourra éventuellement traduire "prjamo" (idée de quelque chose d'édifiant et d'indubitable) par "toutbonnement"ou "proprement" ("C'est un homme proprement surprenant. "), mais comme souvent, la traduction ne peut pas refléter le caractère idiomatique de l'interjection russe.

Ces éléments linguistiques relationnels du russe oral intraduisibles en français seront souvent - pour les besoins de la VOST - considérés comme annexes par le traducteur, à l'échelle de la compréhension globale d'une séquence ou du film, et exclus de la traduction. Leur absence de la version sous-titrée correspondra à une déperdition culturelle.

2.2. De la concision structurelle du russe

Un autre obstacle au sous-titrage tient au fait que la langue russe se caractérise par une quantité de structures linguistiques favorisant une économie de l'expression. Ces structures elliptiques auront tendance à compliquer la tâche du traducteur de sous-titres. La concision du russe invite en effet au développement et à l'explicitation à l'occasion du transfert en français, tandis qu'un des objectifs majeurs du sous-titrage tient au contraire dans la réduction et la synthèse.

Un premier exemple simple est offert par le phénomène des préverbes. L'expression de l'action en russe est en grande partie régie par la présence de préverbes qui orientent le sens du radical. Par exemple, les préverbes "v-" et "vy-" dans les verbes "vbezat'-vybezat'", "vpolzti-vypolzti" indiquent

3 Там же. C. 477.

le sens du mouvement. "V-" indique une entrée, "vy-" une sortie. Il existe de très nombreux préverbes en russe. Nous en citons quelques-uns: "pere" (idée de traversée, action répétée), "pri-" (rapprochement, union, non achèvement de l'action), "pro-" (à travers), "za-", "u-", "bes-", "dis-", "a-" ... Beaucoup de verbes préverbés ont des équivalents directs en français (ex: pereiti=traverser (on retrouve dans traverser la trace du préfixe latin "trans-", équivalent de "pere-");privlekat'= attirer, etc.). Néanmoins, le mouvement induit par le préverbe ne pourra pas, dans beaucoup de cas, être traduit autrement que par une périphrase, allongeant la traduction et engendrant donc une action contraire par nature à l'exigence de synthèse du sous-titre. Reprenant notre premier exemple, les verbes "vbezat'-vybezat'", "vpolzti-vypolzti" se traduiront respectivement par: "entrer en courant -sortir en courant", "entrer en rampant - sortir en rampant". De même, le verbe "peregruppirovat 'sja" ne pourra être traduit que par "se rassembler à nouveau". L'intervention des éléments explicatifs "en rampant" et "à nouveau", traductions littérales des préverbes, est ici indispensable pour exprimer l'action. La traduction française des verbes préverbés engendre le plus souvent ce type d'allongement syntagmatique.

Autre type de structures concises du russe problématiques dans le cadre du sous-titrage: les suffixes signifiants (pleins) du russe, du type "-scina" (péjoratif) ou "-isce" (expression d'une grandeur exceptionnelle), etc., ne pourront eux aussi être traduits, le plus souvent, que par des périphrases.

Ex: "amerikanscina", qui signifie (du fait de l'ajout du préverbe "-scina") tout ce qu'il y a de négatif dans l'influence américaine, et que l'on ne pourra traduire que par une périphrase du type "le fléau américain", ou encore dans "opricscina" qui désigne le joug et la terreur des "opricniki", soldats de l'armée prétorienne d'Ivan le Terrible et qui deviendra éventuellement: "la terreur des opricniki". "Volcisce" se traduira par "un loup immense". La traduction des suffixes signifiants entraîne là encore un allongement en français, dû à la nécessité d'une explicitation du suffixe.

Les ellipses du sujet ou du verbe sont par ailleurs parfaitement courantes en russe. L'ellipse du sujet est possible à tous les temps ("splju" signifie couramment "je dors" sans qu'il y ait besoin de préciser le pronom personnel, induit par la terminaison), l'ellipse du verbe être au présent est une règle ("on vrac" signifie "il est médecin"), etc. Ces ellipses engendreront une augmentation en volume de la traduction, contraire aux exigences du sous-titrage.

L'ensemble de ces formes synthétiques du russe représente, nous le constatons, une difficulté pour le traducteur de sous-titres, dans la mesure, répétons-le, où leur explicitation, nécessaire à la traduction en français, va à l'encontre des exigences du sous-titrage.

