Научная статья на тему 'A history backwards? Th e King and the division of the faith in the kingdom of France in the 16th century'

A history backwards? Th e King and the division of the faith in the kingdom of France in the 16th century Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

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Ключевые слова
ИСТОРИЯ ФРАНЦИИ / XVI СТОЛЕТИЕ / РЕЛИГИОЗНЫЕ ВОЙНЫ / КАТОЛИКИ И ПРОТЕСТАНТЫ / КОНФЕССИОНАЛЬНАЯ ДИФФЕРЕНЦИАЦИЯ / ДЕКОНФЕССИОНАЛИЗАЦИЯ / СЕКУЛЯРИЗАЦИЯ / ИСТОРИЯ ЦЕРКВЕЙ / HISTORY OF FRANCE / 16TH CENTURY / RELIGIOUS WARS / CATHOLICS / PROTESTANTS / CONFESSIONAL DIFF ERENTIATION / DECONFESSIONALIZATION / SECULARIZATION / HISTORY OF CHURCHES

Аннотация научной статьи по языкознанию и литературоведению, автор научной работы — Крузе Дени

В статье приведены размышления о процессе конфессионального деления и институционализации во Франции периода Религиозных войн. Также рассмотрен исторический путь, приведший к фиксации конфессий и к последствиям этого в сфере гражданской жизни, который некоторые историки склонны воспринимать углом зрения «дисциплинирующего напряжения», используемого государством как инструмент для образования некого «Untertanengesellschaft». В противоположность такому подходу автор предлагает гипотезу, согласно которой во Французском королевстве конфессиональная дифференциация происходила не в рамках «Verstaatlichungsprozess», «огосударствления» религии. Наоборот, королевское государство пыталось, чтобы предотвратить последствия, опасные в гражданском и религиозном плане, использовать в среднесрочной перспективе стратегию «деконфессионализации». Именно для того, чтобы не допустить создания конфессиональных границ, появление которых теоретически следует из Konfessionbildung, и трудилось государство во Франции в течение всего «долгого XVI века». Государство играло на стороне противников принципа «модернизации», пытаясь вновь включить разные церкви в исторический процесс, который бы заново объединил их. Автор показывает, что из конфессиональной парадигмы следует модернизация и секуляризация.

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История наизнанку? Король и религиозный раскол во Французском королевстве в XVI в

The article presents reflections on the process of confessional division and institutionalization in France in the period of the Religious wars. The author studies the circumstance that led to fixation of religions and its consequences in the civil life, that some historians tend to understand as disciplining tension used by the state as the instrument of Untertanengesellschaft formation. In contrast to this approach, the author proposes the hypothesis that in the French kingdom confessional differentiation was not part of the Verstaatlichungsprozess. On the contrary, the Royal government sought, to prevent the consequences of, dangerous in civil and religious terms, to use strategy of deconfessionalisation. During the long 16th century French government tried to prevent the establishment of confessional boundaries, which follows from Konfessionbildung,. It played on the side of the opponents of “modernization” of the state, trying to re-insert different churches in the historical process, which would re-combined them. The author shows, that from confession paradigm modernization and secularization followed.

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Denis Crouzet

UNE HISTOIRE À L'ENVERS? LE ROI ET LA DIVISION DE LA FOI DANS LE ROYAUME DE FRANCE AU XVIe SIÈCLE

L'historiographie du temps des réformes a toujours été téléologique pour ce qui est de la division confessionnelle française, discernant des lignes de continuité portant les premiers dissidents évangéliques à être comme les précurseurs des iconoclastes calvinistes de 1560, et les tenants de la défense de l'Église romaine des années 1520 à être les avant-cou-reurs des massacreurs du temps des Saint-Barthélemy. Or tout est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît dans ce qui est une histoire longue. Il s'agira ici réfléchir sur le processus de segmentation et d'institutionnalisation confessionnelles, de formation des confessions et donc de mise en conflit de ces dernières. Il s'agira encore de questionner le cheminement historique qui a conduit à la fixation confessionnelle et à ses implications dans le champ de la vie civile telle que les historiens ont eu tendance à l'appréhender sous l'angle rétrospectif et problématique — voire anachronique — d'une tension de disciplination instrumentalisée par l'État: donc d'une fonctionnalité socialement, éthiquement, politiquement contraignante corrélative de la formation d'une «Untertanengesell-schaft». Au contraire de cette approche, sera proposée l'hypothèse selon laquelle, du moins pour le cas du royaume de France, la différenciation confessionnelle ne s'est faite dans le cadre d'un «Verstaastlichungspro-zess», une «étatisation» de la religion. Car l'État royal au contraire a tenté, pour remédier aux conséquences civiles et religieuses, de mettre en place, au moyen terme et donc a-téléologiquement, une logique ou une stratégie qui sera qualifiée de «déconfessionnalisation». C'est contre l'établissement de frontières confessionnelles théoriquement impliquées par la Konfessionbildung que l'État a travaillé en France durant un long xvie siècle: c'est donc contre le principe d'une «modernisation» de l'État

© Denis Crouzet, 2016

que l'État joua pour essayer de réintégrer les Églises dans un processus historique qui les réunirait. Et en conséquence, on verra que le paradigme confessionnel ne débouche pas plus sur une disciplination que sur une modernisation et une sécularisation. La chronologie est ici importante.

Dans une première phase en effet, le mot qui pourrait qualifier la situation française est «indétermination». L'histoire religieuse française du xvie siècle débute dans une sorte de confusion des intériorités qu'il faut valoriser, comme si le propre des expériences de foi qui surgissent vers 1520 avait été d'être désarticulées, antinomiques de la quête d'une fixité.

Ce temps, Lucien Febvre l'a qualifié assez judicieusement d'«anarchie» de religion, terme qui toutefois rend sans doute mal compte de ce qu'en réalité, pour les acteurs du temps, il y avait un ordre dans cette désarticulation qui faisait que les chrétiens critiques à l'égard de l'institution ecclésiale ne s'en remettaient, dans leur tension croyante, qu'à Dieu, qu'à une relation immédiatisée avec le Verbe divin qu'il assumait et recevait intérieurement dans la certitude d'un don gratuite de la salvation d'un chacun. Leur posture est, de manière existentielle, a-confessionnelle. Il faut bien sûr, afin de contextualiser cette posture, partir donc d'une première constatation: la France n'est pas restée à l'écart des remuements qui agitent les terres d'Empire depuis novembre 1517. Au cours des années 1519-1520, les premiers écrits du docteur de Wit-tenberg se vendent et s'achètent à Paris, au point qu'en juin 1521 le parlement promulgue l'interdiction aux libraires et imprimeurs de détenir et vendre des ouvrages n'ayant pas reçu l'approbation de la faculté de Théologie. Cette dernière, dès le mois d'avril, avait officiellement condamné le réformateur allemand pour avoir renouvelé les erreurs des Manichéens, Hussites, Wicléfites, Cathares et autres Vaudois. Intrinsèquement, la Sor-bonne ne peut envisager ceux qui se posent en posture critique, que sous l'angle de l'amalgame et de la dissémination, d'une forme de fantasme pluriforme; et donc sous l'angle également a-confessionnel, puisque les écrits luthériens constituent, sous le regard des théologiens romanistes, une sorte de melting-pot hérétique.

L'attaque antiluthérienne peut encore être repérée dès 1523 chez Simon de Colines, par l'impression de deux textes théologiques initiateurs. L'auteur est un dominicain, Lambert Campester, d'origine probablement germanique et plus précisément saxonne. Il est en relation

avec Pierre Popillon, le chancelier de la cour ducale des Bourbons, ce qui ouvre peut-être des perspectives sur l'arrière-plan politico-religieux de la machination du connétable. Ces deux textes sont VHeptacolon in summam scripturae sacrilegiae Martini Lutheri in Apologia ejus contentant et Apologia in Martinum Lutherum Haeresos Acephalorum, ac Sacrilegorum ante-signanum..}, dédicacée au premier président de Parlement Jean de Selves et à ses collègues. Le 11 août 1523, VHeptacolon reçut un avis favorable de la part de deux théologiens de la Sorbonne. Puis, plus tard, il fut saisi par ordre royal. Ce n'est pas la Determinatio qui sert de fil conducteur à la démarche critique du jacobin, car Campester travaille, comme l'a montré André Godin, de première main à partir de lectures personnelles du De capivitate babylonica Ecclesiae, de VAssertio omnium articulorum et peut-être des Commentaires sur les Epitres de Paul. Il s'attache d'abord au problème de la primauté pontificale, utilisant la Première épître de Pierre (II, 9), quand Pierre dit «vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, s'adressant à toute l'Église militante». La conclusion est la suivante: «Donc, l'Église est monarchique avec ses degrés et ses dignités.» Luther, aux yeux de Campester, est un révolté contre l'ordre établi, il promeut l'anarchie, puisqu'il refuse le pouvoir des lois de l'Église. Être libre, c'est obéir aux lois divines et humaines. Ce que le dominicain nomme la «liberté» et 1' «égalité» luthériennes ne débouchent que sur une «horrida et inordatissima confusio». Est ainsi accréditée l'image d'un Luther violent, à l'opposé de celle d'Érasme2. Le docteur de Wittenberg est un séditieux, thème qui est développé par la controverse contemporaine allemande, par exemple par les écrits de Thomas Murner, il faut reconnaître en lui l'Antéchrist ou Barrabas, dont la défaite est proche et à qui est promis le supplice des flammes.

