Научная статья на тему 'Portee et inspiration de la philosophie morale et sociale de Soloviev'

Portee et inspiration de la philosophie morale et sociale de Soloviev Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

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Текст научной работы на тему «Portee et inspiration de la philosophie morale et sociale de Soloviev»

PATRICK DE LAUBIER

Латранский университет (Рим, Италия)

PORTÉE ET INSPIRATION DE LA PHILOSOPHIE MORALE ET SOCIALE DE SOLOVIEV

Le plus grand philosophe russe, Vladimir Soloviev, est l'auteur d'un ouvrage de philosophie morale, La Justification du bien, qui se recommande par sa puissante originalité et si sa réception en Occident a été si discrète c'est notamment en raison de la difficulté de situer cette étude originale entre la philosophie et la théologie. Le moment est venu, avec la réédition prévue de la traduction française, de mieux faire connaître ce chef-d'oeuvre.

Nous examinerons successivement les circonstances dans lesquelles l'oeuvre a été écrite, puis le genre littéraire de l'ouvrage et enfin sa portée.

1. LES CIRCONSTANCES

En 1897, trois ans avant sa mort, Soloviev faisait paraître cette oeuvre majeure et peut-être même son chef-d'oeuvre (selon Maxime Herman) sous le titre original La Justification du bien ou, pour reprendre la traduction qu'en donne Soloviev, La Vérité du bien ou philosophie morale (lettre à Tavernier, 28 mai 1897),qui lui attira, dans la presse russe, les plus grandes in jures et les plus grands éloges. Une seconde édition revue et corrigée parut l'année suivante.

Les dernières années de la vie de Soloviev sont prodigieusement laborieuses. Il dirige la section philosophique de la grande encyclopédie russe Brockhaus- Ephron (35 volumes) et en rédige nombre de rubriques; par ailleurs il envisage d'écrire deux gros ouvrages sur la métaphysique et l'esthétique. Un premier chapitre parut en janvier 1898 et il pensait achever l'ouvrage en 1899. À cela s'ajoutent la traduction des oeuvres de Platon, un ouvrage sur la poésie russe, presque terminé en 1898, et, en préparation, une histoire de la philosophie russe. Il envisage aussi de se concentrer sur la Bible «qui, dit-il, de la Genèse à Y Apocalypse, est un cadre admirable pour tout ce qui peut dorénavant m'intéresser» (letter à Tav-

ernier, janvier 1898). Il hésite entre une nouvelle traduction avec de longs commentaires et « un système de philosophie historique basée sur les faits et l'esprit de la Bible ».

Philosophe errant à la santé délabrée, Soloviev a connu en 1892 une aventure malheureuse avec Sophia Martynova, à laquelle le recueil d'articles édité sous le titre Le Sens de l'amour (1894) fait echo : « Cet ideal vivant de l'amour divin, précédant notre amour, contient en soi le mystère de son idealisation. Ici, l'idéalisation d'un être inférieur est en même temps le commencement de la réalisation d'un être supérieur, et c'est là que se trouve la vérité du sentiment pathétique en amour. Quant à la réalisation totale, à la transformation d'un féminin individuel en un rayon de l'éternel féminin divin, inséparable de sa source lumineuse, elle sera la réunion réelle, et non uniquement subjective, de l'individu humain avec Dieu, la restauration en lui de l'image divine, vivante et immortelle1.»

Soloviev avait non seulement été affecté par cette passion sans lendemain mais aussi humilié, et on peut penser que le sentiment de honte qui tiendra une si grande place dans sa philisophie morale, à propos de la pudeur, avait fait l'objet d'une expérience vécue particulièrement sensible. En même temps, il avait purifié sa conception de la Sophia, et le mot n'est plus utilisé dans son grand ouvrage sur la philosophie morale, sans être pour autant abandonné puisqu'on le retrouve dans son poème Trois Rencontres, qui date de novembre 1898.

La pitié, proche de la compassion bouddhiste, est centrale dans la philosophie de Schopenhauer, et Soloviev s'en est inspirée en lui donnant un autre sens où se fait sentir l'influence du christianisme. Il faut aussi ajouter une composante proprement russe et on peut penser que la famine de 1891 qui frappa la Russie est pour quelque chose dans cette prise de conscience de la nécessaire solidarité qui s'impose dans la cité humaine.

Soloviev fut bouleversé par ce malheur et déploya une intense activité pour organiser l'aide2. Dénonçant la carence gouvernementale, il envisagea même de former un gouvernement révolutionnaire qui aurait été dirigé par « un general et un évêque3 ».

