ФИЛОСОФИЯ, РЕЛИГИЯ, ЦЕРКОВЬ
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L'IDEE DE DÉ VELOPPEMENT DOGMATIQUE DE L'EGLISE CHEZ JOHN HENRY NEWMAN ET VLADIMIR SOLOVIEV (ИДЕЯ ДОГМАТИЧЕСКОГО РАЗВИТИЯ ЦЕРКВИ У ДЖОНА ГЕНРИ НЬЮМАНА И ВЛАДИМИРА СОЛОВЬЕВА)
B. MARCHADIER Institut d'études slaves, Paris, France E-mail: [email protected]
Анализируются взгляды на проблему догматического развития Церкви католического священника Дж.Г. Ньюмана и русского философа В.С. Соловьёва. Отмечается, что в своём сочинении, ставшем вехой в истории католического богословия, Ньюман рассматривает «догматическое развитие» как необходимое условие жизни Церкви. Выявляются специфика подхода мыслителей к обоснованию идеи догматического развития Церкви и способы обоснования предлагаемых концепций. Исследуется вопрос об идейных источниках взглядов мыслителей на исследуемую проблему. Обосновывается вывод об отсутствии общих для Ньюмана и Соловьёва литературных источников. Указывается, что главным источником для Ньюмана были труды английского епископа Джона Батлера, а для Соловьёва - сочинения славянофила Юрия Самарина. Отмечается, что общим, объединяющим началом для Ньюмана и Соловьёва являются Священное Писание и труды Отцов Церкви. Утверждается, что присоединение Ньюмана и Соловьёва к католической церкви было сопряжено с различными обстоятельствами: для Соловьёва признание верховенства папы римского не требовало ухода из церкви, где он крестился, в то время как Ньюман, приняв католичество, уходит из англиканской церкви. Особое внимание уделяется литературному мастерству мыслителей: великолепная проза Ньюмана выражает его дух высокого спорщика, могучая ирония Соловьёва - страсть пылкого защитника Правды-Софии.
Ключевые слова: Дж.Г. Ньюман и В.С. Соловьёв, Оксфордское движение, Соловьев и славянофилы, догматическое развитие церкви, Первый Ватиканский собор, проблема Фи-лиокве, учение о непогрешимости.
Mots clefs: Newman, Soloviev, Mouvement d'Oxford, slavophiles, développement, dogme, Eglise, Pères, Vatican I, catholique, orthodoxe, anglican, Filioque, Vincent de Lérins, infaillibilité
IDEA OF THE DOGMATIC DEVELOPMENT OF CHURCH IN JOHN HENRY NEWMAN AND VLADIMIR SOLOVIEV'S THEORIES
B. MARShAD''E Institute of Slavic Studies, Paris, France E-mail: [email protected]
The article analyses the views of the Roman Catholic priest J.H. Newman and Russian philosopher V. Solovyev on the issue of the Church development of Christian. The author emphasizes that in the
work, which has become a landmark in the history of the Catolic theology, Newman considers the "dogmatic development" as an absolutely indispensable dimension in the Church life. In the present paper, the author describes the approaches chosen by Soloviev and Newman to argue in favour of the concept of dogmatic development, and the ways to give proof of the offered concepts. The author researches the issue of ideological sources of thinkers' views on this problem. The conclusion about the absence of the common literary sources for Solovyev and Newman is made. One of Newman's main sources of inspiration for that matter was the Anglican bishop Joseph Butler; for Soloviev it was the slavophile Yuri Samarin. As it is well known, Soloviev and Newman eventually embraced Roman Catholicism. Newman became a priest (and, late in life, a cardinal), and Soloviev solemnly proclaimed his adherence to the See of Peter. But, for Soloviev, recognizing the pope's primacy did not imply leaving the Church of his baptism (as it did for Newman, who concluded that the Anglican Church was erring). It is also important to note how both authors differ in their tone, Newman's magnificent prose being that of a controversialist, Soloviev's pungent irony being that of a chivalrous defender of Sophia-Truth.
Key words: Newman and Soloviev, Oxford Movement, Solovyev and slavophiles, dogmatic development of the Church, the First Vatican Council, the Issue of Filioque, the theory about infallibility.
Truth is the Daughter of Time George Crabbe
La constatation que, sans s'être lus, deux auteurs ont, chacun en son lieu et selon ses desseins, abordé les mêmes problèmes en tirant de leur étude, menée par des voies qui leur sont propres, des conclusions semblables suscite des interrogations chez l'historien des idées en même temps qu'elle ne manque pas de frapper le lecteur attentif: si en effet des esprits concourent dans une même direction sans s'être concertés, la force persuasive de leurs inférences ne peut que s'en trouver accrue. C'est ce qui apparaît si l'on compare l'Essay on the Development of Christian Doctrine1 de l'Ànglais John Henry Newman et le Développement dogmatique de l'Eglise du Russe Vladimir Soloviev2. Certes, ce type de convergence peut comporter des éléments fortuits ou masquer des divergences de fond qui doivent être mises au jour. Il ne faut pas oublier non plus que Newman allègue le concept de développement du dogme contre l'adogmatisme de l'Eglise protestante, et Soloviev contre le conservatisme dogmatique de l'Eglise gréco-russe. Les visées ne sont pas les mêmes. Il convient enfin de se méfier des anachronismes, et de tenir compte du fait que l'ouvrage de Soloviev (1886) est bien postérieur à celui de Newman (1845), et que les deux hommes n'appartiennent pas à la même génération (Newman naît à Londres en 1801 et meurt en 1890, il a donc 52 ans de plus que Vladimir Soloviev, qui, lui, meurt jeune en 1900).
Au moment où Soloviev compose son ouvrage, Newman est depuis longtemps une des grandes figures de la théologie catholique et une des gloires de l'Angleterre victorienne. Une chose est néanmoins certaine: si le philosophe russe a peut-être entendu le nom du cardinal anglais, tout indique qu'il il ne l'a à coup sûr pas lu ni ne connaît ses arguments. Toute influence de Newman sur Soloviev est donc à exclure.
Pour expliquer la rencontre de ces deux pensées, on pourra certes invoquer l'esprit du temps, et rappeler que les problématiques liées à l'évolution et à l'histoire (et donc au «développement») furent la marque de la pensée au XIXe siècle, que ce
soit en philosophie (Hegel, Spencer), en sciences sociales (Comte, Marx), en sciences de la nature (Darwin), que c'est au XlXe siècle que les méthodes de la critique historique furent appliquées à l'étude de l'Histoire Sainte, et que la vie politique fut au cours de ce siècle marquée par le souci de concourir au «Progrès». Au XlXe siècle, la vision du monde qui s'impose graduellement à tous est celle d'un devenir. L'idée de développement est aussi au cœur même de la pensée de Vladimir Soloviev, qui fit de la dynamique dialectique, des aspirations prophétiques (voire de l'angoisse apocalyptique) le moteur de bien des systèmes que ce grand spéculatif n'eut de cesse de concevoir. A ce titre, Soloviev est bien un enfant de son siècle. Mais cet «esprit du XlXe siècle» est bien sûr trop général pour expliquer de manière pertinente ce qu'ont de spécifique les convergences entre nos deux auteurs.
Sans doute pourrait-on leur trouver un inspirateur commun en la personne de Johann Adam Moehler (1796-1738), ce théologien catholique de Tübingen qui, dans deux de ses ouvrages, L'Unité dans l'Eglise ou le principe du catholicisme d'après l'esprit des Pères des trois premiers siècles de l'Eglise (1825) et La Symbolique de l'Eglise chrétienne (1832), avait insisté sur le fait que l'Eglise, parce qu'elle est vivante et une, croît et se développe:
«Le christianisme étant considéré comme une vie divine nouvelle donnée aux hommes, et non pas comme un simple concept abstrait, inanimé, il s'ensuit qu'il est, comme toute vie, capable de développement et de croissance (...) Le principe de l'identité essentielle de la conscience chrétienne de l'Eglise aux différentes époques de son histoire n'exige nullement un état statique. L'unité intérieure vitale doit être sauvegardée, autrement ce ne serait point toujours la même Eglise chrétienne; mais la conscience de l'Eglise peut croître, et sa vie se développe toujours davantage, en se précisant, elle s'épanouit en devenant de plus en plus présente à elle-même. C'est ainsi que l'Eglise parvient à l'âge adulte; elle devient le Christ adulte. Ces formes diverses de croissance sont réellement les divers états du développement de la vie de l'Eglise. La Tradition elle-même contient ces différents germes qu'elle développe tout en sauvegardant l'essence et l'unité de la vie de l'Eglise» 3.