Durant près de vingt années qui suivent, il n'y a pas en conséquence de paradigme confessionnel en œuvre dans le processus de segmentation religieuse. Indétermination et donc astructuration, tels sont les deux traits qui permettent de caractériser cette période, comme si la dynamique impliquait une sorte de fuite, de la part de ceux qui apparaissent

1 Godin, A. Lambert Campester, controversiste francophile et gyrovague, in: Luther en son temps 1483-1546, Table ronde de Montpellier, 22-23 avril 1983 / Ed. M. Peronnet. Montpellier, 1985. P. 85-97.

2 Voir Barrai-Baron, M. L'enfer d'Erasme: l'humaniste chrétien face à l'histoire. Genève, 2013.

en surface des tensions, devant la définition d'une identité religieuse. Seulement surgissent des parcours sotériologiques qui, entrecroisés empiriquement soit avec le désir d'une piété plus scripturaire que ritualiste, soit avec peut-être des frustrations sociales se sublimant dans l'accession directe à la Parole de Dieu, soit avec un anti-romanisme plus ou moins virulent, soit encore une aspiration fidéiste tendant à révéler un processus de fragilisation ou de questionnement des repères et des médiations sotériologiques3. Le témoignage même de cette complexité se trouverait au sein du groupe de Meaux qui se constitue en deux temps autour de l'évêque Briçonnet et de Jacques Lefèvre d'Etaples: ceux que les historiens nomment les «bibliens» sont difficilement caractérisables tant ils sont flexibles dans leurs déterminations: certains comme Martial Mazu-rier ou Gérard Roussel ciblent leur différence sur les abus de l'Église, ils semblent d'abord se faire les partisans d'une pastorale des Écritures données aux fidèles, mais il est fort possible que, face à la pression du parlement et de la Sorbonne, ils se soient eux-mêmes freinés dans leurs prises de postions critiques; d'autres comme Guillaume Farel, qui est un prédicateur laïque, sont des chrétiens de la gratuité du salut, du refus du Purgatoire et du culte des saints, et peut-être plus encore de la critique — proche de celle de Luther — de la hiérarchie ecclésiale soumise à Rome; d'autres enfin, comme Briçonnet, tout en faisant distribuer aux fidèles des Évangiles en français et en les invitant à les apporter aux offices, prennent des positions officiellement anti-luthériennes, dès le mardi de Pâques 15244.

Mais l'histoire ne gravite pas qu'autour du groupe évolutif et flexible de Meaux; clandestinement et au sein de segments sociaux aussi variés que multiples, surtout dans les villes et parfois dans certaines campagnes, de petits groupes se constituent informellement pour des réunions de prières et de lectures communes de la Parole de Dieu, à Toulouse comme à Lyon ou Orléans. C'est donc bien une phase empirique, aconfession-nelle, d'une recherche de la Vérité qu'il faut éviter de qualifier sous les mots de «luthérienne» ou même d'«évangélique». C'est une foi ouverte, incernable parce que occultant probablement les interrogations sur les

3 Febvre, L. Les origines de la réforme française et le problème des causes de la Réforme, in: Au cœur religieux du XVI' siècte / Ed. L. Febvre. Paris, 1957. P. 3-70.

4 Veissière, M. L'Evêque Guillaume Briçonnet (1470-1534): Contribution à la connaissance de la Réforme catholique à la veille du Concile de Trente. Provins, 1986.

dogmes, émiettée encore parce que se nourrissant dans chaque individualité d'un dialogue intime avec la Parole de Dieu secondarisant ou remettant en cause tout ce qui concerne la piété ritualiste à laquelle reste attachée l'Église. Une foi qui se nourrit de la Parole de vie, qui s'alimente de l'amour rédempteur du Christ présent dans sa Parole. Comme l'a écrit fortement Pierre Chaunu, la croyance des derniers temps du christianisme flamboyant est d'abord une croyance polarisée autour du «faire», qui fait se succéder des séquences d'obligations et des pratiques et qui, par là-même, ne renvoie pas à un possible de conscience et donc d'argumentation confessionnelle5: «nous avons affaire à une religion qui est essentiellement de participation. L'appartenance à l'Église confère un droit, une possibilité d'accès au salut... cette religion est une religion du faire, non du savoir». Elle ne confesse pas une foi, elle exige l'action de foi. Le christianisme n'est donc pas vécu comme une heuristique du salut puisque cette heuristique est encodée et donc neutralisée par le truchement d'un registre obligé, voire mécanique, de pratiques définies: il est vécu «au sein de cultures purement orales et guidé par un encadrement de clercs. Le savoir est limité à une catéchèse primaire, donnée trois ou quatre fois l'an par le prêtre qui rappelle les quatorze articles du Symbole, les dix commandements, les sept péchés capitaux, les sept sacrements». Comme le dit 1 evêque de Senlis Guillaume Petit dans le Viat de salut de 1526, «le simple peuple n'est pas obligé de croire explicitement les articles de salut, mais seulement les supérieurs à qui appartient de leur office rendre raison à ceux qui la demanderaient, au regard de la foi»6. Donc des rites d'observation d'interdits, des rites de passage, des rites de participation au Mystère, dans non pas une passivité mais une hyperactivité au contraire qui fait qu'il y avait, pour chacun, la possibilité de puiser dans un large registre d'actes de piété donnant des réponses possibles à toute interrogation sotériologique. Possibles et par là même pouvant ne plus suffire face à la pression des angoisses.

Pour les chrétiens qui basculent dans la spiritualité christique de l'indétermination par le truchement soit d'une sagesse ou philosophie

5 Chaunu, P. Eglise, culture et société: Essais sur Réforme et Contre-Réforme (1517-1620). Paris, 1981.

6 Guillaume Petit.. Le Viat de Salut, auquel est comprins lesposition du symbole, des dix commandemens de la Loy, du Pater noster, et Ave Maria. Livre très salutaire pour ung chascun chrestien. Paris, 1538.

du Christ, soit d'une attraction du solaßde sola scriptura, au «faire» se substitue une heuristique scripturaire: heuristique de la Parole de Dieu qui dépose en eux-mêmes une foi vivante, une foi «vive» comme ils disaient, qui était la foi du Christ présent en Esprit en soi. Louis de Ber-quin, un gentilhomme originaire de l'Artois, protégé à plusieurs reprises par la royauté, est finalement exécuté le 17 avril 1529. Il est un chrétien de la restitution des Évangiles antithétique de la foi médiatisée par les saints et la Vierge, dans la continuité d'Érasme. Mais l'important est qu'il a traduit Ulrich von Hutten et les Tesseradecas de Luther tout à la fois. Il est très représentatif de cette foi ouverte et malléable, qui s'alimente d'une approche plurielle permettant d'avancer dans l'intelligence des Écritures. Dans une Farce des théologastres dont il serait L'auteur, Berquin se présente très significativement comme le Mercure d'Allemagne, celui qui annonce aux Français les avancées de la foi dans le Saint-Empire; mais, à ses yeux, il y aurait une disponibilité multiple: sa foi est une foi expansive: dans la farce, ce sera grâce au «Grand textuaire» en qui se reconnaît Érasme, au «grant esperit Fabri», Lefèvre d'Etaples, et grâce à Mercure-Luther que la Raison sera en mesure de guérir la Foi rendue malade par les Sorbonagres, les théologiens de la faculté de Théologie arcboutés à leur défense du ritualisme. Et Berquin se définit en tant que «chrestien»7. S'il est l'objet de l'acharnement du syndic de la faculté de théologie, Noël Beda, ce fut sans doute moins pour de problématiques positions théologico-dogmatiques touchant à la révérence due aux saints et à la Vierge, que du fait du primat qu'il donnait, dans sa conscience de chrétien, à l'accession à la Parole de Dieu distributrice d'un christo-centrisme spirituel et permettant de retrouver ce que Lefèvre d'Etaples nommait un «culte pur». Un culte immédiatisé par lequel Dieu opère en l'homme et par lequel c'est par le Christ vivant dans le Logos que l'homme peut être justifié par sa foi. Ce que le Parlement de Paris stigmatise dans sa condamnation d'avril 1529, c'est cette lecture des Écritures en français qui fait que certains se séparent «du train commun des fidèles». Comme l'a écrit Thierry Wanegffelen, c'est précisément la tentation d'un christianisme a-confessionnel qui est en œuvre, exosystémique et adog-

