Научная статья на тему 'Supernatural in the wars of religion: a chronological draught'

Supernatural in the wars of religion: a chronological draught Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

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Ключевые слова
ИСТОРИЯ ФРАНЦИИ / XVI ВЕК / РЕЛИГИОЗНЫЕ ВОЙНЫ / РЕФОРМАЦИЯ / КАТОЛИКИ И ГУГЕНОТЫ / ИСТОРИЯ СВЕРХЪЕСТЕСТВЕННОГО / БОЖЕСТВЕННЫЕ ЧУДЕСА / ИКОНОБОРЧЕСТВО / HISTORY OF FRANCE / 16TH CENTURY / RELIGIOUS WARS / REFORMATION / CATHOLICS / HUGUENOTS / HISTORY OF SUPERNATURAL / DIVINE MIRACLES / ICONOCLASTIC FIGHT

Аннотация научной статьи по языкознанию и литературоведению, автор научной работы — Бальзамо Никола

Данная статья не ставит своей целью изложить историю сверхъестественного в эпоху Религиозных войн во Франции, но всего лишь дать набросок хронологии его проявлений. Автор обосновывает точку зрения, что хронология борьбы верований католиков и гугенотов XVI в. отнюдь не является точным отражением военных баталий Гражданских войн. Столкновение разных форм религиозного воображения в эпоху Реформации, с точки зрения католиков, состояло из трех этапов. Первым этапом являются предвоенные годы (1550-е), во время которых чудеса воспринимаются как доказательства того, что Господь, несмотря на то, что он допустил распространение новых еретических учений, тем не менее, остается на стороне католической церкви и не дает ей погибнуть. Начиная с 1562 г., ситуация меняется: наступление гугенотов сопровождается иконоборческой революцией, «Господь молчит», и ничто не останавливает протестантского натиска: эта ситуация приводит католиков в смятение, причиной и следствием которого следует считать отсутствие чудес. Но это затмение оказывается временным: начиная с 1566 г. и т.н. «Ланских событий», католическое сверхъестественное вновь выходит на историческую сцену с тем, чтобы уже не покидать ее до окончания Религиозных войн.

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Сверхъестественное в Религиозных войнах: Хронологические зарисовки

The article doesn’t summary history of supernatural during the era of the Religious wars in France, but only makes a sketch of chronology of its manifestations. The author argues that the chronology of fight of the Catholics and the Huguenots beliefs in the 16th century doesn’t correspond to chronology of military fi ghts of the Civil wars. Struggle of different forms of religious imagination in the age of Reformation, from the point of view of Catholics, consisted of three stages. Th e fi rst stage took place in the paramilitary years (1550s), when miracles were perceived as proofs, that the Lord, in spite of allowing new heresies to extend, nevertheless, remained on the side of the Catholic church and wouldn’t allow it to die. Since 1562 the situation changed: approach of Huguenots was followed by iconoclastic revolution, the Lord was silent and nothing stopped Protestant onslaught. The situation immersed the Catholics in confusion, which cause and effect was lack of miracles. But this eclipse was temporary: since 1566 and so-called “events in Laon” the Catholic supernatural stepped on the historical stage again and didn’t vanish by the end of Religious wars.

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T. P. Voronova. Bournemouth/Saint-Pétersbourg: Parkstone; d'art Aurora, 1996. 287 p.

Sbornik documentov P. P. Dubrovskogo: Katalog [Collection of documents of P. P. Dubrovskiy: Catalogue] / Ed. by T. V. Luizova, P. Voronova. Leningrad: s. п., 1979. 131 s. [Сборник документов коллекции П. П. Дубровского: Каталог /Отв. ред. Т. В. Луизова, Т. П. Воронова. Ленинград: s.п., 1979... 131 е.]

Voronova Т. P. Chasovnik Marii Stuart in: Istoria v rukopisjah г rukopisi v istorii [The Book of Hours of Mary Stuart] / Ed. by G. P. Enin. Sankt-Peterburg: RNB, 2006. S. 95-100 [Original title: Воронова, Т. П. Часовник Марии Стюарт, в кн.: История в рукописях и рукописи в истории / Отв. ред. Г. П. Енин. Санкт-Петербург: РНБ, 2006. С. 95-100].

Archival materials

La Bibliothèque nationale de Russie (BNR, Российская национальная библиотека)

F. 971. Aut. 90/1. N. 17, 25, 28-29, 36, 39, 40, 42a, 46, 60-61.

F. 971. Aut. 90/2. N. 4, 23-25, 30, 44-45, 50.

F. 971. Aut. 34/2. N. 29, 30-31, 52-55.

F. 971. Aut. 12. 3, 28-34, 36.

F. 955. Lat.Q.v.1.112.

Huntingdon Library (San Marino, California)

MS 1200

PARTIE 2

FOI ET ENGAGEMENT CONFESSIONNEL

Nicolas Balzamo

LE SURNATUREL DANS LES GUERRES DE RELIGION ESQUISSE CHRONOLOGIQUE

Semblable en cela à Madame du Deffand qui affirmait ne pas croire aux fantômes tout en assurant qu'elle en avait peur, l'historien n'est pas tenu de croire au surnaturel pour apprécier sa valeur heuristique. Combien plus l'historien des guerres de Religion. Car à côté des affrontements matériels qui opposèrent des armées, des partis, des clientèles et des familles, les guerres de Religion mirent aux prises des imaginaires. Imaginaire de croisade, de pénitence, d'éradication de la souillure hérétique d'un côté; imaginaire de destruction de l'idolâtrie, de rétablissement du pur Évangile de l'autre. Reste que ce versant est plus difficile à appréhender que d'autres: l'imaginaire n'est pas une institution et ne laisse guère d'archives. Ses traces sont toujours indirectes, plus ou moins cachées. Il faut les traquer ici et là, trouver des révélateurs, des indices. Le surnaturel en est un. Il a partie liée avec l'imaginaire dont il est une sorte de reflet. Tous deux mettent en scène les mêmes personnages, à savoir les êtres surnaturels — Dieu, Satan, les saints, les diables — qui agissent en fonction du système de croyances au sein duquel ils prennent place. Spectaculaire parfois, perceptible toujours, leur action sollicite l'attention des hommes qui se fige, parfois, en une trace écrite. Le surnaturel est la face historiquement émergée et donc exploitable de cet immense iceberg qu'est l'imaginaire religieux.