Dans La Russie et l'Eglise universelle4, Soloviev salue «l'illustre Moehler» et «son admirable ouvrage Die Symbolik des Christlichen Kirche», mais il précise en note que, s'il loue cet ouvrage, c'est parce qu'il est souvent cité dans les Praelectiones theologicae du jésuite romain Perrone, théologien officiel de l'Eglise latine. C'est donc dire qu'il n'a pas lu Moehler, même s'il en connaît indirectement les thèses. Moehler était sans doute aussi connu de Soloviev par l'intermédiaire d'un slavophile tel qu'Alexeï Khomiakov, qui conçoit l'Eglise de façon moehlérienne comme « organisme vivant de la vérité et de l'amour», qui s'inspire lui aussi de la tradition des Pères des premiers siècles et qui donnera à son principal ouvrage, Ôâô-êîâû îâià («L'Eglise est une»), un titre proche de celui du premier grand livre de Moehler. C'est aussi à partir de considérations qu'il tirera de travaux du théologien de Tübingen que Khomiakov élaborera la notion de sobornost' qui, comme on le sait,
est au cœur de sa pensée, et de tout un courant ultérieur de la pensée orthodoxe russe. Tout cela était très familier à Soloviev, qui d'ailleurs fit souvent des conceptions ecclésiales de Khomiakov la cible de son ironie5. Newman, pour sa part, avait entendu parler des travaux de Moehler, mais il ne les avait pas étudiés6.
Il n'avait pas non plus étudié Joseph de Maistre, dont Soloviev avait, lui, une connaissance approfondie7. On trouve déjà chez le célèbre ultramontain des lignes explicites sur le développement de l'Eglise, que Soloviev ne pouvait pas ignorer:
«La suprématie monarchique du Souverain Pontife n'a point été sans doute, dans son origine, ce qu'elle fut quelques siècles après: mais c'est en cela précisément qu'elle se montre divine: car tout ce qui existe légitimement et pour les siècles, existe d'abord en germe et se développe successivement»8. «Si l'Eglise romaine a changé certaines choses dans les formes extérieures c'est une preuve qu'elle vit; car tout ce qui vit dans l'univers change selon les circonstances en tout ce qui ne tient pas aux essences. Dieu, qui se les est réservées, a livré les formes au temps pour en disposer suivant de certaines règles. Cette variation dont je parle est même le signe indispensable de la vie, l'immobilité absolue n'appartenant qu'à la mort»9.
S'il y a sources communes à Soloviev et Newman sur le point du développement dogmatique de l'Eglise, ce n'est donc pas chez Moehler ou Maistre mais seulement dans la Bible, les Actes des conciles, chez les Pères et les historiens de l'Eglise qu'il faudra semble-t-il les chercher. En fait, comparé à Soloviev - esprit encyclopédique, qui avait «tout lu» dans les grandes langues de l'Europe, et bien que ses talents eussent été variés (on lui doit aussi des sermons, une très abondante correspondance, des recueils de poésies10 et deux romans), Newman avait peu lu en ce sens qu'il ne suivait pas de près la vie intellectuelle de son temps. Britannique, c'était un insulaire. Si sa culture était ample et raffinée, il n'avait pas reçu de formation philosophique particulière et ne connaissait ni Hegel ni Kant. Il appartient en outre à cette race remarquable d'esprits tendus et acérés qui, ascétiquement, ne se nourrissent que de ce qui sert leur propos et qui n'atteignent et ne convainquent si profondément leur lecteur que parce qu'ils n'ont jamais rien écrit qui ne soit authentiquement personnel (sa devise cardinalice ne sera-t-elle pas Cor a cor loquitur11?), et dont toute la pensée est poursuite tenace et exacte - et chez Newman, d'une éloquence saisissante qui fit de lui un des grands prosateurs victoriens - d'un réel issu des intuitions les plus secrètes de l'être et de la jeunesse. Celà, tout lecteur des Sermons universitaires, de l' Apologia pro vita sua ou de l' Essai sur le développement ne peut qu'en être frappé. Newman avait bien sûr lu: ce fellow d'Oxford connaissait bien L'Histoire de la Civilisation en Europe de François Guizot (1828), il était nourri d'antiquités classiques, des historiens de l'Eglise (y compris de «l'incroyant Gibbon»12) et des Pères (notamment d'Athanase, de Chrysostome et des Cappadociens) mais, en ce qui concerne le développement dogmatique (concept théologique dont il allait définitivement asseoir les bases dans la théologie), sa pensée ne fit pas autre chose que s'attacher à épouser au plus près ses aspirations spirituelles, ses exigences de
rigueur intellectuelle et ses interrogations quant à sa vocation, suivant un mode d'argumentation qui, pour être strictement logique, n'est cependant ni déductif ni dialectique mais suit plutôt un modèle pour ainsi dire «en spirale»13.
Né dans un protestantisme strict à coloration puritaine et antipapiste14, Newman en arriva, en étudiant les premiers siècles du christianisme, à la conviction qu'il y avait bel et bien eu dès les débuts de l'Eglise un épiscopat au sens où l'entendent les temps modernes et que les dogmes avaient eu dès le premier temps une importance centrale. Petit à petit se dégagea alors l'idée, qu'il devait longtemps défendre, que l'Eglise anglicane à laquelle il appartenait et où il avait reçu les ordres (en 1824) représentait une via media, un chemin de crête entre les deux erreurs qu'étaient le protestantisme et le catholicisme, ou «romanisme». Or avec le temps il lui apparut que non seulement le protestantisme n'avait rien à voir avec le christianisme de l'histoire, mais que l'Eglise d'Angleterre était au XlXe siècle ce que les semi-ariens étaient au iVe siècle. Elle était donc dans l'erreur. Seule, sur ce plan, l'Eglise romaine avait toujours conservé les marques de l'orthodoxie. Mais en quoi pouvait-on dire qu'elle était la même au XiXe siècle qu'au iVe? Pour résoudre ce problème, Newman s'appuya en particulier sur l'ouvrage de l'évêque anglican Joseph Butler intitulé Analogie de la religion naturelle et révélée avec la constitution et le cours de la nature (1736), où est exposée l'idée d'une analogie entre le monde des idées et le monde des vivants, avec les logiques de corruption et de développement qu'elle suppose. Ce sera la principale «source» méthodologique d'inspiration pour Newman - source bien anglaise, on le voit, et où Soloviev ne puisa pas.
C'est surtout le slavophile Iouri Samarine (1819-1876) qui avait mis Soloviev sur la voie du concept de développement dogmatique. Samarine, comme Khomiakov, avait lu Moehler et soutenait (dans deux lettres de jeunesse écrites en 1841 et 1842 et jointes ensuite à ses Œuvres complètes) que, si le développement ne touchait pas à ce qui est divin dans l'Eglise, il touchait en revanche à ce qui y est humain, la Tradition n'étant pas autre chose que l'aboutissement du développement de la compréhension que l'homme a de la vérité révélée. C'est dans les Fondements spirituels de la vie (1884) 15 que Soloviev aborde pour la première fois de façon explicite la question du développement dogmatique:
«L'Eglise entière reposait donc dès les débuts sur un fondement suffisant; mais il serait étrange d'exiger que rien ne fût construit sur ce fondement. De même que la structure hiérarchique d'une petite communauté formée de quelques centaines ou milliers d'hommes habitant une même ville ne put rester inchangée quand l'Eglise eut rassemblé des millions d'hommes et se fut répandue dans tout l'univers 16, de même que cette structure dut tout naturellement, à partir d'un même principe, être développée et prendre des formes plus complexes, de même la conscience chrétienne et la confession de la vraie foi ne pouvait, tout solide et stricte qu'elle fût dans la communauté primitive, avoir une expression parfaite dans cette communauté uniquement formée de juifs et, pour l'essentiel, de juifs sans instruction. Elle ne
pouvait et ne devait conserver ces mêmes expressions ou formules primitives quand furent ensuite entrés dans l'Eglise des gens qui disposaient du savoir gréco-romain dans toute sa richesse. La vérité chrétienne, tout en conservant inchangés son fond et son essence, dut se développer en un système plus complexe de concepts et s'exprimer par des définitions plus exactes et précises»17.