7 Elle est imprimée par Baum, J. W. Franz Lambert von Avignon: Nach seinen Schriften und den gleichzeitigen Quellen dargestellt. Paris; Strasbourg, 1840. Voir Garside, C. La farce des théologastres: Humanism, Heresy, and the Sorbonne, 1523-1525, in: Rice University Studies. 1974. Vol. 60. P. 45-82.

matique dans la dispersion en des trajectoires individuelles développant un degré plus ou moins fort de distanciation critique par rapport à ce «train commun des fidèles»8. Ce christianisme des années 1520-1535 renvoie à une hybridité des référents, c'est un point essentiel. On pourrait poursuivre en effet en montrant que Farel, après la dissociation du groupe de Meaux, va plus loin encore dans la prise de distance, mais l'important est que, de ces variations diachroniques qui dénotent le primat d'une quête ne pouvant être que singulière, puisque ancrée dans la nourriture qu'est le Verbe, découle le fait d'une sensibilité religieuse a-confessionnelle relevant de la seule relation intime du croyant au Dieu vivant. La différence critique est donc à appréhender non pas comme l'adhésion à une foi construite, mais comme l'entrée dans une mouvance incertaine.

Dans ce sens vont encore les expériences mystiques de la sœur du roi lectrice de Luther, Marguerite de Navarre, et sa théologie d'un Dieu néant qui porte la marque aussi bien de Nicolas de Cues et Marsile Ficin que de Lefèvre d'Etaples et dans lequel la créature doit s'anéantir spirituellement comme dans un feu brûlant, comme Guillaume Briçonnet l'avait initialement enseigné à Marguerite. Théologie négative gravitant autour d'un Deus absconditus qui se révèle en se cachant et qui donc est, en n'étant pas, néo-platonisme, luthéranisme, érasmisme, fabrisme, devotio moderna, mystique rhénane. Il semble que le temps soit à de multiples variables de l'ordonnancement ou agencement de la foi, que le processus de crise religieuse débute par une tension de fuite devant l'identité même de foi. Avec Marguerite de Navarre, la trajectoire sera celle du miroir, dans une fusion objet-sujet, regardant-regardé. L'amour fait donc, de l'âme qui a reçu la foi, le lieu même du Christ, et l'amour n'est pas immobile, il ne peut que s'amplifier sans cesse par la seule satisfaction divine et dans l'oblitération du péché.

Car son amour est de si bonne sorte, Que sans l'aymer il m'ayme, et en l'aymant Par son amour sentz l'aymer doublement. Mon amour n'est pas pour l'aymer, mais la sienne En moy l'ayme, que ie sentz comme mienne. Il s'ayme donc en moy, et par m'aymer

8 Wanegffekn, T. Des chrétiens entre Rome et Genève: Une histoire du choix religieux en France, vers 1520-vers 1610. Paris, 1994. Vol 2. P. 177-201.

Il faict mon cueur par amour enflammer. Par ceste amour il se faict aymer tant, Que son effect (non moy) le rend content. Se contentant tousiours il multiplie Trop plus d'amour, qu'amour ne luy supplie.

On aurait avec le cercle de Marguerite de Navarre, le groupe de Meaux auparavant, des chrétiens en mouvement d'aller vers un Dieu qui, étant l'Inomminable, Tout et rien à la fois, ne pouvait être que le Dieu d'une Église invisible, Dieu-Logos9. Le Dieu qui court sous les mots du Pantagruel, dont la naissance, à l'issue d'une période de grande sécheresse symbolique de la privation de l'Évangile orchestrée par les théologiens romanistes, est l'allégorie d'un retour du Christ dont la parole est comparée à une eau revigorante, rendant la vie à ceux qui étaient comme morts. Mais une eau qui coule en apaisant la soif, qui par là-même ne peut être goûtée qu'individuellement.

Et le fait parallèle est que, face à cette heuristique de l'indétermination et de la singularité, les théologiens de la Sorbonne ne se posent pas en défenseurs d'une position qui aurait été en voie de confessionnalisa-tion par simple souci défensif, et qui donc aurait procédé de manière systématique: on l'a déjà entrevu, ce qu'ils dénoncent n'est pas cette indétermination, c'est, par amalgame, l'hérésie luthérienne dans laquelle ils réduisent ou contractent leurs adversaires, en démontrant qu'ils sont acharnés à détruire l'ordre hiérarchique de l'Église, la doctrine de la succession apostolique, les sacrements, le Purgatoire, les œuvres, le culte mariai, pour s'approprier, comme l'écrit Jehan Bouchet dans sa déplo-ration de l'Église militante, une nouvelle vie qui serait «pleine licence de paillardises, piller et gourmander..., vivre en impudence»10. Le motif du réveil de toutes les erreurs sectaires et donc hérétiques.

Dans ce contexte de fluidité et de multiplicité des référents plus collés les uns aux autres de manière plus désordonnée que structurée, la progression des idées nouvelles semble relativement lente, rendant

9 Marczuk-Szwed, B. L'inspiration biblique dans l'œuvre de Marguerite de Navarre: poésie-théâtre. Krakow, 1992; Guillaume Briçonnet, Marguerite d'Angoulême Correspondance (1521-1524). T. I: Années 1521-1522 / Éd. C. Martineau; M. Veissière; H. Heller. Genève, 1975-1979.

10 Jean Bouchet La déploration de l'Eglise militante / Ed. J. Britnell. Genève, 1991. P. 118-122.

compte, par delà les hésitations et les oscillations du roi François Ier, de la force d'une mobilisation activiste de nombre de clercs de l'Église traditionnelle. A mesure que les croyants critiques se laissent soupçonner plus nombreux, que se devine la grande force de séduction du salut par la seule foi, est durci un discours d'angoisse et de culpabilisation, fondé sur des références d'abord vétérotestamentaires. En réalité, ceux qui animent la réaction, les théologiens de la Sorbonne et une partie du Parlement, ne sont pas mus par l'adoption de ce qui serait une posture pré-confessionnelle. Ce qui compte pour eux, c'est le fantasme même qu'il projette sur les expériences empiriques de foi qu'ils dénoncent. Et dans ce fantasme, des hommes comme Noël Beda voient avant tout un événement eschatologique annonçant la colère de Dieu. Pour eux, ceux qui s'ingèrent de se mettre en marge de l'appareillage rituel de l'Église et qui «mangent l'Évangile toute crue» en ressuscitant les erreurs du passé, sont les faux prophètes prophétiques de l'Apocalypse, qu'il faut combattre par le fer et le feu. Ils compromettent le salut collectif et sont des périls à éradiquer, parce qu'ils attirent sur le peuple la colère divine. Leurs expériences déviantes ou critiques ne constituent pas un espace de croyance, parce que précisément ils relèvent, comme les faux prophètes de l'Apocalypse, d'une multiplicité d'erreurs et hérésies par lesquelles l'imminence du Jugement divin est signifiée. Pour les acteurs de la défense de l'Église, leurs adversaires ne sont pas une église, ils doivent être pensés en tant que sectaires; appartenant à une «secte», ils professent non pas une foi qui serait concurrente de la foi de l'Église romaine, mais des erreurs parmi lesquelles ils se déplacent sans points d'attaches fixes. Ils errent au double sens, littéral et étymologique, et donc se trompent.

Donnons ici un exemple qui se trouve relaté dans le Journal d'un bourgeois de Paris: la statue de la vierge de la rue du Roi de Sicile, ou rue des Juifs, est retrouvée mutilée, en avril 1528. La tête de Marie et celle de l'enfant Jésus ont été décapitées. «Lors le Roi étant à Paris, de ce averti, fut si courroucé et marri qu'on dit qu'il en pleura très fort». François Ier promit une prime de 1 000 écus à qui révélerait les noms des coupables. Ils ne seront jamais retrouvés. L'important est que l'acte iconoclaste est exploité ensuite par le syndic Beda dans le cadre de la lutte entreprise contre Berquin11. Tout se passe comme s'il s'était agi moins

11 Journal d'un bourgeois de Paris sous le règne de François premier (1515-1534) / Éd. L. Lalanne. Paris, 1866. P. 247.

de châtier Berquin en tant que responsable d'une cristallisation hétérodoxe dans la capitale que de certifier la restauration de la plénitude de la sacralité mariale à travers une manifestation miraculeuse: car le bourgeois de Paris relate: «or advint-il une chose qu'on estimoit lors miraculeuse»: un serviteur du chevalier s'évanouit devant une image de la vierge alors qu'il était porteur de «quelques lettres missives adressantes [c'est Berquin qui les avait écrites] à quelque sien amy familier». Ces lettres furent communiquées à un Jacobin qui prêchait le carême de 1529 dans l'Église Saint-Barthélemy et ensuite transmises à Beda qui indiqua des points de contenus sans doute considérés comme subversifs au Parlement. Comme si la Vierge, pourtant profanée quelques mois auparavant, avait elle-même signifié la miséricorde divine en offrant à Béda les moyens de châtier celui que la faculté de théologie estimait être coupable de la diffusion du scandale de certaines idées sectaires dans la capitale: «et depuis par grende diligence fut procédé par lesditz commissaires en son procès. Tellement qu'à ce jour de vendredi, seiziesme avril mil cinq cens vingt neuf, après Pasques, la sentence luy fut prononcée qui estoit en latin»: amende honorable sur le parvis de Notre-Dame, déchéance des titres et privilèges universitaires, langue percée, fleur de lys au front, prison perpétuelle avec défense de ne plus jamais recevoir de livres, destruction de ses livres en place de grève; mais l'appel de Berquin fit qu'il fut condamné à être étranglé et brûlé, le 17 avril; à peu près un an après l'acte iconoclaste. Mais essentiel est que la défense romaniste se fait un point particulier de la remise en cause de la croyance, et pas sur un corps de doctrines.