La présente étude n'entend pas proposer une histoire du surnaturel au temps des guerres de Religion mais, plus modestement, esquisser une chronologie de ses manifestations. Car s'il est vrai que la chronologie est l'épine dorsale de l'Histoire, il est également vrai que cette épine dorsale est fondamentalement multiple. A l'intérieur d'une même période

© Nicolas Balzamo, 2016

historique cohabitent plusieurs chronologies parallèles dont les points nodaux ne se recoupent pas toujours. La chronologie de la lutte des imaginaires n'est pas l'exact reflet de celle des affrontements militaires. Les pages qui suivent voudraient en apporter la preuve.

Avant les guerres

C'est en 1528 que le surnaturel fît sa première apparition marquante sur le théâtre des affrontements religieux. L'affaire est bien connue. Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 15281, une statue de la Vierge qui ornait l'angle de la rue aux Juifs et de la rue du Roi-de-Sicile fut mutilée. L'émotion fut immense et la riposte à la hauteur du défi. François Ier promit une récompense colossale — 1 000 écus d'or — à quiconque aiderait à la capture des coupables et prit personnellement la tête de la grande procession de réparation qui vit le roi placer une nouvelle statue dans la niche qui avait abrité l'ancienne2. Dieu ne fut pas en reste: quelques jours plus tard, l'ancienne effigie, qui avait été déposée à l'église Saint-Gervais, commença à faire des miracles en ressuscitant plusieurs enfants mort-nés3. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Des chansons furent composées. Des libelles furent imprimés, dont deux nous sont parvenus. L'un d'eux, une ballade intitulée S'ensuyt le miracle notable, faict en la ville de Paris, déploie un argumentaire fort simple: la Vierge ne cesse d'intercéder pour les hommes auprès de Dieu; il est bon de la prier et de requérir son aide; elle le montre quotidiennement comme par cet enfant ressuscité à Saint-Gervais le 16 juin. Quant à ces «luthériens» qui disent le contraire, refusent de prier la Vierge et l'insultent, ils sont non seulement criminels mais également insensés, aveugles à la réalité. Cette réalité, c'est le miracle, occurrence concrète et immédiatement perceptible du surnaturel:

1 Mais peut-être fut-ce la nuit du 1er au 2 juin ou bien celle du 3 au 4; les sources sont contradictoires quant à la date exacte.

2 Pour une analyse détaillée des cérémonies de réparation, cf. Christin, 0. Une révolution symbolique: L'iconoclasme huguenot et la reconstruction catholique. Paris, 1991. P. 179-190.

3 Le journal d'un bourgeois de Paris sous le règne de François 1er (1515-1536) / Ed. V.-L. Bourrilly. Paris, 1910. P. 294; Nicolas Versons. Livre de raison de Me Nicolas Versoris avocat au Parlement de Paris 1519-1530 / Éd. G. Charles Fagniez. Paris, 1885. P. 208.

Cecy ne saroient nyer Tous maleureux luteriens, Car il y eust notables gens Qui le virent, n'en doubtes riens4.

L'argumentation — le miracle qui vient confirmer le dogme — est classique. Plus généralement, toute l'affaire de 1528 est on ne peut plus traditionnelle par sa facture: sacrilège suivi d'un miracle qui sonne comme un désaveu des blasphémateurs. En ces temps d'affrontements religieux, le surnaturel se trouvait tout naturellement revêtu d'une valeur probatoire.

Pomme de discorde entre les confessions, l'eucharistie devait fatalement générer des histoires analogues. Le premier exemple connu prit place en 1532 dans un village picard, Marseille-en-Beauvaisis. Des hommes — des hérétiques disait la rumeur — y avaient volé un ciboire et jeté les hosties qu'il contenait dans un buisson. On était fin décembre, la neige tombait à gros flocons. Mais Dieu ne voulut pas que les hosties fussent perdues et la neige ne les recouvrit pas. Découvertes quelques jours plus tard par un passant, elles furent transportées en grande pompe à l'église. Quant à l'endroit où elles avaient été retrouvées, on y érigea une croix qui ne tarda pas à attirer pèlerins et malades et à opérer des guérisons5. Là encore, Dieu avait clairement parlé et démontré la justesse du dogme défendu par l'Église et l'inanité des doctrines hérétiques. L'histoire se répéta vingt ans plus tard à l'Aigle, petit village normand. Des hosties jetées dans un buisson suite à un vol furent retrouvées par des bergers qui les aperçurent voltigeant dans les airs. Diligentée par l'évêque d'Evreux, une enquête officielle conclut à l'authenticité du prodige et les hosties devinrent à leur tour l'objet d'un culte6. Nouveau miracle eucharistique à Pessac, près de Bordeaux, en 1560. Un homme qui se trouvait à l'article de la mort refusa l'hostie qu'un prêtre était venu lui apporter: il préférait, lui dit-il, avaler un crapaud plutôt que l'eucharistie. A peine avait-il proféré ces paroles qu'un diable surgit

4 S'ensuyt le miracle notable, faict en la ville de Paris. Paris, S. d. [c. 1528]. F. 4r.

5 Bonzon, A. Le miracle de Marseille-en-Beauvaisis (XVIe siècle) et sa fonction dans l'histoire locale, in: Le miracle de Faverney: L'eucharistie: Environnement et temps de l'histoire /Éd. C. Marchai, M. Tramaux. Besançon, 2010. P. 65-79.

6 Vaugeois, J. F. G. Histoire des antiquités de la ville de l'Aigle. L'Aigle, 1841. P. 326-328.

et l'emporta dans les airs. «Ne priés pas Dieu pour moi, je suis damné !», furent ses dernières paroles7.

Qu'il s'agisse d'images ou d'hosties, le mécanisme était toujours le même: le surnaturel avait valeur illustrative et probatoire. Par ces miracles, c'est Dieu lui-même qui intervenait visiblement dans les affaires des hommes pour conforter l'Église catholique et confondre les hérétiques. Il montrait que les images étaient dignes de vénération, que l'hostie, une fois consacrée, était réellement et pour toujours le corps du Christ. Dieu avait choisi son camp et le faisait savoir.