Soloviev reprendra ces considérations de façon plus approfondie l'année suivante dans un article de la Revue orthodoxe18, qui obtiendra un tel succès (en partie, de scandale) que l'étude sera publiée de nouveau, cette fois sous la forme d'une brochure de 85 pages19. C'est peu par rapport aux 530 pages de l' Essay de Newman qui, n'étant pas de nature polémique, peut se permettre d'être plus complexe et d'embrasser un champ plus vaste. Ainsi, Newman étend son enquête au-delà de l'époque des premiers conciles et s'appuie sur des théologiens post-tridentins comme Suarez ou Bellarmin, ou encore sur saint Ignace de Loyola. Il étudie aussi sous l'angle du «développement» des points que Soloviev n'aborde pas: purgatoire, présence réelle, baptême des enfants, culte des anges et des saints, péché originel, etc. Ajoutons cependant que Soloviev, comme on le verra, traite également de la question du développement dogmatique dans d'autres de ses ouvrages. Il est certain, enfin, que ce thème est plus central dans la pensée de Newman que dans celle de Soloviev, où il apparaît surtout comme un des arguments du propos général de son œuvre philosophique, historique et théologique et de son projet de «théocratie».
On a souvent remarqué qu'il y avait, entre l'école slavophile de Moscou et le «Mouvement d'Oxford» (ce vaste mouvement lancé par des clergymen d'Oxford dans les années 1830 pour revivifier l'Eglise anglicane en la déprotestantisant et en prônant un retour au Prayer Book du XVlle siècle, et dont Newman fut un des principaux inspirateurs et chefs de file), de nombreux points communs, et qu'on pouvait y voir de part et d'autre l'effort de penseurs appartenant à des Eglises nationales pour reconsidérer les fondements de celles-ci à partir de la tradition patristique et pour les dégager de la tutelle de l'Etat ( érastianisme ). Le père jésuite Ivan Gagarine qualifiera même le slavophilisme de «puseyisme moscovite»20. Avec Soloviev, c'est cependant contre le slavophilisme (en tout cas, le slavophilisme dit «de deuxième génération» qui, sous l'empereur Alexandre III était devenue doctrine d'Etat) qu'est mis en avant le concept de développement dogmatique découvert chez le slavophile Samarine. Face à une Eglise russe qui lui paraît, dans son immobilisme, menacée de pétrification, Soloviev dresse la réalité d'une vie organique qui, dès le départ, a marqué l'Eglise et qu'elle doit conserver pour rester ce qu'elle est par essence et devenir ce qu'elle est appelée à être par vocation.
Soloviev envisageait de faire de son essai sur le développement la première partie du grand ouvrage qu'il projetait sur le thème «Histoire et avenir de la théocratie». Le livre publié à Zagreb en 1887 sous ce titre n'en représente que la deuxième partie21. Devaient ensuite venir trois parties, qui finalement seront publiées séparément à Paris en 1889, et en français, sous le titre La Russie et
l'Eglise universelle22. Même si l'étude de Soloviev sur le développement dogmatique peut parfaitement être lue isolément de l'ensemble où elle devait s'insérer (et où, nous l'avons vu, elle portait un autre titre: Examen des principaux préjugés qui s'opposent à la cause théocratique en Russie, avec un premier chapitre à tonalité fortement polémique), il est bon de conserver à l'esprit le vaste édifice
- aux visées à la fois apologétiques et prophétiques - où elle se situait initialement.
C'est en réponse à un article d'un certain T. Stoïanov - qui, dans la revue Foi et raison («Ââôà è ôàçôï» ), avait soutenu que la réconciliation avec le catholicisme était impossible du fait que les Latins acceptaient la théorie du développement dogmatique
- que Soloviev aborde spécifiquement ce point, et sa réfutation des vues de Stoïanov constituera l'essentiel de son Développement dogmatique de l'Eglise. Soloviev relève d'abord qu'il est sot d'opposer absolument développement et conservation:
«C'est une chose de conserver un coffre, c'est autre chose de conserver son âme de l'emprise des tentations, autre chose encore de conserver la vérité dans le combat contre les erreurs. En conservant notre âme de l'emprise du mal, nous développons nos forces morales; pour conserver la vérité contre une fausse façon de la comprendre, nous devons développer son sens authentique»23. il note ensuite:
«S'il n'y avait pas eu de progrès dogmatique, dit-il, si par exemple la vérité de la consubstantialité du Fils et du Père avait été exactement et définitivement exprimée dans la claire conscience et la doctrine de toute l'Eglise comme l'affirme M. Stoïanov, alors quelle aurait été la nécessité d'une définition nicéenne? Si la vérité de la consubstantialité avait été dès le début indiscutée et tenue communément comme obligatoire, comment-se fait-il qu'un si grand nombre d'évêques ont pu se montrer semi-ariens?»24
A suivre ce raisonnement, on en arrive à des absurdités: On ne saurait «... affirmer que toutes les positions dogmatiques sans exception, qu'elles aient été prises à un moment ou à un autre par l'Eglise orthodoxe, étaient renfermées de façon claire et définitive dans l'immuable et intangible 'catalogue de dogmes' remontant aux Apôtres. Comment expliquer alors cette bizarrerie que ce catalogue dogmatique soit mieux connu à Kharkov25 aujourd'hui qu'à Antioche ou Alexandrie au Ve siècle, et que M. Stoïanov et les autres auteurs cités par lui de la revue chrétienne Union chrétienne26 sachent plus fermement le nombre et la signification des dogmes apostoliques que le bienheureux Théodoret, saint Cyrille d'Alexandrie, saint Grégoire le Grand, sans même parler de Justin le Philosophe ou de saint Denis l'Aréopagite?»27.
Qu'on l'appelle par ce nom ou par un autre, il faut par conséquent accepter le concept de développement dogmatique:
«Si donc quelqu'un n'aime pas la doctrine du développement dogmatique, qu'il parle d'une découverte sous divers angles des vérités chrétiennes dans les définitions dogmatiques de l'Eglise universelle; si l'on n'aime pas les termes
étrangers de «dogma explicitum» et «dogma implicitum», laissons-les aux théologiens latins, mais n'allons pas rejeter pour autant une différence historique incontestable entre des dogmes qui ont été explicités et définis par toute l'Eglise et des dogmes qui n'ont pas reçu de l'Eglise l'explicitation d'une définition»28.
Suivent alors des illustrations historiques du concept de développement dogmatique. Soloviev rappelle que le seul dogme que l'Eglise à ses débuts ait imposé à ses fidèles est celui de l'Incarnation: «Dans cet unique dogme sont déjà incluses toutes les vérités et les définitions dogmatiques qui, par la suite, se sont peu à peu éclairées dans la conscience de l'Eglise, pour devenir partie indiscutable de son enseignement dogmatique»29. Newman verra lui aussi dans le dogme de l'Incarnation l'origine de tout le développement ultérieur30. Ce «premier dogme de la divino-humanité», dit Soloviev, marquait l'union de Dieu avec Sa créature, qui avait été attendue par les païens, promise au peuple de Dieu et qui désormais était un événement31. L'Incarnation - ou divino-humanité réalisée - est bien au centre de toute l'histoire humaine32 .
En ce qui concerne la doctrine de la résurrection générale des morts (c'est-à-dire de tous les défunts, pas seulement des saints), Soloviev signale que Saint Paul admettait qu'elle pût être l'objet de discussions à Corinthe. Ce qui est un article de foi pour tout chrétien était donc, au 1er siècle, un point discuté parmi les fidèles. A la fin de ce même siècle, la Didachè, «ce vénérable monument de la doctrine de foi de l'Eglise» affirme encore que tous ne sont pas appelés à ressusciter33. C'est ensuite seulement que le dogme de la résurrection générale se dégagera et que la formule «expecto resurrectionem mortuorum» sera ajoutée au Credo. Autre exemple de «flou» doctrinal invoqué par Soloviev: tout zélé qu'il fût à défendre la dignité de l'Esprit Saint, Grégoire de Nazianze, au IVe siècle, admettait encore dans la communion de l'Eglise des gens qui étaient dans l'erreur concernant la Troisième personne de la Trinité «dés lors qu'ils pensaient de façon correcte au sujet de la Deuxième personne»34. Ce qui est intéressant pour le propos de Soloviev, c'est que saint Grégoire justifiait cette indulgence en termes qui annoncent déjà (pour des motifs de charité) la thèse du dévoilement progressif de l'implicite en explicite. Saint Grégoire s'exprime ainsi:
«Il n'était pas sans danger, lorsque l'on ne confessait pas encore la divinité du Père, de proclamer clairement le Fils, et lorsqu'on ne reconnaissait pas le Fils (je vais m'exprimer un peu hardiment) de nous surcharger par la proclamation de l'Esprit-Saint et de nous exposer au danger de perdre nos dernière forces, comme il arrive aux gens qui sont surchargés par une nourriture prise sans mesure ou à ceux qui contemplent le soleil avec une vue encore trop faible. Il convenait donc que la lumière de la Trinité brille aux yeux de ceux qui sont éclairés par des additions progressives, par des ascensions, comme le dit David (Ps. 83, 6), par des avancées et des progrès 'de gloire en gloire'»35.