Sa proverbiale générosité, il est vrai, n'avait pas besoin d'une famine pour s'intéresser aux plus pauvres et elle le conduisait à lit-

téralement se dépouiller pour venir en aide à autrui et singulièrement aux mendiants fort nombreux à Pétersbourg.

Ami plein de délicatesse, il savait aussi faire preuve d'une remarquable compréhension et presque de sympathie vis-à-vis de ses contradicteurs les plus décidés. Cette attitude comportait deux exceptions notables à l'égard de Konstantin Pobiedonotsev, haut procureur laïc du Saint- Synode sous Alexandre III puis sous Nicolas II jusqu'à la révolution 1905, et vis-à-vis de Léon Tolstoï. Ceux-ci représentaient respectivement à ses yeux deux extrêmes de la réaction religieuse et politique, d'une part, et de la dissolution philanthropique du christianisme, d'autre part.

Un troisième principe de sa philosophie morale, la piété, avait été associé dans les années 80 à une attitude très favorable au catholicisme et à la papauté. Sans renier ces sympathies, il adopta dans les années 90 une position plus distante, s'expliquant notamment par les diffcultés rencontrées dans le rapprochement des Églises et peut-être par l'influence des Troubetzkoi. C'est pourtant en pleine rédaction de son grand ouvrage sur la philosophie morale qu'il reçoit la communion d'un prêtre catholique (15 février 1896), mais déjàles vues eschatologiques relatives à l'Antéchrist prennent corps (letter à Tavernier, en mai-juin 1896, sur la fin des temps) et l'on est même surpris de l'optimisme tranquille de La Justification du bien à propos de l'avenir.

Nous venons d'évoquer les trois principes de la philosophie morale de Soloviev : pudeur, pitié et piété, qui structurent son grand ouvrage.

L'originalité de l'entreprise de Soloviev et les questions qu'elle pose sont servies par un style limpide qui caractérise ces 500 pages denses et parfois inattendues.

Outre ces trois principes que l'on vient d'évoquer et qui règlent les rapports des personnes avec ce qui est inférieur (animal), égal (humain) et supérieur (religion), on retrouve le rythme ternaire à différentes reprises : qu'il s'agisse de l'évolution des religions (nihilisme bouddhiste, idéalisme grec, l'absolu dans le christianisme); du mariage (sexualité, état amoureux, procréation); de la vie sociale (religion, famille, propriété); de la vie politique (nation, relations internationals, unité mondiale); des rôles (pontife, prince, prophète)

etc., ce qui rappelle à la fois la logique de Hegel et la loi des trois états d'Auguste Comte.

2. LE GENRE LITTÉRAIRE

Avant de poursuivre l'analyse de cette oeuvre, il convient de se demander à quel genre littéraire elle appartient. S'agit-il de philosophie ou de théologie? Peut-on parler à son propos de philosophie chrétienne et dans quel sens?

En 1933, à Juvisy, un mémorable congrès s'est tenu sur ce thème de la philosophie chrétienne avec des contributions de M.Blondel, J.Maritain, É.Gilson, G.Marcel et bien d'autres célébrités qui se demandèrent s'il existait une philosophie chrétienne dont É.Bréhier dans un article célèbre de la Revue de métaphysique et de morale avait nié l'existence deux ans plus tôt (1931) : «Nous ne l'avons, en définitive, rencontrée, écrivait- il, ni chez saint Augustin, qui sépare avec décision le Verbe fait chair de la raison des philosophes, ni chez saint Thomas, qui ne laisse à la raison qu'une existence précaire, ni chez les rationalists du XVIIe siècle, dont la doctrine, tendant vers la religion naturelle, perd tout contact avec le christianisme, ni chez les philosophes du XIXe siècle, où l'on voit la philosophie chrétienne s'infléchir rapidement en un humanisme4. »

Cette position fut critiquée à Juvisy selon des points de vue sensiblement différents que l'on peut résumer en disant que si tous les participants admettaient qu'il n'ya pas formellement de philosophie chrétienne puisque la raison ne peut atteindre par ses propres forces les données de la révélation qui caractérisent l'oeuvre théologique, on pouvait pourtant parler de philosophie chrétienne comme une situation historique de fait, ou à l'état d'exercice. Les uns, comme Blondel, élaborant une philosophie d'aspiration chrétienne, les autres, comme les thomistes, préférant parler de philosophie d'inspiration chrétienne pour indiquer un rôle plus ou moins direct des idées d'origine révélée dans la démarche philosophique proprement dite, qu'il s'agisse de la notion de création, de déroulement linéaire de l'histoire ou de celle de personne. Gilson, par exemple, parlera de la «métaphysique de l'Exode ».Pour la philosophie morale, Maritain va même plus loin en proposant une «philosophie morale adéquatement prise », qui appelle dans son exercice même les lumières et les forces de la révélation en raison de la con-

dition existentielle de l'humanité blessée par le péché d'origine. Il en va de même pour les questions posées par la «permission du mal » que Soloviev, curieusement, n'aborde qu'à peine dans La Justification du bien avant de les traiter dramatiquement dans ses derniers écrits qui datent des mêmes années.