Non seulement l'époque voyait se produire des miracles à haute valeur théologique ajoutée, mais des prodiges plus classiques, de guérison notamment, se voyaient désormais parés d'une signification polémique. Un bon exemple est fourni par les événements qui eurent lieu à Saint-Mathurin de Larchant en 1530. C'était un sanctuaire relativement célèbre, spécialisé dans la guérison des fous et des possédés — la distinction entre ces deux phénomènes n'était pas très claire à l'époque. Il était loin d'être le seul et le royaume de France comptait de nombreux lieux saints qui pouvaient faire état d'une spécialisation analogue: la cathédrale de Carpentras, les églises paroissiales de Saint-Briac et Saint-Samson en Bretagne, les collégiales Saint-Denis d'Amboise et Saint-Maurice de Chartres, les monastères de Moutiers-Saint-Jean en Bourgogne et de Saint-Bertaud en Champagne, autant de sanctuaires où des possédés étaient régulièrement amenés pour y être délivrés des démons qui les affligeaient. Sans être banals à proprement parler — il s'agissait tout de même de miracles -, ces événements relevaient de la thaumaturgie sacrée qui tenait alors une si grande place dans la vie des populations8. Mais avec la crise religieuse, ce qui était un simple miracle thérapeutique devint un événement à haute valeur polémique. A la fin avril 1530, une jeune fille du diocèse de Sens fut amenée par ses parents à Larchant pour y être délivrée des diables qui l'habitaient depuis plusieurs semaines. Le 21 avril, elle y fut exorcisée par un carme parisien à l'aide des reliques du saint. La même année, une nouvelle vie de saint Mathurin fut publiée. Au récit traditionnel, l'éditeur joignit celui du tout récent miracle. La conclusion était éloquente:

7 Chronique du parlement de Bordeaux. Bordeaux, 1887. Vol. 2. P. 320-321.

8 Sluhovsky, M. Believe Not Every Spirit: Possession, Mysticism and Discernment in Early Modem Catholicism. Chicago, 2007. Chap. I—II.

Qui scauroit de la foy douter Considérant tels faicts hautains ? Ne deut on pas ceux là brusler Qui refusent à prier les saincts? Esmouvez vous cueurs des chrestiens A ce miracle magnifique, Ne doutez point, soyez certains En la saincte foy catholique. Voulez vous pas porter la pique Pour la foy et le bon harnois, Vous aurez victoire authentique Criant tousjours: vive la croix !9.

Un miracle thérapeutique, comme il s'en produisait régulièrement dans de nombreux sanctuaires aux quatre coins du royaume, se voyait ainsi paré d'une valeur et d'une signification nouvelles, hautement polémiques. Ce qui hier était simple guérison devenait aujourd'hui un manifeste en faveur de la religion traditionnelle et de l'Église catholique. Plus même: un véritable appel à la croisade. Par de tels signes, c'est Dieu lui-même qui s'adressait aux hommes pour les appeler à prendre les armes — «la pique et le bon harnois» — contre l'hérésie et ses adeptes.

Ici comme ailleurs, le surnaturel est un véritable révélateur des imaginaires religieux dont il est le fruit. Ses occurrences concrètes que sont les miracles étaient vues comme autant d'interventions des puissances supérieures — Dieu en premier lieu, mais aussi la Vierge et les saints — dans le combat qui opposait l'Église catholique à ses adversaires. Plus précisément, ces événements laissent entrevoir un état d'esprit à la fois militant et relativement confiant: les miracles de Paris, de Marseille-en-Beauvaisis, de l'Aigle, de Pessac, de Larchant étaient, pour les catholiques, autant de preuves que Dieu était de leur côté, qu'il ne les avait pas abandonnés, qu'il prenait sa part du combat. Sans doute laissait-il pour un temps se développer les sectes hérétiques. Mais pour un temps seulement. Et bientôt, il viendrait châtier leurs adeptes de toute la force de son bras. En ce sens, les miracles relativement fréquents et largement publiés des années 1530-1550 peuvent être considérés comme l'indice d'une relative confiance du camp catholique face au défi réformé.

9 La vie, legende, miracle et messe de monseigneur S. Mathurin de Larchant hysto-riée. Paris, S. d. [c. 1530]. F. E4r.

L'éclipsé du surnaturel ou le silence de Dieu

Vint l'année 1562 et le début des guerres. Dans un premier temps, on le sait, l'offensive protestante prit la forme sinon d'un raz-de-marée, du moins d'une explosion impressionnante. Les villes tombaient les unes après les autres entre les mains des capitaines huguenots en ce printemps 1562 qui avait comme un parfum de victoire pour les partisans de la religion nouvelle et de catastrophe pour les tenants de la foi ancienne. Cette offensive militaire s'accompagna d'une véritable révolution dirigée contre les symboles du catholicisme, à commencer par les images. Partout où les réformés triomphèrent, fut-ce pour quelques jours, à Orléans, à Tours, à Angers, à Rouen, à Lyon, à Grenoble, à Bourges, les mêmes scènes se répétaient: statues martelées et décapitées, images fusillées et brûlées, crucifix rôtis à la broche et traînés dans la boue. Ces destructions n'étaient pas le fait d'une soldatesque déchaînée ou de pillards avides de butin mais l'œuvre — réfléchie et systématique — d'hommes persuadés que l'instauration du pur Évangile passait par la destruction des idoles10. Les images ne furent pas les seules cibles de cette révolution symbolique et les reliques lui payèrent un lourd tribut. Il est vrai que celles-ci furent également victimes de leurs contenants, ces châsses d'argent et d'or qui ne pouvaient qu'exciter les convoitises. Mais par-delà l'intérêt matériel, la destruction des reliques participait pleinement de cette révolution religieuse qui n'entendait pas laisser aux hommes la plus petite occasion de se détourner du vrai Dieu au profit de Satan. Sans compter qu'il s'en fallait de beaucoup que ces prétendus corps saints que des prêtres sans scrupules offraient à la vénération de fidèles aveugles en fussent réellement. Le temps était venu de faire apparaître au grand jour ces «merveilleux abus» que Calvin avait dénoncés vingt ans plus tôt.