Pendant la période anté-nicéenne, rappelle en outre Soloviev, Justin le Philosophe n'avait qu'une conception incomplète et imprécise de la Trinité. Or c'était un théologien (puisque c'est le sens que le mot «philosophe» avait dans ce contexte) et il fut, malgré
ses erreurs, porté sur les autels. Soloviev expose ensuite les controverses autour des crises monophysite, nestorienne, monothélite et iconoclaste, ainsi que les difficultés liées dans chaque cas à la définition du dogme, montrant que la formulation orthodoxe qui finit par prévaloir ne fut pas d'emblée évidente pour tous, ni même pour de saints docteurs. C'est ainsi que les dogmes de l'unité hypostatique (contre l'hérésie nestorienne) et des deux natures du Christ (contre l'hérésie monophysite) n'acquirent leur fermeté et leur netteté qu'une fois définis par des conciles œcuméniques, c'est-à-dire, respectivement, à Ephèse (431) et à Chalcédoine (451). Si ces dogmes avaient été dès les premiers temps clairs et incontestables pour tous les orthodoxes, le bienheureux Théodoret de Cyr n'aurait pu défendre Nestorius ni saint Cyrille d'Alexandrie utiliser l'expression unique nature dans les cas où l'orthodoxie exige que l'on parle de deux natures36.
Newman allègue lui aussi des exemples «d'erreurs» et de discordes des Pères, et pas des moindres:
«Les six grands évêques et saints de l'Eglise anté-nicéenne sont saint Irénée, saint Hippolyte, saint Cyprien, saint Grégoire le Thaumaturge, saint Denys d'Alexandrie et saint Méthode. Parmi eux, saint Denys est accusé par saint Basile d'avoir semé les premiers germes de l'arianisme, et ce même savant Père reconnaît que saint Grégoire a utilisé concernant notre Seigneur un langage qui ne peut se défendre que si l'on admet chez l'auteur l'intention de se mettre à la portée de ses lecteurs. Saint Hippolyte s'exprime comme s'il ne savait rien de la génération éternelle de notre Seigneur ; saint Méthode parle improprement, c'est le moins que l'on puisse dire, de l'Incarnation. Quant à saint Cyprien, il ne traite pas du tout de théologie. Telles sont les lacunes de la doctrine de ces véritables saints qui, en leur temps, furent les témoins fidèles du Fils éternel»37.
En fait, pour Newman, à aucun moment la doctrine n'a cessé de croître:
«Si nous tournons notre attention vers les débuts de l'enseignement apostolique après l'Ascension, nous nous trouvons dans l'impossibilité de déterminer un point historique où la doctrine cessa de croître et où la règle de la foi fut établie une fois pour toutes. Ce ne fut pas le jour de la Pentecôte, car saint Pierre avait encore à apprendre, à Joppé, qu'il devait baptiser Corneille, ni à Joppé et Césarée car saint Paul avait encore à écrire ses épîtres, ni à la mort du dernier apôtre, car saint Ignace avait encore à définir la doctrine de l'épiscopat, ni pour de nombreuses années encore car le canon du Nouveau Testament restait à déterminer. Pas dans le Credo, qui n'est pas une collection de définitions mais le résumé de certains credenda, résumé du reste incomplet et, comme le Pater ou le Décalogue, simple échantillon de vérités divines, en particulier des plus élémentaires»38.
Il n'est donc pas question, pour Newman, de revenir à une Eglise qui serait plus «pure» au motif qu'elle serait plus ancienne:
On dit quelquefois, il est vrai, que le fleuve est plus limpide près de sa source. L'image est belle, mais elle ne s'applique pas à l'histoire d'une philosophie ou d'une croyance; celle-ci devient au contraire plus égale, plus pure, plus forte, quand elle
s'est creusé un lit profond, large et plein. Elle jaillit nécessairement au sein d'un certain état de choses, et pour un temps elle garde un goût de terroir. Son élément vital a besoin de se dégager de ce qui est étranger et temporaire et elle lutte pour s'en délivrer avec des ef forts de plus en plus vigoureux et plus gonflés d'espoir à mesure que s'écoulent les années. Ses commencements ne permettent pas de mesurer ce dont elle est capable, ni de prévoir son but. Au début, personne ne sait ce qu'elle est, ni ce qu'elle vaut. Elle reste peut-être pour un temps au repos; elle étire, pour ainsi dire, ses membres, elle sonde le terrain sous ses pas, elle tâte son chemin. De temps à autre, elle fait des essais qui tournent court, et qu'elle abandonne en conséquence. Elle semble se demander quel chemin prendre, elle hésite, et à la longue s'engage dans une direction définie. Tôt ou tard elle entre en territoire étranger; les points de controverse se posent autrement; des partis se forment et meurent autour d'elle; de nouvelles relations font naître des espoirs et des dangers, et les anciens principes se représentent sous de nouvelles formes. Elle change avec eux afin de rester fidèle à elle-même. Dans le monde d'en haut il en va autrement, mais ici-bas, vivre c'est changer; être parfait, c'est avoir changé souvent»39.
Contrairement à ce qu'affirment les protestants, l'Eglise ne peut s'appuyer sur la seule autorité de l'Ecriture car celle-ci est, par sa structure, «non systématique et variée, avec un style si figuratif et indirect que nul ne saurait présumer à première vue de ce qui s'y trouve et ne s'y trouve pas»40.Ce développement probable et cette incertitude d'interprétation sont, selon Newman, des arguments en faveur de la nécessité d'un autorité infaillible - apôtre, pape, Eglise ou évêque - habilitée à «décider de ce qui est vague et à assurer de ce qui est empirique, à ratifier les étapes successives d'un processus si complexe et à garantir la validité des inférences qui doivent être tirées des prémisses de recherches plus éloignées». 41 Cette autorité, ce magistère, la Tradition montre que c'est Rome - et Rome seule - qui est appelée à l'exercer:
«Si l'ensemble de la chrétienté ne doit former qu'un seul royaume, il lui faut une seule tête; telle est au moins l'expérience de dix-huit siècles. A mesure que l'Eglise prenait forme, le pouvoir du pape s'est développé; et partout où le pape a été rejeté, la conséquence en a été la décadence et la division. On ne connaît pas d'autre moyen de préserver le Sacramentum Unitatis qu'un centre d'unité»42.
C'est Rome par exemple qui, au Concile de Chalcédoine, imposera des vérités de foi «nouvelles», contre le monophysisme en dépit de l'avis de nombreux évêques:
«Quelle est donc, pour l'histoire, la signification du concile de Chalcédoine? La voici: il s'agissait d'une formule que le symbole de foi ne contenait pas; les Pères ne portaient pas sur elle un témoignage unanime; quelques saints éminents paraissaient l'avoir rejetée en termes formels; l'Orient tout entier avait refusé d'en faire un article de foi, non pas une fois, mais deux, patriarche après patriarche, métropolite après métropolite; la première fois par la bouche de cent, la seconde par celle de plus de six cents de ses évêques; et il l'avait repoussée pour la raison expresse qu'elle était une addition au Credo. Or cette doctrine fut imposée au concile; on ne la présentait pas
sans doute comme une addition, mais d'autre part on ne demandait pas non plus une simple adhésion; on demandait qu'elle fût acceptée comme définition de foi sous la sanction de l'anathème. Et elle fut imposée par la fermeté du pape d'alors, agissant par le truchement de ses légats et avec l'appui du pouvoir civil»43 .
Soloviev adhère évidemment lui aussi à ce principe d'autorité: «Nous affirmons (sur la base de l'histoire et de la raison) que la question de l'hérésie surgie dans le champ de l'Eglise ne peut être résolue d'une manière obligatoire pour tous les croyants que par un jugement et verdict spécial et authentique de l'Eglise universelle elle-même, et nullement d'après les opinions et impressions de ses membres, si nombreux qu'ils puissent être»44. Et, dans La Russie et l'Eglise universelle:
«Partout et toujours quand Pierre ne parle pas ce ne sont que les opinions humaines qui élèvent la voix, - et les apôtres se taisent. Mais Jésus-Christ n'a approuvé ni les sentiments vagues et discordants de la foule ni le silence de ses élus : c'est la parole ferme, décisive et autoritaire de Simon bar Jonâ qu'il a ratifiée. N'est-il pas évident que cette parole qui a satisfait le Seigneur n'avait besoin d' aucune confirmation humaine. Qu'elle retenait toute sa valeur? Etiam sine consensu Ecclesiae45. Ce n'est pas au moyen d'une délibération collective, c'est avec l'assistance immédiate du Père céleste (comme Jésus-Christ Lui-même l'a attesté) que Pierre a formulé le dogme fondamental de notre religion46; et sa parole a déterminé la foi des chrétiens par sa propre force et non par le consentement des autres - ex sese, non autem ex consensu Ecclesiae»47.