Dans cette perspective, il n'est pas pertinent d'imaginer que le fait de rupture serait intervenu au cours de la nuit du 17 au 18 octobre 1534, quand des placards imprimés à Neuchâtel, dénonçant en des termes très violents les «[•••] insupportables abus de la Messe papale» et donc le Dieu de pâte honoré de manière profanatoire par les prêtres, sont affichés aux carrefours de Paris et de cinq autres villes du royaume, et surtout, possiblement, sur la porte de la chambre du roi au château de Blois12. Certes une vague répressive suit, orchestrée par le Parlement et avec le soutien royal à partir seulement du mois de janvier quand à nouveau des libelles contre la messe sont affichés. Le dimanche 21 janvier 1535 est

12 Berthoud, G. Antoine Marcourt réformateur et pamphlétaire du «Livre des mar-chans» aux placards de 1534. Genève, 1973; Hari, R. Les placards de 1534, in: Aspects de la propagande religieuse / Éd. G. Berthoud. Genève, 1957. P. 79-142.

voué, toujours à Paris, à une grande procession eucharistique à laquelle François Ier en personne participe avec ses trois enfants, «[•••] cheminans à pied, teste nue avec cierges de cire blanche en la main»; six hérétiques sont brûlés durant ce rituel de pénitence collective. Nombreux sont ceux des croyants critiques qui ont fuit à l'étranger pour échapper aux poursuites, Jean Calvin à Strasbourg puis à Bâle, Clément Marot à Ferrare13. L'important n'est pas l'événement, mais plutôt le recentrage qu'il introduit, c'est-à-dire le basculement des enjeux d'un primat de l'imaginaire du Christ vivant dans les saintes Écritures et vécu intérieurement par ceux qui s'innervent du Verbe, à un refus de la présence réelle du sang et du corps du Christ dans les espèces du vin et du pain. Le fait de rupture n'est pas non plus à discerner dans la publication latine, en mars 1536 à Bâle, de L'Institutio Christianae religionis. Précédée par une épître dédiée au roi François Ier, elle tend alors à indiquer que le mouvance critique demeure encore dans l'attente et l'espoir d'une réorientation royale, elle veut faire comprendre au roi que ceux qui sont persécutés dans son royaume sont à la fois de bons sujets et de bons chrétiens. Il s'agit pour Calvin de sauver les dernières chances d'une foi ouverte; et il ne faut pas historiquement intégrer la première édition de VInstitution, parsemée de référents luthériens mais aussi érasmiens, voire humanistes au sens large, comme un acte de naissance confessionnel. VInstitution de 1536 n'a pas pour fin de confessionnaliser, de réformer et de conformer confessionnellement les aventures critiques, de les aspirer dans un processus de cristallisation ou de fixation. Elle est encore en 1536 sous le sceau de l'expérimentation sotériologique hybride qui caractérise les aventures religieuses des années 1520-1535. Comme l'a remarquablement analysé récemment Nathalie Szczech, son auteur ne doit pas être lu dans ce premier essai à la lumière des éditions ultérieures dynamisées désormais par une volonté de faire aller les hommes de foi vers la rupture avec Rome14. Toujours la tentation téléologique ! Calvin en 1536 n'est qu'un Calvin en tension, son objectif est de parler pour les fidèles persécutés et opprimés et prouver au roi qu'ils sont de bons chrétiens et de fidèles sujets. Les groupements de foi «[•••] sans qu'il y eût administration ordinaire de la Parole ou des

13 Clément Marot cité par Plattard, J. Marot, sa carrière poétique, son œuvre. Paris, 1938. P. 62.

14 Voir Szczech, N. Calvin polémiste. Une maïeutique du Verbe: Thèse de doctorat d'histoire moderne, Paris 4 Sorbonne. Paris, 2011.

sacrements ni consistoire établi» poursuivent après 1536 en effet leur histoire lente, se maintenant pour nombre d'entre leurs membres dans une posture nicodémite que Calvin va, significativement, bientôt dénoncer.

En fin de compte, le processus de distinction ou de différenciation confessionnelle n'est pas initié par les croyants en situation d'herméneutique critique, mais c'est au pouvoir royal, dans une séquence qui court de 1538 à 1543, qu'il revient d'avoir pris l'initiative d'une dynamique capitale.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le démarrage du processus de construction ou de stabilisation confessionnelle («stabiles Kirchentum») n'a pas en effet pour origine immédiate la défense de l'Église qui est alors l'objet des sermons et libelles polémiques dont les promoteurs sont majoritairement des théologiens de la Sorbonne. C'est le pouvoir royal qui déclenche le processus. Et pour comprendre les raisons de cet investissement monarchique qui passe par plusieurs paliers, il faut réfléchir à l'inflexion sacramentaire de 1534-35. Elle est capitale, car en rendant publique la stigmatisation de la transsubstantiation eucharistique, les sacramentaires du groupe de Neuchâtel remettent en cause la sacralité royale, l'imaginaire théophanique d'un roi qui est incarnation et donc présence corporelle du Christ durant son règne, d'une monarchie qui s'exprime à travers un roi au double corps, corps terrestre transmué mystérieusement, par une virtus divina déposée dans son sang, en un corps spirituel.

Là est la véritable rupture. François Ier' au terme de près de vingt années d'hésitations, a fait son choix après le choc de la seconde affaire des Placards de 1535, qu'il durcit le 30 août 1542 par une décision du conseil qui donne aux parlements le droit de faire arrêter de toute urgence tous les suspects de religion, d'enquêter, d'instruire puis de juger sans appel. La Sorbonne collabore à l'œuvre de lutte qui commence, en dressant une liste d'ouvrages proscrits. Surtout 25 articles sont élaborés par la Faculté de théologie, à la demande du roi, afin que doyen et docteurs de la faculté de théologie se réunissent «pour «rédiger en brief ordre ce que doyvent prescher et lire les fidèles docteurs et prédicateurs et les autres fidèles chrestiens croire avec l'Église catholique». Ces articles seront approuvés par le roi et enregistrés par voie de lit justice au parlement réticent pour cause de gallicanisme. Ils sont publiés le 10 mars 1543. Il s'agit là d'une date capitale, car désormais il n'est plus possible de se penser dans l'indétermination, car est mise en place une ligne de partage,

une frontière entre ceux qui obéissent au roi et ceux qui sont «rebelles et désobeyssans» envers lui et sa justice et rendant nécessaire par la même l'exercice d'une répression punitive. La ligne de partage passe par des points d'affirmation, tels que le libre arbitre, la nature sacramentelle de la confession et du mariage ou de l'extrême onction, la justification par simultanément la foi et les œuvres, la transsubstantiation, le culte des saints et de la vierge Marie reconnus comme intercesseurs, la croyance au Purgatoire, l'Église universelle seule interprète des Écritures. En tout cas, ce sont des critères de dogmes et d'ecclésiologie ouvrant à une identité confessionnelle «catholique et romaine» qui sont posés et isolés. Il n'y a plus de possibilité, désormais, pour une flexibilité de la croyance.

Il y aurait là une première séquence de construction confessionnelle, qui mettrait en valeur le pouvoir royal comme le décideur de la distinction religieuse, celui qui la qualifie et qui la régit. 1543 est l'année de conditionnalisation du processus de division religieuse. Ceci parce que la sacralité du Prince, telle qu'elle est authentifiée, passe par l'affirmation d'une double corporalité de la monarchie et que cette dualité n'est envisageable que dans le cadre stabilisé d'une confession au cœur de laquelle est affirmée la présence réelle du christ dans les espèces du pain et du vin lors de la cérémonie eucharistique.