De sorte que la destruction des reliques prit l'aspect d'un gigantesque et théâtral dévoilement des impostures de l'Église romaine dont les reliques, ces objets faux, morts et pourris, étaient comme le miroir11. Le sac de Saint-Martin de Tours, en mai 1562, fut clôturé par l'ouverture

10 Christin, 0. Une révolution symbolique. P. 123-147; Crouzet, D. Les guerriers de Dieu: La violence au temps des troubles de religion (vers 1525-vers 1610). Seyssel, 1990. Vol. 1. P. 527-553.

11 Crouzet, D. Sur le désenchantement des corps saints au temps des troubles de Religion, in: Reliques modernes. Cultes et usages chrétiens des corps saints des Réformes aux révolutions /Éd. P. Boutry, P.-A. Fabre, et al. Paris, 2009. P. 435-482.

de son tombeau. Il était vide, ou peu s'en fallait: «il ne se trouva rien, sinon un ossement ou deux qui sembloient estre ossemens d'hommes avec des tenailles, un marteau et quelques doux12». En septembre de la même année une troupe huguenote s'empara de Rocamadour. La châsse qui contenait le corps de saint Amadour fut ouverte. Mais de corps il n'y en avait point, seulement «un os semblable à celuy d'une espaule de mouton, avec quelques petits trapeaux pleins de poudre»13. Le 5 mai 1562 les protestants avaient pris le pouvoir à Sancerre. Le principal sanctuaire de la ville était le tombeau de saint Rouille, un thaumaturge spécialisé dans la guérison des fous et des possédés. Il était vide: «on ne trouva rien dedans, que deux grosses pierres blanches enveloppées de vieux morceaux de soye, comme de taffetas, avec force crottes de souris»14. Sans doute l'auteur de ces lignes avait-il à l'esprit la parole du Christ: «Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui ressemblez à des sépulcres blanchis: au-dehors ils ont belle apparence, mais au-dedans ils sont pleins d'ossements de morts et de toute pourriture» (Matthieu, XXIII, 27). Le monde des sanctuaires n'était pas autre chose: des temples magnifiques remplis de poussière et d'ordures. Il était grand temps d'abattre ces idoles pourries.

Et les idoles semblaient incapables de se défendre. Car dans ce bouillonnement d'événements qui caractérisa l'année 1562, il y avait un grand absent: le miracle. Le terrain semblait pourtant propice à une explosion du surnaturel. Ces statues décapitées, ces reliques brûlées semblaient devoir se venger et les miracles de châtiment se multiplier. Il n'en fut rien. L'année 1562 ne vit pas le plus petit prodige. On ne saurait invoquer le manque de sources. La France comptait alors quelque 41 chroniqueurs et mémorialistes en activité, catholiques dans leur grande majorité15. Tous ont raconté, en dix mots ou en dix pages, les événements dont ils furent témoins. Jean Guéraud à Lyon, Jean Perrat à Orange, Antoine Bérard au Langon, Jean Pillard à La Rochefoucauld, les trois anonymes de Rouen, autant de chroniqueurs catholiques qui écrivaient dans des cités tombées aux mains des huguenots et qui ont laissé de longs

12 Théodore de Bèze. Histoire ecclésiastique des églises réformées au royaume de France / Éd. A. Eduard Cunitz; J.-W. Baum. Leiden, 1974. Vol. 2. P. 584.

13 Théodore de Bèze. Histoire ecclésiastique des églises. Vol. 3. P. 102-103.

14 Théodore de Bèze. Histoire ecclésiastique des églises. Vol. 2. P. 607.

15 31 chroniqueurs catholiques pour 10 protestants.

récits où l'indignation le dispute à la stupéfaction. Ce n'est que Vierges décapitées, saints martelés, crucifix rôtis à la broche. Mais de miracle, point. Du jour au lendemain, la puissance des reliques et des images s'était comme évaporée.

Ce brutal désenchantement consterna les catholiques autant qu'il conforta les protestants dans leurs convictions. Ils avaient eu raison d'abattre ces faux dieux qui n'étaient que des morceaux de pierre et de bois, muets et inertes. Divine surprise que cette impuissance des idoles à se défendre elles-mêmes. Les huguenots ne se privèrent pas de la souligner, joignant à la destruction par les actes la dérision par les mots. A Orange, en décembre 1562, ils brisèrent le grand crucifix de l'église des dominicains et le traînèrent par terre en criant «Faictz maintenant miracles et parle !16». «Hé, qu'il est beau ! Si tu es Dieu, lève-toi pour faire miracle !17», lança un homme au grand Christ que les huguenots d'Angoulême venaient de jeter au feu. A Béziers, ils s'en prirent à une statue de la Vierge aux cris de «Hou, nostré Dame la bastarde, fay aré de miracle !18». On aurait tort, cependant, de voir en ces mots et ces gestes la seule expression d'une moquerie gratuite. Ils participaient d'une véritable mise en scène didactique destinée à révéler au grand jour la folie du culte des images et des reliques. Non seulement elles ne pouvaient aider quiconque, mais elles n'étaient même pas capables de se défendre elles-mêmes.

Si prégnant quelques années plus tôt, l'imaginaire catholique du surnaturel s'était brusquement asséché en cette année 1562. Quelques semaines de violence désacralisatrice avaient suffi pour rendre les esprits inaptes à créer du surnaturel. Sous les coups de boutoir d'une révolution conquérante, la religion traditionnelle vacillait et l'immense édifice semblait tout près de s'effondrer. Ces milliers de statues, d'images, de reliques, hier encore si puissantes, les voilà qui tombaient sans combattre sous le marteau des iconoclastes qui les renvoyait à leur condition d'objets inertes et muets.