2.3. De la possibilité d'une traduction sous-titrée des concepts culturels russes. Du langage non-verbal

La traduction des expressions imagées, du russe en français comme dans toute autre langue, est une difficulté particulièrement ardue. Dans le film Baboussia, auquel nous empruntons nos exemples, une femme dit: "On bezenec. On zivëtnapticixpravax", traduit par: "C'est un réfugié. Il vit au jour le jour". Bien sûr, tout russophone comprend la difficulté du français à exprimer l'expression russe "na pticix pravax", littéralement "avec des droits d'oiseau", autrement dit "sans droits". La stratégie du traducteur est commune, il s'agit de remplacer l'image ou la comparaison initiale par une image sémantiquement comparable et compréhensible pour un lecteur français4. Le problème se pose dans de nombreuses séquences du film: "Vsju zizn'ja vkaloval, kaklosad'" dit un homme: "toute ma vie j'ai trimé comme un âne". Le traducteur a spontanément traduit "losad'" ("cheval" par "âne", animal plus directement associé au travail en France ("travailler comme un âne"). Toutefois, alors que la situation se prolonge avec la réplique:"A ona vam cto - koska? SobakaV" ("Et elle, qui elle est pour vous: un chat, un chien?"), le même personnage répond: "A ja cto - loscad'!"". Le mot "losad"" réapparaît, néanmoins le traducteur, spontanément, traduit: "Et moi je suis quoi, une mule?."", la mule étant en France associée à un animal stupide ("bête comme une mule"", "têtu comme une mule").

Le problème du transfert culturel se pose de la même manière lorsqu'il s'agit d'exprimer à l'écran les particularismes sociologiques insérés dans la langue et relevant du concept. La représentation du temps, de l'espace, des sentiments, est naturellement différente pour chaque langue. Cette question renvoie à des paramètres d'ordre psycholinguistique, liés aux évolutions spécifiques des langues en fonction de leur histoire, de leur géographie, voire de leur climat. Ainsi, dans Baboussia, une affiche dit: "S prazdnikom, zemljaki!". Le terme "zemljak"", formé à partir de "zemlja" ("la terre"), signifie en russe et dans un registre familier "celui qui est du même endroit, né au même endroit, du même sol et par extension de la même région, du même pays". Néanmoins, on ne peut pas le traduire par "gens du coin"", artificiel et familier, ni par "frère"", inexact, sexué et imprécis. Le traducteur de Baboussia a choisi la variante suivante: " Bonne fête à nos concitoyens !". Le terme "concitoyens"" en français est un terme référant non pas au sol et à la terre en tant que "terre nourricière" et "terre-mère" ("matuska-zemlja") comme en Russie, mais au concept politique moderne de "Nation"". Le traducteur de sous-titres, pour des questions de concision et de rapidité propres au sous-titrage, se heurte ici à l'impossibilité de transférer le concept culturel russe.

4 Une autre traduction imagée possible serait "il vit comme l'oiseau sur la branche".

Evoquons enfin, parmi les faits linguistiques relevant de l'ethos culturel russe, le registre des sentiments. La langue russe, c'est un fait établi, permet l'expression de certaines nuances dans la sensibilité inexistantes en français.

Ex: "Zivem dusa v dusu", une réplique du film, signifie littéralement "(nous vivons) nos deux âmes ensemble". Elle signifie souvent et par extension en russe: "nous ne nous disputons pas". Elle est traduite dans le film par "Elle est comme de la famille" (il s'agit de deux voisines). L'expression est en réalité intraduisible en français. Son expressivité en russe disparaît ici du sous-titre, ce qui correspond là encore à une déperdition culturelle pour le spectateur.

Ces remarques étant faites, il importe de préciser que la traduction des expressions imagées et des concepts culturels ne pose en réalité pas de problème supplémentaire ou spécifique dans le cas du sous-titrage, si ce n'est que l'explication ou l'explicitation à laquelle a parfois recours le traducteur littéraire sous la forme de notes ou en insert dans le texte, est impossible dans le cadre de la traduction cinématographique, de même qu'une périphrase ou toute autre forme d'aparté. Comme dans la littérature comique où le rythme est primordial, la traduction de sous-titres devra privilégier l'aspect de communication et la rapidité.