Un décalage chronologique intervient cependant: si du côté de ceux qui vont être nommés les «papistes», le processus de clôture confessionnelle est mis en action dès 1543, il n'en est pas moins vrai que du côté des chrétiens critiques, c'est toujours par l'indétermination qu'il y a réplique. Si en effet Calvin répond aux Articles de 1543 par son Petit traictémonstrant que c'est que doitfaire un hommefidèle connaissant la vérité de l'Evangile quand il est entre les papistes et s'il engage tous ceux qui se refusent à suivre les 29 articles à ne pas entrer dans le champ de la dissimulation, c'est parce que le nicodémisme a été sans doute la voie majoritairement suivie par ceux qui hésitaient à se mettre en marge: et donc leur réponse a été une sorte de schizophrénie religieuse, donnant apparence de suivre les prescriptions dogmatiques et rituelles de l'Église romaine tout en vivant intérieurement une foi évangélique dont il faut penser qu'elle tente encore et toujours à persister dans une certaine posture hybride. Le maintien donc dans une indétermination, mais dédoublée en quelque sorte.

Et, du côté de Calvin, malgré le raidissement dogmatique qui transparaît des éditions renouvelées de VInstitution, est évidente une très grande

prudence, une volonté de ne pas rentrer dans la dynamique de la rupture confessionnelle que le pouvoir royal a déclenchée. Calvin en reste sur une position légaliste, qui reconnaît à l'autorité du prince seule d'être en mesure de mettre en œuvre le processus de changement religieux. Une position qui reflète sans doute une attente providentialiste. Tandis que pour les «papistes», le discours tend à se focaliser sur un lien entre identité confessionnelle et service actif de Dieu devant se traduire par l'adhésion à un engagement dans une violence d'extermination dont le roi doit être le promoteur et ses bons sujet les activistes, pour les hétérodoxes la situation demeure complexe. Calvin, depuis Genève pourtant entrée depuis 1541 dans la procédure de construction confessionnelle, joue singulièrement pour freiner la mise en action du processus confessionnel en France. S'il incite les nicodémites à sortir de leur indétermination et à préférer le martyre ou l'exil à la simulation, il temporise le plus longtemps possible face aux demandes de dressement d'Églises locales qui lui viennent de fidèles, de plus en plus nombreux au fil des années, qui se reconnaissent dans la quête spirituelle et ecclésiologique genevoise et qui donc témoignent d'un indéniable fait de fixation. Il est conduit à cette prudence par le raidissement même de la monarchie au service de l'identité confessionnelle catholique. La politique d'Henri II continue en effet dans la voie de la lutte symbolisée, après l'Entrée du souverain dans Paris en 1549, par sa décision de prendre part à une nouvelle procession eucharistique au cours de laquelle, à nouveau, des hérétiques sont brûlés15. L'arsenal répressif est renforcé dans un souci d'efficacité qui est supporté par les prédicateurs assimilant les «lutheriens» à la bête apocalyptique qu'il faut exterminer de toute urgence, parce que les hérétiques sont comme une gangrène menaçant de contaminer peu à peu tout le corps du peuple chrétien: ledit de Blois, en octobre 1547, institue au Parlement une chambre spéciale pour juger les hérétiques; il est suivi par ledit de Châteaubriant, en date du 27 juin 1551, qui rend publique la décision selon laquelle les sentences rendues par les cours civiles ordinaires seront désormais sans appel. Le marqueur de la mise en place de la frontière confessionnelle, ce sont les exécutions publiques d'individus reconnus pour être des hérétiques, pour cause de paroles blasphématoires ou de gestes iconoclastes, pour cause de commerce ou

15 Diefendorf, B. Beneath the Cross: Catholics and Huguenotz in Sixteenth-Century Paris. New York; Oxford, 1991. P. 47.

possession de livres interdits dont les listes sont établies. Les exécutions sont mises en scène par la justice du roi, au nom d'un roi qui se veut le défenseur de l'identité confessionnelle du royaume, une identité providentielle dont le souverain se veut le gardien. Et moins dans une optique de disciplination sociale et morale que dans celle d'une exhibition d'une hérésie qui est crime de lèse-majesté divine et humaine.

En réalité, il n'est pas indifférent de constater que dans le royaume de France, l'enclenchement du processus confessionnel, de ce que l'on peut nommer la cristallisation calvinienne, n'a pas pour origine immédiate Calvin. Il y a là à distinguer un paradigme confessionnel particularisé: si c'est le pouvoir royal qui en 1543 donne sa légitimation à un ordre confessionnel liant l'obéissance à une autorité à l'adhésion dogmatique et ecclésiologique, en 1555 c'est un modèle inversé qui intervient. Car c'est l'initiative d'un particulier qui aurait été décisive dans l'élaboration d'une autre frontière confessionnelle, dans le contexte d'un conventicule de prières comme il y en avait alors beaucoup dans le royaume dans la clandestinité. Tout aurait débuté par des réunions dans la maison d'un gentilhomme du Maine, le sieur de La Ferrière, installé à Paris avec sa famille pour mieux dissimuler son hétérodoxie dans la foule de la capitale: Y Histoire ecclesiastique rend compte de tensions entre indétermination et désir d'identité confessionnelle. Ce gentilhomme dont la femme était enceinte aurait refusé que l'enfant à naître soit baptisé «avec les superstitions et cérémonies acoustumées en l'Église Romaine». Il aurait demandé à l'assemblée de prières et de lectures des Écritures qui avait coutume de se réunir clandestinement au Pré-aux-Clercs d'élire un ministre qui put conférer le baptême. Il aurait affirmé se refuser à se résoudre à un baptême par l'Église romaine et posé que si l'enfant mourrait, tous les membres de l'assemblée seraient responsables. Dans ce contexte d'urgence, le ministre La Rivière fut élu, et ensuite il y a l'établissement d'un consistoire, composé de quelques Anciens et diacres, «qui veilloient sur l'eglise, le tout au plus près de l'exemple de l'Église primitive du temps des Apostres. Ceste œuvre véritablement est procedée de Dieu en toutes sortes...»16.

On le voit, alors que Calvin était encore réticent à ce que la Cène puisse être célébrée dans le royaume de France sur le modèle genevois,

16 Bèze, T. de Histoire ecclesiastique des eglises reformées au royaume de France, en laquelle est descrite au vray la renaissance et accroissement d'icelles depuis l'an M.D.XXI. jusques en l'annee M.D.LXIII... Anvers, 1580. T. 1. P. 99.

c'est de manière spontanée que la rupture aurait été agencée. Presque en même temps sont en outre, toujours probablement spontanément, «dressées» les Églises de Poitiers, Angers, Loudun, Meaux17. L'institutionnalisation confessionnelle suit donc une voie autonome par rapport au centre que veut être Genève dans la propagation de la Vérité retrouvée. C'est pour contenir cette demande confessionnelle que Calvin laisse s'accélérer ensuite le processus. Il lui faut éviter en effet que les communautés de prières soient prises en charge et confessionnalisées de manière incontrôlée par ceux qu'il nomme les «diviseurs de l'Église», qui sont souvent de possibles hétérodoxes de l'hétérodoxie, soit des «moyenneurs» à la recherche d'une solution intermédiaire permettant de s'accorder avec l'Église traditionnelle, soit des «temporiseurs» souhaitant poursuivre dans la voie d'une certaine indétermination visant à une possible réconciliation avec Rome, soit des radicaux anabaptistes. Il s'agit aussi, face à l'impatience des fidèles, de les canaliser et accompagner dans ce qui est le paradigme genevois. Le premier des ministres missionnaires part en 1555, suivi par quatre-vingt-huit autres (?) entre 1556 et 1562, pour la plupart formés dans les académies de Lausanne puis de Genève18. Et qui dit Église dressée, dit la Cène telle qu'elle est pratiquée à Genève. Il y a 34 églises dressées à la mort d'Henri II, Il y en aura autour de 1000 églises en 1561, et peut-être autour de 1700 en 1562. Quant au nombre même de ceux qui se nomment les disciples du Christ, il est très difficile à évaluer sans doute parce que l'attrait de la nouveauté, perceptible à travers les foules qui viennent écouter l'Évangile restitué, ne signifie pas automatiquement adhésion à la nouveauté. L'expansion est cependant spectaculaire, démontrant tout le potentiel de la dissidence de la décennie 1550 et ouvrant des perspectives sur l'importance des nicodémites d'entre 1543 et 1560. Des nicodémites qui, pour nombre d'entre eux, auraient fini par sortir de la voie de l'indétermination pour rentrer dans la conformation confessionnelle, comme si en définitive pour eux l'aventure individuelle dans une foi intériorisée et dans une Église invisible avait fini par marquer ses limites, comme si encore la voie de l'indétermination avait fini par révéler ses contradictions internes dans

17 M. Kingdon, R. Geneva and the Coming of the Wars of Religion in France. 1555-1563. Genève, 1956. P. 35.

18 Higman, F. La diffusion de la Réforme en France. Genève, 1992. P. 219-228.

le contexte de la fin de la décennies 1550 et si l'adhésion à la nouvelle foi avait progressivement acquis, avec les années, un potentiel sécurisant.