Tant chez les Latins que chez les Grecs, le mot «dogme» est rare à l'époque patristique, en tout cas au sens où l'entendent les modernes. Seul saint Vincent de Lérins (Ve siècle), dans son Commonitorium, lui confère une position théologique centrale, dans le sens «d'enseignement propre à l'Eglise». Le critère du dogme est, selon lui, «ce qui a été cru partout, toujours et par tous» (quod semper, quod ubique, quod ab omnibus). Vu leur orientation patristique et la question qu'ils traitaient l'un et l'autre, il était inévitable que Newman comme Soloviev abordent la question du canon de Vincent de Lérins.
Répondant à son interlocuteur, M. Stoïanov, qui entend faire du Commonitorium une ancre de salut, Soloviev fait valoir que ce canon n'avait déjà guère d'utilité en son temps comme gage d'orthodoxie «car même alors les discussions dogmatiques ne se résolvaient pas si facilement».
Et Soloviev de poursuivre:
«A notre époque, devant le démembrement actuel de la dogmatique orthodoxe et devant les succès incontestables de la critique historique, utiliser cet aphorisme comme critère d'orthodoxie dans les questions spécifiquement dogmatiques n'est possible que si d'avance nous mettons hors de compte tous les temps, tous les lieux et toutes les personnes qui pensent ou ont pensé autrement que nous. Mais dans ce cas il serait plus franc de recourir à un autre aphorisme latin: «Sic volo, sic jubeo, stat pro ratione voluntas»48. Ce serait mieux que de réduire l'assertion de Vincent
de Lérins à une tautologie vide et inutile qui proclame que nos coreligionnaires ont toujours et partout pensé comme nous»49.
Newman, lui, reviendra également à plusieurs reprises sur les difficultés que présente la formule de Vincent de Lérins . Selon lui, elle contient certes une «vérité majestueuse», mais la difficulté est de l'appliquer aux cas concrets. Dans bien des circonstances, la solution qu'elle offre est aussi difficile que le problème de départ. En ce qui concerne le critère « ab omnibus», par exemple, Newman s'interrogera: l'histoire de l'Eglise ne montre-t-elle pas que l'erreur fut souvent du côté du grand nombre? Le Concile d'Antioche ne repoussa-t-il pas la formule homoousios (qui fut ensuite reconnue orthodoxe contre Arius)? Athanase ne fut-il pas presque seul au moment de la crise arienne, et le pape Léon lors de la crise monophysite? De plus, selon Newman, le canon de Vincent de Lérins est inapplicable pour déterminer la canonicité des livres qui composent les Ecritures. Ainsi de l'épître de saint Jacques, de l'épître aux Hébreux ou de l'Apocalypse, qui ne furent pas reçues généralement dans l'Eglise avant le IVe siècle. (elle n'étaient donc ni semper, ni ubique, ni ab omnibus)50.
Il est significatif que, dans les documents du Premier concile du Vatican (1871) portant sur l'infaillibilité pontificale, il est fait référence au Commonitorium. Ce canon ne pouvait en effet manquer d'être discuté à l'heure où était défini un «nouveau» dogme. Soloviev (qui reconnaissait sans difficulté l'infaillibilité du pape51) était bien sûr au fait des débats qui entourèrent la promulgation de ce dogme52 (ne serait-ce que parce que son ami l'évêque croate Strossmayer s'y était énergiquement opposé). Les discussions qui avaient eu lieu dans les années 1860-1870 sur l'interprétation de ce «développement dogmatique nouveau» ne manquèrent certainement pas par la suite d'alimenter sa réflexion et d'éveiller sa curiosité sur le concept même. Ainsi, Soloviev peut être dit redevable à Newman (quoique de façon très indirecte), puisque l'illustre Anglais avait, sur le plan théorique, d'avance balisé et préparé le terrain.
L'approche que Newman a du développement n'est pas essentiellement chronologique comme elle l'est chez Soloviev qui, après un bref exposé théorique de la «thèse» du développement (Chap. VIII) traite surtout la question en historien, «rappelant à grands traits toute l'histoire des dogmes chrétiens depuis les temps apostoliques jusqu'à la division des Eglises»53. Certes, Newman suit la marche des idées dogmatiques dans le temps:
«Tout esprit impartial admettra que c'est une histoire impressionnante, lorsqu'on suit la controverse suscitée par chaque dogme depuis les égarements du début jusqu'au terme exact et précis. Qu'il est profondément intéressant de voir une grande idée s'emparer de millions d'esprits par sa force vivante, repousser tout contrôle ou toute entrave ; une idée «pareille à un feu dévorant» comme dit le Prophète, «enfermée dans leurs os», jusqu'à ce qu'ils soient «fatigués de la contenir sans le pouvoir»; une idée qui poursuit sa croissance en eux pendant de longues années, parfois de génération en génération: en sorte, peut-on dire, que la doctrine se sert des chrétiens plutôt qu'ils ne se servent d'elle. Qu'il est prodigieux de voir tous les ef forts, les hésitations, les délais, les interruptions, - de
constater tous les mouvements contraires et les retours en arrière, mais en même temps les progrès, la marche sûre et précise de l'idée, son évolution jusqu'à la perfection dernière, jusqu'à la vérité totale, «suspendue en son centre en parfait équilibre», coordonnée dans toutes ses parties, une, absolue, intégrale, indissoluble - jusqu'à la fin des temps!(...) Et tout ce monde de la pensée chrétienne n'est que l'expansion de quelques mots prononcés, par hasard dirait-on, par des pêcheurs de Galilée»54.
Mais son argumentation repose au préalable sur une théorie de la preuve et sur un cadre logique et normatif-typologique complexe qui est étranger à Soloviev. L'Essay est en effet organisé autour de sept «tests» ou «notes» qui permettent de distinguer un développement authentique d'une corruption55. C'est à la lumière de ces tests que Newman montrera comment l'Eglise a connu les développements qui ont marqué sa vie et a rejeté les corruptions qui auraient signifié sa mort. Soloviev, lui, ne reconnaît pas d'autres critères formels d'un développement authentique que le «sens du Christ» et le «sens commun» 56 . Il est toutefois évident, à le lire, que, pour lui comme pour Newman, le développement n'est pas le progrès, en ce sens qu'il exclut tout abandon du passé ou rupture avec celui-ci.
L'étude du «développement dogmatique» sera décisive dans le cheminement de l'un et l'autre de nos auteurs vers le catholicisme. Soloviev aura préalablement distingué la «papauté» de sa corruption, le «papisme»57. Newman et Soloviev concluront l'un et l'autre d'une part à la nécessaire universalité de l'Eglise (qui ne saurait être «anglicane» ou «russe», c'est-à-dire nationale) et d'autre part, ce qui en découle, à la primauté effective du Siège romain. En dehors de la valeur réelle des preuves (historiques, formelles, théologiques) qui les ont conduits sur cette voie, il est certain que le fait même d'admettre comme objet d'étude le développement du dogme et d'en accepter la validité devait amener l'Anglais à s'éloigner du protestantisme (lequel voit plutôt dans le dogme un concept non fondamental - en même temps que contraire au principe du «private judgement» - car extrinsèque à l'autorité de l'Ecriture et à la foi justifiante), et le Russe à s'éloigner de l'orthodoxie gréco-russe (laquelle récuse l'idée de développement et considère les dogmes définis par les sept premiers conciles œcuméniques comme non susceptibles d'explicitations aboutissant elles-mêmes à des formulations dogmatiques nouvelles).
L'Essay marque un tournant radical dans la vie de Newman. Il a 44 ans. Il va quitter l'Eglise anglicane, le monde d'Oxford qu'il a tant aimé et, confiera-t-il à un ami en mars 1845: «Je vais vers ceux que je ne connais pas et dont j'attends fort peu. Je fais de moi un réprouvé»58. De même que les amitiés et les raffinements d'Oxford ne l'ont pas retenu dans l'Eglise anglicane, de même tout ce que le monde catholique britannique (où l'élément populaire irlandais tient une grande place) a d'étranger pour lui ne l'empêche pas de rejoindre Rome. Son choix est fait. Il ne le regrettera jamais, et l'Essay se termine sur les paroles du Vieillard Syméon de l'Evangile: «Nunc dimittis servum tuum, Domine, secundum verbum tuum in pace: qui viderunt oculi mei salutare tuum»59. Il sera ordonné prêtre deux ans après (1847) et rejoindra la
confrérie de l'Oratoire. Bien que sa réputation fût considérable en Angleterre (ou peut-être pour cette raison), il ne fut pas accueilli par les catholiques avec une bienveillance unanime. On le soupçonna d'être devenu catholique pour des raisons étrangères au catholicisme. Pie IX se méfia toujours de Newman le théologien pour son attachement insuffisant à la tradition scolastique. Il fallut attendre Léon XIII pour que le génie théologique de Newman fût reconnu. Un des premiers actes du pontificat de Léon XIII fut en effet de donner le chapeau de cardinal au vieil oratorien anglais (1879). Comme on le sait, le pape Benoît XVI vient de confirmer d'un sceau définitif l'orthodoxie de la pensée de Newman en le proclamant solennellement bienheureux (Birmingham, 9 septembre 2010).