En ce sens, l'absence de miracles traduit l'immense désarroi qui a frappé les catholiques au printemps 1562. Peu importe que dans les

16 La chronique d'un notaire d'Orange. Paris, 1881. P. 126.

17 Cité par: Christin, 0. Une révolution symbolique. P. 145.

18 Cité par: Sauzet, R. L'iconoclasme dans le diocèse de Nîmes au xvie et au début du XVIIe siècle, in: Revue d'histoire de l'Eglise de France, 1960. Vol. 66. P. 5-15. P. 14.

faits la religion traditionnelle restât celles des neuf dixièmes des Français. Peu importe que les rapports de force fussent en réalité très défavorables au parti protestant. Peu importe que, par-delà les éphémères succès du début, le camp réformé dût par la suite lutter pour sa survie et non pour la domination. Tout cela est le privilège de l'historien qui voit les choses avec le recul que permettent les siècles et les sources. Pour les catholiques de 1562, le présent avait un goût de catastrophe et de défaite. De cet abattement, l'absence de miracles était un indice éloquent. Dieu semblait les avoir abandonnés à la furie des hérétiques. Les statues étaient abattues, les reliques brûlées, les sanctuaires dévastés et rien ne venait châtier leurs agresseurs. Nul miracle n'était venu au secours de la religion traditionnelle.

Cette éclipse du surnaturel faisait le désespoir des fidèles. Ceux d'entre eux qui habitaient des villes tombées aux mains des réformés ont laissé des témoignages éloquents sur ce désarroi que suscitait l'apparente victoire des calvinistes: «chose espouvantable de le voyr» se lamentait le notaire orangeois Jean Perrat19, «piteuse desoulation» constatait le drapier lyonnais Jean Guéraud20. Et l'anonyme rouennais d'ouvrir le récit des scènes d'iconoclasme dont il fut le témoin par une sentence au dramatisme non feint: «en 1562 commencèrent le regne d'angoisse et alors estoit la puissance des tenebres»21.

Réactions de simples fidèles qui voyaient s'effondrer un monde qu'ils avaient cru indestructible. Mais les théologiens n'étaient pas moins ébranlés. Dans le célèbre ouvrage qu'il publia à l'automne 1562 — le Discours sur le saccagement des églises catholiques — le controversiste Claude de Sainctes constatait également l'inaction de Dieu qui n'avait rien fait pour sauver ses temples de la destruction: «nous ne voyons plus, écrivait-il s'adressant à Dieu, vos signes et vos miracles»22. Et de constater l'abattement que cet incompréhensible silence suscitait chez ses coreligionnaires: «les peuples catholiques de la France tremblent, seichent et meurent de frayeur, voyans executer devant leurs yeulx les abominations au seul bruit desquelles, advenues par les pais

19 La chronique d'un notaire d'Orange 1881. P. 126.

20 Chronique lyonnaise de Jehan Guéraud, 1536-1562. Lyon, 1929. P. 153.

21 Relation des troubles excités par les calvinistes dans la ville de Rouen, depuis l'an 1537 jusqu'en l'an 1582, écrite par un témoin oculaire /Ed. A. Potter. Rouen, 1837. P. 14.

22 Sainctes, C. de Discours sur le saccagement des eglises Catholiques, par les Heretiques anciens, et nouveaux Calvinistes, en l'an mil cinq cens soixante deux. Paris, 1567. F0 1 v.

estranges, ils bouchoient leurs oreilles, n'en pouvans ouir le récit23». Inutile de dire que Claude de Sainctes, en bon théologien, avait une explication à ce phénomène. Dieu n'avait pas abandonné son peuple ni choisi d'aider les hérétiques. Simplement, courroucé par l'atonie des fidèles et par l'indignité des pasteurs, il avait décidé de les châtier en laissant les calvinistes maîtres du jeu pour quelque temps. Mais pas pour toujours. Et pour peu que les catholiques se ressaisissent, fassent pénitence, amendent leurs fautes, il leur accorderait à nouveau le secours de son bras. Mais par-delà cette explication somme toute classique, on sent bien, chez Claude de Sainctes comme chez les plus humbles mémorialistes, cette incompréhension causée par l'absence de miracles, par cet étrange silence de Dieu. Un Dieu qui, pour reprendre la forte expression d'un autre théologien, Denis Godefroy, semblait avoir déménagé du royaume24.

Un événement: Laon, 1566

L'éclipsé du surnaturel ne prit pas fin avec l'année 1562. Elle dura encore quatre ans. Quatre années durant lesquelles les chroniqueurs catholiques, nombreux et actifs pourtant, n'enregistrèrent pas le plus petit miracle. Une fois de plus, je ne crois pas qu'un tel silence puisse être imputé aux sources. Ces mêmes chroniqueurs ont rapporté des miracles avant 1562. Ils en ont à nouveau consigné à partir des années 1570. S'ils restèrent muets durant la première moitié des années 1560, c'est bien que quelque chose les en empêchait, que l'imaginaire catholique était comme asséché, qu'il n'était plus capable, pour un temps du moins, de produire de la croyance au surnaturel.

Mais l'éclipsé du surnaturel finit par prendre fin. En 1566, le 8 février précisément. Ce jour-là, dans la cathédrale de Laon et devant des milliers de témoins, une jeune femme du nom de Nicole Obry fut délivrée des diables qui la possédaient par la vertu de l'eucharistie. Aujourd'hui, cet événement n'est connu que de quelques historiens. Je crois pourtant qu'il constitue un véritable tournant dans la mesure où il a refermé la

23 Saínetes, C. de. Discours sur le saccagement. f.°B2v.

24 Godefroy, H. Sermon fúnebre prononcé en l'eglise de Nostre-Dame, à Paris, aux honneurs et pompes fúnebres du tres puissant empereur Maximilien d'Austriche. Paris, 1577. F.0 Hlv.