Dans tous les cas la philosophie est déclarée chrétienne non pas formellement mais dans son exercice même, qui est influencé par les valeurs chrétiennes, tant au plan des savoirs théoriques qu'à celui de la connaissance pratique et singulièrement de la morale.

Soloviev, qui voit dans Kant et non dans Aristote, à peine cité, le fondateur de l'étude scientifique de la morale, ignore le renouveau thomiste qui a suivi l'encyclique Aeterni Patris (1879) et, plus généralement, la scolastique médiévale. Il trouve ses sources dans Platon, les Pères grecs et la philosophie idéaliste allemande, notamment Schelling, en apportant une contribution originale à la philosophie morale qui annonce Max Scheler et rejoint certaines intuitions de Maritain sur «la philosophie morale adéquatement prise ».

Soloviev se propose de montrer «la liaison intime et complète entre la vraie religion et une saine politique » (p.VIII)5, sans qu'on puisse pour autant «se la représenter comme une dépendance unilatérale de la morale à l'égard de la religion positive » (p.5). Il ajoute qu'il a pensé autrefois que la subordination de la moralité à la religion positive s'imposait, mais il ne le croit plus et estime qu'il faut admettre «que, dans un certain sens, la moralité est indépendante de la religion positive, et la philosophie morale du dogme » (p.6). «La philosophie morale a donc son propre sujet indépendant des religions positives, les conditionnant même dans un certains sens » (p.10).

Ce qui commande tout, selon Soloviev, c'est l'expérience religieuse immédiate, qui n'est pas une déduction mais un contenu: «Il y a Dieu en nous - donc il existe » (p.168). Il est vrai que tous n'ont pas cette expérience, que l'athéisme existe comme une sorte de cécité. La philosophie morale est donc indépendante des religions positives, mais non pas du sentiment religieux exprimé en forme «d'impératif catégorique », qui «nous commande non seulement de désirer la perfection, mais d'être parfait » (p. 171).Cette perfection, selon Soloviev, ne consiste pas à faire preuve de bonne

volonté ou même à pratiquer la vertu, mais bien à «être affranchis de la souffrance, de la mort et de la corruption » (p.171).

Nous n'y parviendrons pas en le désirant abstraitement, mais dans une « action historique » don't le but « se trouve justement dans la justification finale du bien donnée dans notre conscience véritable et notre bonne volonté » (p.172 s.).

L'oeuvre morale est donc un perfectionnement de soi-même et des autres «afin que le royaume de Dieu se révèle définitivement dans le monde » (p.178).

Les sentiments de pudeur, de pitié et de piété exigent ainsi ce développment historique qui justifie le bien. Pratiquement on devra «accepter des institutions et des traditions ecclésiastiques, à titre de moyens éducatifs pouvant mener l'humanité vers une perfection supérieure » (p.180).

Enfin, le sens de l'histoire nous conduit à voir que ce royaume de Dieu a été révélé par le Dieu-homme, c'est-à-dire le Christ: «Le vrai fondement de l'ordre moral parfait, conclut Soloviev, c'est l'universalité de l'esprit du Christ, capable de tout embrasser et régénérer. Dès lors, la tâche essentielle de l'humanité est d'accepter le Christ et de considérer toute chose dans l'esprit du Christ, rendant ainsi possible l'incarnation de Son Esprit en toute chose » (p.198). Cette réalisation du royaume de Dieu, de l'incarnation de l'esprit du Christ dans la société concréte demande la collaboration de l'humanité et de chaque home en particulier.

Partis des trois sentiments de pudeur, pitié, piété, nous nous trouvons amenés à une théologie de l'histoire christocentrique passant par une ecclésiologie et aboutissant à la réalisation du royaume de Dieu dans ce monde. Peut-on parler de philosophie, de philosophie chrétienne ?

Soloviev veut se placer sur le plan de la raison et entraîner le lecteur dans une interprétation théologique et même eschatologique de l'histoire, sans exiger une adhésion formellement théologique, mais en présentant une philosophie affectivement chrétienne de la morale.