En revanche, un écueil typique et particulier du sous-titrage du russe au cinéma est celui de la traduction du langage non-verbal. Evoquons en particulier la traduction du langage gestuel. En effet, si nombreux sont les gestes à être aujourd'hui partagés par de nombreuses cultures, tels le mouvement de la tête de bas en haut et celui de gauche à droite pour dire "oui" ou "non", nombreux sont également ceux restés exclusivement attachés à un pays ou une culture. En russe, le geste de la main ou du doigt que l'on tapote en haut de son cou est souvent cité. Il est lié à l'alcool, et signifie qu'une personne, l'interlocuteur ou non, est soûle (il correspond en France au poing que l'on tourne autour du nez). Nombreux sont ces gestes signifiants en russe, qui ne pourront trouver leur expression dans les sous-titres. Dans Baboussia, un personnage tend son poing fermé, le pouce glissé entre l'index et le majeur. Ce geste est incompréhensible pour le spectateur français5, c'est pourquoi le traducteur choisit de lui consacrer un sous-titre: "On l'a eu dans l'os". D'une manière générale cependant, seuls les gestes accompagnants des paroles seront traduits, comme, toujours dans Baboussia, lorsque le même personnage dit: "Nam den'gi vo kak nuzhny byli". La prononciation de ce "vo" est accompagnée d'un geste de glissement de l'ongle du pouce sur la gorge, signifiant l'étranglement, la gorge tranchée. Le traducteur traduit: "On avait vraiment besoin d'argent'. Le transfert sémantique du langage non-verbal nécessite une

5 On désigne ce geste en russe par l'expression "pokazat' figu", signifiant que l'on refuse quelque chose à son interlocuteur, ou que le locuteur, au contraire, n'a pas obtenu ce qu'il désirait.

verbalisation par le sous-titrage, ce qui n'est pas toujours possible du fait des contraintes spatiales et temporelles de la technique.

3. Stratégies paraphrastiques dans la traduction

de sous-titres russes en français

3.1. L'effacement textuel sans perte sémantique

Ellipse étant un terme précis en linguistique (signifiant, dans le discours, ne pas exprimer ce qui relève d'un savoir commun aux locuteurs), nous choisissons au sein de cette dernière partie d'utiliser le terme plus approprié d'"effacement", en tant que stratégie paraphrastique de sous-titrage correspondant à l'abandon ou à la modification de termes ou d'informations contenus dans les dialogues.

Dans le cas d'éléments textuels complexes à traduire de façon économique, le traducteur procède en effet au sacrifice de termes superflus, ou à leur paraphrase, toujours dans le seul but d'une économie textuelle.

Ce choix est souvent celui des sous-titreurs du russe en français confrontés notamment à la fréquence des relationèmes intratextuels que nous venons d'aborder.

Dans Baboussia, les marqueurs affectifs foisonnent: "mamka" ("petite mère, petite maman"), "tëtka" ("petite tante" ou '"femme familière de la famille ou de la personne "), "djadja" (idem pour "oncle"), "baba" (idem pour "grand-mère" ou autrefois femme", à la campagne). Le traducteur se situe face à un dilemme consistant soit (1) à tenter de transmettre cette notion affective avec le risque d'une traduction maladroite voire ridicule ("mamounette", "petite mère", "tatie", "tonton"...), soit (2) à l'abandonner. L'abandon est le choix du traducteur de Baboussia qui traduit par exemple: "Ja tvoju mamku poiscu" par la réplique plus sobre "Je vais chercher ta mère". L'échange est ici celui d'une vieille tante (Baboussia) avec son neveu devenu alcoolique. L'emploi de "mamka" dénote en l'occurrence qu'elle restaure un rapport infantile avec son neveu que l'alcool bêtifie. Son neveu est saoul, et elle cherche spontanément à le rassurer par les mots familiers de l'enfance. Il s'agit de comportements liés à l'alcool, qui échapperont au spectateur français du film, mais dont l'absence de traduction ne nuira pas à la compréhension générale de la scène. De plus, la compréhension de la situation est transmise par l'image elle-même. Nous parlerons donc ici d'effacement sans perte sémantique.

Nous retrouvons cette stratégie dans le cas de la présence de presque tous les diminutifs, dont l'absence ne va pas gêner la compréhension globale de la scène. Ex: "molockapodogret'?". "Molocko" est le diminutif familier de "moloko", le lait. Le personnage l'emploie ici car il veut consoler son interlocuteur, lui parler tendrement. La traduction française abandonne sciemment cet aspect, la traduction étant simplement: "On

chauffe du lait?", pour les besoins du sous-titrage, et du fait de l'absence d'un terme équivalent en français.