parenthèse ouverte par l'année 1562 et ramené le surnaturel sur la scène de l'histoire, témoignant ainsi du retour de la confiance dans l'imaginaire catholique. L'histoire de Nicole Obry, de sa possession et de sa délivrance est bien connue grâce à de nombreux et très riches témoignages de contemporains25. Mais pour nous, l'événement en lui-même importe moins que sa diffusion et ses conséquences. Disons simplement que Nicole Obry était une jeune femme d'environ seize ans, qui habitait le bourg de Vervins, en Picardie. A l'automne 1565, le jour de la Toussaint pour être précis, un démon entra en elle. Il s'agissait de Belzébuth, bientôt rejoint par une vingtaine d'autres diables. La jeune fille fut exorcisée par le curé de Vervins, puis par un dominicain venu prêcher l'Avent. Sans résultat. Le moine l'amena alors au célèbre sanctuaire de Notre-Dame de Liesse, dans l'espoir que la Vierge ferait fuir les démons. Peine perdue. Finalement, il la conduisit à Laon où Nicole Obry fit son entrée le 24 janvier 1566. C'est là, au beau milieu de la cathédrale, en présence de toute l'élite du clergé diocésain et de milliers de témoins, que Nicole Obry fit l'objet d'une série d'exorcismes répétés et spectaculaires qui voyaient la possédée rugir, changer de couleur, hurler des obscénités, entrer en lévitation. Le 8 février 1566 le dernier démon fut enfin chassé par 1 evêque au moyen de l'eucharistie.

Le retentissement de l'événement fut immense. Les exorcismes avaient attiré à Laon des fidèles et des curieux venus de toute la Picardie et d'ailleurs: un groupe d'étudiants parisiens vint à Laon voir la possédée. Parmi eux, le futur historien de la Réforme, Florimond de Raemond26. Des lettres circulaient: le jour même de la délivrance, un avocat laonnais écrivit à un confrère parisien pour lui raconter ce dont il venait d'être le témoin27. Des mémorialistes ont consigné l'événement dans leur chronique, comme Claude Haton à Provins28 ou François Grin à Paris29. En quelques semaines, c'est tout le royaume de France

25 Les principaux ont été recensés et analysés par Backus, I. Le miracle de Laon: Le déraisonnable, le raisonnable, l'apocalyptique et le politique dans les récits du miracle de Laon (1566-1578). Paris, 1994.

26 Raemond, F. de L'Anti-Christ et l'Anti-Papesse. Paris, 1607. Vol. 1. P. 478.

27 BnF. Ms fr. 3951. F. 81 r-84 r°.

28 Mémoires de Claude Haton (1553-1582) / Éd. L. Bourquin. Paris. Vol. 2. P. 86-87.

29 Ruble, A. ajournai de François Grin, religieux de Saint-Victor (1554-1570). Paris, 1894. P. 32.

qui apprit l'histoire de la jeune femme que l'eucharistie avait sauvée des griffes du démon.

A première vue, on ne comprend pas bien en quoi l'affaire Nicole Obry était si extraordinaire. Sans doute possession et exorcisme étaient-ils des phénomènes impressionnants qui voyaient la lutte entre Dieu et le diable dans un corps humain. Mais, comme il a déjà été dit, ce type d'événement était quasiment de l'ordre de la routine dans les nombreux sanctuaires spécialisés dans ce domaine. On a conservé la mention de plusieurs exorcismes pour la première moitié du xvie siècle: il n'y avait jamais rien eu de comparable à l'affaire de Laon en terme de publicité et de retentissement. Les choses furent toutes différentes en 1566.

Il y a plusieurs raisons à cela. Le lieu d'abord. Les exorcismes avaient pris place à la cathédrale de Laon quand ce genre de manifestation avait en général pour cadre de modestes églises de campagne. Ils avaient été conduits non par un prêtre ou un moine isolés et inconnus, mais par toute l'élite diocésaine, évêque en tête. Il faut dire que les dignitaires laonnais n'avaient pas ménagé leurs efforts pour donner au rituel un caractère spectaculaire. La possédée était amenée à la cathédrale par une procession solennelle qui réunissait l'ensemble du clergé citadin, au son des cloches et des cantiques. Sa délivrance fut saluée par un Te Deum. Les exorcismes proprement dits avaient lieu sur une haute estrade en bois dressée au milieu de la nef, visible de tous.

D'autre part, la possession elle-même avait pris un tour qu'on ne lui connaissait pas auparavant, un tour résolument polémique. La possédée avait été délivrée par l'eucharistie que l'évêque lui avait administrée. C'était quelque chose d'inédit; d'habitude, les exorcistes se contentaient d'utiliser des évangiles et de l'eau bénite, éventuellement des reliques. L'usage des hosties faisait de la délivrance de Nicole Obry une démonstration en actes des dogmes catholiques en la matière: si les diables avaient été chassés du corps de la jeune femme par l'hostie consacrée, c'est que celle-ci était réellement et à jamais le corps vivant du Christ. Difficile, quand on sait la place que la question eucharistique occupait dans la controverse religieuse, de surestimer la valeur prise par les événements de Laon. Le diable lui-même avait fait son entrée dans la polémique: à plusieurs reprises, les démons avaient confessé, par la bouche de la possédée, l'alliance objective qui les liait aux calvinistes. Dès le mois de décembre 1565, alors que Nicole Obry était encore à Vervins, Belzébuth

avait déclaré être le «maître des Huguenots». Ceux-ci, avait-il expliqué à la foule, étaient ses «amis» et ses «disciples». On devine l'effet de ce genre d'aveu: la conception catholique qui faisait des hérétiques les fils et les alliés de Satan se voyait explicitement confirmée par le principal intéressé. Jamais encore le surnaturel n'avait revêtu une telle valeur polémique. Le démon venait d'entrer en personne dans le combat confessionnel, pour le plus grand bénéfice de l'Église romaine.