Disciple de Platon plus que d'Aristote, Soloviev ne distingue pas avec précision les frontières de la raison et de l'intuition religieuse elle-même, usant de la méthode de l'immanence et même de l'immanentisme.

Avec Soloviev, la critique de Bréhier mettant en doute l'existence d'une philosophie chrétienne porte bien davantage qu'avec Blondel ou les thomistes, il n'en reste pas moins que le fruit de cette imposante tentative a donné à la tradition orthodoxe russe les éléments d'une doctrine sociale chrétienne dont elle était dépourvue, et la troisième partie sur «le bien à travers l'histoire de l'humanité », qui constitue les trios cinquièmes de l'ouvrage, développe cette doctrine sociale chrétienne appliquée à l'économie, à la politique et à l'organisation morale de l'humanité dans son ensemble.

3. LA PORTÉE D'UNE OEUVRE ORIGINALE

Dès la première édition, la préface avait évoqué l'objet du livre en disant qu'il avait « développé directement le contenu rationnel du bien univresel en partant des données réelles morales dans lesquelles il réside dès l'origine » (p.XXII).

Soloviev veut montrer que la connaissance du premier principe de la raison pratique, faire le bien et éviter le mal, s'impose à toutes les consciences, mais que sa réalisation pratique est indissociable de la religion et que le christianisme en est l'expression la plus haute sous sa forme ecclésiale, en dépit des erreurs historiques des chrétiens.

Le philosophe se fait théologien au nom même de la raison et bientôt la vérité du bien apparaît comme l'instauration du royaume de Dieu sur terre. Tous les sujets sont traités dans cette perspective: mariage et sexualité, économie, politique, mission des nations, paix et guerre. C'est la République plus que la Politique qui est sous-jacente à l'oeuvre de Soloviev.

Léon XIII qui développe au même moment la doctrine sociale de l'Église catholique en s'inspirant de saint Thomas (Rerum novarum, 1891) reprenait les drand themes de la Politique d'Aristote en traitant de la famille, du communisme, de la révolution et du rôle de l'État.

Soloviev ne cesse, comme Platon, d'évoquer l'unité de la cité, mondiale en l'occurrence, rendue possible par la justice, tandis que Léon XIII voit dans l'Église historique et concrète le mystère du royaume de Dieu. Soloviev affirme que « c'est l'humanité qui est le

sujet collectif complet ou 'récipient' du Bien parfait, l'image complète et la ressemblance de la divinité, l'instrument de l'ordre moral - le royaume de Dieu » (p.428).

Il est vrai qu'un peu plus loin il précise que c'est par l'Église universelle, seule, que l'être humain peut obtenir une liberté positive. Pour lui, l'Église est la divino-humanité «fondée sur une unité interne et une harmonie parfaite de la vie invisible et de la vie visible dans le royaume de Dieu » (p.434).

Renvoyant ensuite à ses ouvrages antérieurs de la période théocratique, Soloviev développe une ecclésiologie proche de celle que devait adopter le IIe concile du Vatican. Platon est ici remplacé par les Pères et le réalisme chrétien reprend le dessus: «La voie légale de l'ordre hiérarchique tout comme la vérité de la foi ont leur accomplissement et leur justification dans la vie de l'Église. La vie de l'homme doit être intérieurement rassemblée, unifiée consacrée par l'action de Dieu et ainsi transformée en une vie divino-humaine. La nature du cas et le principe de piété exigent que cette oeuvre de régénération commence d'en haut, de Dieu, qu'elle soit fondée sur les effets de la grâce et non sur une volonté naturelle humaine prise à part: il est exigé que cette oeuvre soit divino-humaine et non humano-divine. Tel est le sens des sacrements, comme fondements spéciaux de la vie nouvelle » (437).

Soloviev n'attend pas que la philosophie donne la foi, ni qu'elle l'enlève. Il pense que le tragique de la condition humaine, le fait pour l'homme de vouloir vivre et d'être condamné à mort, ne permet pas la liberté que seule l'Église peut assurer en promettant la résurrection finale de la chair.

Encore une fois, c'est le théologien qui parle et on peut se poser la question du genre littéraire de ce traité.