Cette expansion s'appuie sur non seulement l'encadrement par le mouvement missionnaire genevois, mais aussi sur une structuration dogmatique et ecclésiologique volontariste: 1557, un premier synode tenu à Poitiers voit plusieurs églises s'unir pour adopter une discipline à la fois congrégationaliste et genevoise, puis c'est en 1559 le consistoire de Paris qui prend l'initiative de convoquer un synode national qui adopte une confession de foi en 40 articles calquée sur le modèle genevois, ainsi qu'une discipline ecclésiastique qui se revendique d'une conformité apostolique et qui comprend quarante-six articles: six d'entre eux concernent l'organisation générale de l'Église, vingt-deux le ministère et les ordres, les autres s'intéressant à la discipline morale. Il faudrait y percevoir le souci de Calvin de ne pas perdre le contrôle du processus de fixation confessionnelle qui ne fait qu'accompagner une dynamique très rapide et intense des conversions touchant l'aristocratie et la noblesse et, selon des processus différenciés, les différentes strates des sociétés urbaines, une dynamique qui rapidement produit une autre accélération de l'histoire.

Le problème historique est que les deux paradigmes confessionnels, à partir de là, se traduisent par des positionnements violents d'autant plus nécessaires qu'aussi bien du côté catholique que du côté réformé la tension est à l'urgence: urgence pour les «papistes» de dédoubler l'exercice de la justice royale souvent impuissante à juguler la publicisation des idées nouvelles par une violence de destruction de ceux qui offensent Dieu et qui sont représentés comme des agents de Satan, des criminels faisant mourir à Dieu des âmes toujours plus nombreuses et corrompant un peuple qui de tous temps a été le peuple de Dieu. Urgence encore parce que la perception de l'hérésie est intégrée dans une angoisse oppressante de la fin des Temps et donc dans le pressentiment d'une colère divine imminente, sur laquelle les fidèles se doivent d'anticiper dans le service d'un Dieu jaloux. Urgence pour les «huguenots» d'imposer hic et nunc la liberté du «vrai culte» et, parallèlement de poursuivre l'action de conversion en détruisant les «pollutions» de l'honneur de Dieu, à commencer l'idolâtrie, pollutions qui, si elles subsistent, risquent d'entraver la restitution providentielle de la foi.

Des deux côtés, la structuration confessionnelle s'articule donc à une sensation d'urgence sotériologique qui détermine le surgissement

de la violence. Une violence que l'on peut définir comme confessante au sens où, de part et d'autre, elle a pour fin de projeter, sur un mode inversé puisque c'est à travers l'infidélité de l'ennemi de Dieu qu'elle est énoncée, les vérités de la foi. Les activistes catholiques font de la violence un acte de foi nécessaire, un instrument de défense et aussi de démonstration confessionnelles et les violences sont ritualisées en un théâtre de foi, un théâtre de la différenciation visant à montrer par l'animalisation, la téra-tologisation et l'infernalisation du corps de l'adversaire, qu'il ne fait plus partie du corps mystique du Christ qu'est l'Église, qu'il est un criminel au regard de Dieu19. La violence met en scène l'exigence divine d'exclusion, elle est confessante de la Vérité à travers l'exhibition de ce à quoi mène le mensonge, l'enfer, et donc d'un devoir de chaque chrétien d'agir contre ceux qui sont hors de l'Église. Un devoir qui passe par-dessus toute contingence d'ordre temporel et qui donc peut s'exercer contre la loi du roi, pour Dieu seul. Violence confessante, elle ne relève que de la sujétion à Dieu, c'est ce que les prédicateurs n'hésitent pas à proclamer pour mobiliser les foules dans leur combat. Au point qu'ils se posent en prophètes de cette obligation de confession de la foi par la violence et de stigmatisation de tous ceux qui s'y opposent. Au point aussi, au début du règne de Charles IX, de taxer Catherine de Médicis et le roi Antoine de Navarre, parce qu'ils cherchent à maintenir la paix civile et à freiner, d'être de nouveaux Jézabel et Achab. Au point qu'ils proclament que même les affects les plus intimes doivent bibliquement être occultés, liens de mari à femme, de père à fils, de frère à sœur. Antoine de Mouchy se réfère ainsi à Exode 32. Car y sont glorifiés les enfants de Lévi qui, au commandement de l'élu de Dieu, ont pris le glaive pour exterminer les trois mille hommes qui, délaissant l'honneur divin, avaient brisé l'Alliance en adorant le veau d'or. En ce temps paradigmatique nul ne fut épargné selon le théologien puisque, par la bouche de Moïse, Dieu ordonna que chacun «[•••] tue son frère, son ami, et son prochain [...]. Et Moyse dit: Vous avés aujourd'huy consacré vos mains au Seigneur, un chacun sur son fils et sur son frère, à fin que aujourd'huy vous soit donnée bénédiction». Antoine de Mouchy enseigne également au roi que, puisque les huguenots paillardent avec Satan, ils méritent le feu comme la fille du sacrificateur qui se prostituait (Lévitique 21,9). Paral-

19 Crouzet, D. Les guerriers de Dieu: La violence au temps des troubles de Religion vers 1525 - vers 1610. Seyssel, 1990.

lèlement, Dieu a dit que le blasphémateur doit mourir par lapidation (Lévitique 24,14), «[...] parquoy les hérétiques, non seulement blasphémateurs du nom de Dieu, ains de Dieu mesme, comment pourront ils estre exempts de peine [...]». L'idolâtre doit, selon les paroles venues à la bouche de Moïse, être puni par le glaive (Exode 22, 27)20.

Et du côté des réformés, la violence est également confessante, car elle vise à enseigner à tous la «pollution» de la gloire infinie de Dieu que constituent les images, les reliques, la transsubstantiation, le monachisme. En éradiquant les offenses à Dieu et ceux qui en assurent la perpétuation, les prêtres, elle veut enseigner la Vérité d'une Église évangélique vers laquelle Dieu appelle les siens à faire retour après des siècles de ténèbres. Et pour se faire confessante de cette vérité, la violence recourt au motif ludique de la folie. Après la venue du Christ et les années de vraie foi qui ont suivi la Passion, le peuple «fol» s'est mis en rébellion contre la pure Parole de Dieu à l'incitation de Rome. Les humains sont devenus de «povres insensez», et en sont revenus aux erreurs et abominations passées, parce qu'il ont oublié ce qui est le sens de toute vie chrétienne, l'Évangile. La violence doit permettre à l'homme et au peuple «abruty», de retirer «la toile» qui couvre ses yeux, de savoir ainsi que les reliques sont des os qui peuvent être jetés aux chiens, voire même des os de chiens. D'où des rituels pédagogiques exhibant les reliques devant la foule pour démontrer qu'il s'agit d'os d'animaux, d'où aussi des rituels tournant en dérision la folie d'imaginer que des images de pierre ou de bois puissent avoir un pouvoir de guérison. Les tournant en dérision jusque dans des simulacres d'exécution capitale faisant de l'image un criminel21.

Les événements qui mènent donc à la première guerre civile sont donc inscrits dans une dialectique complexe des deux confessions rivales par rapport à l'autorité royale. Pour les militants catholiques, si l'autorité politique temporise face à la destruction immédiate des ennemis de Dieu, il y a nécessité d'action spontanée car Dieu prime sur toute considération et dans l'Ancien testament il a toujours commandé de ne pas tergiverser face à ses ennemis. Pour les convertis à la religion

20 Crouzet, D. Le devoir d'obéissance à Dieu: imaginaires du pouvoir royal, in: Nouvelle revue du XVI e siècle, 2004. Vol. 22. P. 19-47.

21 Crouzet, D. Sur le désenchantement des corps saints au temps des troubles de religion, in: Reliques modernes / Ed. P. Boutry, F. Pierre Antoine, et al. Paris, 2009. T. 2. P. 436-482.

de l'Évangile, aussi bien lors de la conjuration d'Amboise, que lors des grandes vagues iconoclastes du midi au printemps et à l'automne 1561, les consignes de patience données par Calvin théorisant que seul le prince peut commander l'enlèvement des idoles et la licitation de la foi, sont dépassées par l'effet même de la rapidité de l'expansion confessionnelle, qui est représentée comme providentielle et appelant donc chacun à s'engager dans l'exaltation publique de la gloire divine. Une exaltation hic et nunc qui répond à une identification confessionnelle collective. Alors que, dans les villes du royaume, les prédicateurs de l'ancienne religion se déchaînent contre les hérétiques et que les premières échauffourées sanglantes sont signalées, les actes sacrilèges se multiplient à compter du mois d'octobre 1560. Le Sud-Ouest du royaume devient peu à peu un espace de crise iconoclaste, où les huguenots s'emparent de certains lieux cultuels catholiques et les transforment en temples purifiés de la souillure des images. Dans leur esprit de «frères en Christ», la Parole de Dieu doit être désormais publiée de manière irrémissible. Dieu veut que l'Évangile soit restitué à tout son peuple. Le règne du Christ est inéluctable, irrésistible, d'autant plus inéluctable et irrésistible qu'il paraît protégé par le groupe de pression politico-nobiliaire constitué derrière les deux Bourbons et l'amiral de Coligny. Violences et fixation confessionnelle dont donc indissociées et c'est cette articulation qui rend compte du basculement dans la guerre civile. Des deux côtés, il importe de ne pas attendre.

