Научная статья на тему 'LES DéSINENCES ARMéNIENNES D’AORISTE ET D’IMPARFAIT'

LES DéSINENCES ARMéNIENNES D’AORISTE ET D’IMPARFAIT Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

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Аннотация научной статьи по языкознанию и литературоведению, автор научной работы — Viredaz Rémy

Armenian aorists go back to PIE aorists ( elik‘ ), imperfects ( eharc‘ ), or even durative imperfects ( ekeac‘ ). Armenian imperfects, as in Slavic, all go back to *ēs‘was/were’, either by itself ( běxъ, ei ), or in periphrastic constructions ( nesěaxъ, berei ), whose first element has perhaps been identified [Jasanoff 1978, 2003]. Endings show numerous innovations: a) 1 sg. *-m̥ ® *-om, as in Slavic: *ēsm̥ ‘I was’ ® *ēsom (cf. [Bonfante 1942]; hence the loss of the final nasal in Armenian). Motive: probably the personal pronoun *eg1om. b) 1 sg. athematic *-m (after vowels) and *-om (after consonants) ® *-som, again as in Slavic: *(e)dōm ‘I gave’ ® *(e)dōsom, hence daxъ, etu. Motive: presumably an opposite substitution 3 sg. *-s-t > *-s ® *-t in sigmatic aorists and the imperfect *ēst. c) In the plural, Armenian did not share in the reshaping to *dō-sseen in Slavic daxomъ, witness edak‘ ‘we put’ *(e)dhames. This means that etun ‘they gave’ is not identical to Slavic dašę *dōsn̥t, but rather a late reshaping of *etn < *(e)dont. d) After the loss of final consonants in 2 sg. *(e)bheres, *(e)dōs and 3 sg. *(e)bheret, *(e)dōt, the personal pronoun was added to restore the distinction: 3 sg. *(e)bere, *(e)tō > eber, et, but 2 sg. *(e)bere-du, *(e)tō-du > berer, etur. e) After 1 sg. aorist *ebéro > *ebér had merged with 3 sg. *ebére > ebér, the former was replaced by berí, presumably the then imperfect form. In its imperfect function, *berí was reshaped to bereí. f) The y in keray ‘I ate’ possibly arose when *(e-)gwera-som ‘I swallowed’ > *ekéro ‘I ate’ was remade to *kerá-yo after *eí(y)o ‘I was’, *edí(y)o ‘I put’. g) In the imperfect ei, êr ‘I was, he was’, the stem ewas added to the inherited forms *ío, *í < *ēsom, *ēt *ēsm̥, *ēst ; 3 sg. -r might reflect an old demonstrative. The medio-passive endings are more briefly treated. Klingenschmitt’s views on the origin of present i and aorist a are endorsed. Keywords: Armenian language, historical morphology, verbal morphology, historical phonology, homophony avoidance, Indo-European dialects, Slavic

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Текст научной работы на тему «LES DéSINENCES ARMéNIENNES D’AORISTE ET D’IMPARFAIT»

DOI 10.30842/alp2306573714108

R. Viredaz

Genève

LES DÉSINENCES ARMÉNIENNES D'AORISTE ET D'IMPARFAIT

PLAN. 1. Origines des aoristes arméniens. 2. Réfections des aoristes thématiques. 3. Réfections des aoristes athématiques (1 sg.). 4. Réfections des aoristes athématiques (2-3 sg.). 5. Prétérits athématiques en slave : la flexion semi-sigmatique. 6. Aoristes sigmatiques ou sigmatisés en arménien. 7. Naissance de la flexion semi-sigmatique. 8. Origine des imparfaits arméniens. 9. La question des isoglosses arméno-slaves. 10. L'imparfait arménien du verbe 'être'. 11. êr 'était'. 12. L'imparfait arménien des autres verbes. 13. Autres désinences de passé. 14. Réductions phonétiques dues à la fréquence. 15. Conclusion.

Notre propos sera d'esquisser une reconstruction diachronique des systèmes de désinences de l'aoriste et de l'imparfait arméniens. L'entreprise portera principalement sur l'aoriste singulier actif, mais abordera aussi les sujets connexes1.

1. Origines des aoristes arméniens

Les aoristes arméniens [Klingenschmitt 1982:266-287]2 remontent à des aoristes (1.1) et à des imparfaits (1.2-3) indo-euro-

1 Je remercie Eugen Hill, Oliver Plötz, Petr Kocharov, pour leurs remarques sur la première version de cet article (2015) ; Nikolai Kazansky, Hrach Martirosyan et Petr Kocharov pour leurs commentaires à la nouvelle version (2016).

2 Les aoristes arméniens seront généralement cités à la troisième personne, plus directement comparable à l'indo-européen. Les imparfaits le seront à la première personne, pour la même raison. Les présents le seront à la première aussi, selon l'usage. — L'augment indo-européen, qui n'était pas obligatoire (cf. [Lamberterie 2005-2007: 46], avec références), sera, en général, noté ou non selon qu'il a subsisté ou non dans la forme arménienne. — Même en arménien classique, on observe encore quelques cas d'omission de l'augment [Lamberterie 2007] ; cf. aussi n. 4 et 2.1.1 fin. — Comme chez [Clackson 1994],

péens. Comme en slave, ce glissement des imparfaits hérités en aoristes va de pair avec l'apparition d'un nouvel imparfait (si. nesëaxb, 5.3, arm. berei, 12)3.

1.1. Anciens aoristes

1.1.1. Aoristes radicaux thématiques. Comme en grec, la classe des aoristes radicaux thématiques ou thématisés est particulièrement nombreuse. Exemples : indo-européen dialectal *e-widet > egit 'a trouvé', *e-likwet 'a laissé' > (e)lik'4, *e-srbhet 'a avalé' > arb 'a bu', *e-dek1et5 'a reçu, perçu' > etes 'a vu' (plus anciennement athématiques selon [LIV2: 665 s., 406 s., 587, 109 s.] ; autre avis [Jasanoff2003:230 s.,n. 4].

1.1.2. Aoristes athématiques radicaux. Sur racine en voyelle :

a) *e-dôt 'a donné' > et, *e-dhêt 'a posé' > ed

b) *e-g1nôt (?) 'a (re)connu' ^ caneaw6

c) *e-gwerat 'a avalé' > eker 'a mangé'

d) *e-melat 'a manqué' ^ melaw 'a péché' (*ll d'après mek 'péché' ^ *molnâ, [Viredaz, àparaître, § 5]).

Sur racine en sonante : *e-mert ^ meraw 'est mort' (6.4.2).

les prototypes indo-européens seront généralement cités sous la forme qu'ils ont prise après l'élimination des laryngales (dans le dialecte indo-européen dont est issu l'arménien). — Le signe f marque des formes fausses mentionnées argumenti causa.

3Cf. [Meilletl903:84 s.,1936:114; Brugmannl916:502; Meillet, Vaillant 1934: 272]. — Une innovation comparable s'observe exceptionnellement en grec pour s^-qv 'dis' et partiellement pour -qv 'étais', qui n'avaient pas d'aoriste hérité [Clackson 1994: 78]. — En revanche, l'exemple allégué par Meillet [1936: 114], est sans doute illusoire : gr. syévsxo doit représenter *g1nh1-elo- (13.2.2.1 etn. 191).

4 La forme à augment n'est pas attestée pour ce verbe [Martirosyan2010: 310], mais lik' indicatif ne l'est presque pas non plus (Martirosyan, loc. cit., ne cite qu'un exemple du 12e siècle).

5 Nous notons *k1 la "palatale" et *k2 la "vélaire pure" de l'indo-européen, cf. [Viredaz 2008: 2].

6 Discussion: [Klingenschmittl982:283 s.]. Le thème de présent-imparfait *g1nës- < *g1nëh3-s- soutenu par [Jasanoffl988] est un mirage selon [Kloekhorst 2008: 435 s.] Non liquet.

Type mixte : *e-gwem, *e-gwent 'suis venu, est venu' (< *h1é-gwem-m, *h1é-gwem-t) > eki, ekn (3.2.1, 4.1, 4.2.1).

Sur racine en occlusive : p.-ê. *aneidst ^ anêc 'a maudit' (6.5.3).

1.1.3. Aoristes sigmatiques. Cf. [Pedersenl982:68,201-204 (1905, 1906); Kortlandt 2003: 79-82, 105 s., 114-116 (1987, 1994, 1996)], et ci-après 6.2-3.

Sur racine en voyelle ou sonante : pas d'exemples connus.

Sur racine en occlusive : causatifs peut-être dialectaux en indoeuropéen (6.2): p.ex. *e-leukst ^ eloyc' 'a allumé' (cf. [Kortlandt 2003: 80-81], mieux que [Klingenschmitt 1982: 194] suivi avec réserve par [LIV2]) ; *eleudhst 'a fait venir' ^ -eloyz.

Après voyelle suffixale : *ptak2ëst ^ t'ak'eaw 's'est caché' (6.3, fin).

1.2. Anciens imparfaits

Thématiques :

a) *e-bheret 'portait' > eber 'a porté', *ag1et 'menait' > ac 'a mené'7.

b) *e-prk1sk1et 'demandait' > eharc' 'a demandé, interrogé'8.

c) *ni-sisdet 'était assis' ^ nstaw 's'est assis'.

d) *sroweyet 'faisait couler' > arog 'a arrosé', *ouk2eyeto 'se faisait enseigner' ^ usaw 'a appris' [Viredaz2001-2002: 5 s.]9 ; ajouter *k1oneyeto 'était élevé' ^ snaw 's'est nourri, a été élevé'.

Athématiques asigmatiques : pas d'exemples sûrs.

1 Ces deux verbes sont, avec hanem 'faire sortir, ôter, extraire,

présenter' et nstim 's'asseoir', les seuls verbes arméniens dont les thèmes de présent et d'aoriste soient identiques. Les racines i.-e. *bher- et peut-être

*agr ne formaient pas d'aoriste en indo-européen. En revanche, hanem

semble représenter un présent suffixé *pa-ne- apparenté au grec anâai 'tirer'

et dérivé d'un aoriste radical, [LIV2: 575]. À côté du présent *ni-sisde-,

l'arménien conserve un aoriste *sed-s- dans une signification spécialisée

(6.2.2).

8 Le synonyme i.-e. *aisk]e- est traité différemment : arm. hayc'em, hayc'eac probablement dénominatif comme en germanique.

9 Dans cet article, corriger la note 25 (première ligne), et tenir compte des aoristes sigmatiques (ci-dessous 6.5).

Note : la phonétique seule ne permet pas de savoir si edêz 'a entassé', eboyc, par exemple, remontent à des aoristes *e-dheig1h-s-, *e-bheug-s- ou à des imparfaits *e-dheig1h-e- ou *dhoig1h-eye-, *bhoug2-eye- (6.5.1).

1.3. Anciens duratifs suffixés

1.3.1. Distribution. Un grand nombre d'aoristes arméniens sont suffixés en -c', -ac' ou, le plus souvent, -eac' (cf. [Schmitt 1981: 145-147; Clackson 1994: 80 s.]) :

a) -c' : e-kac' 's'est tenu debout' (ham), mnac' 'est resté' (mnam), e-keac' 'a vécu' (keam) ; en face d'un présent suffixé : elic' 'a rempli' (lnum), zgec'aw 's'est vêtu' (zgenum)10, luac' 'a lavé' (luanam) ;

b) -ac' : asac' 'a dit' (asem), gitac' 'a su' (gitem), karac' 'a pu' (karem), mart'ac' 'a pu' (mart'em) (liste exhaustive)11 ;

c) -eac': aceac' 'a crû' (acem), sireac' 'a aimé' (sirem), gorceac' 'a fait' (gorcem).

1.3.2. Origines

1.3.2.1. Le -c'- remonte certainement au suffixe duratif, habituel ou itératif i.-e. *-sk1e-12 (cf. [Clackson 1994: 75-83, 215, n. 77])13.

10 Malgré le néologisme astuacazgeac' 'vêtu de Dieu' (Agathange), zgec'aw n'est pas un ancien *zgeac'aw, car *e.a ne se contracte pas en ea mais en a ; seul *i.a se contracte en la diphtongue ea.

11 On a parfois écrit que ces présents continuent tous quatre d'anciens parfaits (ainsi [Clackson 1994: 81 s.], avec références), mais ce n'est certain que pour gitem (3 sg. *woide), tandis que mart'em est dénominatif [Klingenschmitt 1982: 139] et qu'asem et karem n'ont pas non plus le degré *o. — merk 'nu' forme les dénominatifs merkanam, merkac 'aw et merkem, merkac \ merkeac'.

12 Sur la fonction du suffixe en grec, voir aussi [Ruipérez 1982: 155-160] ; en anatolien, [Kloekhorst 2008: 767-769]; [Hoffner, Melchert 2008: 318-323].

13 Nous ne pouvons suivre les avis différents de Klingenschmitt [1982: 287] : voir Viredaz [à paraître, n. 6] et de Kortlandt [2003: 108 s., 115 s.] : le processus invoqué n'est pas impossible en soi, mais il est moins probable que l'extension de -c'e- < *-sk1e- ; le parallèle grec cité est erroné, ne tenant pas compte des dialectes doriens, où *ts > aa tandis que les aoristes ont a simple après voyelle. (Produits de *ts : [Lejeune 1972: 102 s.; Schwyzer 1939: 317-322]. Aoristes en a après voyelle: crétois: [Bile 1988: 130, 220].

1.3.2.2. Le a des aoristes en -(e)ac' rappelle des formations en *a ou *a de plusieurs langues européennes, qui ne sont cependant pas homogènes.

En latin, eram < *es-a- 'étais' est le seul imparfait en -a-ancien. Il n'a pas existé d'imparfaits *fu-à-, *leg-a-, *kap-y-a-, puisque lat. fuam, legam, capiam sont des subjonctifs présents. Il n'a pas existé d'imparfait i.-e. *bhweh2- puisque la racine est aoristique . L'imparfait amàbam, monëbam ne pourra donc être qu'analogique du futur amâbo, monëbô15 (d'après *esô : *esâm), et legëbam de monëbam. En sabellique, la seule forme d'imparfait connue est l'osque fufans 'étaient', peut-être le terme ultime de la même extension du suffixe *-f(u)a-, Or ce latin *es-a- ne semble pas avoir de correspondants extérieurs (cf. arm. ei, si. bëxb). Le celtique n'avait pas d'imparfaits en *-â-16.

Le baltique et le slave ont des prétérits en *-â-, type peut-être issu en tout ou partie de *-a-s- (cf. 5.1, 7.1.1) et sans lien avec le subjonctif italo-celtique en *-a- [Oettinger 1984: 198 s.]. Les exemples communs au baltique et au slave sont étonnamment rares ; citons du moins lit. sùko (sùkti 'tourner'), kavo (kàuti 'frapper'), v. si. sbka (sbkati 'enrouler'), kova (kovati 'forger') [Fraenkel 1950: 301]. [Hackstein 2002: 273-275], envisage une double origine : d'une part, le suffixe *-eh1- (ou plutôt *-eh1-s-u) après racine set en *h2n (en

En béotien, *ts > xx, tandis que l'aoriste sigmatique a a après voyelle longue, aa analogique après voyelle brève [Blümel 1982: 133, 191].)

14 De plus, sa forme était vraisemblablement *bheuh1- (gr. 9Ü- < *bhuh1- ; voir aussi [Kümmel 2007: 334 s., n. 272]). Les exemples de *b wa-, *b wo- invoqués par [LIV2: 99, n. 1] ne sont pas probants. Ainsi, alb. botë 'monde' doit être un ancien nom de la 'lumière', racine *bhä-[Mann 1950: 380] : cf. slave svëtb 'lumière, monde' et sous son influence roumain lume 'monde', hongrois vilâg 'monde'.

15 Et non l'inverse comme proposé par Meiser [1998: 200].

16 Le gallois oedd ne représente pas *es-a- mais *es-ë-, [Schumacher 2004: 316 s.]. Tout en admettant (à tort) *bhweh2- pour forme indo-européenne de la racine (p. 245), Schumacher [2004] n'y voit pas la source du vieil irlandais ba 'fut' (origine incertaine, peut-être un parfait analogique celt. *âse, p. 255).

17 L'existence d'un suffixe verbal *-eh- est en effet contestée : pour [Jasanoff2002-2003: 161-167], le type fientif ou passif é^avq 'fut pris de

slave aussi *h3) ; d'autre part, des dénominatifs en *-eh2- (aoriste -eh2-s-). Cependant les racines terminées en *-Ch2- n'étaient qu'une minorité, et dans les dénominatifs l'élément *-a- figurait aussi au présent (dëlajç, dëlaxb 'faire').

Dans les prétérits tokhariens en a, cette voyelle représente la laryngale finale de racines set, p. ex. B sala 'apporta' < *k1elh1-t [Oettinger 1984: 191, 196 s.; Hackstein 1995: 16, n. 3] ; car i.-e. *a > tokh. Bo,Aa, p. ex. [Oettinger 1984: 192; Hackstein 2002: 267 s., n. 12]). Les racines set forment en arménien des aoristes comme eker, cnaw, melaw, keac' ('a mangé, est né, a péché, a vécu'), mais elles constituent une base trop étroite pour l'extension de -ac' et surtout de -eac' en arménien.

Seuls donc les prétérits balto-slaves en *-a- (anciens imparfaits en *-a- ou anciens aoristes en *-a-s- ?), du type si. sbpa 'a dormi', sont peut-être comparables au a des aoristes arméniens en -(e)ac' ; mais leur origine est obscure, et apparemment sans lien avec le latin eram 'étais' auvu de v. si. bëxb, arm. ei 'étais' (3.1.1, 5.2, 10).

1.3.2.3. L'origine de -eac' est obscure également. Il se pourrait que ce suffixe soit apparu en face des présents en *-eye- (gorceac' 'travailla, agit' < *worg1-ey-a- ; pour le traitement phonétique, cf. keam 'je vis' < *gweya-mi < *gweih3- ?) et se soit étendu aux dépens de -ac' après la confusion de *-eye- (gorcem) avec -e- (ep'em).

rage, de folie' est une innovation exclusivement grecque, tandis que le type statif du balto-slave *minë (slave mbnë 'a pensé', lit. minèjau 'a mentionné, s'est souvenu'), de fonction différente (ibid., p. 130), représente *mn-ë-s-(ibid., p. 150; les prétérits lituaniens en -é mentionnés par Jasanoff [2002-2003: 165]71 n'ont rien de statif et demandent une autre explication encore). L'hypothèse de Hackstein devra alors être, soit abandonnée, soit modifiée (*-ehi-s- après racine set en *h2\ mais les aoristes slaves en a à valeur stative sont une minorité). — Sur les aoristes grecs en -r|-,voir encore [Garcia Ramôn 2014].

18 Ceci n'est pas nécessairement contredit par zbrëti 'mûrir', racine

*gierh2- : il se peut que *ë ait été restitué quand sa fonction était conservée, mais *a maintenu dans le cas contraire. — Les reconstructions v. si. brati 'se battre' < *bhrh2-eh1-, v. si. klati 'poignarder' < *klh2-eh1- [Hackstein 2002: 274] sont erronées (cf. russe borot'sja, kolot\ lituanien bârti, kâlti).

L'hypothèse n'est possible que si a remonte à une marque d'imparfait et non d'aoriste, et si *-eya- est bien devenu phonétiquement *-ia- (> diphtongue ea).

2. Réfections des aoristes thématiques

L'évolution du singulier thématique est assez simple.

2.1. Chute des consonnes finales et remédiation

2.1.1. Processus. Le paradigme hérité *e-likwom, *e-likwes, *e-likwet ('je laissai, tu laissas, il laissa') a subi une première atteinte quand l'arménien a perdu la plupart des consonnes finales19 : *elik'o, *elik'e, *elik'e.

Cette homophonie a été résolue par l'addition du pronom personnel i.-e. *tu > arm. du [Viredaz 2004-2005: 89 s.]20: 1 *elik'o, 2 *lik'e-du, 3 *elik'e (> classique 2 lk'er, 3 elik"). Comparer la même addition en allemand (v. h. ail. gibis/gibist 'tu donnes', moderne gibst), où pourtant elle n'est pas motivée par un conflit homo-phonique21. L'usage du pronom personnel sujet enclitique est courant en arménien [Meillet 1910-1911: 93 s.]. (Voir aussi 11.2.1.)

On remarque que l'addition de *-du, réinterprété comme désinence, a entraîné le cas échéant la suppression de l'augment puisque celui-ci n'était admis que si la forme verbale ne dépassait pas deux syllabes (avant la chute des voyelles posttoniques).

19 Nous admettons arbitrairement ici que cette chute est postérieure à la mutation consonantique. Cela n'a pas d'incidence sur le processus. — La chute de la nasale finale est antérieure à *oN > *uN (aucun neutre thématique n'est devenu thème en u, 3.3.1) et à *R > aR (ci-après 3.1.1). — Les trois innovations que sont la chute respective de (*-m >) *-n, de (*-s >) *-h et de *-t ne sont pas nécessairement contemporaines, mais cette différence n'a pas non plus d'incidence ici.

20 Pedersen [1982:94-96 (1905)], pensait à l'addition du pronom personnel *ôu à la désinence de parfait 3 sg. *-e. Seule l'addition à une forme de 2 sg. est possible.

21 Exemples italiens : vénitien parlé-u, poschiavino camâ-f\ milanais troâvs-t, dizévo-f\ bergamasque portésse-f sicilien cantâsti-vu, 'parlez, appelez, trouvais, disiez, portâtes, chantâtes', pour éviter des homophonies ou des désinences trop peumarquées, [Rohlfs 1968: 254, 290, 316 s.].

2.1.2. Phonétique

2.1.2.1. du. La sonorisation de l'initiale dans le pronom personnel arm. du < *t'u < i.-e. *tu est liée à sa fréquence d'emploi élevée (cf. anglais thou, langues scandinaves du, ossète dy/du, et ci-dessous 14.1). Schmitt [1981: 116 s.] pense à une variante de sandhi, mais c'est improbable au vu du parallèle germanique. Si l'on considère la liste des mots anglais où p initial est devenu d, on remarque que la plupart sont souvent initiaux de phrase ou de syntagme ; seul thou peut être enclitique, mais en contexte non sonorisant (art thou, dost thou).

2.1.2.2. Lénition récente *d > r après voyelle. Le passage récent de *d (ou éventuellement *d) postvocalique à r en arménien n'est pas limité aux emprunts iraniens et araméens [Viredaz 2004-2005: 85-93]. Il concerne aussi i.-e. *dh, qui devient d à l'initiale [Schmitt 1981: 60 s.] mais r après voyelle :

a) -a-ruk', désinence 2 pl. de l'aoriste médio-passif < i.-e. *-dhuwe ([Jasanoff 1979: 144 s.] et ci-dessous 13.2.3) ;

b) p.-ê. ayrem 'brûler', grec aï0œ (ibid., p. 145)22 ;

c) p.-ê. -r de certain impératifs aoristes < *-dhi (ibid., p. 145 s.) ;

d) gerem 'emmener captif [Praust 2005] ;

e) p.-ê. ur 'où' < *kwudhe, car l'ancienneté indo-européenne de l'indo-iranien kùtra ou du lituanien kuf n'est pas garantie [Viredaz 2004-2005: 85 s.]).

Il se peut en outre que certains r suffixaux (noms d'action, ordinaux) résultent de l'extension analogique après voyelle de suffixes *-di-, *-do- issus d'i.-e. *-ti-, *-to- après r, l (ibid., p. 90-92).

Nous pensons donc qu'il faut poser en arménien même une lénition de *d postvocalique (de toute origine) en r, à une date

22 Le doute tient aux mots awd 'chaussure' et awd 'air', qui, bien qu'ils n'aient pas de correspondants exacts dans d'autres langues, donnent à penser que le traitement *d > r n'a pas lieu après aw et ne devrait donc pas non plus avoir lieu après ay ([Martirosyan2010: s. w.], et [Martirosyan, en préparation, § P 232.2b]). Après *ey, *ow, on n'a pas d'exemples hérités, mais le traitement r est attesté par les emprunts iraniens, comme vêr 'blessure', aroyr 'laiton' (emprunté, comme tous les autres noms de métaux). Arm. vayr 'champ, sol, lieu' est peu probant, l'étymologie iranienne *wâida-[Olsen 1999: 908] n'étantpas sûre.

postérieure à l'afflux des emprunts iraniens, ce qui rendra compte à la fois des exemples ci-dessus comme -a-ruk', gerem où r < i.-e. *dh, des exemples innombrables où r répond à un *d postvocalique du vieil iranien, et de la désinence 2 sg. -r < *-du selon 2.1.123.

2.1.2.3. *bere-du vs. *bere(ô)i. Pourquoi le produit est-il *bere-du > berer, et non f *bereôu > 'fberew, avec lénition intervocalique ancienne24 comme au présent *beredi > berê ? On peut songer à diverses explications :

a) *d traité (temporairement) comme initial de mot (cf. mard-d 'l'homme', [Viredaz 2004-2005: 92 s.]). Improbable, car *bere-du est traité comme un seul mot pour l'accent.

b) Univerbation postérieure à la phonologisation de la différence entre les produits conditionnés *-ó- et d- de la lénition (au plus tard lors de la chute de *ó intervocalique). Spécieux, car

23 D'autres explications de la désinence 2 sg. -r ont été proposées (voir [Viredaz 2004-2005: 89, n. 27]), mais ne nous paraissent pas préférables. — En dernier lieu, Plötz (à paraître, § 2) part d'une désinence moyenne *-th2a (ou *-th2ôs), mais le dossier en faveur de *th2 ou *th intervocaliques > r est insuffisant. Au contraire, tous les exemples connus de sourde aspirée indoeuropéenne ont en arménien p, t\ x insensibles aux lénitions [Meillet 1936: 35 s.], même si l'on n'a pas d'exemple de *th entre voyelles. (Pour *th après sonante, écarter l'exemple hun qui représente un i.-e. *pont- différent de véd. pânthâh < *pont-eh2-.) — Oliver Plötz nous signale par ailleurs qu'arm. dasxuran 'bol' est d'étymologie trop incertaine (cf. m. pers. sädurwan 'bassin, étang, plateforme') pour que l'on puisse en tirer argument comme nous le faisions en [Viredaz 2004-2005: 86 s.].

24 II y a lieu de distinguer plusieurs lénitions successives [Viredaz 2004-2005: 96-99] :

- lénition précoce ([Viredaz 2004-2005] : early lénition) : désocclu-sion quasi générale de *c' < i.-e. *k1 ;

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- lénition ancienne ([Viredaz 2004-2005] : main lénition) : désocclu-sion et/ou sonorisation conditionnelles des autres sourdes aspirées issues des sourdes simples indo-européennes ;

- lénition récente ou tardive ([Viredaz 2004-2005] : late lénition) : désocclusion des occlusives sonores arméniennes autres que g (issues principalement des sonores aspirées indo-européennes et, par emprunt, des sonores du vieil iranien).

l'univerbation s'est faite progressivement (l'addition du pronom étant sporadiquement possible dès l'indo-européen).

c) Restauration de *bereôu ou *bereu en *bere-du au moment de ladite phonologisation. Douteux, cette restauration n'étant guère motivée.

d) Univerbation antérieure à la chute de *h (< *s) final : *bereh-du : *bereôi > *beredu : *berei ; c'est-à-dire que l'addition de *du serait déjà antérieure à la confusion entre 2 sg. *bereh et 3 sg. *bere et motivée par leur paronymie et non par leur homonymie. Douteux, car l'explication que nous serons amenés à retenir pour êr 'était' (11) implique que l'initiale *dde l'enclitique n'est pas liée à un *h final précédent.

e) *ô intervocalique était déjà tombé (p. ex. dans *bhereti > *beréôi > *beréi *[beréyi]) au moment où le pronom *du est devenu obligatoire à 2 sg. Surprenant, mais possible. (Il s'agit d'une variante de la solution b, écartée un peu hâtivement.) L'homophonie de 2 sg. et 3 sg., nous l'avons noté, suppose la chute de l'occlusive finale dans *e-bheret > *e-bere, mais aussi la chute de la consonne finale dans *e-bheres > *e-bereh > *e-bere, qui peut être plus récente. Le fait que *bheres-tu ait été possible dès l'indo-européen, et que le groupe st soit conservé en arménien, ne constitue pas une objection décisive : d'une part, la conservation de *st à l'intérieur de mot n'exclut pas un traitement *bereh-t'u en sandhi, où *s > *h servirait à marquer la limite de mots ; d'autre part, tant que l'addition du pronom personnel était facultative, le produit isolé de *bheres (donc *bere) et le produit isolé de *tu (donc *du) pouvaient être restaurés dans le groupe forme verbale + pronom personnel.

En conclusion, nous retiendrons la solution e. (La seconde par ordre de probabilité serait a.)

2.1.3. Chronologie relative. Nous ne connaissons pas la chronologie relative de la chute de *-t et de *-h (< *-s), dont le cumul a provoqué l'homophonie en question. Nous ne savons pas non plus combien de temps a pu s'écouler entre *-s > *-h et *-h > 0, ni entre l'apparition de l'homophonie et son élimination par l'ajout devenu obligatoire du pronom *du.

2.1.4. Comparaison avec le slave

a) En vieux slave, l'homophonie de 2 et 3 sg. à l'aoriste et à l'imparfait n'a pas été réparée (à part l'exception c ci-après) : nesb,

nese, nese 'j'ai, tu as, il a porté'. Elle a même été étendue à des thèmes où elle n'était pas phonétiquement régulière (daxb, da, da 'j'ai, tu as, il a donné', au lieu du traitement régulier 2 sg. *das > *dy : le besoin de reconnaître le thème a primé sur celui de différencier les personnes).

b) Dans les langues slaves modernes, il est vrai, à l'exception partielle du slave méridional, tant l'aoriste que l'imparfait ont cédé la place depuis lors à un tour périphrastique impliquant le participe passé actif en -l- [Townsend-Janda 1996: 213-215, 218, 221-223]. Mais le développement de ce prétérit nouveau est sans doute spontané et non lié au handicap homophonique des anciens25.

c) A une partie des aoristes monosyllabiques, cependant, le slave a ajouté (temporairement) les enclitiques 2 sg. *tu > v. si. -tb, 3 sg. *tas > v. si. -tb (n. 65).

2.2. Chute des voyelles posttoniques et remédiation

2.2.1. Plus tard, quand l'arménien a perdu les voyelles posttoniques26, le paradigme a connu une nouvelle homophonie : elik'o, *lik'édu, *elik'e> *elik\ *lik'éd, *elik'.

La solution a consisté alors dans l'addition d'une désinence -i, *lik'i (classique lk'î), « d'origine inconnue » pour [Meillet 1936: 124], et diversement expliquée par d'autres :

a) Barton [1974: 30 s., 34] : indo-européen (dialectal) bherësom comparable aux aoristes slaves vbdëxb 'j'ai vu' ^ *wid-ë-. Mais il est peu économique de supposer un paradigme supplétif (ou deux paradigmes) dès l'indo-européen dialectal pour expliquer arm. beri : eber.