L'effacement sans perte sémantique dans la traduction des sous-titres va également concerner l'ensemble des interjections du russe:

Ex: "nu-ka davaj!" est traduit par: "vas-y!". "Nu-ka" en russe induit une notion d'encouragement, ou encore d'empressement qui sera réduite ici à la portion congrue du point d'exclamation. Cependant, cet effacement ne nuit pas, là encore, à la compréhension de la situation.

Citons enfin le cas des expressions populaires. Dans le film, plusieurs séquences situées à la campagne mettent en scène le russe populaire: "ne plakaj" (au lieu de la forme correcte "ne plac '", "ne pleure pas"), "kushaj-tes"" (au lieu de "kusajte", ou "es 'te", "mangez,servez-vous"), "pohudala" (au lieu de "pohudela", "tu as maigri"). Pour les traduire, le traducteur de sous-titres choisit le plus souvent d'effacer la connotation du terme liée au milieu pour n'en garder que l'essence sémantique.

Ex: "a on za pravdu?". Le traducteur ne fait pas apparaître dans sa traduction le registre populaire de l'expression, donnée claire pour le spectateur car transmise par l'image. La traduction sera neutre, et économique: "Il est sérieux?". Encore une fois, l'"effacement" de ces formes, leur disparition du sous-titrage, bien qu'elle entraîne une déperdition quant à la compréhension du contexte culturel et social du film, ne nuit pas à la compréhension des séquences filmiques elles-mêmes.

3.2. L'effacement-remplacement avec déperdition sémantique et culturelle

Une autre stratégie de traduction en vue du sous-titrage consiste à considérer le spectateur comme non initié à la culture du pays. On élague donc le sous-titrage de certains éléments culturels en les remplaçant par des formulations connues et familières. Cela correspond à un abandon. On prive le spectateur de la possibilité de déduire un terme ou une allusion spécifique, dans un but de clarté sémantique.

Cette stratégie s'applique dans le cas de comportements propres à l'ethos culturel, au milieu, à l'époque du film, et dont la traduction nécessiterait une explicitation parallèle.

Dans Baboussia (2003), une femme fait soudain une référence ironique directe à la période soviétique, durant laquelle un des objectifs importants de l'Etat fut d'offrir l'accès à la culture à tous. La vieille sœur de Baboussia dit en parlant d'un musicien du village: "Kul 'turoj zapravljaetP". L'ironie de cette réplique est ici inaccessible pour le spectateur français. Le traducteur omet volontairement la référence à la période soviétique et traduit de la façon la plus neutre possible, et même maladroitement, par: "Il nous fait nous cultiver". Nous nous situons bien ici dans le cas

d'un effacement-remplacement avec déperdition culturelle, répondant à l'exigence de concision du sous-titrage.

3.3. D'une stratégie de renforcement sémantique du sous-titrage

Dans certains cas enfin, le transfert textuel littéral, au plus près du texte, auquel s'efforce le traducteur de sous-titres pour des raisons de concision et de clarté peut nuire à la compréhension du message. Une stratégie de traduction que nous nommons "renforcement sémantique" consistera alors à exagérer ou au contraire à atténuer tel ou tel terme ou expression, à donc être "infidèle" en vue, paradoxalement, d'une plus grande justesse sémantique à l'échelle du film dans son ensemble.

Prenons l'exemple parlant des comportements et expressions liés à l'alcool et à l'alcoolisme en Russie. En marge des clichés éculés associant la Russie à un pays de buveurs invétérés, la Russie possède, il est vrai, une culture de l'alcool, à l'origine d'une série de comportements et de phénomènes lexicaux inconnus en France, et en français. Aussi, un problème de champ lexical va se poser pour le traducteur. En effet, le champ lexical de l'alcool en français est essentiellement connoté de manière comique: "unpoivrot', "une cuite", "la gueule de bois", etc. ...

Or, ces termes ne correspondent pas, sémantiquement, à leurs synonymes officiels en russe: "p'janica", "p'janka", "poxmelie", plus neutres sur le plan de l'expression. Une traduction littérale dans ce cas pourrait déformer le contexte culturel russe, voire brouiller la compréhension de la séquence et du film.

Le traducteur devra donc souvent procéder à une adaptation, par une technique de renforcement sémantique ou d'atténuation.