Dans ce contexte, se produit une mutation des rapports de forces capitale. On l'a vu, c'est le pouvoir royal qui a donné le coup d'envoi à la mise en place d'un paradigme confessionnel, en 1543 et qui n'a cessé de confirmer cette option, parfois de manière plus restrictive toutefois, jusqu'à la mort des rois Henri II et, sous le règne de François II, au début du mois de mars 1560. Or la monarchie entame, à contre-sens de son positionnement antérieur et parce qu'elle n'accepte pas que l'absoluité d'un souverain responsable seulement devant Dieu de l'exercice de son autorité se trouve subsidiarisée par l'effet du jeu des rivalités confessionnelles, un travail de «déconfessionnalisation» des antagonismes religieux. Les deux promoteurs de cette action sont Catherine de Médicis et son chancelier Michel de L'Hospital, sans doute appartenant à une part de la mouvance de foi qui a préféré le maintien dans la posture de l'indéter-

mination, dans la continuité d'un érasmisme articulé à une philosophie néo-platonicienne de la modération et de l'amour22. Et ce travail passe par une nouvelle conception de la sacralité monarchique, dans laquelle prime désormais le savoir du prince lui permettant d'accéder aux secrets d'un univers qui est source d'une connaissance de Dieu parce qu'il est parcouru par l'Esprit divin.

Déconfessionnalisation qui passe par plusieurs voies: tout s'accélère, après des signes avant-coureurs comme les édits d'Amboise ou de Romo-rantin, dès juillet 1561, quand le pouvoir cherche à affaiblir le potentiel attractif des assemblées réformées et de publicisation de la nouvelle confession en octroyant la liberté de conscience et en sollicitant le désarmement des protagonistes des troubles; puis intervient le grand projet du colloque de Poissy qui visait à neutraliser les césures conflictuelles en accordant les représentants des confessions sur le principe d'une voie moyenne luthéranisante, essentiellement sur la question de l'eucharistie. Du fait de l'échec de ces deux tentatives, c'est par un véritable coup de force institutionnel et religieux que Catherine de Médicis fait le choix de régler l'évolution conflictuelle. L edit promulgué le 17 janvier 1562 accorde en effet la liberté de culte aux huguenots à la condition que cette dernière soit exercée à l'extérieur des murailles urbaines et en présence des officiers du roi. Même si 1 edit de janvier semble entériner une situation bi-confessionnelle, il faut bien voir que, dans la perspective monarchique, cette cohabitation des confessions n'était pensée que temporaire. Elle visait à maintenir les sujets du roi en paix, à les détourner de la violence confessante qui, en détruisant la paix civile dont le souverain était le garant, ne faisait que plonger le royaume dans les passions les plus barbares et donc l'éloigner de Dieu. Par la paix, la volonté de Catherine de Médicis et de Michel de L'Hospital était de créer une durée intermédiaire permettant aux sujets du roi de vivre ensemble, de demander pardon à Dieu pour des péchés ayant entraîné le châtiment divin qu'était la division confessionnelle, afin que Dieu, providentiellement, leur redonne l'unité de foi. Ainsi dans la harangue qu'il avait prononcée devant l'assemblée de Poissy, Michel de L'Hospital avait-il

22 Voir Crouzet, D. Le «haut cœur» de Catherine de Médicis: Histoire d'une raison politique au temps du massacre de la Saint-Barthélemy. Paris, 2005; Crouzet, D. La sagesse et le malheur: Michel de L'Hospital chancelier de France. Seyssel, 1998.

dénoncé le gouvernant qui voudrait imiter le médecin se contentant de donner au malade des remèdes temporaires sans chercher la cause de son mal et sans vouloir donc vraiment le guérir. Certes, dans l'immédiat, il y a urgence, et comme pour l'instant il ne sert à rien de se contenter d'attendre la réunion souhaitée d'un concile universel, il faut, souligna-t-il, procéder par «humilité», ne pas se bloquer dans des attitudes négatives face aux huguenots, «[•••] et ne les condamner témérairement, mais les appeller, cercher et recercher: ne leur fermer la porte, ains les recevoir en toute douceur [...]». Pour poursuivre dans ces contre-feux placés par le pouvoir royal face à l'institutionnalisation confessionnelle, il faudrait bien sûr citer l'envoi d'une délégation française au concile de Trente avec mission de chercher à restaurer un dialogue avec les réformés, puis le blocage volontairement organisé par la monarchie pour empêcher la réception des décrets tridentins.

La dynamique événementielle n'est donc pas à relier à une application du modèle de la construction confessionnelle, en France, qui aurait vu le pouvoir monarchique instrumentaliser le fait religieux à des fins de disciplination. Elle passe au contraire, à partir de 1561, par une décon-fessionalisation qui découle d edits royaux ordonnant le désarmement, la vie en commun sans «s'agresser», l'acceptation de la co-existence pacifique rendue possible par l'octroi de la liberté de conscience et de celle de culte. Elle passe aussi par une lutte de l'État royal ciblée contre l'exclusivisme confessionnel tel que la seconde Ligue tente de l'imposer entre 1585-1598, un exclusivisme promouvant le service de Dieu comme primant sur toute autre obligation d'obéissance et ordonnant la révolte voire le régicide à celui que sa foi a embrasé d'un feu spirituel. Le «zélé» se définit par son refus de la conciliation et du pardon, de la temporisation. La flamme qui est en son cœur le brûle au point qu'il ne pense qu'à exterminer l'ennemi de Dieu, que toutes ses pensées ne visent en tous les instants de sa vie présente qu'à cette fin. L'adversaire est un adversaire qui s'est mis au service de Satan, encourant la justice divine sans possibilité de rémission. Il est un «hypocrite» et assassin, qu'il soit Henri III ou Henri de Navarre ou un Politique. Aucune conciliation ne doit être envisagée face à ceux qui conspirent la subversion de l'Eglise de Dieu: punition et extermination, tel est le mot d'ordre; et ne jamais accepter de laisser subsister l'exercice de la «fausse religion» des hérétiques dans

le royaume23. De toute manière, l'hérétique est le contraire du zélé, habité et possédé par un feu divin; il est mort à Jésus Christ à l'instant même où il est sorti de son Église, il est comme «sec et aride de toute grâce divine», sans vie24. Il n'y a pas homicide quand un Catholique combattant pour le Christ tue un ennemi de Dieu: ce dernier est mis à mort sans que son meurtrier encoure de péril pour son âme: «s'il tue il faict la conqueste de son seigneur, et la sienne s'il y est tué». La mort est sacrée pour le bon catholique et si elle est donnée, elle est «exempte de crime, et pleine de mérité et de gloire»25. L'anonyme L.S.V. l'exprime fortement dans son libelle: faire la guerre, c'est faire la guerre avec le Christ et n'avoir aucune crainte de tomber en péché en tuant l'hérétique: les guerriers de Dieu sont «inculpables». Faire la guerre c'est participer à l'instauration du règne du Christ vivant26. Faire la guerre au roi impie n'est pas désobéir à Dieu. La violence est sainte comme l'avaient proclamé dès les années 1550-1560 les prophètes Artus Désiré, Antoine de Mouchy ou Simon Vigor: c'est Jésus Christ qui reçoit favorablement aussi bien la mort qu'ils donnent que la mort qu'ils reçoivent en offrande. La cause est juste et «quand il met à mort le méchant, le zélé n'est pas homicide, mais «mali-cide». Dieu est glorifié par cet acte qui est aussi son acte puisqu'il épouse son désir27. Contre cette tentation mystico-théocratique, qui vise à fondre le pouvoir d'ici bas dans le pouvoir de Dieu, et ouvre au tyrannicide, Henri III et Henri IV affirment que la finalité de l'État royal n'est pas une

23 De la puissance des Roys, contre l'usurpation du Tiltre et Qualité de Roy de France, faicte par le Roy de Navarre: et de l'Asseurance que peuvent avoir en luy les Catholiques. Où sont comprises plusieurs questions très utiles, dont le Sommaire est au fueillet ensuivant. Paris, 1589. P. 168.