25 D'une part, en effet, le nouveau prétérit s'est répandu aussi bien en slave occidental et méridional, où le participe est accompagné du verbe 'être', qui distingue les trois personnes, qu'en slave oriental, où la copule est zéro et ignore donc la distinction des trois personnes (raison probable pour laquelle ces langues ont accru l'emploi du pronom personnel sujet, mais à tous les temps). D'autre part, le renouvellement de l'expression du passé (ou du futur, etc.) est chose fréquente dans les langues du monde et ne semble pas nécessiter de déclencheur précis.

26 Pendant l'époque parthe, car la vague principale des emprunts iraniens est antérieure à la chute des voyelles posttoniques, [Meillet 1936: 23; Olsen 1999: 858-861] ; cf. [Martirosyan, en préparation, § M 102].

b) Winter [1975: 120] : emprunt de la désinence d'imparfait ; le motif de l'innovation n'est pas précisé.

c) Jasanoff [1979: 142 s.] : analogie de l'imparfait du verbe 'être' (prés, em : impf. *i), permettant d'éviter l'homophonie entre 1 sg. et 3 sg. ; le mode d'action de l'analogie n'est pas précisé. A l'époque considérée (après la chute des voyelles posttoniques), l'imparfait 'il était' devait être *ei (10.3) et non *i, mais cela n'affaiblit peut-être pas l'hypothèse.

d) Schmitt [1981: 149] : l'évolution phonétique régulière aurait amené la confusion des désinences de 1-2 sg. avec 3 sg. ; pour éviter cela, elles en ont été différenciées à nouveau, par l'addition de -i à 1 sg. (« vielleicht vom Impf. ? ») et de -r à 2 sg. C'est donc à peu près l'explication de Winter ou de Jasanoff. C'est aussi à peu près l'explication que nous retiendrons pour 1 sg. Pour 2 sg., en revanche, voir 2.1, car il faut tenir compte que dans les finales *-om, *-es, *-et, la consonne a dû d'abord tomber seule, et la voyelle plus tard.

e) Kortlandt[2003:36 (1981)]: analogie de 1 sg. edi et d'autres aoristes athématiques en *-i- : après l'apocope (3 sg. *édi > éd), le i de 1 sg. a été réinterprété comme désinentiel et s'est étendu aux thématiques. Mais si l'on tient compte que eki : ekn n'a pas dû être un modèle important à cause de sa 3 sg. aberrante ekn, et que trois autres types d'aoristes invoqués par Kortlandt ne sont pas attestés en arménien, il ne reste comme modèle possible que le seul verbe edi : ed, ce qui n'est guère suffisant.

f) Klingenschmitt [1982: 15 s.] : l'absence d'aoriste hérité a conduit à utiliser les formes d'imparfait, 1 sg. *beria, 3 sg. *béri, etc., vel simm. (elles-mêmes analogiques de *ia, *i 'étais, était'). Mais cette explication ferait attendre la même innovation à toutes les personnes.

2.2.2. Dans la ligne de Schmitt, et partiellement de Klingenschmitt (2.2.1), nous proposons l'explication suivante : la désinence -i qui a servi à éviter l'homophonie (2.2.1, début) est empruntée à l'imparfait, sous la forme qu'il avait alors, tandis que les imparfaits classiques berei, lk'anei seront des réfections de *beri, *lk'ani (12.2)27.

21 Hypothèse brièvement proposée dans notre article [Viredaz 2003 : 25, n. 7], mais sans mention de sources.

Dans le détail, cet emprunt de désinence doit être posé en deux étapes :

a) Dans le cas de beri, aci, hani (les trois seuls verbes dont les thèmes de présent et d'aoriste soient identiques, 1.2)28, il s'agira de supplétion : forme d'imparfait arménien employée en fonction

. 29

d aoriste ;

b) Dans le cas des autres verbes, il s'agira d'emprunt de la désinence : aoriste *lik'i par analogie du nouvel aoriste beri. L'analogie résultera de la proportion suivante :

3 sg. ebér : 1 sg. nouvelle (supplétive) beri :: 3 sg. elik' : => 1 sg. nouvelle (analogique) *lik'i 30.

2.3. Résumé

*e-likwom *e-likwes *e-likwet

*e-lik 'o *e-lik 'e *e-lik'e !2 = 3

*e-lik 'o *e-lik 'e du a *e-lik'e a pronom personnel sujet

*e-lík 'o *lik'édu *e-lík 'e

*e-lík ' *lik 'éd *e-lík ' !1=3

*lik'í b *lik 'éd *e-lík ' b désinence d'imparfait

lk'i lk'er e-lik '

Dans les deux cas d'homophonie, la forme de 3 sg. a été conservée et la forme concurrente, refaite (ce qui est conforme à ce qu'on attend : fréquence plus élevée de la 3e personne, cf. 14.4). Le pluriel sera traité brièvement plus loin (13.1).

28 On ne sait pas si cette liste comportait encore d'autres verbes à l'époque considérée (peu ancienne).

29 Supplétion peut-être catalysée par l'analogie, car 3 sg. imparf. devait être à cette époque *ber, *ac (< *béri, *âci, cf. [Klingenschmitt 1982: 15, § 3.8:2] ; sans augment, cf. [Praust2003: 129] : impf. 3 sg. *bér : 1 sg. *beri :: aor. 3 sg. ebér : => 1 sg. beri (avec suppression automatique de l'augment à cause du nombre des syllabes).

30 Compte tenu de la période de transition pendant laquelle les formes ancienne et nouvelle ont dû coexister, il n'est pas impossible que les formes anciennes de 1 sg. aient aussi joué un rôle dans l'analogie : 3 sg. ebér : 1 sg. ancienne *ebér : 1 sg. nouvelle (supplétive) beri :: 3sg. elik' : 1 sg. ancienne *elik' :=> 1 sg. nouvelle (analogique) *lik'i.

3. Réfections des aoristes athématiques : 1 sg.

Les prétérits athématiques ont subi des réfections importantes (3-4, 6-7, 10-12), en partie partagées avec le slave (5, 9).

3.1. Absence de -n

3.1.1. L'hypothèse de Bonfante. Le traitement des nasales finales indo-européennes en arménien suit une règle originale : *-m, *-n postvocaliques tombent, tandis que *-m, *-n syllabiques deviennent -n [Meillet 1902, 1936: 56]31. Cette loi n'a rien de contradictoire, mais signifie seulement que la vocalisation des sonantes syllabiques > *aR) a lieu relativement tard en arménien (après la chute des consonnes finales)32.

Les exceptions à la règle de Meillet sont peu nombreuses. L'une d'elles serait l'absence totale de traces de la désinence indoeuropéenne athématique *-m à la première personne des prétérits arméniens, notamment dans ei 'j'étais', qui, à part l'addition de e-, doit continuer i.-e. *ësm.

Cette exception disparaît, comme l'a vu Bonfante [1942: 102s.], si l'on admet que *-m a d'abord été remplacé par *-om en arménien comme en slave : v. si. vêsb 'je conduisis' < *wêdh-som ^ *-s-m-

Aux exemples edi, etu de Bonfante, on ajoutera l'imparfait arm. ei (10), v. si. bèxb (5.2) 'j'étais' < *ës-om pour *ës-m-

3.1.2. Hypothèses concurrentes. Pour Jasanoff[1979: 141], une fois *ësm devenu phonétiquement *ian, il serait « assez naturel » que la désinence *-an [ou plutôt son produit ultérieur *-n\ ait été remplacée par zéro sur le modèle des produits de *-om thématique et de *edhëm, *edôm, où la nasale tombait régulièrement. Mais ce remplacement n'est

31 Suivi notamment par [Bonfante 1942: 103; Schmitt 1981: 53, 111; Kortlandt 2003: 29 (1980); Beekes2003:166-168], Autres avis: p. ex. [Klingenschmitt 1982: 28 s.] (variantes de sandhi) ; [Godel 1982: 69] (1972) (différence entre *m et *ri) \ [Olsen 1999: 794] (nasale conservée après *i, *u). Discussion : [Viredaz 2003: 24-28] (supériorité de la règle de Meillet en termes de simplicité, de vraisemblance et de pouvoir explicatif).

32 [Viredaz 2003:27 s.]. Cette chronologie est confirmée par le fait que d'autres innovations encore précèdent *R > *aR, telle la métathèse *ary > ayR, [Viredaz 2003: 29-31].

pas vraisemblable, car contraire au sens normal de l'analogie : d'une part, le verbe 'être', de par sa fréquence, est d'ordinaire la source et non la cible des actions analogiques (cf. 14.4) ; d'autre part, c'est plus souvent la désinence explicite qui s'étend aux dépens de la désinence zéro que l'inverse (cf. [Manczak 1958: 321-323]). En note, Jasanoff mentionne comme autre possibilité la solution de Bonfante, qu'il adopteraplus tard [Jasanoff2003: 143, n. 27].

Pour Kortlandt [2003:36] (1981), la désinence athématique 1 sg. *-n < *-m a été « éliminée » parce qu'elle se confondait avec 3 pl. *-n < *-nt. Par ce terme, l'auteur n'entend sans doute pas ici une chute phonétique (irrégulière), mais une substitution de désinence (zéro rempaçant *-n) : il s'agit donc d'une variante de l'hypothèse de Jasanoff. Ailleurs, cependant, Kortlandt soutient les hypothèses, différentes, de Bonfante (3.2.1, 3.1.1 n. 31-32).

Invoquer l'analogie de la désinence primaire (i.-e. *-o > arm. *zéro33) ne vaudrait pas mieux : d'une part, les langues indo-européennes ont tendu à étendre l'opposition entre désinences primaires et désinences secondaires plutôt qu'à la réduire34 (saufle baltique, qui l'a entièrement éliminée, et le latin, qui l'a cependant conservée à 1 sg.) ; d'autre part, l'objection ci-dessus relative au remplacement par une désinence zéro s'appliquerait aussi.

Phonétiquement, la désinence zéro arménienne pourrait être le produit d'un *-a emprunté au parfait. Mais un remplacement de la désinence d'aoriste par celle de parfait ne semble connu ailleurs qu'en cas de syncrétisme des deux jeux de désinences (latin dlxl < *deiksai ^ *deiksm), ce qui ne semble pas être le cas en arménien. Quant à l'hypothèse d'un parfait i.-e. *êsa, *ëstha, *ëse, c'est un mirage (5.3.1.5).

Le slave -h autoriserait aussi des restitutions *-u, *-um, mais cette option n'est pas possible pour l'arménien, car *ësu(m) 'j'étais' deviendrait *iu > *iw (cf. *g1hiôm > *jiun > jiwn 'neige') et non *i qui

33 La désinence -em (analogique de em 'je suis') n'est probablement apparue que tardivement, après que la chute des voyelles posttoniques eut réduit à zéro la désinence héritée *-5 > arm. *-u. La désinence héritée se trouve encore au subjonctif aoriste, moins exposé à l'analogie du présent em : 1 sg. tac' 'je donnerai', 1 pl. tac'uk' < *da-sk1-5, *da-sk1-omes.

34 Cf. ci-dessous 13.1.1 pour 1-2 pl.

est supposé par l'arménien classique ei. En slave aussi, la probabilité que 1 sg. -h représente un traitement phonétique *m > *um ou une désinence indo-européenne en *u est voisine de zéro, tant le dossier est mince en faveur de l'une ou de l'autre hypothèse.

Nous ne voyons donc pas de raison d'écarter l'explication de Bonfante, et la suite de l'étude ne fait que confirmer cette conclusion (3.2, 7.2.4, 7.4).

3.2. edi, etu

3.2.1. L'hypothèse de Bonfante. Les formes 1 sg. edi 'posai', etu 'donnai' présentent une syllabe de plus que le produit attendu de leurs antécédents indo-européens *e-dhém, *e-dôm, cf. 3 sg. ed, et < *e-dhét, *e-dot.

L'explication remonte également à [Bonfante 1942: 102 s.], largement suivi depuis lors [Godel 1982:25, n. 17 (1965); Schmitt 1981: 54, 154, 156; Kortlandt2003: 79 (1987), 114 (1996)], [Barton 1989: 146] avec références, [de Lamberterie 2007: 34, n.8] : à la lumière du slave, où v. si. dëxb 'j'ai fait', daxb 'j'ai donné' < *dhésom, *dosom35 s'opposent à 2-3 sg. dé < *dhës, *dhét et da < *dôs, *dôt, on posera de même arm. edi, etu < *e-dhésom, *e-dosom.

Nous reviendrons plus en détail dans la suite sur les faits slaves (5) et sur l'origine de cette innovation (7).

Sur l'éventualité d'une réfection *etú ^ *etúy (> etu), voir 3.5.

I.-e. *e-gwëm 'je suis venu' (< *h1e-gwem-m)36 est devenu de même *e-gwësom > eki, malgré la forme différente et remarquablement archaïque de 3 sg. ekn < *e-gwent < *h1e-gwem-t.

3.2.2. Hypothèses concurrentes. L'interprétation de Bonfante est écartée par [Jasanoffl979: 142, n. 21], au motif que *edhésom

35 En slave, un *s initial de désinence ou de suffixe flexionnel a été remplacé après toute voyelle par x/s [Meillet, Vaillant 1934: 32 s., 250 s., 395 s.].

36 Loi de Szemerényi-Stang, cf. [Meier-Brugger2000: 89 s.]. — 1 sg. *e-gwëm < *h1e-gwem-m a déjà été supposé par plusieurs auteurs (ainsi, avec réserve, [Pinault 1989: 150]), mais à notre connaissance seulement pour expliquer le tokharien B sem 'vint' (< *gwëm-et refait sur *gwëm-om) et éventuellement le latin uënit. — La présence d'une ancienne laryngale initiale dans l'augment n'est pas démontrée : notre graphie *h1e- dans cet article est à comprendre comme une simplification de *(h1)e-.

deviendrait fed, c'est-à-dire que la séquence *êso > *êo devrait se contracter. Pourtant, Jasanoff ne suppose pas de contraction dans l'imparfait *ësm > *ian (état avant la chute des voyelles posttoniques) ou *ësom > *i (état après celle-ci], (ibid., p. 141, n. 17).

Jasanoff [1979, 142, n.21], envisage sans la retenir une explication qui sera en revanche adoptée par Schmidt [1986: 33, n. 4]: *dhêm, *e-dhêt, *dôm, *e-dôt > *di, ed, *tu, et, puis généralisation de l'augment. (On pourrait aussi supposer une généralisation du thème ed-, et-.) Praust [2003: 130] soutient une thèse voisine, misant sur l'ancienne coexistence de formes avec et sans augment : contrairement à 3 sg. ed, et < *edhêt, *edôt, les formes à augment 1 sg. *ed, *et < *edhêm, *edôm auraient emprunté le vocalisme de leurs pendants sans augment *di, *tu < *dhëm, *dôm. Cependant les hypothèses de ce type sont ad hoc et invraisemblables, car il n'y a pas de raison que l'augment, dans un premier temps, se soit généralisé à la troisième et non à la première personne37. (Voir aussi 7.4.)

Jasanoff, loc. cit., interprète finalement edi comme une réfection analogique de *ed (< *edhëm ou *edhêsom) (d'après edir) et etu comme analogique de edi. Cependant cette thèse a l'inconvénient de supposer que l'homophonie entre 1 sg. et 3 sg. a duré depuis la chute des consonnes finales (*edhêm, *edhêt > *edê) jusqu'après la chute des voyelles posttoniques (donc après les emprunts iraniens), durée trop longue pour être plausible.

Klingenschmitt [1982: 16], pense que *edhêm, *edôm > *edi, *etu ont été élargis en *edii, *etui, avec *-i emprunté au type beri, puis contractés en *ediy, *etuy. La première étape est impossible sous cette forme, pour cause d'anachronisme. En effet, pour Klingenschmitt, qui n'accepte pas (ni ne mentionne) l'hypothèse de Bonfante, l'addition de *-i à *etu etc. se place avant la chute des voyelles de syllabe finale, puisqu'elle est censée expliquer la place de l'accent dans le résultat arménien historique etù au lieu de *étu > *et attendu phonétiquement. Or, à cette date, la voyelle finale de

37 Chez Homère, on observe même que les 3 sg. Pq, axq, 5ôks(v), sont nettement plus fréquentes que les formes à l'augment correspondantes, ce qui n'est pas le cas aux autres personnes. Cette constatation ne s'applique cependant pas à d'autres verbes comme 9qKs(v) (seulement un peu plus fréquent), xXq, Sù, (moins fréquents que les formes à augment).

l'imparfait 1 sg. n'était pas *-i, puisque *beri, *gorceac'i (> beri, gorcec'i) sont les formes acquises après la chute des voyelles de syllabe finale. Avant cette chute, beri a dû être *berio (notre hypothèse) ou *beria (cf. *ia 'j'étais' selon Klingenschmitt [1982: 15]). La réfection supposée devrait donc être *étu ^ *(e)tuio ou *(e)tuia, ou plus plausiblement *etûo, *etûa, mais nous verrons que ces explications s'avèrent finalement moins probables que *edom ^ *edosom (7.1.5). La deuxième étape supposée par Klingenschmitt, *(e)tui > *etûy, est difficile à concilier plausiblement avec l'absence de contraction dans les imparfaits (berei, mnayi, lnui), voire, s'il s'agit bien d'hiatus, dans -awu- (p. ex. awurk' 'jours' et non f awrk*).

3.3. Discussion phonétique

Les traitements phonétiques *e-dhësom, *e-dôsom, *e-gwësom, *ësom > edi, etu, eki, ei, considérés comme allant de soi (à propos des deux premiers) par Bonfante et ses successeurs (3.2.1), posent à vrai dire deux problèmes phonétiques : celui du produit d'i.-e. *-om et celui de l'absence de contraction.

3.3.1. *-om > *-o. L'explication de Bonfante, suivie ici, requiert que *-om devienne *-o en arménien, et non *-u comme on le pense souvent ; autrement dit, que la chute de la nasale finale postvocalique soit antérieure à la fermeture de *e, *o devant nasale38. En effet, *ësom, *e-dhêsom, *gwerasom ont dû devenir *io, *edio, *kerâo, car s'ils étaient devenus *iu, *ediu, *kerâu, les résultats classiques ne seraient pas ei (pour *i), edi, keray mais feiw, fediw, fkeraw (cf. *g1hiôm > *jiun >jiwn 'neige', déjà cité 3.1.2).

Peut-on trouver des arguments indépendants pour savoir si *-om final est devenu *-o ou *-u en arménien (avant la chute des voyelles posttoniques) ?

Nous n'en connaissons qu'un, celui des neutres indo-européens en *-om. Si la loi phonétique était *-om > *-u, ils se seraient retrouvés avec la finale *-u au nominatif-accusatif singulier (en plus du datif et de l'ablatif, i.-e. *-oi, *-ot), raison certainement suffisante pour occasionner, ne serait-ce que chez une partie d'entre eux, une confusion avec les thèmes en u. Or il n'en est rien. Les thèmes en o arm. arawr 'charrue',

38 La chute de la nasale finale postvocalique est antérieure aussi à la vocalisation des sonantes syllabiques (*-VN> *-Kantérieurà *R> *aR, 3.1.1).

gin 'prix', luc 'joug', het 'trace', mêj 'milieu', turk' pl. 'don', et peut-être gorc 'œuvre'39, continuent les neutres i.-e. *aratrom, *wesnom, *yug2om, *pedom, *medhyom, *dôrom, *werg1om, tandis qu'aucune équation de mots à ma connaissance ne lie un thème arménien en u à un neutre indo-européen en *o40. Le contraste est total avec les noms en *-wi-, certes peu nombreux, qui sont tous devenus des thèmes en u en arménien (*awi- 'oiseau' > haw, hawu 'poule', *arewi- '?' > arew, arewu 'soleil', p.-ê. *gwow- ^ *gwow-i- > kov, kovu 'vache', [Olsen 1999: 109 s.], sans doute parce qu'à une certaine date, *-wi posttonique s'est assimilé en *-wu en arménien (Schindler chez Olsen, loc. cit. ; on n'aperçoit pas d'objection ni de meilleure explication).

3.3.2. La préposition *en. Un autre argument semble certes aller en sens contraire : la préposition *en > i 'dans'. Il reste à trouver comment résoudre la contradiction avec l'argument qui précède (en faveur de *-om > *-o). Une solution serait que la fermeture de *e devant nasale soit plus ancienne que celle de *o, mais cette dissymétrie n'est pas satisfaisante. Une autre serait que la chute de la nasale finale soit plus tardive dans les monosyllabes41. Il est vrai que leur *n se serait alors confondu avec le produit d'i.-e. *-nt et devait dès lors subsister. Cependant le proclitique *in pourrait avoir

39 o radical peut-être d'après gorcem < *worg-eye- itératif, [Meillet 1922] (moins nettement [Meillet 1903: 77, 1936: 105]), cf. [EDAIL: 227]. Aucune trace d'un cognât *worg-o- dans les autres langues. Aucun lien direct non plus entre arm. gorcem et gr. myc. wo-ze- /worje-/ < *wrg1-ye-,

40 Nous ne parlons pas du masculin *awo- 'grand-père, ancêtre, oncle' > arm. haw, qui admet les deux flexions en o et en u, la seconde sans doute suscitée analogiquement par le w final. De même, inj, -u 'léopard' sera analogique de ariwc, -u 'lion' (où la flexion en u est peut-être suscitée par la diphtongue en w).

41 On sait que la nasale finale latine est souvent conservée dans les langues romanes dans les monosyllabes [sauf après a] : quem > espagnol quien 'qui'. En arménien, on cite souvent à ce propos k'an, synonyme du latin quam, mais l'exemple n'est pas probant car il peut venir de *kwàwnt ([Szemerényi 1987, II: 764 s. (1956)] ; -m pour *-n dans latin tam, quam d'après tum, cum). Dans les thèmes en « (sun 'chien', tun 'maison'), le maintien de la nasale finale est analogique (des thèmes en r) et n'est pas lié au monosyllabisme (cf. anjn 'personne').

généralisé ensuite une forme i apparue en sandhi devant s (avant le développement de la voyelle prothétique devant *sC-), voire devant h (*in-hét> *i-hét>yetplutôtque *inét> *net).

Devant voyelle ou h, l'allomorphey- < *i- est bien implanté dès l'arménien classique. Mais il a peut-être existé aussi un allomorphe n-qui confirmerait la date récente de la chute du *n dans *in.

D'une part, en effet, on s'interroge sur l'origine de la préposition n-/sn- employée par l'école hellénisante pour traduire év, rào [Mercier 1978-1979: 64 s.]. Aucune des (autres) prépositions créées par l'école hellénisante n'étant empruntée au grec, se peut-il que (s)n- soit une forme arménienne dialectale ? Cependant cette question ne devrait pas être examinée séparément de celle des nombreuses prépositions hellénisantes d'étymologie obscure.

D'autre part, on se demande si le préverbe n- des mots nayim 'regarder' < hayim 'id.', niwt'em 'préparer, machiner' < hiwt' 'matière', nec'uk 'soutien' ~ yenum, yec'aw 's'appuyer', représente i.-e. *ni- [Meillet 1977: 62 s. (1900); deLamberterie 2003:249] ou peut-être *en- [Dumézil 1977: 3 (1947); Klingenschmitt 1982: 250, n. 8]. Dumézil voit une préposition n- dans nanir 'vain' (Psaumes+) < anir 'inactif', et un préverbe *en-, figé à date ancienne, dans smpem 'boire' < *en-pibe- ([Dumézil 1938] ; autres références et revue des opinions sur ce verbe chez [Martirosyan 2010: 277 s.]).

Dans le cas de nayim, beaucoup d'exemples bibliques semblent incompatibles avec *ni- 'de haut en bas' (Jean 1:36) ou favorables à *en- 'dans' (Luc 20:23), mais d'autres indiquent clairement *ni- (Jean 8:6)42, comme si le composé avait une double origine ; il peut même signifier 'prêter l'oreille' (complément introduit par i) (Psaume 5:3)43.

3.3.3. Non-contraction. Les reconstructions *ësom (imparfait) > e-i (3.1.1), *e-dhësom (aoriste) > edi (3.2.1) impliquent que la séquence *ëo (résultant de la chute de *s intervocalique) ne se contracte pas, et donc

42 Voir [de Lamberterie 1986: 51 s.].

43 Noter encore l'abréviation albanienne nn 'éternel, éternité', que Gippert (in [Gippertetal., 2009]) rapproche de l'arm. i yawitean, dont elle supposerait une variante *n yawitean (sans *i initial à notre avis, vu la date probable de l'emprunt).

que la loi phonétique *ë > i est antérieure aux contractions (anciennes)44 : *e-dhëm ^ *e-dhësom > *e-dêo > *e-dio > edi. Dans ce cas, *ëe, *ôo, *ôe deviendraient probablement de même *ie, *uo, *ue.

Il faudrait pouvoir confirmer cette règle ou cette chronologie par un exemple indépendant45. On ne peut rien tirer de dik' 'dieux' < *dhës-es, qui ne permet pas de savoir si la forme antérieure à la chute des voyelles posttoniques était *dik' (contracte) ou *diek' ; ni de li 'plein', qui peut représenter *plë-yo- (grec ïï^éœç) mais aussi *plë-to- (latin plêtus 'rempli', albanais plot 'plein') : dans le second cas, il s'agira d'un hiatus récent, qui n'enseignera rien sur le traitement des hiatus anciens.

Le seul exemple que nous ayons relevé est lui-même incertain, c'est ju 'œuf, thème juo-, que l'on rattache généralement à l'i.-e. *ôyo-, cf. v. ir. *ôya-, si. *jaje, lat. ovum (v antihiatus) ; variantes *oyyo- dans germ. *ajjan, *owiyo-/*oweyo- en grec (réfection sur *owi- < *h3wi- 'oiseau' ?). Pour rendre compte de l'initiale j-, Pedersen admet une altération en *yôyo- [Pedersen 1982: 184] (1906), cf. [Martirosyan 2010: 439], mais *y- deviendrait régulièrement *j-[Meilletl936:52; Kôlligan2012], Pour expliquer j, nous avions songé à une influence dejag 'oisillon' ou à une assimilation dansju acel 'pondre' ; dans le premier cas, l'hypothèse de Pedersen pourrait même être superflue [Kôlligan2012: 141].

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3.3.4. Le i du présent médio-passif. En revanche, l'hypothèse de non-contraction de *ëo entrerait en conflit avec celle de Jasanoff [2003:147], cf. [Jasanoffl978: 18], reprise par Kocharov [2015], tirant d'i.-e. *-ê-ye- le -i- du présent médio-passif arménien.

Pour résoudre cette contradiction, il ne suffirait pas de supposer une dissymétrie de traitement entre *êe et *ëo (plausible en soi), ou une chute intervocalique plus ancienne pour *y que pour *h (chronologie à vrai dire peu plausible), car il faut tenir compte du fait

44 Nous appelons contractions anciennes celles des hiatus nés de la chute de *s, *y, *w et contractions récentes celles des hiatus nés de la chute de *t indo-européen. Les hiatus récents ne se contractent pas s'ils ont lieu entre les deux dernières syllabes (à cause de l'accent pénultième), [Viredaz 2001-2002].

45 Trois ou quatre exemples indépendants seraient suffisants pour fonder une loi phonétique, mais l'imparfait ei et les aoristes edi, eki, etu ne sont pas indépendants.

que *ee n'est pas devenu simplement *ë (> i), puisque *eye aboutit à e (*treyes > *rek' > erek' 'trois').

On pourrait certes admettre une réduction phonétique irrégulière (contraction précoce) dans le suffixe verbal *-êe-, contraction qui n'aurait pas affecté la désinence de mots plus courts comme *e-deo. On comparerait dans une certaine mesure les verbes slaves en -aje-, qui se contractent en -a- dans tout le slave occidental et méridional, alors que la contraction est plus limitée dans des mots comme v. si. zajçcb 'lièvre', serbo-croate zêc, polonais zajqc, slovène zajec, ou v. si. pojasy 'ceinture', bulg. pojas, s.-cr. pôjàs et pas, tch. slq. pâs, pol. pas. Dans les verbes slaves en -aje-, la contraction peut être attribuée soit à la fréquence élevée du morphème -aje- (cf. 14.1), plus élevée que celle de mots normaux comme zajçcb ou pojasb, soit à la longueur des mots que sont les formes verbales en -aje-, soit aux deux facteurs.

Cependant la difficulté de l'hypothèse -i- < *-ë-ye- est moins phonétique que morphologique. En effet, les présents indo-européens en *-ë-ye- [Jasanoffl978:17s.,125, 2003:146-151; Yakubovich2014] sont formés sur la racine même, de sorte qu'ils rendent difficilement compte de la situation arménienne, où le passif en -im l'est sur le thème des présents en -em.

Le fait notable est que les désinences des présents en -am et -um sont communes à l'actif et au médio-passif (certainement par suite de la confusion phonétique entre *-a-mi et *-a-mai, etc., [Klingenschmitt: 1982: 10 s.] et que seuls les indicatifs présents en e opposent un actif en -em et un médio-passif en -im (opposition ignorée à l'imparfait -ei et à l'infinitif -el). Les arguments distributionnels comme celui-ci sont à prendre au sérieux, car ils relèvent du principe « laisser parler les faits ». Il faut donc sans doute suivre Klingenschmitt [1982: 11] lorsqu'il tire le i médio-passif de 1 sg. -im < *-e-mai ^ *-o-mai46. L'hypothèse d'un stade *-o-mai n'est même pas nécessaire : le grec -o^ai étant une réfection de *-ai (véd. -e), il se pourrait qu'en arménien, *-ai ait été

46 Nous nous sommes demandé s'il fallait, au contraire, tirer par exemple c'elum 'se déchirer' directement de *skel-o-mai. Cependant la plupart des présents en -um sont transitifs, ainsi gelum, egel, 'tordre', gercum, egerc 'raser'.

refait directement en *-emai (d'après 2-3 sg. *-esoi, *-etoi) au lieu de -o^ai comme en grec (d'après -a, -o^ev, -o^eQa).

3.3.5. Le type albewr : alber. Un autre exemple de *-êe-, réel celui-là, semble également contredire le témoignage de *edosom > *etoo > etuo > etu, *oyom > *oo > *uo > j-u (3.3.3). Il s'agit du thème oblique des noms du type albewr 'source' < *bhrêwôr (grec ^péap < *bhrêwr < *bhreh1-wr, cf. germ. *brunnôn dérivé de l'allomorphe *b run- < *bhrh1 -un-), gén. alber < *brewero < (comme si *b re-wer-os) ^ *bhrh1-wen-s.

Cependant, au lieu de penser que *êe (> *ee) se contracte en e, on peut aussi poser *brêwero > *briéro et admettre, lorsque *i n'est pas accentué, un traitement *ie > e parallèle à *ia > ea. Le cas de diem 'téter' < i.-e. *dhë-ye- n'y contrevient pas : il est comparable à celui de ji, jioy 'cheval' face à hogi, hogwoy 'esprit' : dans ces thèmes très courts, le i est conservé ou restauré de façon que le mot reste reconnaissable.

En conclusion, le traitement des hiatus anciens *êe, *êo, *oo est bien *ie, *io, *uo sans contraction ; plus tard (chute des voyelles posttoniques), *io, *ùo deviennent régulièrement i, u tandis que, plus tard encore (réduction des voyelles prétoniques), *ie > e dans les mêmes conditions que *ia > ea.