Dans notre film, la petite-nièce de Baboussia a fait une brillante carrière à Moscou et dit à son cousin resté à la campagne: "Skol'ko raz ja tebja ustraivala na rabotu. Kazdyj raz tebja iz-zap'janki uvolnjajut'. Si le traducteur traduisait classiquement ici "p'janka" par "cuite" ou toute autre périphrase ("parce que tu étais bourré"), la traduction perdrait et trahirait l'aspect tragique de la situation. Le traducteur choisit d'employer une technique d'emphase de la traduction et le spectateur peut voir écrit à l'écran: "Combien de fois je t'ai trouvé du travail. A chaque fois tu te fais renvoyer pour alcoolisme". Le terme d' "alcoolisme" convient mieux en français à désigner l'alcool comme un fléau, et non comme un divertissement sans conséquences.

Conclusions

Tout transfert textuel, dans la mesure où il implique l'intervention subjective du traducteur, consiste, on le sait, non pas en une reproduction du texte initial, mais en une production - parallèle, complémentaire, mais

nécessairement infidèle à l'original ("traduttore traditore", dit-on en Italie). Dans le cas spécifique du sous-titrage, les objectifs de synthèse et de concision qu'il impose éloignent plus encore le contenu des sous-titres de celui de la bande-son originale. La transformation d'éléments textuels délivrés oralement (les dialogues) en un texte par nature synthétique et délivré à l'écrit modifie le contenu sémantique du message. Il s'agit là d'une conséquence liée aux contraintes intrinsèques du processus de sous-titrage, qu'ignorent souvent certains spectateurs exigeants, locuteurs des deux langues, dépités de ne pas retrouver au cours de la lecture des sous-titres l'ensemble des subtilités linguistiques et expressives du film.

Dans le cas précis de la traduction des films russes en français, le traducteur doit faire face à des difficultés spécifiques. De nombreuses structures elliptiques du russe (préverbation, ellipses du sujet, du verbe, etc.), la présence foisonnante, a fortiori dans la langue orale, de relationèmes (diminutifs, interjections, etc.) et l'existence de beaucoup de concepts culturels éloignés de notre culture française, comptent parmi les obstacles essentiels du traducteur de sous-titres. Alors même que l'opération de sous-titrage consiste par nature en un processus de synthèse et de ciblage sémantique, la traduction du russe en français invite au contraire à l'explicitation et à la paraphrase, entraînant traditionnellement un allongement en volume du texte original. Face à ces difficultés, l'auteur du sous-titrage, nonobstant une parfaite connaissance de la langue et de la culture russes, se doit de développer des stratégies supplémentaires d'adaptation. Nous avons mis en évidence plusieurs d'entre elles.

Premièrement, une stratégie que nous avons qualifiée d'"effacement sans perte sémantique" consiste pour le traducteur à supprimer de sa traduction les termes ou informations qu'il considère comme superflus dans la perspective du message global. Cette stratégie s'opère souvent au détriment d'un ensemble de marqueurs linguistiques typiques du russe, que le traducteur, précisément, "efface". Cet effacement ne nuira pas à la compréhension globale de la séquence ou du film mais entraînera une déperdition culturelle. Une seconde stratégie d'"effacement par remplacement" consiste à résoudre les différences linguistiques et culturelles du russe et du français en sacrifiant les aspects culturels russes (références historiques, littéraires, culturelles.) dont les manifestations seront remplacées par des équivalents neutres et compréhensibles par le spectateur français. Là encore, le sous-titrage sert l'efficacité de la transmission du message, au détriment de ses vecteurs linguistiques. Enfin, le traducteur aura la possibilité, en cas de décalages sémantiques ou culturels trop importants entre le russe et le français empêchant une traduction littérale, d'user d'une stratégie de renforcement lexical, consistant en l'exagération ou en l'atténuation de la traduction visant une transmission non pas littérale mais ajustée du message.

Proche d'un processus d'adaptation, le sous-titrage engendre une transformation importante des conditions de réception du film. La présence même d'un système sémiotique extérieur au film lui-même (les sous-titres), en modifie la facture originale. Le sous-titrage du cinéma russe en français nous semble quant à lui une opération particulièrement délicate: indispensable, mais malheureusement également très préjudiciable à la transmission de l'ethos linguistique et culturel des films en langue russe.

Références

Kerbrat-Orecchioni C. Les interactions verbales. T. I. Paris, 1990. Долгова В. Русский язык. М., 2007.

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