24 Caumont, J. de Du firmament des catholiques contre l'abisme des Hereticques. Où est monstré que le seul catholique sera sauvé, et que tous hérétiques de quelque secte que ce soit, et tous leurs paroissiens sont exclus du royaume de Jesuschrist, tout autant que les idolâtres et adorateurs du diable. Paris, 1587. P. 12.

25 Les Raisons pour lesquelles Henry de Bourbon, soy disant Roy de Navarre ne peult, et ne doit estre receu, approuvé, ne recogneu Roy de France. Avec les res-ponses aux plus communes objections des Polytiques. Paris, 1591. P. 37.

26 Crouzet, D. L'imaginaire du zèle ligueur: Entre conversion et possession, in: A Re-view of the Past and Other Stories, 2006. Vol. 6. P. 106-133.

27 [L.S.V.] Commentaire et remarques chrestiennes sur l'edict d'Union de l'An 1588. Où est escrit le devoir d'un vray Catholique contre les Polytiques de nostre temps. Paris, 1590. P. 28.

stratégie univoque de confessionalisation lui apportant temporairement une sursacralisation.

Ledit de janvier 1562 portait en ses contenus et visées une stratégie de déconfessionnalisation qui, on le sait, échoue et débouche sur l'enclenchement dans la guerre civile du fait du massacre perpétré à Vassy, le 1er mars 1562, par le duc de Guise et son escorte. Dès lors, il n'est plus question de réconciliation avant mars 1563, la reine mère et son fils étant plus ou moins contraints, par l'effet du jeu du rapport des forces, de se placer sous la protection obligée du Triumvirat catholique. Mais tout au long des quarante années entrecoupées de huit guerres civiles et de périodes plus ou moins longues de pacification, la royauté continue à travailler à cet imaginaire, à travers la promulgation d edits de paix qui ont pour finalité d'organiser juridiquement la cohabitation des confessions, toujours dans l'optique d'enseigner au gouvernés qu'il est possible de vivre dans une communauté civile malgré les différences dogmatiques et ecclésiologiques, et sans la nécessité du recours à la violence. De là découle que la France, dans le paradigme de la confessionalisation, est un cas à part par rapport à ce qui a été systématisé pour le Saint-Empire: le pouvoir, après quelques années où il a été l'initiateur d'une stratégie de construction ou de formation confessionnelle, a perçu son impuissance à réguler la mécanique mise en marche et dont l'implication première était, à retardement, le conflit civil des confessions. Il a fait machine arrière. De la sorte, il s'est déporté vers une position antinomique, qui a consisté à au contraire chercher à défaire le processus de construction confessionnelle, à travers différentes interventions iréniques dont les plus notables sont les édits de pacification — dont l'Edit de Nantes qui met fin à la crise en octroyant aux réformés une série de privilèges. Mais il faut voir qu'il a eu aussi paradoxalement recours, dans cette stratégie, à ce contre quoi il luttait, la violence, par exemple lors du massacre de la Saint-Barthélemy ou lors du coup de Majesté qu'a été l'assassinat des frères Guises en décembre 1588...

Il faut donc le dire, le modèle de la confessionalisation, dans ses données et ses implications, n'est pas opératoire dans la France du xvie siècle, du moins dans les termes catégoriques argumentés par Heinz Schilling. C'est plutôt un paradigme antinomique qui aurait joué... Une histoire à l'envers.

Information on the article / Информация о статье

Crouzet, D. Une histoire à l'envers? Le roi et la division de la foi dans le royaume de France au XVIe siècle, in: Proslogion: Studies in Medieval and Early Modem Social History and Culture. 2106. Vol. 1(13). P. 85-112.

Дени Крузе

Доктор истории, профессор, Университет Париж IV Сорбонна (75230, Франция, Париж, 1 ул. Виктора Куси)

denis. crouzetgiparis-sorbonne. fr

УДК 94 (44)

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История наизнанку? Король и религиозный раскол во Французском королевстве в XVI в.

В статье приведены размышления о процессе конфессионального деления и институционализации во Франции периода Религиозных войн. Также рассмотрен исторический путь, приведший к фиксации конфессий и к последствиям этого в сфере гражданской жизни, который некоторые историки склонны воспринимать углом зрения «дисциплинирующего напряжения», используемого государством как инструмент для образования некого «Untertanengesellschaft».

В противоположность такому подходу автор предлагает гипотезу, согласно которой во Французском королевстве конфессиональная дифференциация происходила не в рамках «Verstaatlichungsprozess», «огосударствления» религии. Наоборот, королевское государство пыталось, чтобы предотвратить последствия, опасные в гражданском и религиозном плане, использовать в среднесрочной перспективе стратегию «декон-фессионализации». Именно для того, чтобы не допустить создания конфессиональных границ, появление которых теоретически следует из Konfessionbildung, и трудилось государство во Франции в течение всего «долгого XVI века». Государство играло на стороне противников принципа «модернизации», пытаясь вновь включить разные церкви в исторический процесс, который бы заново объединил их. Автор показывает, что из конфессиональной парадигмы следует модернизация и секуляризация.

Ключевые слова: история Франции, XVI столетие, Религиозные войны, католики и протестанты, конфессиональная дифференциация, деконфессионализация, секуляризация, история церквей.

Denis Crouzet

Doctor in history, professor, Paris-Sorbonne University (75230, France, Paris, 1 rue Victor Cousin)

denis.crouzetQiparis-sorbonne.fr

A history backwards? The king and the division of thefaith in the kingdom of France in the 16th century

The article presents reflections on the process of confessional division and institutionalization in France in the period of the Religious wars. The author studies the circumstance that led to fixation of religions and its consequences in the civil life, that some historians tend to understand as disciplining tension used by the state as the instrument of Untertanengesellschaft formation.

In contrast to this approach, the author proposes the hypothesis that in the French kingdom confessional differentiation was not part of the Verstaat-lichungsprozess. On the contrary, the Royal government sought, to prevent the consequences of, dangerous in civil and religious terms, to use strategy of deconfessionalisation. During the long 16th century French government tried to prevent the establishment of confessional boundaries, which follows from Konfessionbildung,. It played on the side of the opponents of "modernization" of the state, trying to re-insert different churches in the historical process, which would re-combined them. The author shows, that from confession paradigm modernization and secularization followed.

Keywords: History of France, the 16th century, the Religious wars, Catholics, Protestants, confessional differentiation, deconfessionalization, secularization, history of Churches.

Список источников и литературы / References

[L.S.V.] Commentaire et remarques chrestiennes sur l'edict d'Union de l'An 1588. Où est escrit le devoir d'un vray Catholique contre les Polytiques de nostre temps. Paris: Rolin Thierry, 1590.

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Wanegffelen, T. Des chrétiens entre Rome et Genève: Une histoire du choix religieux en France, vers 1520 - vers 1610: Diss. Paris: s. n., 1994. (unpublished).

Serge Brunet

CONSISTOIRES CALVINISTES ET CONSULATS MÉRIDIONAUX DANS LES PREMIERS AFFRONTEMENTS RELIGIEUX

(1560-1562)

Le Midi du royaume de France a été perçu comme «la terre d'élection du calvinisme»1. L'identification de ce «croissant réformé dont les cornes seraient Lyon et La Rochelle» conserve cependant une dimension téléo-logique. Nous choisissons d'interroger le cadre administratif, législatif et coutumier de ce Midi français qui accueille le «croissant réformé». C'est essentiellement à l'échelle des communautés d'habitants que nous porterons notre attention. Cette position doit nous permettre de mieux comprendre les modalités de l'installation des communautés réformées et la rapidité de leur mobilisation lors des affrontements majeurs qui précèdent le massacre de Wassy (1er mars 1562), selon une chronologie qui permettait de reporter la responsabilité du déclenchement des guerres de Religion sur François de Guise2.

«Laisser courir la parole» (Luther) ou bien préparer la prise du pouvoir?

Biaise de Monluc, Antoine de Noailles, gouverneur de Bordeaux, mais aussi Guillaume de Joyeuse, lieutenant du gouverneur en Languedoc, sont perçus comme autant de Cassandre lorsqu'ils préviennent la cour de France complots protestants3. Philip Benedict a retracé les levées de troupes par les Eglises réformées à la fin de l'année 1561. Il les considère consécutives à la demande qui leur a été faite par Théodore de

1 Garrisson, J. Protestants du Midi 1591-1598. Toulouse, 1991. P. 7.

2 Durot, E. François de Lorraine: Duc de Guise entre Dieu et le roi. Paris, 2012. P. 688-703.

3 Estarague, N. Guillaume de Joyeuse, lieutenant du gouverneur de Languedoc, face au déclenchement des guerres de Religion (1559-1563): Mémoire de master 2. Montpellier, 2012., que nous remercions pour sa contribution à cette étude.

© Serge Brunet, 2016

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