3.4. Origine de kerày

Après voyelle brève, l'évolution morphologique a dû être d'abord la même qu'après voyelle longue. En face de 3 sg. *h1e-gwerh3-t 'il avala' > *e-gwerat > *ekéra > eker 'il mangea', on attend donc 1 sg. *h1e-gwerh3-m > *e-gweram ^ *gwerasom > *kerao. Mais comment est-on passé de là à keray ? (Nous avons vu que l'explication de Klingenschmitt [1982: 16], *ekéra ^ *kera-i> kerày, est impossible, 3.2.2.)

3.4.1. Dans un premier temps, ce *kerao a dû se contracter, avant la fixation de l'accent sur la pénultième, en *e-kero47 > *e-kéro : cf.

47 Nous admettons ici que *ao se contractait en *o et non en *a. On ne dispose pas d'exemples en arménien (cf. [Schmitt 1981: 73 s.]), mais noter à titre de parallèle la règle du grec ancien ao > ro. — Si le produit de la contraction était *a, il en résulterait d'emblée une homophonie avec 3 sg. *e-kera < *e-gwerat et la suite de l'évolution serait différente.

*medesa 'pensées' > grec hom. ^ôea, arm. *mêtea > *mita-k' > mitk' ([Viredaz2001-2002:4], après Hamp), tëweso- > arm. *t'ëweo > *t'iwo > t'iw 'nombre' [Olsen 1999: 23]. Le même traitement est attendu pour les autres thèmes d'aoristes en a (indo-européen *CeRH-), tels *cina- 'donnernaissance', *mela- (1.1.2) 'commettreunefaute'.

Ensuite, le thème *kera- a dû être restitué par analogie. Sur le modèle de *edio, *etûo (cf. 3.2.1), on attendrait *kerâo, mais celui-ci aurait sans doute donné à date historique f keraw, au vu de *e-dhato > *e-dado > *e-dâo > *e-dâwo > edaw 'il s'est couché'48.

3.4.2. Comme les modèles *edio 'j'ai posé', *eio 'j'étais' étaient sans doute prononcés *ediyo, *eiyo (puisqu'ils ne sont pas devenus ^ediw, feiw), une autre hypothèse sera que *e-kéro ait été refait, sur leur modèle, en *kerâyo, qui expliquera directement keray.

Une objection se présente aussitôt, à savoir que le *[y] non phonémique de *edi[y]o, *ei\y]o ne devrait pas pouvoir susciter le *y phonémique de *kerâyo. Toutefois, c'est bien ce qui est arrivé pour *[w] en slave, où les imperfectifs en -va- sont sans doute analogiques de byvati 'être' < *buwa- < racine *bu- + suffixe *-â-49.

Une réfection *ekéro ^ *kerâyo d'après *edi(y)o, *ei(y)o semble donc possible.

3.4.3. Un problème semblable à celui de keray < *kerâyo se pose en sens contraire pour elew 'il est devenu' < *eléywo < *e-kleito (6.4.1), ic'iw 'plût au ciel' < *eyc'iwo 'que ce fût' (13.3.1), où le choix de *w pour combler l'hiatus n'est pas phonétique au vu d'exemples comme hogi 'souffle' < *ogio50.

Il semble donc qu'à partir des traitements phonétiques, qui ont dû être *â[w]o51, *é[w]o52, *i[y]o, l'arménien ait développé une distinction

48 -w < *-to : [Bugge 1892: 440 ; Klingenschmitt 1982: 21 ; Olsen 1999: 784], [Viredaz 2001-2002: 7] (avec références).

49 Le verbe 'être' est une source plus probable que le verbe 'donner', d'autant plus que davati manque en vieux bulgare ancien (dajati).

50 Le cas du génitif hogwoy [hogswoy] < *ogioy est différent par la place de l'accent et est lié au traitement phonétique *i inaccentué > [s],

51 Ci-dessus n. 48.

52 Ainsi anjrew 'pluie', s'il a le même suffixe que gr. •detôç 'id.', [Olsen 1999: 423 s., 783], après Job.

entre les désinences 1 sg. act. *-(y)o (phonétiques : *io 'j'étais', *edio j'ai posé', *etey.o 'je suis devenu' ; analogique : *keràyo 'j'ai mangé') et 3 sg. méd.-pass. *-wo (phonétiques : *edàwo 'on l'a couché', *cinàwo 'il est né', *keràwo 'il a été mangé' ; analogiques : *eyc'iwo 'que ce fût' > ic'iw, *eléywo 'il est devenu' > elew).

Le *w antihiatus53 se confondait avec w d'autres origines (ew 'et' < *éwi < i.-e. *epi), ce qui peut expliquer sa phonologisation. De son côté, le *y antihiatus de keray s'est confondu avec le produit de *yy (gén. sê- *osyo > *-oyyo > *-oyo > -oy ; nom. pl. *gwnayyes (?) > kanayk' 'femmes').

3.5. Généralisation de -i, -y ?

Dernière anomalie dans la marque de 1 sg. aoriste en arménien par rapport à l'indo-européen : la (quasi-)généralisation des finales non héritées -i (après consonne) et -y (après a). Contrairement à ce que pensaient Meillet [1936: 124 s.] ou Klingenschmitt [1982: 13-17], il s'avère que ce sont deux finales d'origine distincte.

Pour les aoristes des racines en consonne, l'explication du -i sera la même que dans l'aoriste thématique (*lik'i, 2.2). Du reste, ces aoristes étaient sans doute réellement devenus thématiques au singulier (4.1, 4.2.2) :

*h3neid-, aoriste arm. 1 sg. *aneitsom, 3 sg. *aneits54 ^ *anéyco, *anéyc-e > *anéyc, *anéyc (homophonie) ^ *aneyc-i, *anéyc > anici, anêc.

Après a, l'addition de -y doit résulter d'une autre innovation : *ekéro ^ *kerà-yo > keray (3.4.2)55.

53 Au sens de l'allemand Hiatustilger, on emploie en français souvent glide, mais l'anglais glide signifie plutôt 'semi-voyelle' en général. Nous préférons dire antihiatus : consonne (non phonémique, du moins à l'origine) qui s'insère pour combler un hiatus.

54 L'assourdissement de l'occlusive dans *ds > c n'est pas le fait de la mutation consonantique ; mais i.-e. *ds s'assimile en *ts, comme dans les langues sœurs, avant la mutation consonantique, laquelle produit *c\ qui se désaspire ensuite par analogie du présent non sigmatique *aneyt-, qui devait exister encore. Voir [Viredaz2016-2017, §5.3.2], sur la désaspiration analogique en arménien et plus généralement sur le phénomène d'analogie componentielle.

Après i et *ey, il n'y pas d'opposition entre *y et zéro : *edi[y]o, *eki[y]o, *eléy[y]o > edi, eki, elè.

Dans elè < *etéy56 'je suis devenu' < i.-e. dial. *e-kleisom, -y a dû être réinterprété comme désinentiel face à 3 sg. etew (phonétique pour *eteyw), 2 sg. eter (analogique).

Après *u, il n'est pas facile de savoir si *etûo 'j'ai donné' (l'unique exemple) est devenu etu directement ou par l'intermédiaire d'une réfection *etûyo > *etuy. Si Klingenschmitt [1982: 16] suppose un stade *etuy, *ediy, contraction selon lui de *etui, *edii, c'est pour rendre compte de la place de l'accent, mais nous avons vu que cette hypothèse est inutile (3.2). La question est seulement de savoir si la pression des aoristes actifs comme *edi(y)o, *eléy(y)o, *kerâ-yo, *cinâ-yo, ou médio-passifs comme *edâ-yo, *diâ-yo, *tuâ-yo, et de l'imparfait *ei(y)o, était suffisante pour changer l'unique *etû(w)o en *etû-yo. C'est probable (compte tenu du haut degré de régularisation de la flexion verbale arménienne : voir la flexion des présents em, berem, berim), mais invérifiable.

4. Réfections des aoristes athématiques : 2-3 sg.

4.1. Deuxième personne : -r

La désinence -r de deuxième personne s'explique comme dans la flexion thématique (2.1).

Après voyelle : *e-dhês, *e-dôs, *e-gweras > *edi, *etu, *ekera, homophones des troisièmes personnes (4.2.1), d'où leur réfection en *edi-du, *etu-du, *kera-du > edir, etur, kerar.

55 Les deux finales -i et -y ne sont donc pas tout à fait indépendantes, puisque l'une continue en fin de compte le *i de l'ancien imparfait *io *[iyo] 'j'étais', tandis que l'autre continue le *[y] antihiatus dégagé par *i dans ce même *io et dans *edio, *ekio.

56 La monophtongaison *ey > è est si récente que l'astérisque et la flèche de formules comme *berey > berè ou elè < *etéy, èr < *eyr paraissent oiseux, et l'on pourrait aussi bien écrire berey = berè ou elè = eléy. Il nous semble même que la lettre t, qui occupe la place de l'êta grec sans en continuer la forme, est un monogramme de Pour faciliter la lecture, nous n'irons cependant pas jusqu'à transcrire t par ey dans cet article.

*e-gwens ^ ekir 'tu vins' a été refait sur 1 sg. *e-gwëm ^ eki (3.2.1) par nivellement analogique, à une date impossible à préciser, sans avoirjamais été homophone de 3 sg. *e-gwent> ekn.

Après consonne : anicer 'tu as maudit' < *aneycé-du suggère que l'ancien *h3neid-(s)-s > *aneits a été thématisé de bonne heure en *anéyc-e.

Au sujet de la chronologie, outre les incertitudes mentionnées en 2.1.3, nous ne savons pas à quel stade de l'évolution *edë > *ede > *edi il faut placer la fixation de l'enclitique *-du.

4.2. Troisième personne

4.2.1. Après voyelle : *e-dhêt, *e-dôt, *egwerat > *edi, *etu, *ekera > ed, et, eker, sans réfections.

Cas particulier : *e-gwent > ekn sans réfections (déjà cité 3.2.1,

4.1).

Après occlusive : par exemple *aneits(t), *e-leuks(t) (chute ancienne de l'occlusive dans le groupe *st final, 7.1.1.1) ^ anêc 'il a maudit', eloyc' 'il a allumé'.

4.2.2. On peut se demander si *aneits(t), *e-leuks(t) ne sont pas devenus directement anêc, eloyc' par l'évolution phonétique, sans réfections morphologiques non plus. En effet, dans les mots terminés par une séquence occlusive + *s, l'accent arménien, exceptionnellement, ne frappe pas la pénultième indo-européenne, mais la finale : *suwek1s > vec' 'six', *knids > anic 'lente', p.-ê. arëugs > arewc 'lion' [Viredaz 2011].

La réponse est néanmoins négative pour deux raisons. D'une part, 2 sg. -er (anicer) rend probable une thématisation à 2 sg. (4.1, fin) et donc aussi à 3 sg.: *anéyc ^ *anéyce. D'autre part, nous verrons que *-st final, après être devenu *-s, a été refait en *-t (7.1.1), si bien que 3 sg. *aneits, *e-leuks ont dû devenir *aneit.t, *e-leukt (même réfection qu'après voyelle)57 ou *aneit, *e-leuk (si *-t tombait après toute consonne et non seulement après *s).

4.2.3. La cause de cette thématisation étendue à 2-3 sg. ne peut guère avoir été la seule influence de 1 sg. *aneitsom > *anéyco. En

57 L'arménien perd *s entre occlusives, y compris dans *tst : [Klingenschmitt 1982: 167].

effet, la troisième personne, du fait de sa fréquence supérieure, est plus souvent la source que la cible des nivellements analogiques (cf. 14.4) ; et de fait, après voyelle, 1 sg. *e-dôsom > *e-tûo n'a pas entraîné de réfection de 3 sg. *e-dôt> *étu en f *e-doset ou f *etûe.

Le grec présente lui aussi une thématisation de la troisième personne, *e-deikst > *e-deiks ^ ëôex^e 'il montra', tandis que 1 sg. *e-deiksm > eôei^a est resté athématique (entraînant 2 sg. eôei^aç). L'innovation grecque 3 sg. *e-deiks ^ *e-deikse peut s'expliquer par la rencontre de deux facteurs : l'anomalie d'une finale -s (ailleurs marque de 2e personne) et l'influence du parfait (opposition 1 sg. -a : 3 sg. -e). L'emprunt de la désinence thématique n'est donc même pas un facteur nécessaire58.

La situation était différente en arménien, où 1 sg. déjà thématisée a pu faciliter la thématisation, mais où 3 sg. *aneits, *e-leuks, s'il étaient déjà refaits en *aneit(t), *eleuk(t)59 (7.1.1, stade 2), pouvaient en revanche y faire obstacle. Néanmoins, en partie comme en grec, la cause principale de la thématisation arménienne dans le type 2-3 sg. *aneits, *aneit(t) ^ *aneitses, *aneitset a dû être le manque de clarté de la forme athématique, au moins celle de 3 sg. *aneit(t), *e-leuk(t), par suite de la chute de *s (la marque d'aoriste) entre occlusives60.

58 Comme souvent, le grec est cité ici à titre de comparaison typologique : nous ne parlons pas d'une innovation commune.

59 Nous écrivons *e-leuks, *e-leuk(t), mais entre-temps il faut compter avec les lois phonétiques *uk > *uk' et *k's > *k's > *cs > *ts, *k't > *ct.

60 Manque de clarté peut-être aussi à 2 sg. *aneits, *e-leuks, par suite de la chute de *-s final après voyelle, qui rendait anomal le conservé des athématiques. Dans ce cas, notre graphie *aneitses ci-dessus sera elle aussi anachronique et devra être corrigée en *aneitse(h). La chronologie des changements phonétiques n'est pas connue avec précision.

5. Prétérits athématiques en slave : la flexion semi-sigmatique

5.1. Étendue du type

En slave, le paradigme semi-sigmatique61 (v. si. dëxb, dé, dé, du. dëxovë, dësta, dëste62, pl. dëxomb, dëste, dësç) est commun (avec des variantes secondaires63) à tous les prétérits athématiques64 :

Aoristes radicaux en voyelle : dëxb, dë 'j'ai, tu as, il a posé' < *dhë- ; daxb, da (et dastb)65 aor. de 'donner' < *do- ; byxb, by(stb) aor. de 'être' < *bhü- 'devenir'.

61 Ou simplement « sigmatique », si l'on estime que 3 sg. dë, by, mbnë etc. remontent à des formes pré-slave *dës, *bus, *minës (< *-s-t) homophones de 2 sg. dés avant la chute générale des consonnes finales, ce qui est toutefois moins probable (voir aussi 7.1.4.1).

62 La désinence 3 du. admet les deux formes -ta et -te. Ici et dans la suite, nous ne citons conventionnellement que la première, quand nous n'omettons pas entièrement le duel.

63 -(s)tb ajouté à certains monosyllabes (n. 65) ; thématisation du nouvel imparfait (5.3.1.3).

64 Dans la liste ci-après, la restitution sigmatique ou asigmatique des aoristes indo-européens suit [LIV2].

65 Les variantes en -(s)tb résultent à notre avis de l'addition des enclitiques *tu 'tu' (distinct de *tu accentué > ty) et *tas > *t3 *'il' < 'celui-là' (cf. vieux prussien -ts, [Trautmann 1910: 273 s.]), tentative de distinction des deux personnes (qui a échoué à son tour quand les deux finales se sont confondues phonétiquement en -ft>), mais aussi moyen d'élargir des formes verbales monosyllabiques. — Barton [1989: 139], après d'autres, pense à une voyelle b paragogique, mais le fait serait unique en slave, et rendrait mal compte de -(s)tb à la deuxième personne. Pour celle-ci, Meillet [1905: 139 s.] pensait à la désinence de parfait *-tha redéterminée par la désinence secondaire *-s, mais cette double innovation morphologique n'aurait pas de parallèles probants, contrairement à l'addition du pronom personnel (n. 21). — Pas plus que les autres, notre hypothèse d'enclitiques *tu, *tos ne rend compte directement de la distribution des trois allomorphes -tb, -stb et zéro après monosyllabe. Ceci réclamerait une étude particulière, à laquelle nous renonçons. Sur les conditions dans lesquelles les aoristes monosyllabiques ajoutent ou n'ajoutent pas -(s)tb, voir l'hypothèse de Vaillant [1947b: 154]. La paradoxale raréfaction de -(s)tb dans les manuscrits vieux slaves plus récents relève sans doute du nivellement analogique, favorisé par le recul des formes anciennes dans la langue parlée face au nouveau prétérit périphrastique en l. —

Aoristes suffixés en voyelle : mbnëxb, mbné aor. de 'penser' < *mn-ë- (grec é^av^v 'j'ai été fou').

Aoristes radicaux en consonne :

a) racines en sonante : jçsb, jç(tb), -mrëxb, -mrë(tb) aor. de 'prendre', 'mourir' < *em-, *mer- ;

b) racines en occlusive : bljusb, grësb, 1 sg. aor. de 'être attentif, 'saisir' < *bheudl-, *g2hrebhH- (?) (2-3 sg. bljude, grebe, cf. ci-dessous vede) ;

Aoristes sigmatiques de verbes primaires :

a) après sonante : peut-être pas d'exemples ;

b) après occlusive : vêsb 'j'ai conduit' < *wëdh-s- et 'j'ai transporté' < *wëg1h-s-, téxb 'j'ai couru' < *tëkw-s-, zaxb 'j'ai brûlé' < *dhëgwk-s- ; les formes attendues 2-3 sg. *vë, *tè, etc., trop peu transparentes, ont été suppléées par 2-3 sg. vede, veze, tece, zeze [Meillet, Vaillant 1934: 248 s., 252 s.]66.

Aoristes sigmatiques de dénominatifs :

a) dëlaxb, dëla < *-a-s- (présent dëlajç 'je fais' ; cf. grec xï^aœ, éxï^^oa 'honorer', avec a bref au présent par analogie de -éœ) ;

b) de là peut-être aussi les prétérits du type sbpaxb, sbpa (présent s-bpljç 'je dors') (1.3.2.2).

Aoristes sigmatiques de verbes statifs : bhdëxh, bhdë (présent v. si. bbzdç 'je suis éveillé') (cf. 6.3, type arm. t'ak'eay).

Watkins [1969: 219] veut expliquer par un pronom enclitique *tos la désinence 3 sg. v. si. -tb du présent, ce qui est certainement une erreur au vu du vieux russe -tb (et du même phénomène à 3 pl.). On préférera (s'inspirant de [Meillet, Vaillant 1934: 319 s.]) l'hypothèse d'une réduction phonétique irrégulière *-tb /-t'a/ > -tb /-ta/ due à la fréquence (cf. 14.1).

66 a) Contrairement à l'affirmation de Meillet et Vaillant, les aoristes du type vede sont des formes nouvelles [Drinka 1995: 42, n. 89] créées sur le présent (d'après le type prés, padç : imparf.pacfe 'tomber').

b) Les prétérits lituaniens nësè, vëdë, vëzë, sans doute des réfections des cognats de v. si. nese, vede, veze (cf. [Schmalstieg 1961: 95 s.]), montrent que l'innovation est déjà balto-slave — c'est-à-dire que le baltique aurait aussi connu autrefois l'aoriste sigmatique.

c) Le type plus récent padoxb, pade, pade, padoxomb, padoste, padosç, est une réfection de padb, pade, pade, padomb, padete, padç (qui, lui, remonte à un imparfait thématique indo-européen, [Meillet, Vaillant 1934: 247-249], comme l'arménien eber, 1.2).

Imparfait du verbe 'être' : béxb, bë < *ës- (+ *b-, 5.2).

En outre, l'imparfait nouveau en -ëaxb, -aaxb doit être issu d'un tour périphrastique à second membre *ës- 'étais, était' (5.3.1)67, malgré sa flexion thématique à toutes les personnes, qui n'est peut-être pas originelle (5.3.1.3).

En résumé, tous les prétérits athématiques hérités, tant asigma-tiques que sigmatiques, ont convergé dans la flexion semi-sigmatique du slave.

5.2. L'imparfait du verbe 'être'

5.2.1. Slave. Le verbe 'être' possède un imparfait bèxb, bë [Vaillant 1966: 63, 65] ; fléchi comme un aoriste, 5.1), sans doute issu de *ësom (dialectal pour i.-e. *ësm, 3.1, 7.2), *ës, *ëst (b- ajouté d'après l'aoriste byxh, by pour éviter des formes trop courtes, cf. allemand bin, bist et [LIV2: 242, n. 6-7] ; remplacement de *s par *s, comme s'il était suffixal, comme à l'aoriste, cf. n. 35)68.

5.2.2. Baltique. Le vieux prussien a de même be 'il était' (à côté de bei, bëi)69, où l'on ne connaît pas la quantité du e. La particule durative be du lituanien est peut-être le même mot. Vaillant [1947a; 1966: 65] remarque en effet que la construction vieux slave et vieux russe bë 'était' + participe présent devient en vieux russe tardif bë (particule) + indicatif aoriste ou imparfait, ce qui est comparable au tour lituanien be + indicatif (présent ou futur), participe ou gérondif. On ne sait pas si le baltique *be avait originellement e bref (^ i.-e. *ëst) ou long (^ *ëst avec augment). Dans le second cas, la longue devait être circonflexe (cf. serbo-croate dâ 'donna(s)'), mais l'abrège-

61 Cet imparfait slave n'est « nouveau » que par rapport à indo-

européen. Dans l'évolution du slave commun aux langues modernes, il est au

contraire en déclin (2.1.4 b), comme l'aoriste (issu de l'aoriste et de

l'imparfait indo-européens), eux tous étant supplantés par le prétérit encore

plus « nouveau » formé à l'aide du participe en l.

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68 D'autres interprétations de bëxb, bë ont été proposées. Contre celle

de Hill [2012: 26], notons que bë est un imparfait, et que la relation entre

v. si. bi et bë n'est pas vraiment parallèle à celle de mbnitb, mbnëti et mbnë.

69 Ces derniers sont une réfection de be sur le modèle des prétérits réguliers en -ai < *-âjâ (cf. [Stang 1966: 375 s.]), tout comme le slavon bëase, bëasç est une réfection de bë, bësç.

ment serait attribuable au statut de mot accessoire (c'est-à-dire à la fréquence, cf. 14.1).

5.2.3. Augment indo-européen. Cet imparfait *ës- constitue l'unique cas d'augment en (balto-)slave70, qui semble ainsi faire transition entre l'aire gréco-aryenne et l'européen occidental :

A. Anatolien : pas d'augment, mais des particules connectives initiales de phrase, dont a- en louvite cunéiforme et hiéroglyphique et en palaïte (perdue en hittite) [Rosenkranz 1978:95], sans doute identique à l'augment non-anatolien [Watkinsl994:17s.] (1963), [de Lamberterie 2007: 32, n. 2] (avec références), probablement une ancienne particule démonstrative *h1e- *'ici' > *'alors'71.

B. Grec et indo-iranien :

— augment possible pour tous les verbes ;

— l'imparfait du verbe 'être' ne connaît pas de formes sans augment72.

70 Vaillant [1966: 17 s., 551 s.], voit au contraire l'unique trace d'augment en slave dans l'accentuation de l'aoriste thématique. Cette interprétation n'est pas convaincante.

71 De même, l'équivalent hittite de louvite, palaïte a- est nu-, étymologiquement *'maintenant' > *'alors'. — Szemerényi [1996: 297, 299, nn. 10-14], cite diverses hypothèses sur l'origine de l'augment. — *h1e ne se préfixe pas seulement à des formes verbales, cf. gr. (s)ksî 'ici', russe èto 'ceci' etp.-ê. i.-e. *h1e-n *'dedans'.

12 Praust [2003] reformule cela en disant qu'il n'existe pas d'injonctif du verbe 'être', dont la fonction est exprimée par la phrase nominale. Nous ne pensons toutefois pas que cette observation explique l'augment obligatoire du verbe 'être'. Premièrement, la même particularité existe aussi en védique pour le verbe 'aller' (i.-e. *h1ei-). (En grec homérique, en revanche, quelques imparfaits en 'i- sont attestés.) Secondement, la copule zéro ayant la fonction d'un présent (certes intemporel dans les langues indo-européennes anciennes), et ne s'employant pas en fonction d'imparfait, l'interprétation de Praust n'explique pas l'absence d'un imparfait sans augment (notamment en D ci-dessous).

Du reste, il ne nous semble pas justifié de distinguer un injonctif hors de l'indo-iranien. On le peut certes en vieil indien et vieil iranien, où l'injonctif imperfectif se présente à la fois comme un présent à désinences secondaires et un imparfait sans augment, et où l'aoriste sans augment peut avoir un sens présent (performatif : [Kiparsky 2005], exemples 6 a-b). Dans les premiers textes grecs, en revanche, il n'y a pas lieu de parler d'injonctif

C. Cas particuliers (arménien, phrygien, albanais) :

— Arménien73 : augment limité aux formes verbales d'une ou deux syllabes (avant la chute des voyelles posttoniques) : ed, eber < *e + *dhët, *e + *bheret1A.

Nous nous sommes demandé si l'arménien représentait une zone de transition entre les aires B et D en indo-européen. Mais il est plus probable qu'il s'agisse d'une innovation (abandon de l'augment pour les formes plus longues), comparable à celle du pâli [Wackernagel 1906: 156-172]. Cette omission ne fait pas difficulté puisque l'augment n'était initialement pas obligatoire. L'arménien comme le pâli auront étendu les conditions de la forme avec ou sans augment en fonction de critères formels.

A l'exception du verbe 'être' (3.1.1, 10), l'arménien a perdu l'augment temporel (el 'monta', [Meillet 1936: 124]).

— Faute d'exemples, on ne sait pas si le phrygien suit la règle grecque ou arménienne quant à la présence de l'augment75.

mais seulement d'imparfaits et d'aoristes sans augment. De même, mutatis mutandis, pour l'arménien (où l'imparfait hérité s'est confondu dans sa fonction avec l'aoriste). L'omission de l'augment ne s'observe que dans certaines conditions (pour l'arménien : [de Lamberterie 2007]), dans lesquelles, cependant, la forme à augment serait correcte aussi. En indo-européen commun, les formes à désinences primaires sans augment étaient les formes ordinaires avant l'addition éventuelle des particules *-i (présent), *-u (quelques formes d'impératif), *h1e- (augment).

73 Voir aussi 1.0 n. 2,2.1.1 fin, 12.3.

74 La formulation classique veut que l'augment arménien s'attache aux formes qui, sans cela, seraient monosyllabiques, donc eber 'il porta' au lieu de fber, ed 'il posa' au lieu de fdi. (Les formes qui « auraient été monosyllabiques» après la chute des finales «ont conservé l'augment»,

[Meillet 1936 : 123 s., 132 s.]). Cette présentation est anachronique, car le nombre des syllabes en arménien (après la chute des voyelles posttoniques) ne date sans doute que de l'époque parthe (cf. n. 26), tandis que la règle sur l'augment est certainement plus ancienne. — La ressemblance n'est que superficielle entre la règle arménienne et celle du grec moderne (ekeya 'je disais' : Xsya^s 'nous disions'), due à la perte de l'augment classique en fonction de l'accent. L'arménien ne connaît pas de perte phonétique de e initial, quel que soit le nombre des syllabes.

— On ne le sait pas non plus pour l'albanais, où la seule trace d'augment est la spirantisation de *d dans dha-, aoriste du verbe 'donner' [Orel 2000: 208]. Paradoxalement, l'imparfait de *es- n'a pas d'augment en albanais : sg. 1 isha, jeshë, 2 ishë, jeshë, 3 ish, ishte (ibid., p. 210)76.

D. Slave et peut-être baltique : augment limité au verbe 'être'.

E. Européen occidental : pas d'augment77.

5.3. Le nouvel imparfait slave

5.3.1. Second élément

5.3.1.1. A l'exception de bëxh 'étais', tous les imparfaits slaves comportent un suffixe apparent -a- après voyelle longue : v. si. nesëaxb 'je portais', sëdëaxb 'j'étais assis', dëlaaxb 'je faisais', et présentent une flexion entièrement thématique -axb, -ase, -ase, -axomb, -asete, -axç [Meillet, Vaillant 1934: 272].

5.3.1.2. Pour de nombreux auteurs, dont [Meillet, Vaillant 1934: 272-274; Meillet 1903: 95, 1936: 126 s.] (littérature chez [Arumaa 1985: 286-290]), auxquels se rallie Jasanoff [2003: 143, n. 27], ces formations sont issues d'anciennes périphrases et le second terme n'est autre que l'imparfait du verbe 'être' (avant qu'il ne reçoive son b initial). C'est-à-dire que des tours du type 'j'étais en train de courir' se seraient banalisés au sens d'un imparfait 'je courais', reléguant les anciens imparfaits tels que *bhegwom 'je courais' à la fonction d'aoristes : bëgb 'j'ai couru'.

5.3.1.3. En apparence, la flexion thématique de l'imparfait slave s'oppose à son interprétation par une périphrase à verbe 'être'. Mais nous pensons plutôt que cette thématisation n'est qu'une innovation récente, due au fait que des imparfaits comme *dëlaa, *dëlaaste,

15 Merci à Alexander Lubotsky et à Yaroslav Gorbachov, qui confirment ne pas avoir noté de formes verbales phrygiennes permettant de choisir entre les deux hypothèses (c. p. avril 2015).

16 Plutôt que de chercher une explication en indo-européen, peut-être faut-il y voir une réfection récente (nivellement de l'alternance vocalique issue de *el*ë).

11 En vieil irlandais, Praust [2003: 140] se demande si -bith 'était' doit s'expliquer de manière comparable au vieux slave bë. La réponse est sans doute négative, car le thème bi- est aussi celui du présent (indicatif et impératif).

*znaa, *znaaste, n'étaient pas suffisamment distincts des aoristes dëla, dëlaste, zna, znaste.

Il resterait à expliquer pourquoi c'est l'imparfait et non l'aoriste qui s'est différencié par thématisation. Peut-être faut-il comprendre que la caractéristique « la forme d'imparfait est plus longue que celle d'aoriste » (*znaa : zna) a été renforcée (« polarisation » ou « differ-renciation maxima », znaase : zna).

Plus tard, -sete tend à être remplacé à nouveau par -ste (influence de bëste + évitement de formes trop longues), et -ëa-, -aa- à se contracter en -ë-, -a- [Vaillant 1966: 64].

5.3.1.4. L'hiatus de nesëaxb etc. (anomal en phonétique slave) résulte de la chute d'un *j (chute précoce due à la fréquence et à la longueur de ces formes, cf. ci-dessous 5.3.1.6 et 14.1) et *-ja- est issu de *jë- = *jœ- < *œ-.

Les dialectes européens de l'indo-européen récent n'admettent pas d'hiatus78 (ainsi, tous les hiatus du grec sont issus de la chute de *h (< *s), *y et plus tard *w ; les exceptions postulées parfois sont plutôt des étymologies erronées ; les hiatus issus de la chute des laryngales sont contractés : *h1e-h1od-e 'a mangé' > *ode ^ *edode ^ grec ëô^ôe). Dans le cas de l'i.-e. dialectal *nek'ë *ësom, on devra supposer que les deux éléments étaient séparables (ne serait-ce que par des enclitiques), ce qui permettait à l'hiatus éventuellement contracté en sandhi d'être restitué en tout temps. Beaucoup plus tard, le *j prosthétique slave devant voyelle initiale a fait (temporairement) obstacle à la contraction79.