Enfin, l'affaire de Laon ne resta pas tributaire de la rumeur, mais fit l'objet d'une véritable campagne de publicité. Elle démarra immédiatement. Quelques semaines après les faits, Christophe de Héricourt, doyen du chapitre de Laon et l'un des artisans des exorcismes, composa un récit des événements qui fut placardé aux portes de la cathédrale30. D'autres ouvrages suivirent. Mais c'est à un quasi inconnu, Jean Boulaese, qu'il revint de donner à l'affaire un éclat durable. Cet obscur professeur d'hébreu se trouvait en Picardie au moment des faits. Il en fut à tel point bouleversé qu'il consacra le restant de sa vie à en écrire l'histoire. Celle-ci prit plusieurs formes: deux gros livres — 400 et 800 pages — publiés en 1575 et 1578 et qui proposaient au lecteur tout le dossier de l'affaire: procès-verbaux des exorcismes, récits de témoins oculaires, attestations de médecins31. Mais 1 erudit consciencieux était aussi un publiciste avisé. Outre ses deux grands ouvrages, il publia deux libelles beaucoup plus courts dont l'un, qui vit le jour quelques mois seulement après l'affaire, était rédigé en cinq langues: latin, français, espagnol, italien et allemand32. Enfin, il fit exécuter une grande gravure représentant l'exorcisme et accompagnée d'un commentaire détaillé33. Boulaese ne faisait pas mys-

30 Le rouleau original a été conservé (Bibl. municipale de Laon, ms 640). Traduit en français, il fut publié quelques années plus tard sous le titre Copie d'une lettre contenant en bref le discours de plusieurs Diables dechassez du corps d'une jeune femme, en l'Eglise de Laon, en vertu de la sainte et Sacrée Hostie. Reims, 1573.

31 Boulaese, J. Le Manuel de l'admirable victoire du corps de Dieu sur l'Esprit maling Beelzebub, obtenue à Laon, 1566. Paris, 1575; Le Thresor et entiere histoire de la triomphante victoire du corps de Dieu sur l'esprit maling Beelzebub, obtenue à Laon l'an mil cinq cens soixante six. Paris, 1578.

32 Boulaese, J. Le Miracle de Laon en Lannoys, représenté au vif et escript en Latin, Francoys, Italien, Espaignol et Allemant. Cambrai, 1566; Boulaese, J. L'abbregee histoire du grand miracle par nostre Sauveur et Seigneur Jesus-Christ en la saincte hostie du sacrement de l'Autel faict à Laon 1566. Paris, 1573.

33 Réalisée par le graveur parisien Thomas Belot pour accompagner l'ouvrage de 1573, il semble qu'elle fut également vendue séparément (Backus, I. Le miracle de Laon. P. 58-59).

tère de ses intentions: il voulait, explique-t-il, «déclarer intelligiblement, aux plus idiots du monde, qui aussi bien que les plus savants, ont affaire de leur salut34». Les choses ne s'arrêtèrent pas là. Quelques années plus tard (1575) parut une nouvelle édition des Histoires prodigieuses de Pierre de Boaistuau, l'un des plus grands succès de librairie du xvie siècle35. On y trouvait une relation de l'affaire de Laon, qualifiée «d'histoire la plus admirable de notre siècle36».

Un tel zèle n'a rien pour étonner. Pour les catholiques, à commencer par tous ces clercs qui s'impliquèrent dans l'événement et sa publicité, l'affaire était une immense victoire. Dieu était de retour, il l'avait prouvé. Que le démon ait été vaincu et chassé par des prêtres au moyen de l'eucharistie était une preuve en actes de la validité des croyances et des pratiques traditionnelles et un désaveu cinglant des critiques réformées. Il y avait de quoi pavoiser. A peine Belzébuth avait-il quitté le corps de Nicole que les catholiques présents «fondoient en larmes de joye, devotement aussi remercians Dieu d'un si haut et evident miracle»37. Au dire du chroniqueur parisien François Grin, c'était une chose «de grande admiration et dévotion»38. Le célèbre prédicateur Simon Vigor tenait le même langage à ses auditeurs parisiens: c'était un grand miracle que Dieu avait fait pour la confirmation de la foi catholique et la confusion des hérétiques39. Quant à Jean Boulaese, il n'avait pas peur d'écrire que, désormais, grâce à l'affaire de Laon, «le royaume de France n'est plus en danger d'être empoisonné par la fausse religion»40. Boulaese exagérait, évidemment. Il n'avait pourtant pas tout à fait tort. Ce qui s'était passé à Laon le 8 février 1566 avait valeur de tournant. Le surnaturel était de retour et avec lui la confiance au sein du camp catholique.

34 Boulaese, J. L'abbregee histoire du grand miracle, f. 3r.

35 38 éditions entre 1560 et 1598.

36 Boaistuau, P. Histoires prodigieuses: Extraictes de plusieurs fameux autheurs, grecs et latins, sacrez et prophanes mises en notre temps, adjoustées par F. de Belleforest avec portraicts et figures par B. Boistuau. Paris, 1575. f. 123r.

37 Boulaese, J. Le Manuel de l'admirable victoire. P. 195.

38 Ruble, A. de. Journal de François Grin. P. 32.

39 Vigor, S. Sermons catholiques sur les dimanches et festes depuis l'onziesme après la Trinité jusques au Caresme. Paris, 1597. P. 375-376. Publiés de façon posthume, ces sermons avaient été prononcés à Paris dans la seconde moitié des années 1560.

40 Backus, I. Le miracle de Laon. P. 8.

Le retour de Dieu

Les meilleures preuves de l'impact de l'affaire de Laon sur l'imaginaire catholique furent ses conséquences. Elles ne tardèrent pas. La plus frappante fut sans conteste la véritable épidémie de possessions démoniaques qui prit place durant le dernier tiers du xvie siècle. Les chiffres sont parlants: de 1530 à 1565, les sources ont conservé la trace de huit affaires de possession; de 1566 à 1599, on en connaît vingt-huit41. Les possédés étaient-ils devenus trois fois plus nombreux dans le royaume de France? Évidemment non. Comme je l'ai déjà souligné, possession et exorcisme étaient le pain quotidien de nombreux sanctuaires spécialisés dans ce domaine. Ce n'est pas le phénomène en soi qui avait changé mais le regard porté sur lui. Avant 1566, les affaires de possession n'étaient qu'une forme de thaumaturgie parmi d'autres. Il y avait des possédés qui allaient se faire délivrer dans les sanctuaires comme il y avait des aveugles, des boiteux et des paralytiques qui entreprenaient tel ou tel pèlerinage pour retrouver la santé. Tout changea avec l'affaire de Laon: possession et exorcisme devinrent des événements à haute valeur polémique ajoutée. Elle joua le rôle d'un modèle, inlassablement répété. A bien y regarder, elle présentait cinq caractères majeurs qui la distinguaient des cas de possession antérieurs: l'utilisation de l'eucharistie comme moyen de chasser le diable, l'intrusion du démon dans le débat confessionnel, le caractère public des exorcismes, la mobilisation de l'élite catholique locale et la diffusion par l'écrit au moyen de libelles.