Maurice Blondel, contemporain de Soloviev, avait rédigé sa thèse sur L'Action en 1893, et, par la méthode de l'immanence, il se proposait de montrer que les vérités religieuses, l'incarnation elle-même, étaient comme appelées par l'expérience intérieure la plus rigoureuse. Soloviev va aussi dans ce sens, mais c'est l'attente d'une résurrection qui sera pour lui décisive. On pourrait aussi évoquer Bergson dont Les Deux Sources de la morale et de la religion (1932) donne au prophétisme et à la mystique une place essen-

tielle dans une perspective qui n'est pas sans rappeler celle de So-loviev : cosmique et unitive.

Les comparaisons ne peuvent rendre compte du génie d'une oeuvre et la morale de Soloviev, qui intègre tant d'éléments, offre une surprenante unité d'inspiration, qui lui est donnée par son chris-tocentrisme puisé aux sources de la patristique grecque, et un réalisme, qu'on note notamment lorsqu'il parle du royaume de Dieu, qui n'est pas un vague idéal de piété abstraite mais une incarnation ecclésiale et politique de l'espérance chrétienne.

Soloviev utilise la méthode de l'immanence en privilégiant la vie sociale de l'humanité considérée comme un tout. Il christianise A.Comte en replaçant la personne du Christ au centre de l'histoire et au sommet de la perfection humaine idéale et concrète.

C'est finalement une République chrétienne à l'échelon planétaire que Soloviev, lecteur de Platon, nous propose. Saint Augustin avait opposé les deux cités, Babylone et Jérusalem, Soloviev esquisse les traits du royaume de Dieu qui est une réalité politique intérieure à l'histoire, se réalisant par lalibre coopération humaine avant le jugement dernier et la résurrection de la chair.

L'Antéchrist, dépeint dans sa dernière oeuvre, rappelle la présence du mal et de Babylone, mais dès ici-bas la victoire de l'Église est espérée, attendue. Tandis qu'Augustin renonçait à envisager le déroulement des derniers temps et se montrait assez pessimiste sur les possibilités d'instaurer une cité vitalement chrétienne ici-bas, Soloviev fait preuve d'une espérance messianique concrète et, comme saint Thomas, il distingue une société proprement humaine entre Babylone et Jérusalem et insiste sur l'attente historique et eschatologique qui caractérise la théologie de l'histoire chez Bonaventure, dans la tradition des Pères apostoliques et notamment d'Irénée.

1 Vladimir Soloviev, Le Sens de l'amour, 1892-94, traduit du russe par T.D.M., Paris, Aubier- Montaigne, 1945; traduit à nouveau par F.Rouleau, B.Marchadier, Paris, O.E.I.L., 1985, p.79.

2 Les révolutionnaires se partagèrent entre ceux qui cherchèrent à intervenir

activement dans le mouvement de solidarité et ceux qui, comme le jeune Oulianov, y voyaient un moyen de déconsidérer le régime.

3 Lettre à Gourévitch (26 octobre 1891) citée par M.Herman dans l'Introduction à V.Soloviev, Crise de la philosophie occidentale, Introduction et traduction par Maxime Herman, Paris, Aubier, 1947, n. 115, p.101 s.

4Émile Bréhier, «Y a-t-il une philosophie chrétienne ? », Revue de

métaphysique et de morale 38 (1931), p.161. 5Les références dans le texte renvoient aux pages de la traduction française: V.Soloviev, La Justification du bien, Essai de philosophie morale, traduit du russe, Paris, Aubier, 1939, XXII-512p.

Б.В.МЕЖУЕВ

Московский государственный университет им.

M. В. Ломоносова

ВЛАДИМИР СОЛОВЬЕВ И БРИТАНСКАЯ ИМПЕРИЯ

«Мудрец отличен от глупца тем, что он мыслит до конца», — говорил поэт Аполлон Майков. Великий философ отличается тем, что дает собственный ответ на важнейшие вопросы современного мира, не отступая перед их жесткостью. Мы не всегда сможем принять ответ философа, но его решимость обнаружить смысл в том, в чем, может быть, и нет никого смысла, должна вызывать уважение.

Владимир Соловьев заслуживает признания и высокой оценки за то, что не побоялся высказать свое отношение к феномену европейской и мировой истории, который до настоящего времени не получил должного осмысления ни в европейской, ни тем более в отечественной философской мысли. Речь идет о европейском колониализме. Именно империалистическая активность европейских держав сделала мир «единым», именно она заложила основы того, что можно было бы назвать глобальным правовым порядком. Но, с другой стороны, колониальное завоевание и господство стоили жизни миллионам людей. Европейское человечество навсегда оказалось запятнанным грехом рабовладения — языческого пережитка, неожиданно воскресшего в христианском мире. В сознании многих народов Евангелие стало ассоциироваться почти исключи-

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