5.3.1.5. Pour Kortlandt [1986] (après d'autres), le second élément est plutôt le parfait du verbe 'être', que l'on reconstruit parfois par comparaison de l'imparfait grec lsg. ^a > ^ ^ ^v, 2 sg.

3 sg. ion.-att. ^ev (autres dialectes ^ç) et du vieil indien ¿¡sa, âsitha, asa. Mais ce parfait *ose ou *ëse est un mirage : le paradigme grec s'explique facilement par des réfections de *ëha, *ës, *ës < *ësm,

78 Au contraire de l'indo-iranien, où des hiatus comme ceux de

*waata- < *hwahata- < *h2weh1nto- 'vent' ont subsisté assez longtemps pour laisser des traces dans la scansion védique et avestique (cf. [Meier-Brugger 2000: 104 s.] § 323.1).

19 Sur la contraction des finales d'imparfait dans les langues slaves, voir [Andersen 2014: 69-79].

*es, *est ([Praust2003: 126 s.], et ci-après 7.1.3) ; le parfait âsa est une innovation indo-iranienne [LIV2: 242, n. 14] (Kümmel) . D'ailleurs, il va de soi qu'un imparfait périphrastique sera formé avec Y imparfait de l'auxiliaire et non avec le parfait : l'hypothèse implicite de Kortlandt [1986] est celle d'un syncrétisme de l'imparfait (et de l'aoriste) avec le parfait, déjà acquis à l'époque de l'apparition du tour périphrastique, ce qui paraît hautement improbable.

5.3.1.6. Contre un second membre issu de *jax/s- < i.-e. *ës-(5.3.1.4) (et en faveur d'i.-e. *5s-, 5.3.1.5), [Kortlandt 1986: 253 s.] fait valoir d'une part que la chute de *j dans *-ëja- devrait produire *-ëë- et non -ëa-, d'autre part que le produit de la contraction dans les imparfaits v. pol. wiedziech 'conduisais', bas sorabe plesech 'tressais' (v. si. vedëaxb, pletëaxb) n'est pas le même que dans un verbe comme pol. siac, b. sor. sas (v. si. sëjati).

Le premier argument est erroné : *jë est réellement devenu *jag\ si bien que la chute de *j produisait ensuite a. La chute de *j dans si. *jazb 'je' (< *ëjan < *eg1om) a produit azb en vieux bulgare et non fézb. La chute de *j dans *je initial a même produit o- en russe et non fè- (v. si.jesenb, r. osen"automne').

Le second argument est intéressant, mais non décisif. La régularité phonétique est certes souhaitable, mais n'est qu'un critère parmi d'autres et non un critère absolu, au nom duquel on pourrait ignorer les arguments ci-dessus 5.3.1.5. Il n'y a rien d'étonnant à ce que la finale d'imparfait en *-ëjaxb soit traitée différemment, tant en vieux slave qu'en slave occidental, d'un verbe comme sëjati. Nous avons vu un phénomène du même ordre en 3.3.4. En effet, l'imparfait slave a pu subir des réductions phonétiques irrégulières dues à la fréquence (cf. 14.1). C'est du reste ce qui s'est passé en français, où latin -ëbat > *-eßat > ! *-eat > -eist > ! -eit > -oit > -oe (écrit -oit) > ! -e (écrit plus tard -ait). En slave occidental, donc, sëjati se sera contracté plus tard que la finale d'imparfait -ë(j)a-, ce qui expliquera la différence de résultat.

80 Innovation parallèle indépendante en celtique, n.16.

81 À ceci près que les phonèmes traditionnellement transcrits ë, a, e, o étaient prononcés *œ, *a, *œ, *a.

Noter qu'un second membre *ôse devrait aussi devenir *-jase (cf. russejâgoda 'baie', jâsen' 'frêne') et n'expliquerait donc pas l'absence de *j dans v. si. -ëase, -aase.

Une irrégularité d'une autre nature, rappelée par Kortlandt [1986: 253], est qu'au vieux slave nesëaxb le vieux russe répond par nesjaaxb. Il s'agit peut-être d'un nivellement analogique (n'es'ëaxb ^ n'es'aaxb) d'après les imparfaits en -aaxb.

5.3.1.7. Pour de nombreux autres auteurs (voir [Arumaa 1985: 290-295]), l'élément -a-x/s/s- est suffixal dès l'origine. Cette thèse s'appuie notamment sur la comparaison de prétérits lituaniens tels que minéjo, sédéjo, zinojo (de menu, miné'ti 'penser', sé'dziu, sédé'ti 'je suis assis, être assis', zinaù, zinoti 'je sais, savoir') avec les imparfaits mbnëaxb, sëdëaxb, znaaxb. Mais en lituanien ces prétérits en -éjo, -ojo ont la même fonction que ceux en -è, -o comme vëdé, jùto (de vedù, vèsti 'conduire', juntù, jùsti 'sentir'). L'interprétation suffixale n'expliquerait donc pas l'apparition de la distinction fonctionnelle entre aoriste et imparfait en slave.

5.3.2. Premier élément. La morphologie du premier élément reste difficile.

5.3.2.1. La théorie la plus séduisante est sans doute celle de Jasanoff [1978: 121-126;2003], qui part de noms-racines à l'instrumental pour expliquer :

a) les adverbes védiques gùha 'en cachette' (souvent prédicatif, soit seul, soit accompagné de AS, BHAV1, CAR pour signifier 'être caché, se cacher', ou de DHA, KAR pour signifier 'cacher'), mrsâ 'en vain' (prédicatif: 'être vain') [Jasanoffl978: 122-124; 2003: 144 s.] ; le retrait d'accent accompagne l'adverbialisation ;

b) les verbes statifs en *-ë- < *-eh1- (lituanien guzéti 'être couvé'), par addition de suffixes dénominatifs verbaux (présent *-ye-, aoriste *-s-) ou nominaux (*-ti-, *-to-, *-nt-) à de tels adverbes prédi-catifs ([Jasanoff 2003: 145-150, 162 s.], conception remplaçant celle de [Jasanoff 1978: 124-126] ;

c) le premier membre des factitifs latins du type calefacio 'chauffer' (passif calefio), d'univerbation récente comme le prouveraient le a de -facio ainsi que des exemples de tmèse et d'anastrophe comme excande me fecerunt (Varron) ou facit are (Lucrèce) ; abrègement dans cale- etc. par la loi des mots ïambiques, et dans ârë- par analogie [Jasanoff 1978: 121 s., 2003: 143] ;

d) le premier membre des imparfaits et futurs latins, d'uni-verbation ancienne, et des imparfaits slaves [Jasanoffl978: 121 s., 2003: 143, 149, 167]82.

5.3.2.2. Cette construction présente cependant des faiblesses :

a) La base est très étroite : le Rgveda ne connaît que deux de ces adverbes d'origine instrumentale, dont un seul est attesté en combinaison avec des verbes signifiant 'être' ou 'faire' ; et celui-ci, gûhâ, représente une racine qui n'était peut-être que dialectale en indo-européen (indoiranienne et balto-slave, quoique disparue en slave).

b) Les verbes statifs en -aya- du védique ne correspondent que rarement à des noms-racines ; parmi ceux étudiés par Yakubovich [2014], on ne peut en citer que trois : subhàya- (pour -aya-, attesté également) 'resplendir' : sûbh- 'splendeur' ; sucàya- 'luire' (pour *-ôya-) : sûc-'incandescence, flamme' ; isàya- 'être fort' (pour *-âya-) : is-'force, rafraîchissement, boisson' (encore les racines jumelles subh- et suc- sont-elles dialectales en indo-européen) ; ce point ne concerne cependant pas la question des imparfaits ;

c) L'appui apparemment le plus net à l'interprétation de Jasanoff pour les imparfaits latins et slaves, à savoir les juxtaposés du type cale-faciô, cale-fiô, est un mirage :

— s'il avait existé, en tant que mots distincts, des adverbes du type *calë, il serait étrange qu'ils n'aient laissé aucune trace dans les langues sœurs ;

— contrairement aux imparfaits en -bam, les juxtaposés en -facio ou fio sont étroitement limités lexicalement, puisqu'ils vont presque toujours de pair avec des dérivés en -ësco.

Aussi Leumann [1959: 277-279] (1924), et [1977: 566], leur assigne-t-il l'origine suivante : réinterprétation d'inchoatifs comme calëscit 'se réchauffe' en calë '(e)scit 'warm wird es'83, d'où création

82 Lühr [1999:172-177] part elle aussi d'un syntagme nom à l'instrumental + imparfait du verbe 'être', mais dans une fonction différente, expressive, p. ex. *vonja a 'es war [voll] mit Duft' ^ 'es duftete' ^ 'er/sie duftete', ce qui paraît sémantiquement peu convaincant. — Sur l'imparfait latin, voir aussi ci-dessus 1.3.2.2.

83 II est vrai que l'élision inverse n'est attestée par écrit en latin que pour 3 sg. est, et indirectement par la métrique aussi pour 2 sg. es [Leumann 1977: 123 s.]. Cependant l'hypothèse d'une élision inverse égale-

de syntagmes analogues cale-fit ^ cale-factus ^ calefacio ; dans d'autres cas, par la suite, d'après ces modèles, lejuxtaposé en -facio a pu être créé directement.

L'objection de Jasanoff [1978: 122] à ce sujet (escit ne signifiait pas 'devient') pèse peu face aux arguments comparatif (a) et surtout distributionnel (P). L'hypothèse selon laquelle escit 'sera' aurait aussi signifié *'devient', formulée par Leumann84, n'est du reste pas nécessaire : une réinterprétation de calëscit 'se réchauffe' en cale 'scit 'sera chaud' n'est pas impossible, et c'est même ce qui aura motivé la création de *calë fit 'devient chaud' (qui exprimait mieux le sens voulu, dans l'esprit de ceux qui avaient compris calëscit comme calë (e)scit) (avec un adverbe calë terminé comme bene, rectë). Quant à l'abrègement ïambique (*calë > cale), voire analogique (*àrë > are), et aux cas de tmèse et d'anastrophe, ils signifient certes que le premier élément (*calë etc.) a été senti comme un mot distinct, mais ceci est conforme au processus supposé par Leumann.

En conclusion, la théorie de Jasanoff reste une possibilité séduisante, la seule défendable à notre connaissance, mais il faut reconnaître qu'elle repose sur une base extrêmement étroite.

6. Aoristes sigmatiques ou sigmatisés en arménien

6.1. Sigmatisation à 1 sg.

En arménien comme en slave, la sigmatisation partielle *(e)dom ^ *(e)dôsom n'est pas limitée à quelques verbes, mais a dû être commune à tous les prétérits asigmatiques athématiques.

En effet, cette hypothèse proposée par Bonfante [1942] pour les aoristes *dhë- 'poser' et *do- 'donner' (1 sg. *(e)dhëm, *(e)dôm ^

ment possible pour l'ancien escit 'sera' (à toutes les personnes), notamment après ê, ne semble pas excessive. Noter que Soubiran [1966: 179-184], pour qui il n'y a pas de solution de continuité entre élision, synalèphe et élision inverse, estime que cette dernière pourrait aussi avoir touché des mots grammaticaux, comme iste, ille, in, et.

84 « nach Grammatikern = 'erit', wohl auch = 'fit' » [Leumann 1959: 279]. — En allemand familier, wird signifie aussi bien 'sera' que 'devient' : Der Sommer wird heiß 'L'été sera chaud' (article de journal paru au printemps). Peut-être cela a-t-il influencé le sentiment linguistique de Leumann.

slave et arménien *(e)d esom, *(e)dosom) et étendue pour l'arménien par [Barton 1989: 146-152] à d'autres aoristes radicaux (*mer-'mourir', *sed- 's'asseoir', *h3neid- ('blâmer' ?), *gwerh3- 'avaler', *h2er- 'ajuster', *ser- 'attacher en file') doit certainement être généralisée. Autrement dit, en l'absence de preuve du contraire, nous supposerons qu'en arménien, comme en slave (5), tous les prétérits athématiques asigmatiques ont subi la réfection de 1 sg. -m/*-m (*-m après voyelle, *-m ^ *-om après consonne, 7.2) en *-som85.

Nous tentons ci-après (partie 6) de rassembler et de classer tous les exemples arméniens86.

6.2. Aoristes sigmatiques causatifs

6.2.1. Liste. L'aoriste sigmatique peut avoir une fonction causa-tive87 non seulement en grec [Schwyzer 1939: 755 s.], [Chantraine 1958:413-415, 1961: 181] (§ 206), mais aussi en arménien (et en tokharien) :

a) -eloyz 'a fait sortir'88 < *eleudh-s-, grec dorien (crétois) e^euoai, ^euoe 'apporter, a apporté' ([Bile 1988: 253, 281, 384]; [Bile 1988: 248, n. 4] sur Hésychius é^euoiœ- ofoœ), tokharien B lyautsa 'a chassé, exilé', causatif de *(e)ludt-e-, grec ^t>0e(v) 'est venu', tokh. A lac, B lac 'est sorti', v. irl. luid 'est allé', racine *(e)leudh- < *h1leudh-.

85 Cette hypothèse ne s'applique naturellement pas aux aoristes qui s'étaient déjà thématisés auparavant au moins dialectalement, comme *weid-^ *wid-e- > véd. àvidat, arm. egit 'a trouvé', gr. siSs 'a vu' ; *sed—> *sed-e- > v. si. sëde 's'est assis'.

86 Pour la forme de l'aoriste indo-européen (radical athématique, radical thématique ou sigmatique athématique), nous suivons généralement [LIV2] (voir cependant 6.5.3). Les exemples arméniens d'aoristes sigmatiques ou sigmatisés sont empruntés à [Kortlandt 2003: 80, 114 s.] (1987, 1996), sauf y-er qui l'est à [Barton 1989: 150 s.]. — Les notations *ds, *dhs en indo-européen récent sont à comprendre comme *ts, et les produits arméniens respectifs c, z au lieu de *c' résultent d'une désaspiration ou d'une sonorisation analogiques des formes apparentées non sigmatiques, souvent disparues depuis lors (cf. [Kortlandt 2003: 105 s., 115 s.] (1994, 1996),voirci-dessusn. 54).

87 Synonymes : factitive ou, quand le verbe-base est intransitif, transitive. Nous ne faisons pas de distinction entre ces termes.

88 Ce verbe n'existe que dans des composés et dérivés ; les préverbes en modifient le sens ; voir [Klingenschmitt 1982: 263; EDAIL'. 248 s.].

L'interprétation de -eloyz comme causatif sigmatique résout la double objection phonétique et sémantique que l'on pouvait opposer au rattachement de -eluzanem à *h1leudh- 'sortir, aller' ;

b) emoyc 'a fait entrer' < *e-(s)meud-s-, causatif de emut 'est entré' < *e-(s)mud-e- (étymologie inconnue) ; cf. [Pedersen 1982: 68] (1905), [Kortlandt2003: 105] : «emut 'intravit' und emoic 'induxit' verhalten sich wohl zu einander wie gr. eß-qv und eß^oa » ;

c) eloyc' 'a allumé' < *leuk-s-, tokh. A lyokäs, B lyauksa 'erleuchtete', cf. véd. rocati 'brille', rocâyati 'fait briller', lat. lüceö, lüxl 'éclairer' (vieux latin seulement) et 'luire' (confusion entre essifs en *-ë- et causatifs en *-eye-, [Christol 1991]) ;

d) esoyz 'a plongé' (transitif) < *keudt-s-w, cf. gr. Keû0œ 'cacher'90 ;

e) eloyc 'a délié' : probablement aoriste causatif *leug-s- (la racine *leug- a pris la place d'i.-e. *leu-) ;

f) ec'oyc' 'a montré' (le degré plein n'est pas compatible avec un suffixe *-sk1e-, [Klingenschmitt 1982:228]) < *skeuk-s- (sur *skeuk-, élargissement ou variante de la racine *(s)k2euhr 'percevoir ).

6.2.2. hecaw. A ces exemples il faut ajouter l'ancien actif dont dérive le médio-passif hecaw 'est allé à cheval' < *'s'est assis' < i.-e. *sed-s- [Kortlandt 2003: 80, 115].

L'aoriste athématique *sed- 's'asseoir' (dont il y a trace en védique) a été thématisé indépendamment dans véd. âsadat, v. si. sëdb et dans gr. eÇexo (< augment + *sd-e-), [LIV2-. 513 s.] (Kümmel)92. Il est probable qu'en arménien aussi il serait devenu *sed-e- ou *sd-e-.

89 Initiale peut-être *k2, mais devenue *k1 par analogie de l'ancien intransitif *kudh-e-, [Viredaz 2008: 4].

90 En grec, kû9s est transitif (Od. 3,16) et SKSuae est rare [Chantrame 1968-1980, s. v. Ksi39ro].

91 Cf. [Klingenschmitt 1982: 229] (élargissement *-k- comme une des solutions possibles), [LIV2: 561] (sur la racine).

92 *(e)sd-e- plus probable que *se-sd-e- (ibid.). — Ni le grec, ni l'arménien ne continuent un imparfait *sed-ye-. D'une part, sÇsxo était un aoriste et non un imparfait [LIV2: 514, n. 4]. D'autre part, i.-e. *dy devient sans doute arm. c et non c : cf. *cty > jet [EDAIL: 111 (*afic), 640 s. (*uc), 718 s.] ; tous les exemples apparents de *dy > c s'expliquent aussi bien sinon

Le grec a aussi un aoriste sigmatique, actif eioe, e(o)oai (courant) 'faire asseoir, placer, installer', médio-passif (plus rare) e(o)oao0ai, p. ex. éooa^evoç (Od. 16, 443) 'qu'on a fait asseoir'93. Dans certains verbes, l'actif causatif est une rétroformation sur le médio-passif64, mais pour e(o)oao0ai on voit que c'est bien le médio-passif qui est tiré de l'actif (ce qui est le cas normal)95. La valeur causative de l'aoriste actif e(o)oai est donc primaire et sera due à sa forme sigmatique.

C'est pourquoi nous supposons un aoriste causatif gréco-arménien *sed-s- 'faire asseoir', dont arm. hecaw *'s'est assis' > 'est allé à cheval' sera le médio-passif. Pour ce détour sémantique, comparer l'allemand sich setzen 's'asseoir', ou sur d'autres racines arm. usaw 'a appris', snaw 's'est nourri, a été nourri, élevé', médio-passifs des causatifs *ouk-eye-t 'enseignait', *k1on-eye-t 'élevait' (1.2).

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Au plan sémantique, on peut se demander pourquoi c'est l'aoriste hecaw (d'où prés, hecanim) qui a pris le sens 'aller à cheval' et le présent nstim (aor. nstaw) qui a conservé le sens 's'asseoir, être assis', plutôt que l'inverse. Nous n'avons pas de réponse, mais cette difficulté ne semble pas devoir remettre en cause l'étymologie de hecaw.

6.2.3. *ou. Curieusement, les aoristes de forme *CeuT-s-présentent en arménien le produit phonétique de *CouT-s-, alors qu'on n'observe rien de tel pour *CeRT-s-, *CeR-s- ou *CeT-s-96 (6.2.2, 6.3-5).

mieux par *ds : [Kortlandt2003:104-106] (1994) (aoristes), [EDAIL.KK (anic), 469 (mic)].

93 Bien entendu, arm. -aw n'est pas directement comparable au grec -axo puisque l'a de l'aoriste sigmatique n'est pas hérité. Il s'agit d'innovations indépendantes (mais non parallèles puisque l'a arménien ne s'est généralisé qu'au médio-passif, 13.2.1).

94 Citons véd. skhàlati, skhàlate 'trébucher', grec a^áXXo^ai 'id.' ^ a^áXXro 'faire tomber' ; véd. ksàrati 'couler', grec ^Osipo^ai 'aller à sa perte' ^ 96sipro 'détruire'. Le phénomène est bien connu en grec et en latin, cf. [Deroy 1993: 93, 95 s., 100,n. 14, 101] (avec références).

95 Au présent, on trouve à la fois ïÇœ 's'asseoir' (hérité, véd. sidati), ïÇo^ai (passage au médio-passif à cause du sens) et ïÇœ causatif 'asseoir' (rétroformation sur ïÇo^ai).

96 Question brièvement abordée dans notre exposé de 2011.

Curieusement aussi, la plupart des aoristes sigmatiques causatifs arméniens présentent cette même diphtongue *eu/*ou radicale (ou suffixale dans le type productif en -oyc', -uc'e-, présent -uc'-ane-, et dans ses concurrents plus rares -oyz, -oys).

6.3. Autres aoristes sigmatiques hérités

Transitifs et donc peut-être à ranger sous 6.2.1 :

a) ergêc 'a déchiré, percé' : peut-être de *wreid-s-, cf. germanique *wreitô 'entailler' ([Pokorny 1163 s.], après Frisk)97 ;

b) peut-être stelc 'a formé, créé' < *stel-d-s- ou *stel-g1-s-, cf. grec cxéXXa 'préparer' [Klingenschmitt 1982: 227]98 ;

c) peut-être hetjaw 'a (été) étouffé (intransitif)' : la comparaison avec xetd 'corde (pour étrangler)'99 ferait de hetjaw le médio-passif d'un aoriste sigmatique causatif disparu, mais ne donne pas d'étymologie100.

91 Rapprochement écarté par [Seebold 1970: 566 s.] pour des raisons

sémantiques (voir aussi ibid., p. 31 au sujet du sigle mE), mais cette rigueur est peut-être excessive (cf. c'tem 'érafler', communément rattaché à *sk1id-

'casser, fendre', ou k'erem 'gratter' à Ksipro 'couper'). — Plus que la différence de sens, ce sont l'instabilité sémantique et formelle que présentent

souvent les verbes ayant ce genre de significations, et le fait que le rapprochement ne porte que sur deux langues, qui, augmentant les risques de ressemblance fortuite, rendent incertaine l'étymologie arm. ergicanem ~ germ. *wreit5. — De plus, le germanique a peut-être deux racines différentes,

*wreit- 'entailler, graver, dessiner, écrire' et *reit- 'déchirer', qui ne sont cependant distinguées dans aucune langue fille (*wr- > r- en haut allemand et en nordique ; le bas allemand wntan a les deux sens ; le néerlandais a rijten

'déchirer' mais wrijten y signifie 'tordre', germ. *wreip- ; le vieil anglais a

seulement wntan 'graver, dessiner, écrire').

98 II est phonétiquement exclu de tirer stelc directement de *stel-s-avec [Pedersen 1982: 205] (1906). On ne connaît pas d'exemples arméniens d'i.-e. *ls, mais seuls seraient défendables *l ou à la rigueur *lc\ *lj.

99 Cf. [Kortlandt2003: 80,114] (1987, 1996), [EDAIL. 403]. La possibilité d'une altération irrégulière *h- > x- resterait cependant à confirmer.

100 L'étymologie différente de Klingenschmitt [1982: 252 s.], lit. spelgti 'étouffer (plantes)' se heurte à la différence des gutturales. Les quelques exemples de *K1 traité comme *K2 en baltique donnés par [Stang 1966: 91-93], se trouvent tous dans des conditions particulières que l'on n'a pas dans balt.

Transitif mais non causatif : peut-être exac 'a mordu' < *kw>hàd-s-, cf. védique khadati 'il mastique, mange' [Martirosyan 2010: 323 s.]101 ;

Autre après consonne : peut-être macaw (6.5.1). Après voyelle (suffixale) : -eay, -ear, -eaw (p. ex. t'ak'eaw 's'est caché', ayteaw 'a enflé', présents t'ak'c'im, t'ak'num, aytnum) < *-ë-s-, slave -éxb, -é, -é (5.1) [Kortlandt2003: 114] (1996), cf. [Jasanoff2003: 130, 150]. Si l'on suit la théorie de Jasanoff [2003: 130 s., 146-150, 162-165], ci-dessus 5.3.2.1 b), un adverbe *ptak2ê 'en se terrant'102 (sémantiquement proche du véd. gühä !) aura formé des présents *ptak2ë-ye-, *ptak2ë-skie- (arm. t'ak'c'im, p.-ê. lat. taceö, conticêscô, v. h. ail. dagën103) et un aoriste *ptak2ë-s- (de forme active en indo-européen ; arm. t'ak'eaw). De même, ayteaw rappelle œô^oe. En revanche, yareaw 's'est levé', impér. ari, présent yarnem, est de formation incertaine104.

6.4. Aoristes anciennement asigmatiques

6.4.1. Sur racine en voyelle. 1 sg. edi, etu, eki (3.2), keray (3.4), melay (1.1.2), 3 sg. ed, et, ekn, eker, melaw (ce dernier passé à la flexion moyenne à cause du -a- ; eker a survécu à cette innovation à cause de sa fréquence élevée, cf. 14.4, mais aussi 13.2.2.1 ; les deux

spelg-. Dans les cas de si. *cerda 'troupeau, file, ordre', *korva 'vache', lit. kerdzius 'berger', kàrvè 'vache',pekws 'bétail', la sémantique commune invite à voir des emprunts à un dialecte kentum, malgré les arguments contraires de Stang, loc. cit., et de [Derksen 2015,s. w.].

101 Autre groupement dans [LIV2\ 359 s.] (Kümmel). — L'iranien *xad- 'blesser' relève d'une autre racine, [Cheung2007: 439 s.] — Racine sans doute différente aussi dans lit. kându, v. si. kçsajç 'mordre'.

102 Verbe-base en grec xrqaaro 's'accroupir, se blottir' (le plus souvent par peur, parfois pour une embuscade).

103 En supposant une métaphore 'se cacher' (arménien) > *'faire profil bas, rester discret/se faire discret' > 'se taire' (germanique, latin).

104 Présent sans doute *ar-new-e- ^ *h3r-neu- + préverbe arm. i 'ex', mais l'aoriste est susceptible d'interprétations diverses. Peut-être réfection récente de *aray, comme le sont probablement caneay 'ai (re)connu', y-anc'eay 'ai transgressé'. L'intransitif *arnewe- >y-arne- 'se lever' aura été très longtemps homonyme du transitif *kwrnewe- (?) > arnem 'faire' (pour la racine, voir [Viredaz 2005-2007: 3 s.]).

flexions ne diffèrent qu'à 3 sg.) ; elè 'suis devenu < *e-k1lei-som [Kortlandt2003:80, 114] (1987, 1996); étymologie de Godel [1982: 27] (1965) ; 3 sg. eiew < *etèwW5 ; 2 sg. eter, 3 pl. eten seront analogiques de etew (analogie facilitée par le fait que 1 sg. elè, 2 pl. etëk' étaient compatibles avec un thème ele-).

6.4.2. Sur racine en consonne. meraw 'est mort : i.-e. *mer-m, *mer-s, *mer-t > arménien et slave *mersom, *mers, *mert, v. si. -mréxy, -mrè (cf. [Klingenschmittl982:221; Bartonl989:146]106 ; arm. r < *-rs- entre voyelles ; passage à la diathèse moyenne à cause du sens et d'après l'antonyme cnaw 'naquit' (innovations semblables dans d'autres langues, [Barton 1989: 139-144]).

Quand l'occlusive est *g1, *g1h, l'interprétation est ambiguë (6.5.1).

6.5. Exemples ambigus

6.5.1. Après *g1(h). Après i.-e. *g1(h), la sigmatisation n'est pas visible phonétiquement et l'on peut tout au plus tenter de deviner d'après le sens du verbe et d'après les formations existant en indoeuropéen quelle a pu être celle de l'arménien :

a) edèz 'a entassé'107, elèz 'a léché' : peut-être imparfaits *dheig1h-e- ou *dhoig1h-eye- et *leig1h-e- plutôt qu'aoristes sigmatiques *dheig1h-s-, *leig1h-s- ;

b) eboyc 'a nourri, élevé' : action qui dure, donc sans doute *bhoug-eye- imparfait causatif plutôt que *bheug-s- aoriste causatif, de

105 L'étymologie *k"l-e- de [Klingenschmitt 1982: 280 s.] ne rend pas compte du présent linim. — Cependant, *w devant *o pour combler l'hiatus n'est pas régulier après *i, ni donc après *ey, mais doit être analogique du *w apparu dans la même désinence après *e, a (3.4.3).

106 L'autre scénario envisagé par Barton (ibid., p. 145 s.), selon lequel le r arménien se serait généralisé à partir de *mern, *mer, *mern issus phonétiquement de *merm, *mers, *mernt, n'est pas possible. En effet, le traitement observé dans *dûran > *dûrn > durn 'porte' (où la chute du *a date de la période parthe, cf. n. 26) est certainement postérieur à la disparition du thème d'aoriste radical *mer- et aux réfections qui en ont fait *met-, mera-,

107 Le sens de la racine arménienne est un de ceux de l'iranien *daiz-, sans doute sous l'influence de ce dernier.

*bhung1- (médio-passif) 'profiter de' ; seul le sens suggère une solution différente de eloyc (6.2.1) ;

c) macaw 'a collé, coagulé' : médio-passif d'un aoriste i.-e. *mag1-, *mag1-s- ou *mag1-e- (racine *mh2g1- possible, cf. [Beekes 1988]) ;

d) zercanem, zerc 'a délivré' : actif probablement dérivé d'une des acceptions du moyen zercanim, zercaw 'se sauver, être délivré, s'échapper, se détacher', de sorte qu'il n'y aurait pas lieu de tirer z-erc d'un aoriste causatif sigmatique indo-européen108. Étymologie : prob. cognât du v. i. SARJ (srstà-) 'lâcher, faire partir, envoyer' [de Lamberterie 1980: 26]109.

6.5.2. Après *r. ar 'a pris' peut s'interpréter soit comme produit de *ar-s-, i.-e. *h2er- athématique (cf. [Kortlandt2003: 115; Barton 1989: 149]), soit comme réfection, d'après le présent arnum ~ gr. apvu^ai 'obtenir', d'arm. *ar < i.-e. dial. *ar-e- thématisé comme le grec apexo110 ; la flexion moyenne du grec doit être une innovation ([Barton 1989: 149, n. 46], contre [Klingenschmitt 1982: 248])111.

108 Certes, usaw, snaw (1.2), hecaw (6.2.2), c'ogaw (6.5.3) sont des médio-passifs d'anciens causatifs, mais les actifs correspondants ont disparu. Si zercaw avait suivi une évolution comparable, zerc serait soit primaire (et devrait donc avoir un sens plus large), soit aurait été perdu puis recréé (hypothèse peu économique).

109 En revanche, nous ne pensons pas qu'arm. ark 'jeta' (ibid..) soit apparenté. — [LIV2\ 528 s.] (Zehnder) rapproche avec réserve v. i. SARJ du crétois Xayaisv, Xajaaai 'relâcher, libérer' et du m. gall. di-hol 'bannir', helyaf 'je chasse'. Cependant le verbe grec se rattache plutôt à Xayapoç 'mou', X-qyro 'se relâcher, cesser' (degré zéro analogique comme dans p-qy-/pay- 'briser'), latin laxus, langueô, anglais slack, etc., tandis que les mots gallois sont assez loin pour le sens.

110 Cf. garn, garin 'agneau', avec r apparu phonétiquement au nominatif-accusatif singulier (garn < *garn ~ gr. apr|v), puis étendu analogiquement au reste de la flexion. Si ce nivellement n'a pas lieu dans durn, dran 'porte' ou learn, lerin 'montagne', ce sera à cause de l'alternance vocalique radicale.