L'attachement de Soloviev au catholicisme lui valut à lui aussi bien des désagréments. D'une part, bien des milieux catholiques lui reprochaient de ne pas avoir abjuré formellement l'orthodoxie gréco-russe. D'autre part, il fut l'objet de menaces de la part des autorités de son pays. C'est ainsi que, lorsqu'il séjournait à Paris, un de ses parents, le sénateur V .P. Bezobrazov, lui avait fait part des propos peu rassurants qu'avait tenus à son égard le grand duc Serge60.
Il semble toutefois hasardeux de qualifier Soloviev de «Newman russe»61. Si en effet Soloviev conclut bien, comme Newman, à la réalité de la suprématie et de l'infaillibilité romaine à travers toute l'histoire de l'Eglise (sur ce point particulier, non pas tant dans son étude sur le Développement du dogme que dans le prolongement qu'en constitue La Russie et l'Eglise universelle); si, comme Newman, il fut persuadé que l'Eglise ne pouvait être à la fois une et nationale, s'il fit effectivement profession de foi catholique62 (et, bien plus tard - en 1896, à 43 ans - communia dans l'Eglise catholique), il n'apparaît pas qu'il ait jamais, comme Newman, définitivement quitté l'Eglise de son baptême. On ne sait s'il aurait reçu les derniers sacrements dans l'Eglise orthodoxe si la Providence avait voulu qu'un prêtre catholique fût proche lorsque cet éternel errant était sur le point de rendre l'âme, mais c'est un fait que c'est bien un prêtre orthodoxe qui lui conféra l'ultime viatique. Il n'est pas sans importance non plus de rappeler à ce propos le titre complet de l'ouvrage de Soloviev que nous étudions: Le Développement dogmatique de l'Eglise en liaison avec la question de la réunion des Eglises 63 . Le chapitre premier s'intitule «La réunion des Eglises est possible et nécessaire», le chapitre II «Ou bien l'union des Eglises ou bien l'indifférence religieuse» et le chapitre final (XXIV) «Possibilité et nécessité de l'union des Eglises». Pour Soloviev, il s'agit donc moins de déterminer laquelle est véritablement l'Eglise et de la rejoindre en quittant l'autre que de s'unir à l'Eglise romaine en ramenant sous la houlette de Pierre des orthodoxes qui, pour toutes sortes de mauvais prétextes historiques et politiques, tiennent à se croire en dehors de l'Eglise universelle.
C'est pour cette raison aussi qu'il consacre le commencement de son ouvrage à administrer la preuve que les catholiques latins ne sont pas hérétiques pour avoir, au VIIIe siècle, apporté un «développement» en ajoutant au Symbole de Nicée-Constantinople, à propos de la procession du Saint-Esprit, la formule «et du Fils»
(qui ex Patre filioque procedit). C'est là, on le sait, un des principaux arguments invoqués en Russie contre les «Latins». Pour Soloviev, il s'agit d'une «fausse querelle» parce qu'aucun concile œcuménique n'a condamné cette formule comme hérétique et que l'Eglise d'Espagne qui l'a introduite au Vie siècle n'a à aucun moment voulu opposer son opinion à celle de l'Eglise universelle (au contraire, en précisant que l'Esprit procéde du Père et du Fils, elle s'opposait aux progrès de l'arianisme qui, à cette époque, la menaçait) . Soloviev reproche également aux orthodoxes de son temps de se faire une fausse idée de l'intangibilité du credo de Constantinople proclamée aux conciles d'Ephèse et de Chalcédoine, car l'argument d'intangibilité n'a jamais été utilisé lors des premiers débats sur le Filioque . Bref, les arguments invoqués en Russie contre l'Eglise catholique en général et le Filioque en particulier ne reposent sur aucune autorité:
«Je dis: 'Que l'on me montre cet acte de l'Eglise universelle par lequel le catholicisme est condamné comme hérésie!' Et l'on me répond : 'Compte tenu de tel point ou de tel autre, il convient de reconnaître que le catholicisme constitue une hérésie en opposition avec les conceptions de l'Eglise tenues par les écrivains russes bien connus de l'école slavophile.' Malgré tout le respect que je dois à ces écrivains, je ne puis les considérer comme l'Eglise universelle et je n'accepte pas leurs conceptions sur l'Eglise comme dogme universel»64.
Aux yeux de Soloviev, la réunion des slaves orthodoxes avec l'Eglise universelle devait être, pour eux, signe de leur entrée véritable dans l'Histoire et marche vers la véritable théocratie voulue par le Christ, car elle rendait ultimement possible la réconciliation du Sacerdoce (le Siège romain) et de l'Empire (en l'occurrence, l'empire russe). La suite de la «Profession de foi catholique» de Soloviev est explicite à ce sujet:
«Esprit immortel du bienheureux apôtre, ministre invisible du Seigneur dans le gouvernement de son Eglise visible, tu sais qu'elle a besoin d'un corps terrestre pour se manifester. Deux fois déjà tu lui as donné un corps social: dans le monde gréco-romain d'abord et puis dans le monde germano-romain, - tu lui as soumis l'empire de Constantin et l'empire de Charlemagne. Après ces deux incarnations provisoires elle attend sa troisième et dernière incarnation. Tout un monde plein de forces et de désirs, mais sans conscience claire de sa destinée, frappe à la porte de l'histoire universelle. Quelle est votre parole, peuples de la parole? Votre masse ne le sait pas encore, mais des voix puissantes sorties de votre milieu l'ont révélé déjà. Il y a deux siècles, un prêtre croate l'a prophétiquement annoncé, et de nos jours un évêque de la même nation l'a proclamé maintes fois avec une éloquence admirable. Ce qui a été dit par les représentants des Slaves occidentaux, le grand Krizanic et le grand Strossmayer, n'avait besoin que d'un simple amen de la part des Slaves orientaux. Cet amen, je viens de le dire au nom de cent millions de chrétiens russes, avec ferme et pleine confiance qu'ils ne me désavoueront pas. Votre parole, ô peuples de la parole, c'est la théocratie libre et universelle, la vraie solidarité de toutes les nations et de toutes les classes, le
christianisme pratiqué dans la vie publique, la politique christianisée; c'est la liberté pour tous les opprimés, la protection pour tous les faibles, - c'est la justice sociale et la bonne paix chrétienne. Ouvre-leur donc, porte-clef du Christ, et que la porte de l'histoire soit pour eux et pour le monde entier la porte du Royaume de Dieu»65.
On le voit, l'union avec l'Eglise romaine, voulue par Soloviev contre les slavophiles, était en même temps réalisation de la vision slavophile de l'Histoire, puisque c'est par le peuple russe que s'instaurait la théocratie universelle.
Cette réunion des Eglises sous la houlette du pontife romain était d'ailleurs, dans la conception de Soloviev, non pas «mécanique» mais de type quasi chimique, c'est-à-dire qu'elle devait aboutir selon lui à un corps différent de la somme des deux éléments de départ66, comme l'eau est différente des deux gaz, l'hydrogène et l'oxygène, qui la composent. D'où la troisième partie de la Russie et l'Eglise universelle, avec son Eglise sophianique et sa sophiologie ecclésiale, qui donna tant de craintes à ses amis les jésuites russes de Paris67. On peut penser que, telle qu'elle était présentée, cette vision insolite aurait laissé dubitatif le vieux cardinal anglais dans sa retraite de Birmingham.
Les dif férences de vues et de visées entre Newman et Soloviev sont donc considérables. Elles trouvent aussi leur reflet (sinon une part de leur explication) dans des différences de personnalité entre ces deux figures à l'ascendant extraordinaire68. Soloviev, bien que de nature fort sociable, fut toute sa vie un solitaire et un errant en ce sens qu'il n'eut jamais d'attaches sociales ou institutionnelles durables. Visionnaire au caractère batailleur, il excella dans la polémique. Plus sobre, Newman fut davantage un controversiste qu'un polémiste. Lui aussi doué pour l'amitié (mais avec plus de réserve que le grand Russe: après tout, c'était un Anglais), il bénéficia tout au long de son existence d'un cadre social stabilisateur: Université, Eglise, charges pastorales. Pourtant, sur le point spécifique du développement du dogme, l'un et l'autre - Newman abordant la question le premier, puis Soloviev la reprenant à frais nouveaux en alléguant ses propres preuves et exemples69, l'un dans un style très personnel et impérial, avec une subtilité insistante et un lyrisme entraînant70, l'autre avec une verve argumentative directe et remarquablement efficace - avaient été mystérieusement en consonance sans se connaître, sans s'être lus ni avoir eu de maître commun en dehors de la grande Tradition de l'Eglise.