111 Arnum, ar est un des très rares verbes arméniens (non supplétifs) à conjuguer un présent hérité et un aoriste également hérité. — Un autre est peut-être lk'anem, (e)lik' 'laisser'. Si le suffixe *-ne- est une thématisation de *-neh2-, c'est-à-dire issu de *-nh2-e-, la forme arménienne après consonne sera *-ane- avec *a "primaire" et lk'anem pourra être un présent en -anem

yer 'a enchâssé' : i.-e. *en + *ser(-s)- (étymologie : [HAB III: 396; Klingenschmitt 1982: 241 s.; Barton 1987, 1989: 150 s.]) ; présent yerum (r analogique pour *rlu ?). Aoriste indo-européen radical selon Barton, 11. cc. (verbe télique), sigmatique selon [LIV2: 534 s.] (Zehnder : grec -époai, -eïpai).

jeranim, jeray 'avoir la fièvre' et jernum, jeray 'se chauffer, s'échauffer' résultent peut-être de la scission d'un ancien jernum, jeray [Klingenschmitt 1982: 224, 248, 278], ce qui supposerait un imparfait i.-e. *gwher-e-to devenu aoriste (cf. grec Oépo^ai 'devenir chaud'), sur lequel le présent en -nu- serait une création arménienne. Toutefois, l'extension analogique de r ne se produit peut-être pas aussi facilement dans le verbe (cf. yarnem, yareaw 'se lever') que dans le nom (n. 110), et jeray ne semble pas attesté à date ancienne, si bien qu'une restitution *gwher-nu- : *gwher-s- est peut-être plus prudente [Kortlandt 2003: 115; Martirosyan 2010: 557].

6.5.3. Autres. anêc 'a maudi' < *aneid-s-, racine i.-e. *h3neid-. Aoriste indo-européen radical selon [Barton 1989: 147], sigmatique selon [LIV2: 303] (Kümmel : avestique naist ; avec réserves).

Dans anêc comme dans yer ci-dessus, l'aoriste apparemment sigmatique de l'arménien a peut-être été une des raisons pour lesquelles nos prédécesseurs, y compris [LIV2] que nous avons pris pour référence (n. 86), ont admis un aoriste sigmatique en indoeuropéen, hypothèse qui devrait donc être réévaluée.

anc' 'a passé' : étymologie inconnue (malgré maintes tentatives113); c' peut représenter *ts ou *k1s mais aussi *tsk1 ou *k1sk1n\

c'ogaw 'est allé' ne peut pas s'expliquer par c'ogan < *kyw-nto (ainsi [Klingenschmittl982:117,277]), car il n'y a pas lieu

prototypique < *likw-an-e-, cf. grec Xi^ïïâvro. Sinon, le traitement phonétique attendu sera à notre avis *likwne- ou *likwne- > *liy(a)ne- > fliwne- ou f lene-(cf. *yëkwr ^ leard 'foie') et lk'anem sera tiré de l'aoriste.

112 [N. d. c. : Non, cf. arm. mod. hert' 'tour' < *sers-ti-.]

113 La nôtre ([Viredaz 2005-2007: 2 s.] : grec KaS-) est erronée également.

114 Nous ne citons pas *skj seul, car il est probable qu'une nasale tombe devant *s + occlusive, cf. ekic', ekesc'e-, subj. aor. de ekn 'alla', s'il est une réfection de *kec \ *kec 'e- < *gwem-skie-.

d'admettre une loi phonétique *-ew- > *-ow- en arménien115 (cf. jew 'forme', tew 'distance')116. Il résultera plutôt de l'addition du -a-médio-passif au produit soit de *k-yeu-s- 'a mis en mouvement' (aoriste sigmatique causatif, à ranger sous 6.2.1, cf. grec 1 sg. act. ëooeua, 3 sg. méd.-pass. oeúaxo, et pour le vocalisme 6.2.3), soit de *k2yow-eye- 'mettait en mouvement' (imparfait causatif, à ranger sous 1.2, cf. grec prés, ooéœ, ooéo^ai). L'aspect ponctuel du sens 'mettre en mouvement' donne à penser que *k-yeu-s- était plus fréquent que *k2yow-eye- (ce que confirme le grec) : c'est donc plus probablement *k^yeu-s- que continuera c 'ogaw.

busaw 'a poussé, est né, a crû' doit être le médio-passif d'un actif disparu qui remontera peut-être à *bhou-k-eye-, une formation inattendue sur i.-e. *bheuhr.

Dans zgenum, zgec'aw 'se vêtir', grec hom. ewu^ai, eooaxo, il est possible que c' remplace par analogie un ancien *s < *ss (comparable à celui d'arm. es 'tu es' < *essi ^ i.-e. *esi [< *h¡es-si]). De même pour yenum, yec'aw 's'appuyer' (s'il vient d'i.-e. *ses-, [Klingenschmitt 1982:249 s.]). Peut-être même cette hypothèse pourrait-elle s'étendre à des verbes qui n'ontjamais eu *ss, tels lnum, elic' 'remplir', i.-e. *plë-, voire à la majorité des aoristes en -c' puisque le suffixe *-sk¡e- (1.3.2.1) n'a dû être hérité que dans un petit noyau initial. Negri [1976: 239 s.] suggère que le suffixe arménien issu de *-sk¡e- s'est substitué au *s de l'aoriste sigmatique après que celui-ci fut tombé entre voyelles.

6.6. Exemples d'autres origines (aoriste ou imparfait thématiques)

awc 'oignit' < aor. i.-e. *angw-e- < *h3ngw-e- ^ *h3engw-, tandis qu'une sigmatisation aurait produit *h3engw-s- > *ongw-s- > func vel simni.

115 Comme le font [Klingenschmitt 11. cc.; Viredaz 2001-2002: 1-3], et d'autres.

116 En slave, certes, *ew > *aw > ov devant voyelle postérieure et reste ev devant voyelle antérieure. Mais cette différence est liée à la palatalisation de toutes les consonnes devant voyelle antérieure, une situation qui n'existe pas en arménien.

117Face à *kjs > c\ le traitement arménien de *k2s est peut-être c'. À défaut d'exemples clairs en arménien même (où le rapprochement de c'or 'sec' et

terem, tereac' 'écorcher la peau, la rendre calleuse' ne peut guère s'expliquer par un aoriste *eter < *der-s- ^ i.-e. *der- (ainsi [Barton 1989: 151]), car on attendrait alors un présent *teranem. Partir plutôt d'un présent i.-e. *ders-e- avec de Lamberterie [1997: 74 s.].

7. Naissance de la flexion semi-sigmatique

7.1. Origine de la sigmatisation

7.1.1. Le scénario slavo-arménien. La sigmatisation partielle des aoristes radicaux en slave et en arménien (*dôm, *dos, *dot ^ *dôsom, *dos, *dôt, 3.2, 5.1) est un des deux volets d'une innovation plus importante, l'autre volet étant la désigmatisation partielle des aoristes sigmatiques (et de l'imparfait du verbe 'être') : *-som, *-s, *-st ^ *-som, *-s, *-tus.

Cette désigmatisation de 3 sg. a un parallèle en vieil indien à l'aoriste sigmatique des racines set (qui est toutefois rare) : i.-ir. *-isam, *-is, *-istU9 ^ v. i. -isam, -ïh, -it (cf. [Renou 1952: 289 s.; Narten 1964: 53 s.]) et elle s'explique facilement comme contrecoup d'une réduction phonétique *-st > *-s, c'est-à-dire par restauration analogique de la distinction 2sg.:3 sg.

C'est pourquoi nous proposons le scénario suivant : 1. Réduction phonétique *-st > *-s, produisant, dans le paradigme sigmatique (aoristes sigmatiques et aoristes ou imparfaits radicaux de racines terminées en *s, notamment l'imparfait du verbe 'être'), une homophonie entre la troisième personne du singulier et la deuxième, où la simplification *-ss > *-s est déjà indo-européenne.

du postclassique c'ir 'fruits secs' avec gr. §r|p6ç 'sec' est peu sûr), noter les traitements respectifs de *kis et de *k2s, *K"s en slave (s et x/s) et en nouristani (affriquée sifflante c et affriquée rétroflexe c [Morgenstierne 1973: 339]).

118 Sur *-som au lieu de *-sm, voir 7.2-4. Sur les raisons de poser 3 sg. *-st ^ *-t plutôt que d'autres scénarios, voir 7.1.3-4.

119 La voyelle *i (plus tard i) est le produit présumé de la vocalisation des laryngales en indo-iranien. Contrairement au i primaire, elle est allongée en indien en syllabe finale fermée [Jamison 1988: 220]. — Le traitement indien et iranien *s > (*ls n'est pas proto-indo-iranien après *i, *i, *u, car le traitement nouristani est différent ([Morgenstierne 1973: 340], où is en nouristani moderne représente *is d'époque moyen-indienne, tandis que is résulte d'emprunts ; voir aussi n. 179).

Dans la suite, nous admettrons que la chute de *t final a été plus ancienne après *s qu'après voyelle. Cette hypothèse peut s'appuyer sur l'exemple du védique, qui conserve -t après voyelle mais ne conserve pas *-st. Elle n'est toutefois pas nécessaire pour l'explication des faits arméniens. Si on l'abandonne, il suffit de poser zéro au lieu de *t final, à partir de ce stade 1, dans les discussions qui suivent.

2. Résolution de l'homophonie : face à 2 sg. *-s, la finale 3 sg. *-s du paradigme sigmatique est remplacée par *-t sur le modèle du paradigme asigmatique. (Ce remplacement peut avoir été plus tardif pour l'imparfait *ës 'était' que pour les aoristes à suffixe *-s-, pour des raisons de fréquence, cf. 14.4120.)

3. L'identité partielle (2-3 sg.) qui en résulte entre les paradigmes sigmatique et asigmatique est étendue à tout le singulier : 1 sg. *-m (après voyelle) et *-om (après consonne, ancien *-m, 7.2) sont remplacés par *-som.

C'est-à-dire121 :

120 C'est pourquoi nous ne prenons pas *ës- 'étais, était' comme exemple type du prétérit sigmatique, mais l'aoriste sigmatique de dénominatifs (slave dëlajç, dëlaxb < *N-â-yelo-, *N-a-s- ?), bien que ce type ait entièrement disparu en arménien (remplacé par -a-c'-). — En arménien, le présent mnam 'je reste' vient peut-être d'i.-e. *mën-â-ye- ([Meillet 1936: 110; Klingenschmitt 1982:91 s.]; la phonétique autoriserait également un vocalisme radical *e, *o ou *o), déverbatif, à l'aoriste peut-être *mën-â-s-, dont mnac' représentera une réfection ultérieure. — Outre les aoristes sig-matiques et l'imparfait du verbe 'être', il y avait des aoristes et des imparfaits radicaux de racines terminées en *s, mais leur sort n'est pas connu, soit que le verbe ait disparu en arménien, soit qu'il y soit devenu déponent (*h2wes-^ agaw 'a passé la nuit').

121 Les innovations sont soulignées, à l'exception de *-m ^ *-om, dont la chronologie relative n'est pas exactement connue (probablement antérieure à la sigmatisation d'après 7.2.1). — Après l'innovation 1, il faut peut-être supposer aussi la chute ou l'absence de *t final dans 3 sg. *mer, *leuk. La date relative de l'innovation phonétique *-m > *-n n'est pas connue ; nous avons gardé la graphie m pour faciliter la lecture. On connaît la différence de traitement entre i.-e. *-m, *-n (après voyelle) > arm. zéro (3.1.1) et i.-e. *-nt> arm. -n.

*dom *dos *dôt *merm *mers *mert

*N-asm *N-as *N-ast 11 *leuksm *leuks *leukst

*dom *dos *dôt *merom *mers *mert

*N-asom *N-as *N-as 12 *leuksom *leuks *leuks

*dom *dos *dôt *merom *mers *mert

*N-asom *N-as *N-at 13 *leuksom *leuks *leukt

*dosom *dos *dôt *mersom *mers *mert

*N-asom *N-as *N-at *leuksom *leuks *leukt

7.1.2. L'allongement slave. Dans cette restitution, nous avons négligé le fait que les aoristes slaves sigmatisés secondairement (comme mrëxb, i.-e. *mer-m) présentent le même degré long radical que les aoristes sigmatiques primaires (comme vèsb, i.-e. *wêdh-s-m). Le fait est manifeste devant occlusive (grèsb 'j'ai saisi' < *g2hrêbh-s-), mais restituable aussi pour les diphtongues et quasi-diphtongues (séquences voyelle + sonante devant consonne) de bljusb, cvisb, mrëxb, dont le ton aigu attendu s'est étendu à l'infinitif pour certains d'entre eux (serbo-croate infinitif mrijèti, mais bljùsti).

Ce degré long peut être apparu secondairement lui aussi : après la sigmatisation de *ghrebha-m vel sim}22 en *ghrep-som (d'après 2-3 sg. *ghreps, *ghrept), ou de *merom en *mersom, les aoristes du type *ghrep-som, *ghreps, *ghrept ou *mersom, *mers, *mert (anciens aoristes radicaux) auront été "corrigés" en *ghrëpsom (...) *mërt sur le modèle des anciens aoristes sigmatiques comme *tëksom 'j'ai couru', *tëks, *tëkt. La règle sur l'allongement ou non dans les aoristes semi-sigmatiques (selon que l'aoriste indo-européen était sigmatique ou radical) étant immotivée en synchronie, la langue a perdu cette distinction (au profit de la formation la mieux marquée morphologiquement, c'est-à-dire celle à allongement).

122 Racine set ( *ghrebhH-) au vu de l'indo-iranien, védique grbhnati, âgrabhît. Occlusive labiale probablement aspirée au vu du e bref de v. si. 23 sg. grebe (> *p devant *s, *t).

On sait que le grec et l'arménien n'ont pas trace d'un degré long à l'aoriste sigmatique. L'absence d'allongement est donc normale aussi dans les aoristes radicaux (semi-)sigmatisés comme arm. meray ^ *mer-s-om 'je suis mort'. (Contrairement au grec, l'arménien conserve une voyelle longue devant sonante + consonne, cf. urju 'beau-fils' tiré d'un dérivé à vrddhi de ordi 'fils'123.)

Même dans l'ensemble d'isoglosses remarquable constitué par la semi-sigmatisation, l'arménien et le slave présentent donc des différences. (Voir aussi 7.1.6.)

7.1.3. L'homophonie 2-3 sg. Une homophonie entre 2 et 3 sg. est sans conséquence dans les langues à pronom personnel sujet obligatoire (cf. allemand du setzt, er setzt), mais dans les langues indoeuropéennes anciennes elle n'était pas viable124. Les solutions apportées ont été diverses.

En vieil indien, nous avons mentionné plus haut (7.1.1) l'aoriste sigmatique des racines set : i.-ir. *-isam, *-is, *-ist > v. i. -isam, -îs, *-is ^ -isam, -îh, -it.

A l'imparfait du verbe 'être', 3 sg. *ast > *as > ah est encore attesté dans le Rgveda ([Renou 1952: 260]; sous sa forme de sandhi antévocalique a ; paradoxalement, seulement dans le Livre X, plus récent). Mais les formes normales sont dès le védique âslh, aslt.

En grec, le même imparfait *ësm, *ês, *ëst > *ëha, *ës, *ës a subi des réfections différentes : d'abord celle, panhellénique, de 2 sg. en par emprunt de la désinence de parfait (pour éviter

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l'homophonie avec 3 sg., [Negri 1976: 247 s.]), puis, en ionien-attique seulement, le remplacement de la forme anomale 3 sg. ^ç (conservée en éolien, dorien et arcadien) par l'ancien pluriel ^ev (remplacé dans son ancienne fonction par la forme nouvelle ^o-av ^ ^-oav), ce qui est aussi l'origine du -v mobile de la désinence 3 sg. -e à l'imparfait, à

123 ordi < *portiyos ; urju (thème en a) peut-être de *urdiû (pour le traitement du *i, cî.jori 'mulet' < *jiori, [EDAIL-. 560]).

124 Ou du moins : on conçoit que l'homophonie ait été gênante et l'on constate qu'elle a été éliminée tant en arménien (2.1, 4.1) que dans les exemples ci-dessous, dans des délais à vrai dire difficiles à estimer. En revanche, nous avons vu qu'en slave, la même homophonie (2-3 sg. prétérit) n'a été éliminée (en quelque sorte involontairement) que dans une partie du domaine (2.1.4). Les raisons de cette différence nous sont inconnues.

l'aoriste et au parfait (tandis que dans ^ev lui-même le v reste fixe). A l'exception de ce -v, le résultat, en ionien-attique, simule un ancien parfait (-a, -o0a, -e), mais il s'agit d'un mirage.

La semi-sigmatisation a, elle aussi, un parallèle limité en védique, où des formes sigmatiques telles que 1 sg. -isam, 2 du. -istam ont été créées (remplaçant -am, -tam), sur la base de 2-3 sg. -lh, -it qui étaient communs à des aoristes radicaux et sigmatiques [Narten 1964: 53-59].

7.1.4. Scénarios concurrents (2-3 sg.)

7.1.4.1. Compte tenu de la chute des consonnes finales en slave (où da peut représenter *dôt ou *dôs, n. 61), voire de la forme messapienne hipades 'àvéO^Ke'125, peut-on être sûr que 3 sg. *-s-t sigmatique > *-s est bien devenu *-t asigmatique et que 3 sg. *dôt 'donna' > v. si. da, arm. et n'est pas devenu d'abord *dost ou *dos ? En effet, une réfection de 3 sg. *dôt en *dos sur le modèle de 3 sg. *N-âsU6 (au lieu de l'inverse supposé ci-dessus 7.1.1) rendrait aussi compte de la sigmatisation de 1 sg. *dom en *dôsom.

La réponse résulte d'un faisceau d'indices :

a) Dans notre hypothèse, 3 sg. *-s-t > *-s ^ *-t est le facteur clé de l'innovation *dom ^ *dôsom. Parmi les autres scénarios concevables (maintien durable de *-st ; maintien durable de l'homophonie 2-3 sg. *-s ; deux paradigmes différents *dôsom, *dôs, *dôt et *mënàsom, *mênâs, *mënâs(t)), aucun n'est vraiment plausible127.

b) L'exemple unique ekn 'est venu' < *egwent montre qu'il n'y a pas eu de sigmatisation de 3 sg. (*e-dôt ^ f *e-dôst > f *e-dos > et), car un hypothétique f *egwenst > f *egwens aurait sans doute conservé

125 Le -s des 3 sg. messapienne +dës et phrygienne +edaes (d'autre structure) résulte vraisemblablement d'emprunts à l'aoriste sigmatique (avant ou après la réduction phonétique *-st > -s), car il s'agit de dialectes européens. La question des 3 sg. en -s attestées en hittite et plus rarement en védique est différente.

126 Nous ne disons pas que c'est ce qui s'est passé en messapien. Faute de connaître les autres personnes du paradigme, nous ne nous risquerons pas plus loin que nous ne l'avons fait n. 125.

127 On ne sait pas si 2 sg. était homophone de 3 sg. à l'aoriste en messapien et en phrygien. Si tel était le cas, ce premier indice tomberait.

son *s après nasale128 (comme le montre, dans les noms, l'accusatif pluriel arménien en -s). Si elle avait existé, une sigmatisation de 3 sg. n'aurait pas eu de raison d'épargner le seul verbe 'aller'.

c) Le baltique *bë ou *be 'était', s'il est identique (à part peut-être l'augment) au vieux slave bë (5.2.2), suppose une ancienne 3 sg. *et > *e et non *est > *es, car s final est conservé en baltique129.

7.1.4.2. Le processus supposé ci-dessus 7.1.1 implique que la réduction phonétique *-st > *-s soit antérieure au traitement phonétique arménien *s > *h (qui a également lieu en finale post-vocalique ; *s final n'est pas tombé directement mais par l'intermédiaire de *h comme le montre le traitement différent -k' lorsqu'il était signe de pluriel, cf. [de Lamberterie 1979]). Cette chronologie ne se laisse pas démontrer directement, mais, dans l'hypothèse contraire, il n'y aurait jamais eu d'homophonie, dans le paradigme sigmatique après voyelle, entre 2 sg. *-h et 3 sg. *-s(t), et le processus que nous postulons n'aurait pas été amorcé. On se retrouverait donc sans explication plausible pour les 1 sg. athéma-tiques edi, etu, keray, etc.

7.1.5. Scénario concurrent (1 sg.). Puisque (presque?) toutes les formes de 1 sg. aoriste sont directement ou indirectement analogiques de *io 'j'étais' (2.2, 3.4.2, 3.5), n'est-il pas superflu de supposer une réfection telle que *e-dom ^ *e-dôsom et ne suffit-il pas d'admettre que, plus tard, *e-di, *e-tu < *e-dhëm, *e-dôm ont emprunté la désinence *-o de *io < *ësom (d'où *e-dio, *e-tûo) pour se distinguer de 3 sg. *e-di, *e-tu < *e-dhët, *e-dôt ?

La réponse est à notre avis négative :

- Il n'est pas satisfaisant de supposer (sans nécessité) que l'aoriste ait emprunté une désinence à l'imparfait. Dans le scénario

128 À moins que l'arménien ait perdu *s entre nasale et occlusive, comme le latin (inquam, septentrio), ce qui est douteux, cf. n. 114.

129 Pour Klingenschmitt [1982: 15], l'ancien imparfait arménien *ët pour *ëst est comparable au présent ê < *eti pour *esti. D'après ce qui précède, cela impliquerait sans doute que le présent est analogique de l'imparfait. Il nous semble plutôt que les deux innovations sont indépendantes et que la réfection du présent en arménien s'est produite après la disparition phonétique de *s devant voyelle ou m.

développé ci-dessus (3.2.1, 7.1.1), *-som s'explique à la fois à l'imparfait et à l'aoriste.

- Le *s supposé a certes disparu après voyelle, mais il en reste trace après consonne : r < *rs dans meray 'je suis mort' (cf. v. si. mrëxb). Il y a donc bien eu sigmatisation du paradigme (d'abord partielle). Parmi les anciens aoristes radicaux, meray est le seul exemple clair (6.4.2), mais il faut peut-être y ajouter une partie des exemples « ambigus » (6.5), tel anêc < *aneid-s- ^ *h3neid-.

Pour d'autres scénarios concurrents, voir 3.2.2, 7.4.

7.1.6. Le pluriel. Au pluriel et au duel, nous l'avons vu (5.1) le slave a généralisé la flexion sigmatique : v. si. dëxb, de, de, du. dëxovë, dësta, dëste, pl. dëxomb, dëste, dësç. Seul donc 3 sg. est resté ou devenu asigmatique. (2 sg. ne compte pas, la distinction entre sigmatique et asigmatique y étant neutralisée dès l'indo-européen). Qu'en est-il en arménien ?

7.1.6.1. Troisième personne

a) À première vue, 3 pl. edin 'ont posé', etun 'ont donné', meran 'sont morts', keran 'ont mangé', etc., s'expliquent directement par *e-d'ësnt, *e-dôsnt [Bonfante 1942: 105], *mersnt, *gwerasnt, les premiers identiques au vieux slave dësç, dasç, mrësç Toutefois, une sigmatisation du pluriel est difficilement compatible avec 1 pl. edak' (7.1.6.3).

b) Une solution de rechange sera donc de penser que edin, etun, keran etc. remplacent d'anciens *edn, *etn, *kern < *e-dlent, *e-dont (< *h1e-dhh1-ent, *h1e-dh3-ent), *e-gwerant (vocalisme radical analogique du singulier), sur le modèle de 1 sg. edi, etu, keray, 2 sg. edir, etur, kerar, 2 pl. edik' (*etuyk', kerayk'). Seul alors l'imparfait ein ^ *in s'expliquerait différemment (par *ësent directement ou éventuellement par *ësnt130). L'évolution arménienne, au pluriel (conservation de *e-dhent), divergerait alors de celle du slave (réfection en *dhësnt).

130 En slave, bësç continue *ësnt et non directement *ësent, qui serait devenu f *esont puisque le présent *senti est devenu *sçtb (v. si. sçtb, v. r. sutb). Cette innovation *esent ^ *ësnt est normale au vu du grand nombre des aoristes sigmatiques en slave, suite à la sigmatisation systématique des aoristes asigmatiques athématiques. Si l'arménien n'a pas connu cette sigmatisation au pluriel, la désinence *-s-nt n'y était sans doute pas assez fréquente pour influer sur *esent.

7.1.6.2. Deuxième personne. 2 pl. edik', etuk', ekik', kerayk', eik' sont en apparence (à part le *-k' final) les produits phonétiques de *e-dhête, *e-dôte, *e-gwête, *gwerate, avec généralisation du degré plein, etde e + *ëte, comme si le *s avait disparu devant *t.

Ce problème rappelle celui des présents ê 'est', êk' 'êtes', er 'sois', en apparence issus de *eti, *ete, *edhi pour *esti, *este, *escti, sauf que ê, êk' peuvent s'interpréter comme un emprunt des désinences thématiques. Quel qu'ait été le processus, le résultat arménien contrevient au sens normal de l'analogie (qui serait l'extension de l'allo-morphe le mieux caractérisé). Mais c'est aussi le cas du grec ^xe 'vous étiez' pour ^oxe, d'après ^^ev qui est le produit régulier de *ës-men. Il n'est cependant pas sûr que les formes arméniennes puissent s'expliquer par la même analogie que le grec rç^ev131.

Le vocalisme est en général celui du singulier, comme si ces formes avaient été sigmatisées (edik', avec *ë comme le slave dëste, contre i.-e. *dhh1-te). Noter cependant ekayk' 'venez', avec augment, sans doute un ancien indicatif *'vous êtes venus', remplacé dans sa fonction primaire par la forme analogique ekik'. Mais ekayk' lui-même semble refait sur 1 pl. ekak' (7.1.6.3).

7.1.6.3. Première personne. 1 pl. edak', tuak', ekak', kerak', eak' sont difficiles également.

-ak' est vraisemblablement une altération de *-amk' (13.1.1) < *-mes, avec syllabicisation *m ^ *m• Cette syllabicisation (ou épen-thèse, si l'on écrit *°m) était régulière sur racine en consonne, ainsi *aneid-s-mes (6.5.3) > *aneid-s-mes (cf. gr. é-deiksmen > éôei^a|i£v), d'où anicak' (voir aussi 13.1.1). Elle a aussi pu s'étendre par analogie : *dosmes ^ *dohmeh > *tuàmk' ^ tuak', peut-être plus anciennement

131 C'est-à-dire par un ancien **imek' antérieur à la réfection en

*iamek'. En 10.1 nous avons supposé une réfection plus ancienne. Il se pourrait cependant que *iamek' soit une réfection de *imek' (n. 132) d'après

les aoristes du type *anicamek' discutés ci-dessous 13.1.1. Le verbe 'être' est généralement peu sujet aux influences analogiques externes, mais des exceptions sont possibles.

dans les aoristes qu'à l'imparfait du verbe 'être'132. Au présent, en revanche, *esmes > emk' sans passage par une syllabation *m.

edak' 'avons posé' < *edamk' se comprend mieux comme continuateur direct de *e-dha-mes (< *h1e-dhh1-me-) [Plötz2016:250, n.l], sans sigmatisation en f *dlësmes. Entre les deux interprétations envisagées ci-dessus pour 3 pl. edin (7.1.6.1), il faudra donc choisir la seconde (qui nous paraissait la moins probable quand nous considérions 3 pl. isolément). Il est en effet difficile d'expliquer edak' comme réfection analogique de *edeak'. Au contraire, tuak' ou *tuamk' 'avons donné' peut aussi être une réfection récente et avoir remplacé le produit de *dames> *tamk' oude *dames ^ *dömes ^ *tu(m)k'.

Pour ekak' 'sommes venus' < *ekamk', on peut envisager *e-gwm-mes ou *e-gwa-mes (de la racine *gweh2- qui, à l'aoriste, serait entrée en supplétion avec *gwem-, [LIV2: 205], Kümmel). L' arménien n'a toutefois aucune trace univoque de *gweh2- dans son verbe 'venir', tandis que le singulier eki, ekir, ekn représente *gwem- (3.2.1, 4.1, 4.2.1). Même 2 pl. ekayk' (7.1.6.2) ne prouve pas *gwa-te (*gwh2-te), car il peut être refait sur 1 pl. ekak'. Il est donc possible de tirer toute la flexion de l'aoriste ekn de la seule racine *gwem-. Du reste, *gweh2-ayant donné le présent kam 'se tenir debout, rester, être', il est peu probable qu'il ait contribué aussi à l'aoriste eki 'venir'.

7.1.6.4. Conclusion

a) A cause de edak' 'nous avons posé' et sans doute de ekak' 'nous sommes venus', il n'est pas possible de poser en arménien une sigmatisation générale comme en slave, *dhê-s-mos, *dhë-s-te, *dhë-s-nt ^ dëxomb, dëste, desç. On doit au contraire tirer les formes arméniennes de *e-dha-mes, *e-dha-te, *e-dh-ent < *dhhi -me-, *dhh1 -ent, fidèles au paradigme indo-européen d'origine, et attribuer edik', edin, tuak', etuk', etun à des innovations relativement récentes et proprement arméniennes. Le paradigme *e-dhësom, *e-dhët, *e-dhames ainsi restitué pour l'ancêtre de l'arménien est typologiquement proche du grec ëO^Ka, ëO^Ke, ëOe^ev.

132 Cf. gr. sxï^qaa^sv, avec a analogique, mais q^sv 'nous étions', donc de même éventuellement arm. *ësmes > *tmek \ qui ne serait devenu qu'ensuite

*iâmek' > *iâmk' ^ *e-iâk' > eak', en dépit de la note 131.

b) La sigmatisation en arménien n'atteint pas non plus le médio-passif (edaw < *e-dhato < *dhh1-to), ni l'impératif (si lur 'écoute' est identique au grec k^ùQi). Elle se limite donc à l'indicatif singulier actif - c'est-à-dire à 1 sg. *-som, puisque 2 sg. *-s puis 3 sg. *-t étaient communs aux deux flexions sigmatique et asigmatique (7.1.1 : 2). L'arménien n'est donc pas allé au-delà des trois étapes décrites en 7.1.1 et n'a pas étendu la flexion sigmatique au pluriel comme le slave (qui a par ailleurs perdu le médio-passif).

c) A l'imparfait du verbe 'être', en revanche, le *s est originel et il n'y a pas de raison que l'arménien l'ait écarté. Face au vieux slave bëxomb, bëste, bësç ^ i.-e. dial. *ësmos, *ëste, *ësent, l'arménien eak', eik', ein continuera *ësmes, *ëste, *ësent (10.1).

d) Dans les aoristes sigmatiques déjà indo-européens, de même, il est douteux que l'arménien ait éliminé le *-s- au pluriel. On posera donc t'ak'ean < *ptak2ë-s-nt (avec passage à la flexion moyenne en arménien) (6.3 fin, 13.2.2.4 fin). Peut-être aussi mnam 'rester' représente-t-il *mën-â-ye- et l'aoriste correspondant était-il *mën-à-s-, mais ici l'arménien a mnac' avec un suffixe issu de *-sk1e-,

e) Les aoristes sigmatiques ou sigmatisés sur radical en consonne, tel *aneid-s- 'maudire', ont généralisé la flexion (sigma)-thématique au singulier (comme si i.-e. *-s-om, *-s-es, *-s-et, 4.1, 4.2.2) ; ils ont aussi maintenu ou étendu *s à tout le pluriel (anicak', anicê/ik', anicin ; pour la thématisation ou non voir 13.1.2, 13.2.1.4). L'arménien diffère donc à la fois du slave, qui a ici la même flexion qu'après voyelle (*-s-om, *-s, *-t, *-s-omos, *-s-te, *-s-nt, 5.1), et du grec, qui a 2 sg. -oaç.

f) Dans *dh3-me—> tuak' 'nous avons donné', l'ancienneté de la réfection du vocalisme radical n'est pas déterminable (au plus tôt *da-mes ^ *dô-mes, au plus tard *tak' ^ *tu-ak').

7.1.7. Terminologie. Le terme "semi-sigmatique", employé ci-dessus (d'abord pour le slave, 5.1) pour la flexion du type *(e)dh esom, *(e)dh es, *(e)dhët, est donc peu heureux pour l'arménien, où la situation est différente : après voyelle, la seule forme sigmatique est 1 sg., et (hors du singulier actif) on ne peut donc pas supposer de confluence entre les anciennes flexions sigmatique et asigmatique comme en slave (7.1.6) ; après consonne, *-s- est généralisé à toutes les personnes (singulier : 4 ; pluriel : 7.1.6.4.5).

7.2. L'innovation 1 sg. *-m > *-om

7.2.1. Chronologie. Des deux innovations slavo-arméniennes — formation du paradigme semi-sigmatique par confluence des types sigmatique et asigmatique à l'actif singulier, 7.1, et thématisation de la désinence athématique 1 sg. *-m > *-om, 7.2 — laquelle est la plus ancienne ? Autrement dit, faut-il supposer la chronologie AouB?

*dhëm, *dôm, *merm, *êsm As ^ B

*dhëm, *dôm, *merom, *ësom *d1êsm, *dosm, *mersm, *ësm

\i i/ *dhêsom, *dôsom, *mersom, *ësom

Étant donné que *-m ^ *-om n'est pas une loi phonétique, la substitution aurait été plus difficile dans le scénario B, qui comporte en première étape une augmentation notable de la fréquence de l'allomorphe *-m syllabique, et donc une meilleure implantation de celui-ci dans la mémoire des locuteurs, cf. 14.4. (Cette différence de fréquence relative aurait été mince si l'imparfait périphrastique à auxiliaire *ësm, 5.3.1, commun aux deux scénarios, avait déjà acquis la fréquence qu'on lui connaît à date historique. Mais ce ne devait pas être le cas à l'époque considérée, encore proche de l'état indo-européen.)

En conséquence, nous retiendrons la chronologie A.

D'autre part, on ne sait pas si la thématisation de la désinence 1 sg. s'est produite avant ou après le traitement phonétique *-m > *-n (*-m ^ *-om > *-on ou *-m > *-n ^ *-on). Nous adoptons arbitrairement la première possibilité (graphies en *-om), essentiellement pour faciliter la lecture.

7.2.2. Extension dialectale. Pour Bonfante [1942: 102-104], l'innovation slavo-arménienne *-m ^ *-om est également indoiranienne. Cette opinion n'est cependant pas fondée, car le traitement irrégulier indo-iranien *-m > -am (face au traitement régulier *-m > -a dans les numéraux saptà, dàsa) n'est pas propre à la désinence verbale (1 sg. prétérit athématique après consonne) mais affecte aussi la désinence nominale (acc. sg. animé athématique après consonne : *podm > pâdam).

Bonfante [1932: 118] comparait également le type slave daxb, da ou bëxh, bë aux aoristes sigmathématiques grecs ë^eoov 'je suis tombé', ëxeoov 'cacavi', et à d'autres qui sont propres à la langue

épique. Cependant ces derniers résultent d'une création artificielle des aèdes [Leumann 1959: 234-241 (1953); Risch 1974: 250] ; ëmaov (dorien ëïïexov) est un cas particulier (peut-être un ancien aoriste radical athématique *e-pet-m, *e-pet-s, *e-peft > *épeta, *épes, *épes, [Morpurgo Davies 1987: 467, n. 16]133 ; ëxeoov (à côté de ëxeoa) est peut-être imité de ë^eoov [Schwyzer 1939: 746, n. 6]. Quoi qu'il en soit, ce type grec, confiné à quelques verbes et thématique à toutes les personnes, n'a guère de raison d'être comparé au type slavo-arménien *dôsom, commun à tous les anciens athématiques mais dont la thématisation se limite à la première personne (du singulier en arménien, des trois nombres en slave, 7.2.3).

Il n'est pas possible non plus de comparer l'imparfait grec homérique ëov134.

Le latin sum, ancien esom (inscription de Garigliano), osque sum, esum, étant une forme de présent, représente une innovation distincte (sur laquelle voir en dernier lieu [Simon 2008]).

En baltique (perte des désinences secondaires de 1-2 sg.), en albanais (confusion en position finale entre *-N > *-a et *-oN > *-aN > *-a) et sauf erreur en phrygien (limitations du corpus), il est impossible de dire si l'innovation *-m ^ *-om s'est produite ou non.

7.2.3. Extension paradigmatique. En slave (5.1), la (semi-)thé-matisation touche uniquement la première personne des trois nombres,

133 L'explication traditionnelle suivie par [LIV2\ 477 s., n. 3] est moins convaincante.

134 II suffira ici de résumer Sommer [1977: 226-241]. ëov n'est attesté que trois fois chez Homère, dans deux passages de l'Iliade où Nestor parle de sa jeunesse (Il. 11, 762: roç ëov, e'i пот' ëov ye, ^ex' àvSpoiaiv 'Voilà ce que j'étais parmi les hommes, si même je l'ai jamais été' et Il. 23, 643: œç пот' ëov). Il ne s'agit donc pratiquement que d'une seule attestation. Deux autres exemples sont allégués en éolien, mais l'un (Sappho) résulte d'une coupe et d'une interprétation incertaines, et l'autre (Alcée) était peut-être en réalité un participe présent ; même s'ils étaient des formes de première personnne d'imparfait, ils pourraient fort bien être empruntés à Homère. En conclusion, le quasi-hapax ëov sera certainement une création artificielle des aèdes, sur la base du subjonctif ëœ, ëfl et de l'optatif ëoi(ç) (lui-même artificiel et analogique, [Sommer 1977: 178-185]).

mais non la troisième personne du pluriel : sg. déxb, dé, dé, du. dëxovë, dèsta, dëste, pl. dëxomb, dëste, dësç.

Cette différence entre position devant *m, *w et position devant *n (contrairement au paradigme thématique) est peut-être un signe que cette thématisation partielle est antérieure au traitement final *-m > *-n. Mais on peut aussi l'interpréter en disant que l'analogie est restée cantonnée à la première personne (des trois nombres).

En arménien, contrairement au slave, il semble que la sigma-tisation soit limitée au singulier (7.1.6), et que la thématisation de la première personne, elle aussi, soit limitée au singulier dans les aoristes sigmatiques ou sigmatisés (13.1.1) et à l'imparfait du verbe 'être' (7.1.6.3, 7.1.6.4.3).

7.2.4. Pourquoi la thématisation à 1 sg. L'innovation slavo-arménienne 1 sg. *-m ^ *-om s'explique sans doute par l'influence dupronom personnel *eg1om 'je'135.

La finale *-om est attestée dans ce pronom en indo-iranien (v. i. ahàm, v. ir. *adam) et en slave (*jazb), et elle est possible en arménien. Dans arm. es, en effet, s pour *c attendu ne témoigne pas nécessairement d'un i.-e. *eg1 à occlusive finale, mais peut aussi représenter une réduction phonétique due à la fréquence (cf. 14.1), comme dans is 'me' ~ ë^eye, asem 'dire' < *ag1-, z < *zs préposition).

La finale différente de gr. éyœ, lat. ego, a été influencée par la désinence verbale thématique primaire. Le grec éyœ-vn doit être une réanalyse de *éyœv-^ [Schmidt 1978: 22 s.], et *éyœv le résultat d'une coexistence de *egom et *ego.

La forme brève *h1eg1 est conservée en vieil avestique as, baltique *esue, hittite uk et p.-ê. germ. *ek à côté de *eka [Schmidt 1978: 25 s., 31 s.; de Vaan 2008: 187; Kloekhorst 2008: 112-115].

135 Dans la version de mai 2015, nous évoquions plusieurs hypothèses, dont certaines seulement pour les réfuter. Mais celle-ci, à laquelle nous n'avons pensé que plus tard, rend inutile la discussion des autres.

136 ja des langues slaves doit en revanche être une réduction de *jazb (cf. [Derksen2008:31]). Comme le montre le baltique, l'allongement de Winter n'aurait pas eu lieu devant une occlusive finale, position où les oppositions de voix devaient être neutralisées.

L'élément *-om de *eg1om n'est pas considéré comme analogique de la désinence verbale thématique secondaire, mais comme une particule [Schmidt 1978: 37 s.]137.

Phonétiquement, arm. es pourrait sans doute continuer i.-e. *eg113S, mais dialectologiquement c'est peu probable, l'arménien n'étant ni un dialecte périphérique, ni en contact avec un dialecte qui continue *eg1. En revanche, de ce point de vue, es pourrait continuer *eg1o comme en grec aussi bien que *eg1om comme en slave. La restitution *eg1om n'est donc pas démontrable pour l'ancêtre de l'arménien, mais elle ne fait pas difficulté et elle a l'avantage d'offrir la seule explication simple du remplacement de la désinence athématique *-m par *-om, qui donne à son tour la meilleure explication (2.2, 3), des formes de première personne de l'aoriste et de l'imparfait arméniens.

L'innovation *-m ^ *-om dans les prétérits athématiques arméno-slaves a certes dû être facilitée par l'existence de la désinence *-om dans les thématiques, mais ce facteur n'aurait pas suffi à lui seul, car 2-3 sg. *-s, *-t ne sont pas devenus *-es, *-et (sauf dans les racines en consonne, en arménien, 4.1, 4.2.2).

Dans le nom, le slave et l'arménien conservent, comme les autres langues, la distinction entre acc. sg. athématique *-m/*-m et thématique *-om. Cette différence entre le verbe et le nom va de soi si le remplacement *-m ^ *-om est dû à l'influence du pronom personnel.

7.3. Extension dialectale de la sigmatisation

Le baltique est souvent proche du slave, mais il ignore entièrement l'aoriste sigmatique ou semi-sigmatique. Inversement, il conserve le futur sigmatique, que le slave a perdu (seules traces, le

137 *hiegi lui-même semble se composer de *hje- identique au premier élément du thème oblique *hme- (et au thème du déictique proche, [Schmidt 1978: 112]) et de *gi, vieux degré zéro de la particule connue aussi en grec syroys, s^sys, arménien is, gotique mik, etc. (originellement propre à la première personne, ibid., p. 60-62).

138 Ce n'est pas certain, car, si l'arménien admet des affriquées en finale primaire (vec' 'six' < *suwekjs, prob. ayc 'chèvre' < *aigis, etc., ([Viredaz 2011], avec références), celles-ci résultent peut-être toujours d'un groupe occlusive + *s.

slavon bysçsteje/bysçsteje 'futur, devant être' et le vieux tchèque probysûcny 'utile'139).

Il semble néanmoins avoir partagé, au prétérit, l'innovation 3 sg. *-st> *-s ^ *-t, au vu de l'ancien *be 'était' ^ *e < *et (ou *ëi) ^ *est (ou *ëst) (5.2.2). Mais on ne sait pas s'il a connu ensuite la semi-sigmatisation (des prétérits athématiques asigmatiques) comme le slave et l'arménien. Peut-être a-t-il au contraire généralisé le thème asigmatique apparu à 3 sg., ce qui expliquerait l'absence de l'aoriste sigmatique140.

Au futur, en revanche, lit. duos 'donnera', remonte à *do-s < *do-s-t athématique (p. ex. [Jasanoff 1978: 104 s.; Petit 2002: 260 s.]), sans réfection en f *dôt. Cela n'implique cependant pas qu'il en ait été de même à l'aoriste et à l'imparfait : au futur, dont il était la marque indispensable, s peut avoir été traité différemment.

En vieil indien, les finales 2-3 sg. -lh, -lt, héritées (imparfaits ou aoristes radicaux de racines set) ou analogiques (remédiant à la chute de *-s, *-t postconsonantiques) ont entraîné la création de formes 1 sg. en -lm ou -isam (remplaçant tous deux -am) et d'autres formes en -is-, aboutissant à un nouveau type d'aoriste sigmatique, quoique sans degré long radical [Narten 1964: 53-59]). L'innovation est très partiellement parallèle à celle du slave et de l'arménien, mais indépendante141.

En albanais, les formes d'aoriste 1 sg. en -shë comme dhashë 'donnai' [Bonfante 1942: 102, n. 3] sont de formation récente, postérieure aux débuts de la littérature, et donc sans lien avec le slave daxb [Klingenschmitt 2005: 220 (1981)].

139 Cf. [Meillet, Vaillant 1934: 240 s., 334 s.; Vaillantl966:104; Jasanoff 1978: 105] ; autre suggestion Hollifield chez Jasanoff, ibid., p. 107. — Voir aussi [Hill 2004] sur la double origine du futur baltique.

140 Les prétérits du type lit. vëdè semblent être une trace indirecte de l'existence ancienne d'un aoriste sigmatique (2-3 sg. *wës), n. 66 b.

141 À part âbhârsam, nous n'avons trouvé aucune trace des aoristes sigmatisés âdhâsam, âdâsam, etc. (plus de sept selon lui) invoqués par Bonfante [1942: 103]. Les grammaires citées par lui ne les mentionnent pas. Dans le Rgveda, l'aoriste de ces verbes n'a que de rares formes sigmatiques (voire aucune pour JNÂ, STHÂ), et (à part âbhârsam) ce n'est jamais à la première personne. Le sanskrit classique dit adhâm, adâm. Le pâli forme son prétérit sigmatique différemment : -sim, -si, -si <—sam, -sïh, -stt.

7.4. Une hypothèse inutile ?

Au lieu d'invoquer une désinence 1 sg. *-som, ne serait-il pas plus simple de voir dans edi 'j'ai posé', etu 'j'ai donné' des réfections de *di, *tu qui continueraient directement i.-e. *dhêm, *dôm, et n'auraient été refaits que tardivement, soit sur le modèle de 3 sg. ed, et < *edhêt, *edôt, soit même par interaction avec leur propre variante à augment *ed, *et < *edhêm, *edôm ?

Nous avons déjà mentionné (et brièvement réfuté) ce groupe d'hypothèses ci-dessus 3.2.2, mais pouvons maintenant y revenir plus en détail. Nous le ferons en répondant à cette affirmation de Praust [2003: 130, n.35] : « The assumption of an inherited (partly) sigmatic aorist in Bonfante [1942] can neither be substantiated from Armenian itself nor from the Slavic, Albanian, or Indo-Iranian evidence adduced there ».

Il est vrai que :

— les faits albanais ne sont pas comparables (7.3) ;

— les faits indiens allégués par Bonfante sont erronés (n. 141) ;

— les faits slaves (5) ne prouvent pas, à eux seuls, l'existence de la même innovation en arménien ; au contraire, l'accord du slave et de l'arménien est surprenant (9.2) ; il n'est à vrai dire que partiel quant à la sigmatisation (7.1.6), mais il porte aussi sur d'autres points que celle-ci (9.1,9.3) ;

— en arménien même, keray 'j'ai mangé' ne s'explique sans doute pas mieux par *(e)gwerasom (> *ekéro, 3.4.1) que par *(e)gweram (> *ekéra) : une réfection analogique est de toute façon nécessaire.

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Pour l'arménien, en revanche, l'hypothèse d'une désinence *-som (en indo-européen dialectal) est utile :

— pour expliquer les aoristes du type edi, etu, à cause du peu de vraisemblance des explication concurrentes (3.2.2) ;

— pour expliquer meraw 'il est mort' (6.4.2) et peut-être d'autres (6.5) aoristes de racines en consonne qui sont radicaux en indo-européen et sigmatiques en arménien ;

— pour expliquer l'absence de nasale finale dans l'imparfait ei ^ *ësm (3.1; dans ce cas, le *s appartient à la racine).

L'hypothèse *-som a également l'avantage :

— d'expliquer simultanément plusieurs faits arméniens indépendants (ci-dessus) ;

— d'avoir des parallèles au moins partiels en slave et en indoiranien, qui en attestent la vraisemblance (5.1,7.1.3 fin) ;

— d'avoir unejustification relativement simple (7.1.1, 7.2.4).

8. Origine des imparfaits arméniens

8.1. Les hypothèses

Sur l'origine des imparfaits arméniens, tels ei 'j'étais', berei 'je portais', lnui 'je remplissais', plusieurs hypothèses sont en lice (cf. [Klingenschmitt 1982: 14-17]) :

a) Pour Meillet [1903:95; 1936:126 s.], berei représente une formation comparable au slave nesëaxb (5.3), comportant un prétérit du verbe 'être' et un premier membre dont la nature morphologique n'est pas précisée. Meillet pense à un parfait *êsa à cause de l'absence du n final que ferait attendre l'imparfait i.-e. *ësm, mais nous avons vu que ce parfait n'a pas existé (5.3.1.5) et que la finale arménienne s'explique plutôt par une réfection de *ësm en *ësom (3.1.1, 7.2.4). L'hiatus de ei, berei n'a pas besoin d'être ancien (10.2, 12.2). Pour le premier membre (de nesëaxb), nous misons sur l'hypothèse de Jasanoff (ci-dessus 5.3.2).

b) D'autres auteurs partent de l'optatif indo-européen (ainsi [Godel 1982: 30 (1965); Winter 1975], cf. [Schmitt 1981: 141]) : arm. ei- < i.-e. *es-t-, *es-yë- ou **es-iyë-142. Une autre difficulté de l'explication par l'optatif tient au fait que l'optatif indo-européen a sans doute donné le subjonctif aoriste arménien 2 pl. en -jik' (exhortatif; [Schmittl981:150 s.; Klingenschmittl982: 35-41]). Il est peu plausible en effet que la marque d'optatif ait abouti à deux fonctions si différentes. On pourrait cependant répondre que le suffixe verbal *-sk1- > -c'- a acquis des fonctions encore plus diverses.

c) Jasanoff [1979: 138 s.] pense que berei, nécessairement récent au vu de son hiatus, a été créé sur le modèle de ei 'étais' ^

142 *h1 initial devant sonante devient *e- en arménien (dans les conditions où il devient s- en grec) : inn 'neuf, im 'mon', erek 'soir', -eloyz 'il a fait sortir'. Le traitement devant occlusive ou *s n'est pas connu ; atamn 'dent' doit remonter à *édmon > *étmun > *âtmun [Viredaz 2005-2007: 4-6] ; ic 'ê 'sera', à notre avis *esk1e- [Viredaz 2008: 8] < *h1s-sk1e-, pourrait avoir un degré plein analogique.

*esm, où l'addition de e- est elle-même analogique (augment selon lui, mais voir ci-dessous 10.2).

d) Kortlandt [2003:37 (1981)] pense que, 3 sg. exceptée, les formes d'imparfait ont été obtenues en ajoutant « simplement » les désinences d'aoriste athématique (en fait celles de edi ou eki seulement) au thème de présent. Cependant cette explication est morphologiquement arbitraire : ce n'est pas ainsi que fonctionne l'analogie dans les langues naturelles143.

e) Klingenschmitt [1982: 15 s.] pense que l'opposition prés. *es- : impf. *ës-, dans le verbe 'être', devenue e- : *i-, s'est étendue aux autres verbes, prés, bere- : impf. *beri-, avant d'aboutir, par réfections analogiques successives (n'impliquant pas l'augment mais les verbes en *-eye- > *-ee- > -e-), au système connu berem : berei. Nous ne répétons pas ici le détail de ces réfections, dont on pourrait d'ailleurs proposer des variantes (ne serait-ce que pour tenir compte de la loi phonétique sur le traitement de la nasale finale, 3.1.1, début).

8.2. Discussion

La plupart de ces hypothèses paraissent plausibles à première vue, éventuellement sous une forme modifiée. Pour choisir entre elles, il nous semble que l'on peut faire valoir les points ci-après.

8.2.1. Origine de ei 'étais'

a) L'explication par l'optatif (cf. 8.1 b) présente des difficultés importantes :

— La phonétique fait problème. Si l'on part du degré zéro *es-1-, le produit devrait être contracte en arménien (*ey-)144. Si l'on part du degré plein *es-yë-, certaines formes sont régulières145, mais 1 sg.

143 De plus, l'explication de Kortlandt pour le -i de l'aoriste (ibid., p. 36) n'est pas acceptable (elle produirait f-iw). Mais on pourrait corriger ce détail (en expliquant edi autrement) et garder le reste de l'explication.

144 Comparer la contraction de *swesôr 'sœur' > k'oyr.

145 Au vu du génitif singulier thématique *-osyo > *-oyyo > *-oyo > -oy, on attend *esyë- > *eyyë- > *eyi- = ei-, ce qui rendra compte de 2 pl. eik' (< **esyëte analogique), de 3 sg. ê-r < *éi < *esyët, voire de 2 sg. eir < *ei-du < *esyës d'après 4.1.

ei reste inexpliqué (*esyëm deviendrait fê). Si l'on part de *es-iyê-, il en va peut-être de même (contraction du produit de *esi-)ue.

— Le passage d'un potentiel (comme l'optatif indo-européen) à la fonction d'un imparfait est chose rare. A notre connaissance, il n'est signalé qu'en iranien ([Hoffmann 1976: 605-619], avec références, p. 605), et la formation de ei est antérieure aux contacts avec l'iranien.

b) L'explication par un ancien parfait *ësa *osa) se heurte aux objections déjà mentionnées :

— Le passage de la fonction de parfait à celle d'imparfait est difficile àjustifier.

— Le verbe *h1es- n'avait pas de parfait en indo-européen (5.3.1.5).

c) Les difficultés d'une explication par l'imparfait i.-e. *ësm sont surmontables :

— L'absence de la nasale finale s'explique par une innovation *-m ^ *-om que l'on retrouve en slave (Bonfante, ci-dessus 3.1), elle-même explicable par l'influence du pronom personnel *eg1om (cette forme peut aussi avoir été celle de l'arménien, 7.2.4).

— Pour expliquer le e initial, il ne reste qu'à choisir entre le thème e- du présent [Klingenschmitt 1982: 17] et l'augment (Jasanoff, 8.1 c), ce que nous ferons en 10.2.

— La persistance d'un imparfait dans la fonction d'imparfait est a priori chose normale. Certes, elle l'est moins en arménien, où tous les autres imparfaits hérités sont devenus des aoristes. Mais l'exception du verbe 'être' s'expliquera sans doute pour la même raison qui fait que ce verbe n'avait pas d'aoriste en indo-européen.

En conclusion, étant donné la possibilité d'expliquer l'imparfait arménien ei par l'imparfait indo-européen (c), et les difficultés graves d'une explication par le parfait (b) ou par l'optatif (a), le choix est vite fait.

8.2.2. Origine des autres imparfaits

a) La formation d'imparfaits périphrastiques est plus fréquente dans les langues connues que le passage d'un potentiel à la fonction d'un imparfait (cf. 8.2.1 a, 8.2.2 c).

146 On ne sait pas comment se serait contractée une séquence trivocalique *eii- si elle avait existé : peut-être en *ei- > *ey-, ou peut-être en

*eyi- qui ne diffère pas du produit de *esyë-, ci-dessus n. 145.

b) Le tour périphrastique est la seule des explications proposées en 8.1 qui dispose d'un appui comparatif, c'est-à-dire présente l'avantage (économie d'hypothèses) de faire de l'imparfait arménien une innovation partagée avec une autre langue indo-européenne (le slave).

c)Dans l'hypothèse de Jasanoff [1979] (ci-dessus 8.1c), l'arménien aurait perdu d'abord la distinction entre imparfait et aoriste, puis créé un nouvel imparfait quasi ex nihilo. Mais une telle création analogique n'aurait guère eu de raison d'être, tandis que l'apparition de périphrases et leur incorporation progressive à la flexion sont choses courantes (I am carrying, ga perem, berum em)147.

d) Les difficultés présentées par l'explication périphrastique nous paraissent résolubles (slave : 5.3.1), voire inexistantes (arménien: ci-dessous 12.2), quant au second élément. Pour le premier élément, on dispose de l'hypothèse de Jasanoff, qui n'est pas prouvée, mais semble possible (5.3.2).

En conclusion, différents critères concordent pour faire préférer l'explication périphrastique. La seule difficulté de celle-ci tient à l'identification du premier élément, insuffisamment démontrée, mais les explications concurrentes ne valent pas mieux : la création de l'imparfait par des processus entièrement analogiques plus ou moins ingénieux (8.1 c, e) n'est pas davantage démontrée, et une origine optative est improbable (8.2.2 a, 8.2.1 a).

9. La question des isoglosses arméno-slaves

9.1. Isoglosses non lexicales

Il est étrange que l'arménien et le slave marchent de concert sur tant de points concernant l'imparfait et l'aoriste et sur si peu ailleurs :

Imparfait et aoriste :

— semi-thématisation 1 sg. *-m ^ *-om (3, 7.2.4) ;

— désigmatisation 3 sg. *-st> *-s ^ *-t (7.1.1, 7.1.4.1) ;

— semi-sigmatisation *dôm, *dont ^ *dôsom, *dont (arménien, 7.1.6) ^ *dôsom, *dosnt (slave, 5.1) ; autres différences : augment en arménien mais non en slave, degré long des aoristes sigmatiques en slave mais non en arménien (7.1.2) ;

147 Comme nous l'avons déjà noté, Jasanoff [2003: 143, n. 27] se rallie à l'explication périphrastique.

— augment dans *es- imparfait du verbe 'être' (5.2.1, 10.1; peut-être aussi baltique, 5.2.2 ; augment régulier en arménien et dans d'autres langues orientales, seul cas d'augment en (balto-)slave,

5.2.3)148 ;

— imparfait périphrastique à second élément *ës- (5.3.1, 8.2.2,

12).

Autre faits de conjugaison :

— remplacement quasi systématique des présents infixés sur racine en occlusive par des présents en -ne- (aussi baltique)149 ;

— participe passé actif en -lb (slave), -eal (arménien, aussi infinitif), une spécialisation de *-lo- inconnue ailleurs ;

— peut-être imparfait en *-a- ou aoriste en *-a-s- (1.3.2.2-3, très incertain).

Autres faits grammaticaux :

— la répartition entre *kwo- animé et *kwi-/*kwe- neutre [Meillet 1977: 94 (1901)] : aussi iranienne (sauf avestique)150, peut-être phrygienne151 et peut-être albanaise152 ; l'iranien indique peut-être des développements parallèles ;

— éventuellement nom. sg. *tos remplaçant *so (n. 169), éventuellement son emploi enclitique facultatif après une forme verbale (11.2.1 et n.65), aussi baltiques; mais plutôt innovations parallèles indépendantes.

148 Hors du verbe 'être', l'arménien ignore certes l'augment temporel, mais c'est sans doute une innovation postérieure à la perte des quantités vocaliques, c'est-à-dire à la confusion entre *a et *a. (L'augment temporel, c'est-à-dire l'allongement de *a, *e, *o initiaux, devenait par l'évolution phonétique une alternance de timbre entre *e-, *o- et *i-, *u- [ou *e-, *o-, n. 167] dans le cas des voyelles moyennes, mais disparaissait purement et simplement dans le cas de *a, et c'est cela qui a dû causer la perte de l'alternance pour *e-, *o- également.)

149 [Barton 1974: 32-34].

150 [Tedesco 1945: 128-131, 134-135].

151 Paradigme connu seulement partiellement : nom. sg. masc. koç, neutre kiv, [Brixhe 1997: 65].

152 Interrogatifs nom. kush, acc. kë 'qui', ç 'quoi', si 'comment', [Demiraj 1993: 198-200].

Phonétique : i.-e. *kh > x (exemples : [Meillet 1936: 35 s.], et p.-ê. bax- ci-dessous 9.3.1).

9.2. Interprétation

Pour chacun des traits communs morphologiques, on se demande naturellement s'il peut s'agir d'innovations indépendantes. C'est assurément possible dans une partie des cas (3 sg. *-st > *-s ^ *-t). De plus, certaines innovations communes sont la conséquence d'autres (*-m ^ *-som conséquence de *-st ^ *-t, 7.1.1) et ne doivent donc pas être comptées séparément. D'autre part, plus on parvient à soutenir qu'une innovation est plausible, voire découle naturellement des conditions initiales, moins elle aura de poids en tant qu'isoglosse. Par ailleurs, des isoglosses imparfaites (arm. *dosom : *dont / si. *dôsom : *dôsnt, 7.1.6), ou non exclusives, auront bien entendu moins de poids également.

Cependant, même compte tenu de ces réserves, l'accumulation de faits communs dans la morphologie de l'imparfait et de l'aoriste paraît trop marquée pour que l'on puisse en rendre compte par la seule hypothèse d'innovations indépendantes.

Il faudrait donc plutôt penser à une période de contacts, éventuellement assez brève, pendant laquelle se seraient succédé un groupe d'innovations dans les formes verbales de passé.

L'existence de contacts entre le slave, étroitement lié au baltique, et l'arménien est inattendue, mais non impossible. Le territoire des Baltes était autrefois plus méridional qu'aujourd'hui (p. ex. [Mallory, Adams 1997: 48 s.]), et les contacts arméno-slaves pourraient avoir eu lieu à une époque où les Slaves se trouvaient au sud du Pripiat et les Arméniens près de l'embouchure du Danube153.

C'est peut-être de cette même période de contacts que daterait le passage de l'arménien au groupe dialectal satam. Toutefois, l'arménien est peut-être plus proche de l'albanais que du slave en tant que dialecte satam, tandis que les innovations relatives au verbe ne le rapprochent que du slave (à l'exception possible de traits dont la présence en albanais ne serait plus reconnaissable).

153 Simple supposition, sans tentative d'ajuster ces positions sur celles de cultures connues par l'archéologie.

Une autre doute provient du fait que l'identité slavo-arménienne a souvent été une hypothèse de notre part plutôt qu'une conclusion. Toutefois, il est légitime (économique) de préférer ramener les faits arméniens et slaves à une source commune puisqu'il s'agit de toute façon de langues apparentées (indo-européennes). D'autre part, lorsque c'est une erreur de postuler une innovation commune, on peut parfois s'en rendre compte en cours d'étude (hypothèse edin < *e-dhêsnt corrigée en *e-dhent, 7.1.6.1 et 7.1.6.3).

La prédominance, parmi les isoglosses grammaticales, des innovations concernant le verbe tient en partie au fait que, tant en arménien qu'en slave, la conjugaison a évolué plus rapidement que la déclinaison (sans doute à cause du nombre plus élevé de formes fléchies, qui limite les possibilités de mémorisation et favorise les recréations analogiques)154.

9.3. Isoglosses lexicales

Liste sans prétention à l'exhaustivité, constituée en partie d'après Solta [i960: 469-471] (en omettant les étymologies fausses ou incertaines155) et Saradzeva [1986] (qui cependant recense tous les points communs et non seulement ceux qui ont une signification dialectologique).