Примечания
1 Je me réfèrerai ici à la première édition, celle de 1845 (Penguin Books, 1974) .
2 Les citations dans la présente étude sont pour la plupart tirées de la traduction donnée par François Rouleau et Roger Tandonnet (Vladimir Soloviev Le Développement dogmatique de l'Eglise, Paris, Desclée, 1991). Le texte russe se trouve dans le volume IV des Œ uvres de V. Soloviev (édition de Bruxelles, 1966), p. 262-336, sous un titre différent: Разбор главных предрассудков против теократического дела в России (Examen des principaux préjugés qui s'opposent à la cause théocratique en Russie).
3 J.-A. Moehler L'Unité dans l'Eglise. Paris, Cerf, 1938. P. 42.
4 In La Sophia et les autres écrits français. Lausanne, L'Âge d'homme, 1978. P. 167.
5 Par exemple: «Les catholiques croient qu'il est plus sûr de traverser la mer ensemble dans un grand vaisseau éprouvé, construit par un maître célèbre, gouverné par un pilote habile et muni de tout ce qui est nécessaire
pour le voyage. Les protestants prétendent au contraire que chacun doit se fabriquer une nacelle à sa guise pour naviguer avec plus de liberté. Cette dernière opinion, tout erronée qu'elle soit, se laisse cependant discuter. Mais que pourrait-on entreprendre contre ces soi-disant orthodoxes, selon lesquels le vrai moyen d'arriver au port c'est de s'imaginer qu'on y est déjà? C'est par là qu'ils se croient au-dessus des communions occidentales qui, à vrai dire, n'ont jamais soupçonné que la grande question religieuse puisse se résoudre si facilement». La Sophia , p. 167. Les «soi-disant orthodoxes» sont ici Khomiakov et ses épigones.
6 Voir Essay, p. 90, et Jean Guitton La Philosophie de Newman. Essai sur l'idée de développement. Paris, Boivin, 1933. P. 118. N. 2.
7 Soloviev rédigera l'article «Maistre» pour l'Encyclopédie Brockhaus-Efron (voir Œuvres, Edition de Bruxelles. 1966. Vol. X. P. 429-435).
8 Joseph de Maistre Du Pape.Arras, Brunet, 1874. P. 51.
9 Ibid. P. 389.
10 Dont certaines très connues comme Lead kindly light ou comme The Dream of Gerontius, qu'Edward Elgar mettra en musique.
11 «Le cœur parle au cœur».
12 Edward Gibbon, le célèbre auteur de Déclin et chute de l'Empire romain (1776-1788) .
13 Quand, dans son XVe Sermon universitaire (§ 26), Newman décrit la voie qu'emprunte une idée, c'est sans nul doute aussi le cheminement de son esprit qu'il décrit: «Le développement d'une idée a beau consister dans un processus purement déductif, les positions étant extraites les unes des autres, ces propositions ne s'en forment pas moins en restant fixées au point central autour duquel elles gravitent, ou encore en tournant, si l'on peut dire, autour d'une seule et même idée, de sorte qu'elles ne sont chacune et toutes ensemble que les différents aspects sous lesquels celle-ci peut être envisagée».
14 La mère de Newman descendait de huguenots français.
15 Духовные основы жизни in Œuvres,Vol. III, p. 301-430.
16 M ême idée chez Newman: «Si le christianisme est une religion universelle, adaptée non à une localité ou à une période mais à tous les temps et à tous les lieux, il ne peut que varier dans ses relations et affaires avec le monde qui l'entoure, c'est-à-dire qu'il se développera». Essay. P. 150.
17 Le Développement. P. 391-392.
18 Православное обозрение. 1885. Vol. III. P. 727-798.
19 Moscou, 1886, Imprimerie de l'Université.
20 Voir son article paru sous ce titre dans L'Univers des 12 et 15 avril 1850. Edward Pusey, ami de Newman, était comme lui à la tête du Mouvement d'Oxford.
21 Il en existe une traduction française: Vladimir Soloviev. Histoire et avenir de la théocratie, Paris, Cujas, 2008. Dans son introduction (p. 15), François Rouleau montre bien le plan général que Soloviev avait prévu pour ce grand ouvrage qui ne vit jamais le jour dans son intégralité.
22 In La Sophia . P. 123-297.
23 Le Développement. P. 66.
24 Ibid. P. 70-71.
25 La revue Foi et raison était publi ée à Karkov.
26 Revue orthodoxe fondée à Paris par un ancien religieux catholique, le p. Guettée
27 Le Développement. P. 134.
28 Ibid. P. 75.
29 Ibid. P. 85-86.
30 «L'Incarnation est l'antécédent de la doctrine de la médiation, et l'archétype du principe sacramentel comme des mérites des saints. De la doctrine de la médiation s'ensuit la rédemption, la messe, les mérites des martyrs et des saints, leur invocation et leur cultus . Du principe sacramentel découlent les sacrements proprement dits, l'unité de l'Eglise avec le Saint-Siège comme type et centre, l'autorité des conciles, le caractère sacré des rites, la vénération des saints lieux, sanctuaires, images, vases, meubles et vêtements sacrés. Parmi les
sacrements, le baptême se développe en confirmation, d'une part, en pénitence, Purgatoire et indulgences d'autre part; et l'eucharistie en présence réelle, adoration du Saint Sacrement, résurrection de la chair et vertu des reliques. La doctrine des sacrements conduit encore à la doctrine de la justification, la justification à la doctrine du péché originel, et le péché originel à la valeur méritoire du célibat». Essay P. 198-199.
31 Le Développement. P. 73.
32 Elle est aussi au centre de la pensée de Soloviev (que l'on pense aux Leçons sur la divino-humanité qu'il prononça en 1877 et 1878). C'est du reste à partir de la divino-humanité et dans l'optique de celle-ci que Soloviev comprend le développement dogmatique: «Dans tous les actes de l'Eglise universelle accomplis par ses représentants légitimes, ni les forces divines ni les forces humaines n'agissent à part, mais ce qui agit c'est l'être divino-humain de l'Eglise universelle dans lequel le principe divin est uni sans séparation ni confusion avec le principe humain. D'après le principe divin ces définitions expriment la vérité immuable, mais d'après le principe humain elles ne l'expriment pas dans sa parfaite plénitude et c'est pourquoi elles admettent un accomplissement ultérieur dans ces actes de l'Eglise universelle qui découvrent d'autres aspects de la même vérité». Ibid . P. 167-168.
33 Doctrine («Didachè») des douze apôtres: texte grec bien connu dans l'antiquité qui ne fut retrouvé qu'en 1875 et publié pour la première fois en 1883. Vladimir Soloviev le traduisit en russe avec son frère Michel au moment même où il travaillait au Développement dogmatique de l'Eglise. On trouvera dans les Œuvres en russe (Vol. IV, p. 222-240) la remarquable préface qu'il écrivit pour cette traduction (1886).
34 Le Développement. P. 105.
35 Saint Grégoire de Nazianze, Discours 27-31 (Discours théologiques) , Sources chrétiennes. N 250, p. 323327. Cité par Soloviev, ibid. P. 109-110.
36 Ibid. P. 119.
37 Essay . P. 79.
38 Ibid. P.159.
39 Ibid. P. 100.
40 Ibid . P. 162.
41 Ibid . P. 167.
42 Ibid. P. 212. Et cette Eglise reste substantiellement la même qu'au IVe siècle: «Somme toute, nous avons donc raison de dire que s'il existe aujourd'hui une forme de christianisme qui se distingue par son organisation très poussée et par la puissance qui en découle; si elle est répandue partout dans le monde; si elle se fait remarquer par son zèle à maintenir son Credo; si elle est intolérante à l'égard de ce qu'elle considère comme l'erreur; si elle est engagée dans une guerre perpétuelle avec les autres groupements religieux qui s'appellent chrétiens; si elle, et elle seule, est nommée catholique par le monde et par ceux-là mêmes qu'elle combat, et se prévaut de ce titre; si elle les nomme hérétiques, les menace de la colère à venir, et les invite individuellement à venir à elle, sans égard pour aucun autre lien; si eux, par contre, l'appellent séductrice, prostituée, apostate, Antéchrist, démon; si, en dépit de toutes les différences qui les séparent, ils la considèrent comme leur ennemie commune; s'ils s'efforcent de s'unir contre elle, et ne peuvent y réussir; s'ils ne forment que des groupes locaux; s'ils vont se subdivisant continuellement, tandis qu'elle reste une; s'ils succombent l'un après l'autre, faisant place à de nouvelles sectes, alors qu'elle reste la même - alors, cette communion religieuse ne diffère pas de la chrétienté dont l'histoire nous présente le tableau à l'époque de Nicée». Ibid. P. 294-295.