9.3.1. Arménien et slave

*inio- vel sim. 'givre, gelée blanche' > slave *jinbjb, *jinbje, arm. eleamn avec double suffixe *-a-mn (cf. lat. aer-a-men = aes 'bronze'), dissimilation des nasales et loi d'Olsen *i-i > *e-i (rapprochement découvert par Martirosyan [2010: 252], mais nous

154 Ce contraste entre conjugaison et déclinaison est net dans le passage de l'indo-européen au lituanien, au slave, à l'arménien, au latin, à l'irlandais, dans celui du grec ancien au grec moderne. Nous ne savons pas dans quelle mesure ce phénomène est général. Dans le passage du latin aux langues romanes, la déclinaison s'est effondrée, mais la conjugaison s'est profondément modifée également. En hongrois, la déclinaison a beaucoup innové par rapport au finno-ougrien, en partie par multiplication du nombre des cas.

155 Ainsi, nous ne trouvons pas trace du slave [*]dbrméti 'être triste' cité par [Solta 1960:471].

modifions quelques détails ; lituanien dialectal ynis emprunté au russe156) ;

*îstwo-, *istowo- 'vrai' > arm. isk *'vraiment', stoyg 'vrai' (*ïstowwâ *'vérité') ; v. si. istb157, istovb 'vrai', cf. [Meillet 1977: 178 (1920)] (après d'autres)158 ;

*tap- > t'at'awem 'tremper, plonger, baigner', langues slaves topiti 'plonger, noyer, inonder' ([Meillet 1977: 29, n. 1 (1896)] ; pour le slave, [Derksen 2008: 496]) ;

baxem et babaxem 'battre, frapper', russe bàxnut' 'cogner' (onomatopéiques) [Martirosyan 2010: 164; Martirosyan, en préparation : § P 404.1] ;

p.-ê. *eti 'au-delà' > si. otb 'de (ablatif)', arm. -ê marque de l'ablatif;

p.-ê. g2ol- > kolr 'branche', si. *golbje 'branche sans feuilles' (de golb 'nu')159.

9.3.2. Arménien, slave et iranien

*ouk2-eye- *'habituer' > 'enseigner' ([Klingenschmitt 1982: 186 (n. 30)], ci-dessus 1.2 usanim) ; p.-ê. pan-indo-européen, cf. *unk-e- 's'habituer' > celt. 'comprendre' (cf. [LIV2: 244]).

9.3.2. Arménien, slave et grec

Pas d'exemples. C'est sans doute le signe que les contacts arméno-grecs et arméno-slaves sont de date différente.

9.3.3. Arménien, slave et baltique

*wek2wero- 'soir', sans *-s- (cf. Viredaz2016-2017, s. v. giser) ;

156 À cause de la possibilité d'emprunts, le départ est parfois difficile entre isoglosses arméno-slaves et arméno-balto-slaves.

157 *istu- (avec réfection), *istwo- (chute sporadique de *w après consonne), ou *isto- (morphologiquement plus éloigné des mots arméniens). — Lette ists 'vrai', lituanienyscias 'clair' : peut-être emprunts russes.

158 Meillet rapproche à tort ces mots du grec sxsôç 'vrai' (sans aspiration initiale, à l'exception d'une graphie dialectale hypercorrecte).

159 Le rapprochement de Pedersen entre arm. argand 'matrice' et si. *grçdb 'sein' est un mirage : le second est un substitut récent de *pbrsb dérivé de *grçdb/*grudb 'motte, monticule', cf. [EDAIL. \3\,ESSJa, 7 (1980): 146-149].

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*erïtâ (*h1rih1t- ou *h1rHit-)160 > eri (erwoy, erea-) 'épaule (d'un animal)', *riti- (ou *rëiti-) > langues slaves ritb 'cul', 'sabot', *rëito/â- > lit. rietas, lett. riëta 'cuisse' ;

*g<w>helglh- 'glande' [Solta i960: 470] < *'boule' ; p.-ê. *g<w)hôl-u-kho-, *-w-a-, 'tête' (ibid.) < *'boule' (autre possibilité : pré-b.-sl. *g2ôlwâ sans aspiration < *'crâne', cf. [Derksen 2008: 176], et ancien arm. *guluxo *'boule' d'origine inconnue ou onomatopéique) ;

p.-ê. *g1hô *'derrière, au-delà'161 > si. za 'derrière, au-delà, après, pour, etc.', lit. oriental az<ù), azuo 'id.', arm. z [Meillet 1903: 17, 1936: 37; Pokorny 1959: 451; Klingenschmitt 1982: 292] ; nous renonçons à résumer les valeurs d'arm. z (voir [Kunzle 1984, 2: 234-238]), qui à vrai dire ne semblent guère correspondre à celles du za slave ;

conservation jusqu'aujourd'hui de la valeur principale des cas indo-européens ([Meillet 1936: 97], archaïsme), d'autant plus remarquable que l'usure phonétique considérable de l'arménien a causé de nombreuses homophonies, auxquelles il n'a pas toujours été remédié, et que l'arménien a subi de fortes influences alloglottes, comme en témoigne son lexique.

9.3.4. Arménien et baltique

*swoinia 'sœur de la femme' > arm. k'eni, lit. svâiné (cf. [Martirosyan 2010: 661], avec références ; [Olsen 1999: 803]) ;

*wordi- 'grenouille' (cf. [Solta i960: 469] ; [Martirosyan 2010: 227 s.], avec références) ;

*yur- 'eau' (fur 'id.', lit.jorra 'mer'), peut-être de *ur- 'eau' influencé par *yus- 'bouillon, sauce'.

Ces trois derniers avaient sans doute une aire dialectale continue, donc au moins balto-slavo-arménienne, avant d'être perdus ou remplacés en slave ; mais il semble improbable qu'ils aient eu une grande extension.

Il en va autrement de *mes 'nous', *yus 'vous' > arm. mek', duk', lit. mes, jus, qui ont dû être autrefois communs à la plupart des

160 Ou p.-ê. *h1rh1-it-, littéralement *'aviron', par analogie de forme.

161 p *g1hoh1-eh1, instrumental d'un nom d'action *g1hoh1-o-, 'avec franchissement, mit Zurucklassung'. (Inversement, verbe dérivé de l'adverbe selon Vine [2008: 17-19], mais c'est oublier que l'adverbe est dialectal.)

dialectes européens et ne sont donc pas significatifs pour les relations arméno-slaves : i.-e. *wei (i.-ir. *way-âm), *weis (hitt. wës, germ. *wiz), *wos (tokh. was/wes), *wes ^ *mes (balt., arm. ; grec *ahmes influencé par l'acc. *ahme) ^ *mos ^ *mos (slave my) ^ *nos (lat. nos, alb. ne ; initiale imitée des cas obliques, tel l'acc. *nos ^ *noms) ; *mes ^ celt. *nës (v. irl. sni)162.

Autre archaïsme : p.-ê. *egjh- (arm. ezr 'bord', lit. ezià 'lisière' ; pour la morphologie, comparer kotr, *golbje ci-dessus). 9.3.5 Arménien, baltique et grec

jukn, zuvis, ix8ùç 'poisson' [Meillet 1936: 142] < *dhg1huh1- vel sim., sans doute un archaïsme indo-européen.

9.4. Interprétation

Comme on le voit dans des ouvrages d'ensemble tels ceux de [Porzig 1954] ou de [Solta i960], les isoglosses lexicales ont la propriété qu'on peut en citer quelques-unes pour presque n'importe quel sous-ensemble de deux ou plusieurs branches de l'indo-européen. Cela tient au hasard des innovations et des rétentions et au nombre très élevé des mots du lexique (plusieurs milliers, surtout si l'on tient compte des variations dialectales). Il s'agit donc de savoir si le nombre des isoglosses lexicales slavo-arméniennes, exclusives ou non, dépasse le seul effet du hasard. Cette question dépasse le cadre de notre étude.

10. L'imparfait arménien du verbe 'être'

10.1. Le paradigme

A l'imparfait du verbe 'être' (8.2.1), l'arménien a ajouté un e-initial à toutes les formes héritées :

e-i e-ir êra e-ak' e-ik ' e-in

< *io *i-du b *i° *iâmek' d ? *iek' ? *iin

< *ësom e *ës *étl *ësmes d ? *ëste 8 *ësent h

< *ësm *ës *ëst *ësmes *ëste *ësent.

a. 11 ; b. 4.1 ; c. 10.3, 11; d. 7.1.6.3, 7.2.3, 13.1.1 ; e. 3.1, 7.2.4 ; /7.1.1 ; g. un nivellement analogique ultérieur a introduit le produit

162 Formes en *m- dues à l'influence de la désinence verbale *-mes, *-mos ; le double vocalisme *e*o reste à expliquer ; pronom *mos issu de

*mes plutôt que de *wos, sans quoi l'identité arméno-baltique serait fortuite.

de *-te<s) postvocalique, 7.1.6.2 ,h. éventuellement *esnt > *ian, mais

voir n. 130.

10.2. Origine du e-

Pour Jasanoff [1979: 138 s.], cet e- additionnel est originellement l'augment, ajouté par analogie des verbes à initiale consonanti-que, comme plus tard dans êac pour ac 'conduisit', mais réinterprété ultérieurement comme le radical du verbe.

Cependant êac est postclassique, si bien qu'il se serait écoulé plusieurs siècles entre la généralisation de l'augment dans ei et son apparition dans d'autres prétérits monosyllabiques à voyelle initiale163.

D'autre part, les imparfaits arméniens, même monosyllabiques, ne prennent pas l'augment (3 sg. goyr, gayr, layr, 12.3). Il n'est pas certain que l'augment des aoristes (devant consonne) ait pu servir de modèle à un imparfait étant donné le modèle contraire de ces trois verbes.

Il semble donc bien que l'addition e- ait été, dès le début, le thème verbal. Son modèle ne peut pas avoir été berei, qui n'existait pas encore (10.3). L'analogie sera donc partie des imparfaits répondant à des présents en -am, -um, tels que layi 'pleurais', lnui 'remplissais'164, bien que ceux-ci ne représentent qu'une minorité des thèmes de présent.

10.3. Datation du e-

L'addition du e- est certainement antérieure à la chute des voyelles posttoniques. En effet, cela rendra compte du caractère monosyllabique de la troisième personne êr : *io, *idu, *i ^ *e-io, *e-idu, *é-i > ei, eir, *éy ê-r, 11). Dans l'hypothèse contraire, 1 sg. *io > *i se serait confondu avec 3 sg. *i > *i et l'on devrait alors expliquer la différenciation apparue ensuite ex nihilo entre 3 sg. *éy ou *éyr et 1 sg. ei ou 2 sg. eir.

Compte tenu de cette datation, l'analogie des autres imparfaits (10.2, fin) consistera :

163 Jasanoff est conscient de cette difficulté [1979: 139], mais n'apporte pas de réponse satisfaisante.

164 Graphies ayi comme dans Bet'sayida [Klingenschmitt 1982: 17] et ei comme dans hrei 'juif' (génitif) < *hreayi < *ihudiayi.

a) dans la réfection de 1 sg. *io en *eio sur la base du présent *émi, selon le modèle de couples comme *minàmi 'je reste', *linumi 'je remplis' : *mina-io 'je restais', *linu-io 'je remplissais' (> mnam, lnum, mnayi, lnui),

b) dans l'accentuation 3 sg. *éi (-^ è-r) sur le modèle de *lài, *linùi (> lay-r, lnoy-r)165.

Les imparfaits des présents thématiques n'ont pas fait partie des modèles car, à cette époque, l'antécédent de 1 sg. berei était encore *berio sans -e- (berei a remplacé *beri seulement après la chute des voyelles posttoniques, 2.2.2).

Par ailleurs, l'addition de e- doit être postérieure aux contractions vocaliques, y compris aux contractions "récentes" (n. 44), sans quoi *eidu se serait certainement contracté en *éydu à l'époque où *maérek' 'mères' estdevenu *màrek'.

La chronologie sera donc :

1. Contractions récentes.

2. Réfection de l'imparfait *io 'étais' en *eio (et de même à toutes les personnes) par l'analogie ci-dessus.

3. Chute des voyelles posttoniques.

4. Aoriste 1 sg. *ebér remplacé par l'imparfait *beri (2.2), et de même 3 pl. aor. *ebérn par impf. *berin (7.1.6.1 b).

5. Réfection de l'imparfait *beri en berei (et de même à toutes les personnes ; 3 sg. *ebér refait en *beréy ou *beréyr).

11. êr 'était'

11.1. Le problème

La finale de l'imparfait 3 sg. èr n'est pas expliquée de façon satisfaisante.

Ce -r est propre à l'imparfait (il n'existe pas à l'aoriste), et dans toutes les conjugaisons il est ou a été la seule différence entre présent et imparfait à la troisième personne : présents è 'il est', berè 'il porte',

165 À première vue, l'accent *éi semble prouver que l'addition de e-est antérieure à la fixation de l'accent sur la pénultième. Mais cela donnerait sans doute une date trop ancienne pour cette addition. En attribuant l'accent à l'analogie, on évite ce genre de conséquence. — Voir aussi plus loin 11.2.1 y, étapes 5et7 (*i-do ^ *éi-do).

beri 'il est porté', lay 'il pleure', lnu 'il remplit' < *ey, *berey, *beriy, lay, *lnuy, imparfaits correspondants êr, berêr, berêr, layr, lnoyr < *eyr, *bereyr, *beriyr, layr, *lnuyr166.

Il est donc possible que le -r ait été un moyen de parer à l'homophonie entre présent et imparfait à 3 sg. Cette homophonie supposée ne serait apparue dans le verbe 'être' qu'avec l'addition de *e- devant les formes d'imparfait (*io, *i ^ *eio, *éi, 10.3), et dans les autres verbes en e encore plus tard, avec la réfection de *beri, *ebér en berei, *beréy. Dans les verbes en a, u en revanche, cette homophonie serait sans doute plus ancienne que dans le verbe 'être', et serait apparue quand l'ancien *ë est devenu i ou quand *ô inter-vocalique est tombé (*mënàyeti : *mënâ ë<s)t > *mënâôi : *mënâ ë > *minai : *minaî).

Une autre interprétation serait que l'addition de -r ait servi à éviter le mot trop court *i 'était' < *e167 < *ë (< *ët ^ *ëst, 10.1). Dans ce cas, l'innovation pourrait être aussi ancienne que la chute des occlusives finales indo-européennes, ou du moins que la perte des quantités vocaliques.

Quant à l'origine de ce -r, elle a fait l'objet d'hypothèses diverses.

11.2. Hypothèses antérieures

11.2.1. Pedersen. Pour Pedersen [1982: 96 s. (1905)], -r représente un pronom enclitique de 3e personne, ajouté après l'apparition de l'homophonie entre 1 sg. et 3 sg., donc après la chute des voyelles posttoniques, c'est-à-dire sous la forme *-ô (*-d dans notre système)168.

166 On connaît la différence de traitement phonétique entre *-iy, *-uy > -i, -u (présents 3 sg. beri, lnu ci-dessus, autres mots comme heru 'l'an dernier', grec ïïépuai), *-iyk\ *-uyk' > -ik\ -uk' (2 pl. berik', lnuk', edik', etuk'), d'une part, et *-iyr, *-uyr > *-eyr, -oyr (pas d'autres exemples que les imparfaits).

167 La perte des quantités vocaliques est probablement plus ancienne que le passage de *ë, *o à i, u, pour lequel un stade intermédiaire *e, *o fermés est à notre avis plus plausible que T, *u.

168 Quant à la différence de nombre de syllabes entre 2 eir et 3 êr, Pedersen l'attribue à l'analogie des aoristes du type edi, edir, ed.

a) Quand Klingenschmitt [1982: 22] estime que cette hypothèse se heurte aux lois phonétiques, il pense sans doute à une impossibilité de *t> *d> r, objection déjà formulée pour la désinence 2 sg. (ibid., p. 18), mais que nous avons réfutée pour ce dernier cas ([Viredaz 2004-2005: 89 s.], cf. ci-dessus 2.1.2). Le pronom de 3 sg. a dû être *do169, éventuellement au féminin *da170, d'où en enclise après la chute des voyelles posttoniques *d (*d pour Pedersen). Ce d est conservé en fonction d'article (mard-d 'l'homme'), sans lénition en r parce que, à cause de la place de l'accent, il était considéré comme initial de mot [Viredaz 2004-2005: 92 s.]. Ce dernier facteur peut fort bien ne pas s'être appliqué dans le cas de f *id 'il était'.

b) Il reste que l'explication de Pedersen n'est pas possible sans quelques changements.

Comme l'addition de e- est antérieure à la chute des voyelles posttoniques (10.3), cette chute n'a pas provoqué d'homophonie entre 1 sg. *eio > ei et 3 sg. *éi > *éy, mais elle en aurait provoqué une entre le présent 3 sg. *éi et l'imparfait 3 sg. f *i ^ f *éi, à laquelle on ne saurait avoir remédié par l'addition d'un pronom de 3e personne. Il faut donc penser que cette addition est plus ancienne et due à une autre cause, le caractère trop court de la forme *i 'était'.

De fait, l'addition facultative de *do enclitique 'il' est certainement aussi ancienne que celle de *du 'tu', même si elle n'est devenue nécessaire et obligatoire que plus tard. Il s'agit en effet du même procédé. Le problème est alors de justifier la différence d'accentuation entre *eidu > eir et *éido > êr.

c) On tentera donc le scénario suivant :

169 Confluence entre i.-e. *so, *tom masculins et *tot neutre. Au nom. sg. masculin, lit. tàs, v. pr. stas < *si-tas, v. si. tb et arm. -d pourraient remonter tous à un i.-e. dial. *tos analogique de *tom et *tot, mais il est plus probable que le nivellement se soit produit indépendamment plus tard, comme en germanique.

170 La confusion des genres masculin et neutre en arménien date de la chute des consonnes finales (*-os, *-om, *-ot > *-o), tandis que la confusion des genres masculin(-neutre) et féminin doit dater de la chute des voyelles posttoniques (chute de *-o et *-a, absence d'article proclitique pouvant préserver la distinction). — Dans l'enclitique, cependant, la perte de l'opposition de genre peut avoir été plus ancienne, cf.n. 171.

1. Addition facultative de *du 'toi' et *do, *da 'lui, elle'171 aux formes verbales d'aoriste et d'imparfait ambiguës (p. ex. *ebere 'tu étais, il était',2.1.1)172.

Cette possibilité remonte sans doute déjà à l'indo-européen (cf. [Watkins 1969: 204, 210 s.]), mais aura pris plus d'importance en réaction à l'homophonie.

2. L'interlocuteur tend à attribuer aux formes entendues leur valeur la plus fréquente, en l'occurrence pour arm. *ebére, *édi, *i etc. celle de troisième personne, d'où une plus grande nécessité du pronom à la deuxième personne.

3. *du devient obligatoire à 2 sg. (2.1.1), ce qui entraîne la conservation de l'accent *eberé-du et la réinterprétation de *du comme désinence.

4.A3 sg. au contraire, *ebére reste la forme normale et finit par imposer analogiquement son accent dans le groupe d'enclise *eberé-do ^ *ebére-do (comme dans *mardo-do 'cet homme' ^ *màrdo-do, classique mard-d).

5. Dans le verbe 'être', cependant, la forme 3 sg. *i étant très courte173, l'enclitique 3 sg. *-do devient obligatoire également, ou du moins plus fréquent que dans les autres verbes. Cette innovation doit être supposée antérieure à 7, sans quoi l'on ne comprendrait pas qu'elle affecte l'imparfait f *éi et non le présent *éi.

171 Ou de *do seulement. En effet, le vieux prussien -ts et le vieux slave -tb (n. 65) ont généralisé la forme du masculin quel que soit le genre grammatical du sujet. Il en a donc probablement été de même en arménien, c'est-à-dire que (*tos >) *-do se sera généralisé aux dépens de (*tâ >) *-da. Cette innovation peut s'être produite quand l'addition du pronom est devenue obligatoire (stades 5-6 ci-après pour l'arménien), par analogie des désinences héritées, mais elle peut même être apparue plus tôt, cf. anglais familier you guys 'vous (pl.)' employé indépendamment du sexe et de l'âge des personnes interpellées bien que le substantif guys reste perceptible.

172 En grec attique, q 'j'étais' (< qa) n'a duré que quelques siècles avant d'être remplacé par qv (malgré l'homophonie de qv 'il était').

173 La position des deux changements phonétiques *ë, *5 > *e, *o (n. 167) > i, u dans cette chronologie n'est pas déterminable (cf. 4.1, fin). Néanmoins, le résultat i a sans doute été atteint avant le stade 6 ci-après.

6. Dans les autres imparfaits arméniens, le facteur "mot court" n'existe pas (ou pas au même degré) et l'élargissement de la forme de 3 sg. doit être supposé analogique du verbe 'être'. Cette extension analogique peut s'être produite soit d'emblée lors du stade 5, soit plus tard.

7. Réfection de l'imparfait du verbe 'être' *ío, *ídu, *í/*ído ^ *eío, *eídu, *éido.

La finale *do à 3 sg. devient alors obligatoire (si elle ne l'était pas déjà, cf. stade 5), pour éviter l'homophonie avec le présent *éi. De ce fait, cette addition qui était une marque redondante de 3e personne devient une marque nécessaire d'imparfait.

Contrairement à ce qui s'est passé au stade 4, la différence d'accent entre 2 sg. *eídu et 3 sg. *éido ne s'expliquera pas par l'influence de la forme sans enclitique 3 sg. f *éi (inexistante à l'imparfait, pour la raison qui vient d'être dite), mais par l'analogie des aoristes, p. ex. 2 sg. *berédu : 3 sg. *ebére/*ebéredo ; 2 sg. *edídu, 3 sg. *édi/*édido. Il faut supposer pour cela que l'enclitique *do ait encore été en usage (facultativement) dans les verbes autres qu"être'.

8. Chute des voyelles posttoniques. Entre autres conséquences, l'enclitique *do 'il', désormais réduit à *d, sort de l'usage (remplacé si nécessaire par des pronoms accentués), sauf dans *éyd 'était' (où il était déjà obligatoire, stade 5 ou 7).

9. *d postvocalique> r (2.1.2.2).

La complexité de ce scénario ne plaide pas en sa faveur. Bien que chacune de ses étapes soit censée être plausible (certaines des hypothèses ne sont d'ailleurs pas nouvelles), leur grand nombre et la relative rigueur de la chronologie nécessaire sont un handicap.

11.2.2. Meillet. Dans les verbes thématiques (qui ont la même flexion que le verbe 'être'), Meillet [1924: 193, 1936: 127 veut expliquer berêr par i.-e. bheretor, cf. phryg. aPPepexop. Mais c'est peu satisfaisant puisque *-tor est une désinence médio-passive ; c'est improbable puisque cela fait de berêr un corps étranger dans l'imparfait arm. bere-i-, et qu'un imparfait indo-européen devrait donner un aoriste en arménien (cf. partie 1) ; c'est même phonétiquement impossible, puisque, au vu de edaw 'il s'est couché' < *e-dhato, *-eto- en syllabes finales ne deviendrait pas *-éyo-, mais *-éwo- (3.4.1 et n. 48 ; edaw enseigne aussi que la désinence secondaire médio-passive dans l'ancêtre de l'arménien était *-to et non *-tor [Klingenschmitt 1982: 22].

11.2.3. Bader. Pour Meillet [1903: 95], le r de la désinence -yr était une particule non précisée (*-ra selon Bugge chez [Pedersen 1982: 96 (1905)], comme à 2 sg.

Bader [1976: 83] y voit la particule i.-e. *r > grec ap(a), pa, lituanien ir (identifiée par Watkins [1969: 194-197] au r des désinences médio-passives d'autres langues). Cependant il est douteux que cette particule ait subsisté assez longtemps (jusqu'après la chute des occlusives finales, *ëst ^ *ët > *ê), et curieux que son usage se soit limité à 3 sg. imparfait (et à 2 sg. imparfait et aoriste, dans l'opinion des auteurs cités). Chez Homère, cette particule ne semble jamais s'employer après l'imparfait du verbe 'être'174.

Les objections seraient les mêmes si l'on tentait de tirer -r d'un enclitique *ro < i.-e. *pro.

11.2.4. Jasanoff. Jasanoff [1977: 165 s., 1979: 137], modifie l'hypothèse de Meillet [1924], et pense que *-itor (< *-ê-tor ou *-iyetor) a donné la désinence médio-passive postclassique -iwr, mais que -êr est analogique du présent -ê, peut-être sur le modèle de 3 pl. actif beren, médio-passif *berenr (^ *bherontor)U5. La forme êr 'était' et les imparfaits en -ayr, -uyr, -oyr ne sont pas mentionnés, mais seront à leur tour analogiques de berêr.

Cela signifie que l'arménien est placé dans le groupe des dialectes indo-européens à désinences moyennes *-tor, *-ntor sur la seule base de deux désinences dont l'une n'est pas héritée mais analogique (-êr) et dont l'autre n'est peut-être pas héritée puisque postclassique (-iwr). On sait d'ailleurs que les désinences secondaires moyennes étaient *-to, *-nto sans *r (edaw, edan, cf. 11.2.2).

11.2.5. Klingenschmitt. Klingenschmitt [1982: 22 s.] propose une série de réfections analogiques (où -r viendrait en fin de compte de 2 sg. berir), réfections souvent plausibles en elles-mêmes, mais

174 D'après une consultation sommaire de [LfgrE 1: 1126-1164, s. v. apa (J. Grimm, H.W. Nordheider, H. Brandt)].

175 C'est-à-dire que -yr serait par son origine une désinence médio-passive, comme -w, qui a néanmoins aussi été étendu à l'actif. Toutefois, cette dernière extension affecte uniquement les rares aoristes actifs en -a-, tandis que -yr s'est étendu à tous les imparfaits, quelle que soit leur voyelle prédésinentielle.

reposant sur trop de prémisses improbables176 : homophonie entre les produits d'i.-e. *-toi et *-to résolue seulement après la chute des voyelles posttoniques, c'est-à-dire longtemps après son apparition ; restitution également très tardive du s à la deuxième personne du présent ; différence phonétique inexpliquée entre *beri < *-so(i) et *beriw < *-to(i).

11.2.6. Olsen. Reprenant une hypothèse de Pedersen et de Winter, selon laquelle, en conséquence de la loi dite RUKI, *s final deviendrait r après *i, *u en arménien (dans certaines conditions), Olsen [1989: 5-15] (spéc. p. 9) pense que 2 sg. eir et 3 sg. êr continuent i.-e. *ës, *ëst (après quelques réfections, dont l'emprunt par 3 sg. de la désinence 2 sg. comme en nordique177) ; 3 sg. êr représenterait le traitement régulier de *eir, tandis que 2 sg. eir résulterait d'une nouvelle réfection.

Il serait surprenant que la loi RUKI agisse seulement (ou encore) après l'innovation purement arménienne *ë, *o > i, u. Toutefois, la date de cette dernière n'est pas connue exactement, et *is, *us > *is, *us est postérieur au proto-indo-iranien (ci-après), de sorte que cette première difficulté pourrait êtrejugée non décisive.

La difficulté principale réside dans le fait que l'arménien n'a pas participé au changement *s > *s après *i, *u, comme le montre le contraste entre nist 'nid' < *nisdos, nist 'assieds-toi' < *ni-sisde, et vestasan < *suwek1s-dek1m-m ■ Le terme de « loi RUKI » recouvre en réalité deux lois au moins. Alors que *k1s > *cs > *ts est commun à toutes les langues satam, *is, *us > *is, *us n'atteint pas le "second

176 La prémisse principale, l'antériorité de beriwr sur *beriyr > berêr, est incertaine également, mais n'est pas impossible (13.3.1).

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177 La comparaison n'est pas pertinente avec l'innovation nordique, qui a été déclenchée par une circonstance particulière (confusion entre 2 sg. -z et 3 sg. -p après n et l, auxquels ils s'assimilent, [Kurylowicz 1945-1949: 32]). Dans le cas de 3 sg. i.-e. *ëst > *ës, il s'agit d'une réduction phonétique probablement spontanée, sans influence de la 2e personne.

178 Le a de tasn 'dix', qui n'est pas phonétique (cf. mec 'grand'), résultera d'une influence de l'iranien *dasa. La finale de -tasan (dans les composés de 'onze' à 'seize') estpeut-être casuelle (cf. v. si. ... na desçte).

1V9 180 181

cercle" constitué par le nouristani , le baltique et l'arménien et représente une rephonologisation ultérieure182.

Il n'y a pas de raison de postuler en arménien un traitement RUKI limité à la fin de mot, d'autant moins qu'Olsen [1989: 15] place le stade final *z > r/zéro après la chute des voyelles posttoniques, c'est-à-dire à une date où l'arménien possédait déjà, y compris en position finale, un phonème z, d'origine iranienne, qui n'est pas devenu r (oyz 'pouvoir', yawêz 'éternel'). Tous les exemples de -r < *-s allégués par Olsen [1989: 6-14], peuvent, à notre avis, s'expliquer autrement ([Viredaz2004-2005: 89-92]; pour krkin 'double': [Martirosyan 2010: 378 s.]).

11.2.8. Plötz. Plötz [2016] (§ 2.4), sans exclure l'idée d'Olsen (§ 2.5), ni celle d'une confusion de *-st avec *-s (n. 13), en propose néanmoins une troisième: sur l'impératif présent er 'sois!', pris comme thème, et pour éviter une forme trop courte, on aurait fait un imparfait 3 sg. *er, sur le modèle de ber 'porte !' : eber 'il a porté', puis cet *er serait devenu êr sous l'influence du présent ê.

179 Cf. [Morgenstierne 1973: 340 s.]. La situation est compliquée par des emprunts nombreux au moyen indien (darde) et des innovations phonétiques de date moyen-indienne, notamment *is > *is (ibid.). Voir aussi n. 119.

180 En baltique, le changement *s > s est constant après r [et *kj], partiel après i, u, *k2, *kw, cf. [Stang 1966: 94-99, 13-16].

181 Nous ne connaissons pas d'autres exemples que nist, nstem. En effet, *snusos > nu n'est pas décisif ; *rs> r ne témoigne pas ; les exemples de *rs > rs sont des étymologies incertaines ou iraniennes ; le dénominatif t'arsamim, variante du dénominatif t'aramim 'se faner, se flétrir', aura subi l'influence de l'iranien *tars- 'sécher'.

182 À l'exception de l'albanais, le "second cercle" coïncide avec celui des langues où *k1t > *ct n'est pas devenu *st (ou du moins pas à date ancienne : baltique), ce qui confirme l'interprétation de Martinet [1955: 239] (c'est le passage de *k1t > *ct à *st qui a entraîné la phonologisation des variantes « hautes » de *s après *i, *u). — La date de *rs > *rs en nouristani (> *s.s > s) et en baltique (lit. rs) peut être "ancienne" (comme *k1s > *ts) ou "récente" (comme *us > *us). - Le traitement *k2s, *k"s > *ks semble "ancien" en nouristani, où le groupe devient *cch à date moyen-indienne (cf. [Morgenstierne 1973: 339]), mais "récent" en baltique, où il n'est que partiel à l'intérieur et n'affecte pas *kC)s initial (> sk, [Stang 1966: 14, 95]). — En indien et en iranien au moins, *s > aussi après *iN, *uN. En iranien, > s même après p.