43 Ibid. P. 326-327.
44 Le Développement. P. 118. N. 2.
45 Formule du premier Concile du Vatican (1871): «Même sans le consentement de l'Eglise».
46 En déclarant: «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant» (Matthieu, 16, 16).
47 La Sophia . P. 193.
48 « Voilà ce que je veux, voilà ce que j'ordonne, ma volonté tient lieu de raison».
49 Le Développement. P. 153.
50 Ibid. P. 203-204.
51 Voir sa lettre du 12 novembre 1883 à À.À. Kireev in Lettres, vol. 2, p. 105.
52 Débats auxquels Newman, lui-même infaillibiliste modéré, participa aussi (voir sa Lettre au duc de Norfolk et correspondance relative à l'infaillibilité, Desclée de Brouwer, 1970).
53 Le Développement. P. 75.
54 Sermons universitaires (XV), Desclée de Brouwer, 1955. P. 331. Ce quinzième Sermon (1843) annonce déjà toute la doctrine de Newman sur le développement dogmatique.
55 Ces tests sont: 1. La préservation du type; 2. La continuité des principes; 3. La puissance d'assimilation; 4. La conséquence logique; 5. L'anticipation de l'avenir; 6. L'action conservatrice du passé; 7. La vigueur durable.
56 Le Développement. P. 172.
57 Chapitre VI de la Grande controverse et la politique chrétienne in Œuvres. T.IV. P. 3-116.
58 «I am going to those whom I do not know and of whom I expect very little. I am making myself an outcast".
59 «Maintenant, Seigneur, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s'en aller en paix, car mes yeux ont vu ton salut». (Luc 2, 29).
60 «S'il (Soloviev) s'avise de rentrer en Russie, qu'il sache qu'il sera immédiatement déporté dans un des gouvernements les plus éloignés». Propos rapportés par Soloviev dans sa lettre du 12 août 1888 au chanoine Racki (in D. Strémooukhoff Vladimir Soloviev et son œuvre messianique, Lausanne, l'Âge d'Homme, s.d., p. 306).
61 C'est le titre d'un ouvrage qui, en 1909, soit peu d'années après la mort de Soloviev, eut le mérite de le faire connaître au public francophone: Vladimir Soloviev, 1853-1900: un Newman russe, par Michel d'Herbigny, Paris, Beauchesne.
62 «Comme membre de la vraie et vénérable Eglise orthodoxe orientale ou gréco-russe qui ne parle pas par un synode anti-canonique, ni par des employés du pouvoir séculier, mais par la voix de ses grands Pères et Docteurs, je reconnais pour juge suprême en matière de religion celui qui a été reconnu tel par saint Irénée, saint Denis le Grand, saint Athanase le Grand, saint Jean-Chrysostome, saint Cyrille, saint Flavien, le bienheureux Théodoret, saint Maxime le Confesseur, saint Théodore le Studite, saint Ignace, etc. - à savoir l'apôtre Pierre, qui vit dans ses successeurs et qui n'a pas entendu en vain les paroles du Seigneur: 'Tu es Pierre et sur cette pierre j'édifierai mon Eglise. - Confirme tes frères. - Pais mes brebis, pais mes agneaux'» (La Russie et l'Eglise universelle, in La Sophia, p. 150).
63 «... в связи с вопросом о соединении церквей».
64 Le Développement. P. 63.
65 La Russie . P. 150-151.
66 Voir sa lettre de 1883 à À.À. Kireev in Lettres, vol. 2, p. 114.
67 Notamment les pères Pierling et Martinov.
68 Voir à ce sujet le parallèle très fin que Paul Toinet fait entre les deux hommes in Vladimir Soloviev. Chevalier de la Sophia, Genève, Ad Solem, 2001. P. 166-172.
69 Il aborde par exemple le dogme concernant la résurrection générale, dont il n'est pas question dans l' Essay, et cite des témoignages patristiques différents.
70 Ramon Fernandez traduit sans doute bien un aspect essentiel du style de Newman quand il dit : «S'il me fallait marquer le trait dominant de son génie, je crois que je soulignerais sa faculté d'obscurcir les choses par l'excès même de sa clarté. Sa lumière multiplie les ombres, et les ombres accusent en relief les aspérités, les crevasses, les méandres de la surface qui d'abord avait paru plane et pure.» Ramon Fernandez, Messages, Paris, Grasset, 1981, p. 178. Voir aussi, de même auteur. Newman. Paris, Ad Solem, 2010. P. 68.
Список литературы
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References
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РЕФЕРАТ
ИДЕЯ ДОГМАТИЧЕСКОГО РАЗВИТИЯ ЦЕРКВИ У ДЖОНА ГЕНРИ НЬЮМАНА И ВЛАДИМИРА СОЛОВЬЕВА
Essay Ньюмана составляет веху не только в личной жизни будущего кардинала Ньюмана, но и в истории католического богословия в целом. В своём исследовании, написанном великолепным, порой даже страстным классическим языком, Ньюман красноречиво доказывает, что «догматическое развитие» всегда являлось абсолютно необходимым условием жизни Церкви (в том смысле, что Церковь никогда не знала такого периода, где не было бы догматического развития, даже во времена раннего христианства); он также приводит критерии, позволяющие отличить органический рост идей от их пагубной коррупции. Спустя более 40 лет (в 1886 году) Соловьёв, в свою очередь,
напишет труд о догматическом развитии Церкви. Прежде, чем он вышел отдельной книгой, этот труд задумывался Соловьёвым как часть огромного трактата «История и будущность теократии» (первоначально в него входила вышедшая впоследствии отдельной книгой "La Russie et l'Eglise universelle" («Россия и вселенская Церковь»)).
Интересно то, что Соловьёв, наверное, никогда не читал труд Ньюмана о догматическом развитии Церкви и даже не был знаком с любой другой книгой Ньюмана (хотя не мог не знать о существовании известного английского богослова и об истории «Оксфорского движения»). В исследовании об идее догматического развития Церкви у Нюмана и у Соловьёва Бернар Маршадье, описав подходы Соловьёва и Ньюмана к понятию догматического развития (имея в виду, что способы аргументации того и другого сильно отличаются), пытается разобраться, есть ли у них общие философские и богословские источники (Мэстр, Мёллер, и т д.). Оказывается,что, по сути, их нет, кроме таких очевидных общих источников, как Священое Писание и труды Отцов Церкви (по которым Нью-ман был крупным авторитетом). Ньюман был незаурядным мыслителем, можно даже сказать, гигантом мысли, но он не был философом в том смысле, что не был знаком с такими философами, как Шеллинг, Кант или Гегель, которые так сильно повлияли на Соловьёва. Значительное влияние на Ньюмана оказал английский епископ Джон Батлер, совсем неизвестный за пределами Англии; Соловьёв же изначально вдохновение черпал у славянофила Юрия Самарина.
Как известно, и Соловьёв и Ньюман приняли католичество. Ньюман стал католическим священником (и позднее кардиналом), и Соловьёв торжественно заявил о своём присоединении к Кафедре Петра. Но по мнению Соловьёва, признание верховенства Папы Римского не требовало ухода из той церкви, где он крестился. Это, скорее, вписывалось в общий замысел всей его жизни: работать на чаемое появление «Вселенской Церкви», которая была бы не католической (хотя осталась бы под главенством Папы Римского), не православной, не протестантской, а чем-то выше, «Церковью Святого Духа». Такой проект был, конечно, чужд Ньюману, который, приняв католичество, ушёл из англиканской церкви. Проект Соловьёва состоял в том, чтобы призвать русскую церковь стать тем, чем она есть, - сознательной частью Вселенской Церкви.
Важно также отметить, что у каждого из философов свой стиль: великолепная проза Ньюмана выражает его дух высокого спорщика, могучая ирония Соловьёва - страсть пылкого защитника Правды-Софии.
Несмотря на различия, остаётся фактом то, что и Ньюман и Соловьёв, жившие в разное время, не знавшие друг друга, каждый своим путём пришли к единой Истине.