Toutefois, cette hypothèse paraît arbitraire et artificielle. Dans les cas connus, la réfection sur l'impératif produit tout un paradigme de présent ou/et d'aoriste, et non seulement une 3e personne : arménien classique tar-a- (aor.) 'mener', moyen arménien occidental tir-/tsr- (aor.) 'poser' [Plotz 2016] (§ 2.4), grec éo0iœ 'manger' (prés.). Par ailleurs, il est peu convaincant de voir un aoriste servir de modèle pour un imparfait (il est vrai que le verbe e- n'a pas d'aoriste), ou un impératif pour un indicatif (sauf dans des verbes à impératif très fréquent), ou encore de devoir supposer *er ^ êr (*er paraît viable). Noter que er n'est pas un impératif fréquent (condition en principe nécessaire pour être la source d'une action analogique, cf. 14.4) : en classique, il est confiné à la salutation otj er 'porte-toi bien' (c.-à-d. 'continue à bien te porter', d'où le présent et non l'aoriste), tandis que 'sois' est ordinairement exprimé par 1er 'deviens'.

11.2.9. Une coïncidence. L'arménien présente un autre cas de êr pour *ê attendu : il s'agit des pronoms êr, oyr (génitif de l'interrogatif-indéfini neutre et animé) ^ *kwesyo, *kwosyo, où -r a été ajouté d'après les possessifs iwr 'son' et accessoirement mer, jer 'notre, votre' pour éviter des mots trop courts. Néanmoins, il est improbable que *ey ^ *eyr 'était' soit analogique de *ey ^ *eyr 'quoi (gén.)', tant les fonctions sont différentes.

11.3. Conclusion

Tout considéré, le moins improbable sera peut-être une version modifiée de l'explication de Pedersen (11.2.1 c).

12. L'imparfait arménien des autres verbes

12.1. Paradigmes

En arménien (8), comme en slave (5.3), tous les imparfaits remontent à celui du verbe 'être', i.-e. *ës-, soit seul (si. bëxh, 5.2, arm. ei, 'j'étais'), soit, pour tous les autres verbes, impliqué dans d'anciennes constructions périphrastiques (si. nesëaxb, arm. berei 'je portais' < ^'j'étais en train de porter') :

em 'jesuis': ei, eir, êr 'j'étais,tuétais,ilétait'

berem 'je porte' : berei, bereir, berêr

berim 'jesuisporté': berei, bereir, berêr (plustardaussi beriwr)

lam 'je pleure' : layi, layir, layr

Inum 'jeremplis': lnui, lnuir, lnoyr (< *-uyr,n,166).

12.2. Hiatus

L'hiatus non seulement de ei (10), mais aussi de berei, ne saurait être ancien, notamment parce que le premier élément remonte probablement à *bherê avec finale longue (5.3.2), qui ne rend pas directement compte de bere-.

De fait, il y a une raison de penser que l'ancien imparfait était *beri, utilisé comme aoriste à 1 sg. pour le motif indiqué plus haut (2.2) ; du moins, on ne voit pas comment expliquer autrement l'aoriste 1 sg. beri. La nouvelle forme berei sera analogique du verbe 'être' (imparfait ei, 10) et des thèmes en a et u (layi, lnui).

A vrai dire, l'hiatus dans layi 'pleurais', mnayi 'restais' n'est pas ancien non plus, car *âê a dû se contracter sinon en indo-européen en *a, du moins en arménien en *ai > *ay. L'hiatus des imparfaits en -ayi aura été restitué par analogie de ceux en -ui comme lnui.

Quelle était la forme de 3 sg. quand 1 sg. était *beri ? Comme 1 sg. *beri < *berio doit représenter une contraction de *bherê ësom (ancienne, p. ex. *bherêsom, ou récente, p. ex. *beriio > *berio), 3 sg. a dû être de même *bherê et > (*bherêt ou *berii) > *béri > *bérlg3. Ce paradigme ne serait pas plus anomal qu'un aoriste comme keray : eker. Il impliquerait seulement une confusion (partielle et temporaire184) de 3 sg. imparfait et aoriste dans les verbes à un seul thème berem, acem, hanem, nstim.

12.2. Absence d'augment

Les imparfaits arméniens, même monosyllabiques, ne prennent pas l'augment (3 sg. goyr 'était', gayr 'venait', layr 'pleurait', [Schmitt 1981:141; Praust2003: 129].

Cela signifie sans doute qu'à l'époque où la règle arménienne sur l'augment s'est fixée, les anciens imparfaits (comme *e-prk1sket, 1.2) n'étaient pas encore devenus des aoristes, et que les nouveaux

183 Cf. [Klingenschmitt 1982: 15 s.] (dans le cadre d'un autre scénario), étapes 2-3.

184 Aor. 1 *ebéro, 3 *ebére, impf. 1 *berio, 3 *béri (sans augment, 12.3) > *ebér, ebér, *beri, *bér ^ beri, ebér, *beri, *bér ^ beri, ebér, berei, beréyr (10.3, fin). L'homophonie en question se produisait lorsque l'aoriste était employé sans augment.

imparfaits (comme layr) étaient donc encore des périphrases (*kla et vel sim.), avec augment (temporel) intérieur.

12.3. Note sur le subjonctif présent

En [Viredaz 2008: 8 s.], nous ne craignions pas de parler d'une « création analogique de tous les subjonctifs présents arméniens (...) par addition de *-yc'e- au thème d'indicatif présent sur le modèle de *eyc'e-». Or cette hypothèse était identique à celle de Jasanolf [1979] pour l'indicatif imparfait (8.1 c), que nous avons récusée ci-dessus (8.2.2 y) au profit de l'explication périphrastique du nouvel imparfait. Il sera certainement plus réaliste de tirer beric'em < *bereyc'ém, mnayc'em, etc., d'anciennes périphrases comme *bherê *esk1ô, *mënà *esk1ô185.

13. Autres désinences arméniennes de passé

13.1. Le pluriel

13.1.1. 1 pl. -ak'. On ne restitue pas de distinction entre désinences primaires et désinences secondaires aux deux premières personnes du pluriel en indo-européen : la plupart des langues d'Europe ne présentent pas de différence à ces personnes- là186, tandis que les distinctions observées en anatolien, en indo-iranien et en tokharien ne concordent pas entre elles.

A la lre personne du pluriel, l'arménien distingue néanmoins les trois formes -mk' (présent indicatif et subjonctif), -ak' (indicatif aoriste et imparfait) et -uk' (subjonctif aoriste). Cette dernière est probablement issue de *-omes avec lénition de *m au voisinage de *o (cf. [Klingenschmitt 1982: 24-26])187. La première est issue de *-mes

185 Ou par exemple *es-i-sk15 (cf. subj. aor. arar-i-c' 'je ferai') si l'on estime que *eyc 'e- ne peut pas venir de *eskie-,

186 Exceptions : le celtique (innovations) et l'albanais.

187 On ne sait pas si la finale était *-mes comme en grec dorien ou *-mos comme en slave et en italo-celtique [Klingenschmitt 1982: 23 s.]. Nous choisissons arbitrairement l'une des deux (*-mes) pour simplifier la rédaction. -À la deuxième personne, l'indo-européen n'avait pas de *-s final (latin -tis, analogique, sauf à l'impératif, mais grec -xs, sanskrit -tha, -ta), et l'arménien -yk' d'après -mk' résultera d'une extension analogique en arménien même, comme dans les neutres pluriels ou duels tels que cungk' 'genoux' < *gionwa, ac'k'

athématique, notamment dans emk' 'nous sommes' < *esmes, dont beremk' 'nous portons' est analogique.

Notons que la disparition du *m dans -ak' doit être postérieure à la chute des voyelles posttoniques, sans quoi la forme f *-âek' ou f *-âok' aurait développé un glide antihiatus et serait devenue arm. ■\-ayk' ou -\-awk' [Viredaz 2001-2002: 7].

La désinence -ak' remplace en partie *-uk' (aoristes d'origine thématique comme berak', lk'ak' ^ *bheromes, *likwomes), en partie probablement *-amk' < *-mes < *-mes (aoristes d'origine athématique, imparfait du verbe 'être' et nouveaux imparfaits de tous les verbes). Il semble donc s'agir d'une contamination de ces deux formes. Il n'est pas courant qu'une contamination soit "soustractive" (suppression d'un phonème, en l'occurrence *m dans *-amk'). Ici, cela s'expliquera peut-être par différenciation maximal du présent (qui généralisait -mk").

La thématisation de tout le singulier dans les aoristes sigmatiques ou sigmatisés après consonne (comme si i.-e. *aneid-s-om, *-s-es, *-s-et, 4.2.2) peut faire penser que le pluriel a été thématisé également (comme si i.-e. *aneid-s-omes, *-s-ete, *-s-onf). Toutefois, la généralisation de la désinence 1 pl. -ak' à l'aoriste même à l'actif (berak', anicak' ; aux autres personnes de l'aoriste, -a- est propre au médio-passif) plaide contre une thématisation généralisée et pour un maintien de la forme athématique au moins devant sonante (comme si i.-e. *aneid-s-mes), sans quoi l'évolution ultérieure aurait produit *-uk' dans tous les aoristes, et les imparfaits (en *-iak*) n'auraient pas suffi à instaurer -ak'.

13.1.2. 2pl. -êk', -ik'. A la 2e personne du pluriel, l'aoriste actif présente les deux formes berêk' et berik' [Schmitt 1981: 148]. La première est sans doute héritée (dans la flexion thématique : *bherete), la seconde refaite sur 3 pl. berin afin de (mieux) distinguer l'aoriste du présent.

De même, bien entendu, dans les anciens athématiques : anicêk', anicik', donc comme si i.-e. *aneid-s-ete.

La façon peut-être la plus simple de rendre compte de la différence entre berak', anicak' (13.1.1) et berêk', anicêk', est peut-être

'yeux' < *aK"ya ; cette extension a pu se faire facilement au stade *-h de l'évolution *-s > *-h > -k'.

de penser que la thématisation discutée sous 4.2.3, en tant que moyen d'éviter les réductions ou altérations phonétiques apparues dans les produits de *aneids, *aneid(s)t, *aneid(s)telii, s'est limitée à 2-3 sg. et 2 pl., tandis qu'elle était superflue devant sonante, soit dans les produits de *aneidsmes et *aneidsnt. Etant donné la date relativement récente de *R > aR en arménien (3.1.1), il n'est pas sûr que *-a- ait déjà existé dans (les antécédents de) *aneycàmek', *anéycan au moment de cette thématisation, mais cela ne nous semble pas empêcher cette hypothèse d'une thématisation partielle. (Voir aussi 13.2.1.4.)

13.1.3. 3 pl. -in. 3 pl. aoriste berin, au lieu de la forme attendue phonétiquement *ebern < *e-bheront, sera emprunté à l'ancien imparfait, comme l'a été 1 sg. beri (2.2), quoique pour une autre raison (normalisation du paradigme : généralisation de désinences accentuées pour 3 pl.).

13.2. L'aoriste médio-passif

13.2.1. Origine du a

a) A la suite de Klingenschmitt [1982: 9], nous adoptons l'hypothèse selon laquelle la marque a est apparue phonétiquement dans 3 pl. athém. -an < *-nto, p. ex. *aneidsnt > *anéycan > *anéycn (^ *aneycin > anicin) 'ils ont maudit' : *aneidsnto > *aneycàno > *aneycàn (> anican) 'ils ont été maudits'.

Avant la chute des voyelles posttoniques, l'opposition de diathèse était marquée par la désinence, mais après cette chute, la distinction a été perdue dans plusieurs désinences de présent (1 sg. -m < i.-e. *-mi et i.-e. dial. *-m-ai, 3 pl. -n < *-nti et *-ntof), et à l'aoriste le a de3 pl. *aneycàn est devenu distinctif.

b) Cette réinterprétation du a a pu être facilitée par le modèle du verbe 'poser', isolé mais fréquent (cf. 14.4), qui opposait à l'aoriste un actif en edi- et un médio-passif en eda- (cf. Klingenschmitt, loc. cit. et ci-dessous 13.2.2.1).

c) Nous ne pouvons pas retenir l'explication différente de [Kocharov2015], Les prétérits balto-slaves en *a (1.3.2.2) ne manifestent pas d'affinité particulière avec la fonction médio-passive ou

188 Cf. *widsti- > *wit.ti- > giwt ([EDAIL: 216, 723-725]; [Viredaz 2008: 10], § 4.3.1, d'après Wmter).

même intransitive. Le passif présent arménien en -i- ne se laisse d'ailleurs pas davantage expliquer par un suffixe *-ë- ou *-ê-ye- (3.3.4).

d) L'explication de Klingenschmitt ne va certes pas de soi, car il faut tenir compte du reste du paradigme. Quel pouvait-il être ?

Au singulier actif, après consonne, les aoristes sigmatiques ou sigmatisés avaient sans doute la voyelle thématique *o/*e (2 sg. anice-r< *aneid-s-es, 4, 7.1.6.4.5).

Au pluriel médio-passif, il est crucial de supposer que l'aoriste sigmatique ou sigmatisé était resté athématique au moins devant sonante (cf. 13.1.2 pour l'actif), afin de pouvoir rendre compte du a médio-passif arménien par 3 pl. *-nto (13.2.1.1). L'argument est fragile, mais on n'a guère d'autre choix pour expliquer ce a (13.2.1.3).

Pour 1 pl. et 2 pl. des anciens athématiques (désinences i.-e. *-medha, *-dhuwe), il y a lieu de faire la même hypothèse de théma-tisation partielle qu'à l'actif (désinences *-mes, *-te) (13.1.2), et c'est seulement après la réinterprétation de a comme marque de médio-passif (d'abord à 3 pl., 13.2.1.1) que l'on peut rendre compte de l'opposition act. berêk', anicêk' : méd.-pass. berayk', anicayk'.

13.2.2. Analyse de quelques formes 13.2.2.1. Formes anciennes, asigmatiques edaw, edan 'fut posé, furent posés' peuvent continuer directement i.-e. *e-dhato (n. 48), *e-dhanto < *h1e-dhh1-to, *h1e-dhh1-nto > grec eOexo, eOevxo (cf. [Klingenschmitt 1982: 9]) ; leur vocalisme s'oppose à celui de l'actif, qui est edi- à la plupart des personnes (classique edi, edir, ed, edak', edik', edin, [Schmitt 1981: 153] ; au moment de la chute des voyelles posttoniques peut-être edi, *edid, ed, *edamk', *edayk', *edn ; singulier : 3-4 ; pluriel : 7.1.6).

eker (< *ekéra < *e-gwerat < *h1e-gwerh3-t) 'mangea' et keraw (< *kerâo < *gwera- + *-to) 'futmangé', sontphonétiques, mais l'actif a aussi la forme keraw [Schmittl981: 155], analogique des autres personnes et des aoristes médio-passifs (le présent donnant l'exemple pour l'identité des désinences d'actif et de médio-passif)189. Au pluriel, *e-gwerant > *ekérn (^ classique keran par analogie d'autres

189 Dans la Bible, keraw est toujours actif (10 ex., toujours en emploi intransitif au sens 'il le(s) mangea, il en mangea'), en concurrence avec eker (72 ex., emplois divers : transitif ou intransitif, 'manger, dévorer, consumer').

personnes) et *gweranto > keran. Les formes keraw, keran n'ont sans doute pas contribué à la réinterprétation de *a comme marque de médio-passif puisque *a figurait aussi à l'actif (keray, kerar, kerayk"). C'est sans doute la fréquence du verbe (dès le plus jeune âge des enfants) qui a permis la conservation de l'archaïsme eker.

cnaw possède à la fois le sens actif 'a engendré, enfanté' et le sens passif 'est né'. - Au sens actif (à ranger sous 6.4.1), peut-être 1 sg. cnay < *cinayo ^ *glenasom ^ *glenam < *glenhl-m s'ex-plique-t-il comme keray (3.4), et 2 sg. cnar < *cina-du < *glenas < *glenhl-s comme kerar (4.1). Cet aoriste radical *glenhl- est sans doute hérité, bien qu'il ait laissé peu de traces à l'actif dans les autres langues ([Haröarson 1993: 168]; [LIV2: 163 s.], Schirmer et Kümmel)190. - Au sens passif, 3 sg. cnaw peut s'expliquer par *glena-to avec généralisation du degré plein de l'actif singulier [LIV2: 164, n. 4] ; cette ancienneté n'est cependant pas garantie puisque -a- à l'aoriste moyen est régulier en synchronie. La formation est néanmoins différente du grec éyévexo, qui ne doit pas représenter *gienhi- ou *glenhl-e-, mais *ginhi- (Haröarson et LIV2, 11. cc.) ou plutôt *glnhl-e- thématisé (car les aoristes *CRh2-e- et *CRh3-e-invitent à poser *CRhl-e- en grec plutôt que *CeRhl-, cf. [Beekes 1969: 216-218, 221-224] au sujet des types ëxe^ov, ë^o^ov, parallèles à ëOavov)191. - Au sens actif, 3 sg. cnaw peut s'expliquer par analogie comme keraw 'il a mangé' (ci-dessus), metaw 'il a péché' : remplacement de *ecin < *glenhl-t, *emel ^ *melhl-t par généralisation du thème cna-, mela-, avec oubli de la valeur médio-passive de -w par analogie des autres désinences verbales.

190 L'analyse de [de Lamberterie 2003: 255 s.] comme aoriste sigma-tique *cina-h- + -a- n'est pas possible, à cause du « + a » : l'arménien, nous l'avons vu, ne participe pas à l'élargissement grec par a de l'aoriste sigma-tique. (Quant au grec sysivaxo < *gen-ha-, sans doute tiré secondairement de l'aoriste radical sysvsxo, il n'a pas de raison d'avoir remplacé un plus ancien *gene-ha-.)

191 L'aoriste sysvsxo n'est pas non plus identique à l'imparfait véd. janata (RV X, 123, 7), présent actif jânati, qui n'a pas de raison d'être autre chose qu'un degré plein *gienhi-e-.

13.2.2.2. Mirages

c'ogan 'allèrent' ne peut pas être ■\*k2yew-nto (ainsi [Klingenschmitt 1982: 277], mais *ew ne devient pas *ow, 6.5.3) ; ce sera donc un médio-passif récent de *k2yeu-s- (plus probable que *k2yow-eye-, ibid.), malgré l'affaiblissement sémantique important qu'il faut supposer après la formation du médio-passif arménien en a192 ;

darjan 'se tournèrent' ne continue pas directement *dhrg 1 -nto (ainsi [Klingenschmitt 1982: 9]) ; en effet, à l'exception du verbe très fréquent *dW*dV (13.2.2.1), l'arménien ne conserve pas d'opposition vocalique radicale entre actif et médio-passif (cf. cna-, ibid.) ; le vocalisme radical zéro indique donc un aoriste thématique, *dhrg1h-onto (cf. 1.1.1), avec réfection ultérieure de la désinence.

luan 'ont entendu' ne continue probablement pas directement *k1lunto (ainsi [Klingenschmitt 1982: 157]), car l'emploi du moyen est une innovation arménienne. Le grec conserve la flexion athématique à l'impératif (k^ùQi, k^ùte, cf. arm. lur au singulier), mais a thématisé l'indicatif (ek^uov), si bien que luan pourrait être formé comme darjan. Autre hypothèse encore chez [Kortlandt2003: 114] (aor. *k1lus-e—> lu-a-, prés. *k1luns-e- > ls-e-). De même erduan 'ontjuré', d'une racine *dhru- inconnue dans les autres langues.

13.2.2.3. Formes anciennes, sigmatiques. Dans quelques cas comme luc'an 'on les a allumés', hecan 'ils ont chevauché', c'ogan 'ils sont allés', la forme arménienne peut continuer directement un prototype indo-européen (récent)193 comme *leuk2-s-nto 'on les a allumés', *sed-s-nto 'on les a fait asseoir', *k2yeu-s-nto 'on les a fait partir', formes qui devaient cependant être d'un usage plutôt rare (médio-passif du causatif, 6.2.1-2, 6.5.3).

13.2.2.4. Formes sigmatiques ou sigmatisées récentes. En revanche, d'autres aoristes médio-passifs comme tuan, meran, t'ak'ean

192 Le sens i.-e. *'faire jaillir, chasser devant soi, lancer, mettre en mouvement rapide' a pu s'affaiblir en arménien en 'mettre en mouvement' avant la formation du médio-passif en a, mais l'affaiblissement ultérieur 'se mettre enroute' > 'aller' s'est sans doute produit après cette formation.

193 Une forme apparue en « indo-européen récent » est néanmoins « ancienne » (héritée) par opposition aux formes apparues au cours de l'histoire propre de l'arménien.

ne remontent pas à des prototypes indo-européens *dô-s-nto, *mer-s-nto, *ptak2-ë-s-nto, inexistants.

tuan 'ont été donnés' remonte à un aoriste radical de l'indo-européen, formation dont nous avons vu que la sigmatisation, après voyelle, n'atteint pas le médio-passif (13.2.2.1 ; ni le pluriel, 7.1.6).

meran 'sont morts' remonte également à un aoriste radical indoeuropéen, sigmatisé à toutes les personnes comme c'est la règle après consonne (4.2.2, 7.1.6.4.5), mais il avait initialement les désinences actives (6.4.2) ; on ne sait pas de quand date le passage à la flexion médio-passive.

t'ak'ean 'se sont cachés' remonte certes à un aoriste sigmatique, probablement *ptak2-ë-s-, mais ce type d'aoriste prenait les désinences actives (6.3).

13.2.3. -aruk'

2 pl. présente, outre la forme nouvelle -a-yk', une variante -a-ruk' [Schmittl981: 148 s.], propre à l'aoriste, qui continue la désinence indo-européenne *-dhuwe ([Jasanoff 1979: 144 s.], mieux que [Klingenschmitt 1982: 20]) < *-dhh2uwe (laryngale attestée par le hittite -ttuma, cf. [Melchert 1994: 76 s.] ; *-e d'après le grec et le tokharien). La syllabation *-uw- dans cette désinence, comme *-iy-dans *k1iyadiwi 'aujourd'hui' (> serk-), est un archaïsme de l'arménien (contrairement à ce que nous écrivions inconsidérément en [Viredaz2004-2005: 96]). Sur le traitement phonétique *dh inter-vocalique > arménien r, voir [Jasanoff 1979: 144-146], et ci-dessus 2.1.2.2.

13.3. L'imparfait médio-passif

13.3.1. A l'imparfait médio-passif, c'est 3sg. -iwr qui est difficile.

Cette désinence est postclassique et présente l'avantage de distinguer les diathèses active (berêr) et médio-passive [Schmitt 1981: 140].

Il est donc vraisemblable qu'il s'agit d'une innovation tardive. De toute façon, une origine indo-européenne directe de -iwr (par une désinence en *-tor ou en *-tr-) n'est pas possible si l'imparfait arménien est issu d'une construction périphrastique à verbe 'être' (12).

Faute d'une explication interne, Klingenschmitt [1982: 22 s.], pense que -iwr est une forme ancienne malgré son absence dans la

« langue classique stricte », qui l'aurait perdue au profit de la réfection analogique *-iwr- ^ *-iyr (> *-eyr > -êr), (ibid., pp. 21-23). De même, Godel [1982: 75], envisage que les formes en -iwr aient été soit « évitées, pour des raisons inconnues, par les écrivains du "siècle d'or" », soit « étrangères à leur dialecte ».

Godel [1982: 74 s., 1975: 120, n. 120] verrait dans -iwr un élargissement de la désinence -iw dont on a une trace isolée dans le mot ic 'iw, synonyme et peut-être plus exactement imparfait de ic 'ê 'plaise au ciel (que...)', subjonctif du verbe 'être'. Il resterait à éclaircir la nature de cet élargissement ainsi que la formation de ic'iw lui-même (pourquoi une désinence moyenne au verbe 'être' ? au futur grec ë(o)oo^ai, l'arménien répond par l'actif ic'em < *esk1o).

13.3.2. Nous proposons la tentative suivante :

— w analogique : d'après berar 'tu as été porté' et beraw 'il a été porté', on aurait créé sur l'ancien *berir 'tu étais porté' (et 'tu portais') un *beriw 'il était porté' ; on admet ici que l'imparfait classique berei est une réfection de *beri, postérieure à la chute des voyelles posttoniques (2.2.2, 12.2) ; la désinence de ic'iw serait analogique de ce *beriw ;

— r analogique : d'après berê 'il porte' : berêr 'il portait', on aurait créé sur beri 'il est porté' un *berir 'il était porté' ;

— La coexistence des formes (encore incorrectes et donc inconnues de la littérature) *beriw et *berir (ainsi que de la forme correcte *bereyr) aurait produit par contamination une autre forme *beriwr ;

— Cette dernière, mieux marquée que *beriw et *berir, et ayant sur *bereyr l'avantage de distinguer la diathèse, aurait gagné en fréquence aux dépens de ses concurrentes,jusqu'à acquérir le statut de forme correcte digne de la langue littéraire.

14. Réductions phonétiques dues à la fréquence

14.1. Nous avons parlé à plusieurs reprises de changements phonétiques irréguliers « dus à la fréquence », en reprenant une formule de Manczak, qui a consacré de nombreuses publications à ce sujet (cf. [Manczak 2008: 157-159])194: 2.1.2.2 (arm. du), 3.3.4 (si. -aje-), 5.1 n. 65, fin (v. si. -tb au présent), 5.2.2 fin (lit. be), 5.3.1:4 et 6 (imparfait slave et français), 7.2.4 (arm. s pour *c)195.

On a relevé depuis longtemps que des réductions phonétiques irrégulières apparaissent fréquemment dans des terms of address, des mots-outils, des suffixes, préfixes ou désinences, des numéraux, etc. Manczak a montré (p. ex. [1969: 83-85, 1987: 9-12, 148-155]) que le fait n'est pas une question d'atonie ou de prononciation allegro, comme d'autres l'ont soutenu196, mais bien de fréquence (en conjonction avec la longueur) : cf. [Manczak 1987: 8-9, 2008: 20, 90].

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14.2. Qui dit fréquence élevée dit faible apport d'information. Nous avons gardé l'expression « dû à la fréquence » sans chercher à déterminer si c'est directement la fréquence ou si c'est le faible contenu d'information qui incite les locuteurs à relâcher leur effort articulatoire ou à accélérer le débit.

14.3. Il existe un certain tabou, en reconstruction linguistique, sur les changements phonétiques irréguliers (dont les réductions dues à la fréquence sont un cas parmi d'autres). Cela se comprend, car sans le garde-fou des lois phonétiques, il est tentant de se laisser aller à n'importe quelles hypothèses irréfléchies, qui se révéleront souvent

194 Malheureusement, Manczak attribue trop souvent à la fréquence des exemples qui s'expliquent mieux autrement. Néanmoins, il reste d'innombrables exemples probants.

195 Dans la version présentée en mai 2015, cette liste était plus longue, mais nous avons abandonné certaines hypothèses.

196 Pour récuser 1'« absence de fonction » (Funktionslosigkeit) en tant que facteur de réductions irrégulières, Manczak, loc. cit., fait valoir que le l de sculpture, par exemple, subsiste bien qu'il ne soit pas nécessaire à la compréhension. Il nous semble que cet argument n'est pas pertinent et que la quasi-absence de fonction (liée du reste à une fréquence élevée, 14.2) peut être un facteur de réduction irrégulière d'une unité morphologique (lexème ou morphème).

fausses. Cependant, les langues réelles montrent bien que des changements irréguliers existent. Quant au problème de la non-réfutabilité, il se pose aussi pour les innovations analogiques et sémantiques, deux domaines qui ne font pourtant l'objet d'aucun tabou mais souvent au contraire d'une indulgence à notre avis excessive. Hors du domaine des lois phonétiques, la réponse consistera à éviter les deux attitudes extrêmes (tabou ou laisser-aller) et à rechercher systématiquement la réfutabilité, par exemple en essayant des explications alternatives ou en travaillant sur la typologie (nature, conditions) des diverses sortes d'innovations.

14.4. On connaît aussi le rôle de la fréquence dans l'analogie ([Manczak 2005: 608], deuxième loi)197 : la forme la plus fréquente est plus présente dans l'esprit des locuteurs, si bien qu'elle est plus stable en diachronie et est plus souvent le modèle que l'objet d'une innovation analogique. Nous avons utilisé cette règle à plusieurs occasions : 2.3, 3.1.2, 4.2.3, 6.4.1, 7.1.1:2, 7.2.1, 11.2.7. 13.2.1.2.

15. Conclusion

15.1. Nous avons dressé en divers endroits des chronologies relatives partielles, pour deux innovations (2.1.2.2, 3.1.1, 3.3.1, 3.3.3, 7.1.4.1, 7.2.1, 13.2.1.1) ou plusieurs (2.3, 3.3.5, 7.1.1, 10.3, 11.2.1 c).

L'idéal serait d'en édifier ici une synthèse, ne serait-ce que pour s'assurer de l'absence de contradictions ; mais cette synthèse comporterait trop d'incertitudes et d'indéterminations ; il faudrait pouvoir la présenter sous forme de graphe sagittal plutôt que de liste. Du moins ces chronologies partielles ne semblent-elles pas présenter de contradictions entre elles ni avec des faits connus.

197 Cf. aussi [Manczak 1958], hypothèses 1 et 3. Manczak parle là de longueur et non de fréquence ; mais les mots ou désinences plus longs sont aussi, statistiquement, moins fréquents, et c'est sans doute la fréquence plutôt que la brièveté qui explique le sens de l'analogie. — Pour Kurylowicz [1945-1949], ce sont d'autres facteurs que la fréquence qui sont déterminants, tels la sphère d'emploi (p. 23). Sur cette controverse, voir la discussion et la bibliographie d'Anttila [1977: 76-80].

15.2. Pour terminer, nous retiendrons deux observations principales198 :

a) La formation des aoristes et imparfaits athématiques semble constituer un faisceau d'isoglosses reliant le slave à l'arménien, deux branches qui ne présentent pourtant pas beaucoup d'autres innovations communes exclusives (9).

b) Les réfections morphologiques, du moins celles que nous avons étudiées ici, servent souvent à éviter des homophonies produites par l'évolution phonétique.

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198 Voir aussi les remarques sur l'étymologie ou la formation de (y)arnem n. 104, -eluzanem 6.2.1, eki 3.2.1, ekesc'e- n. 114, eleamn 9.3.1, eri n. 160, z 7.2.4 et n. 161, zercanem 6.5.1, i-ly-ln- 3.3.2, kolr 9.3.1, heljnum 6.2.1 et n. 100, urju n. 123, c'ogay 6.5.3, jur 9.3.4, snanim 1.2, tasn n. 178, sur le subjonctif en -yc'e- 12.4, le génitif alter 3.3.5, le traitement phonétique arménien de *-om 3.3.1, de *ëe, *ëo, *5o 3.3.3, 3.3.5, sur gr. sxsôç n. 158, l'augment 5.2.3, l'injonctif n. 72, l'imparfait latin en -bam 1.3.2.2, la finale 23 sg. aor. -(s)tb en slave 2.1.4 c etnn. 65, 171, la loi RUKI 11.2.6 et n. 119.

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