Par-delà les différences factuelles, les affaires de possession du dernier tiers du siècle reproduisaient tout ou partie de ces caractères. A la fois déclencheur et prototype, l'affaire de Laon servit de modèle parfois explicitement revendiqué. A Soissons (1582), à Lyon (1582), à Mons (1585), à Trachi (1588), à Louviers (1591), l'eucharistie fut systématiquement utilisée au cours des exorcismes. A chaque fois, l'effet fut identique à celui observé à Laon — des contorsions spectaculaires allant jusqu'à des phénomènes de lévitation — de même que le résultat final. Soit autant de victoires spectaculaires du saint sacrement sur le diable qui s'en faisait, à son corps défendant, le meilleur avocat.

41 On en trouvera la liste, accompagnée de références, dans Balzamo, N. Miracle et société en France (vers 1500 - vers 1620): Thèse de doctorat. S. 1., 2011. P. 372-374.

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Et bien souvent, le diable lui-même s'invitait dans la controverse religieuse en affirmant haut et fort qu'il avait partie liée avec les huguenots. Il était leur véritable maître comme il s'en expliqua un jour de mai 1582, au beau milieu de la cathédrale de Soissons. A l'exorciste qui lui demandait si les huguenots croyaient à la présence réelle du Christ dans l'eucharistie, le démon répondit en riant que non, puisque c'était lui qui les avait instruits, ajoutant, «les huguenots ils sont à moy, ce sont mes Apostres et disciples42». Ce sont mes «amis et cousins» expliqua son confrère qui avait pris possession de la fille d'un gentilhomme rouergat en 1596. Et comme on lui demandait pourquoi le diable ne s'en prenait jamais aux réformés, il répondit: «on ne doibt point faire tort à ceux desquels on se sert43». En vérité, l'Église catholique n'avait pas de meilleur avocat que le diable. Il importait donc de lui donner la plus belle tribune possible. Minutieusement organisés, les exorcismes étaient conduits dans des endroits propres à accueillir un grand nombre de spectateurs. Ceux de Cambrai eurent lieu à la cathédrale. Ceux de Lyon dans l'église du couvent des cordeliers. Et à Soissons, exception faite de la première, les cinq séries d'exorcismes de 1582 furent menées à la cathédrale. L evêque et le chapitre avaient bien fait les choses. Au son des cloches, une procession rassemblant tout le clergé de la cité amenait le possédé. Quant à l'exorcisme proprement dit, il avait lieu au milieu de la nef, sur une estrade de plus de deux mètres de haut installée pour l'occasion.

Les clercs ne se contentaient d'ailleurs pas d'offrir au démon une tribune, mais s'appliquaient à donner une publicité maximale à ces événements. Par la parole mais aussi par l'écrit. Les exorcismes de Dieppe (1580), Mons (1585), Trachi (1588) et Cantoin (1596) furent publiés sous forme de libelles. Les deux cas lyonnais (1581-1582) et les cinq de Soissons (1582) furent rassemblés en des compilations. Sur ce point comme sur d'autres, les événements de Laon avaient servi à la fois de déclencheur et de modèle.

Spectaculaire, la vague de possessions démoniaques qui balaya le royaume durant le dernier tiers du xvie siècle n'était pourtant pas l'unique

42 Blendecq, C. Cinq histoires admirables, esquelles est monstre comme miraculeusement par la vertu et puissance du S. Sacrement de l'Autel, a esté chassé Beelzebub Prince des diables. Paris, 1582. f. 88r-v.

43 Histoires prodigieuses et mémorables, Paris, 1598. P. 1278.

forme d'un surnaturel catholique qui occupait désormais le devant de la scène. Il y en eut d'autres. Les années 1520 avaient vu l'apparition d'un genre éditorial promis à un grand avenir: de courts libelles — dix ou vingt pages, guère plus — qui rapportaient un miracle isolé et récent, souvent à connotation anti-huguenote. Plusieurs avaient vu le jour jusqu'au déclenchement des guerres. Puis, là encore, le silence s'était fait durant quelques années. La décennie 1570 vit leur retour en force. Le phénomène prit la forme d'une marée qui enflait à chaque décennie: 9 libelles en 1571-1580, 12 en 1581-1590, 3 en 1591-1600, 17 en 1601-1610 et 27 en 1611-1620. Soit au total quelques 68 titres parus en un demi-siècle44. Courts, vite imprimés et vite lus, ces libelles présentaient un caractère remarquablement homogène. Tous rapportaient un miracle à la fois isolé et récent, accompagné de preuves de toutes sortes: déclarations de témoins, attestations des autorités compétentes. Bien souvent, il s'agissait d'événements à forte charge théologique qui mettaient en scène des huguenots châtiés pour s'être moqués de la Vierge et des saints, de leurs reliques ou de leurs images, ou encore de l'eucharistie. Chaque point de doctrine mis en cause, chaque pratique récusée ou raillée par les réformés se voyait confirmé par un miracle. Des soldats qui attaquèrent à coups d'arquebuse une statue de saint Antoine furent dévorés par un feu intérieur45. Un huguenot qui avait refusé de se découvrir au passage d'une procession portant le saint sacrement fut frappé par la foudre46. Un autre, qui avait jeté une hostie, fut dévoré par des rats47. Une femme enceinte qui s'était moquée de sainte Marguerite — patronne des

44 On en trouvera un inventaire dans Seguin, J.-P. L'information en France avant le périodique. 517 canards imprimés entre 1529 et 1631. Paris, 1964. P. 107-114. Pour une vue d'ensemble, cf. Burkardt, A. Apologie et propagation du miracle dans les occasionnels français de la fln du XVIe et du début du XVIIe siècle, in: Le miracle de Faverney (1608). L'eucharistie: Environnement et temps de l'histoire, 1958. P. 287-310; Balzamo, N. Miracle et société en France. P. 203-216.

45 Histoire miraculeuse de trois soldats punis divinement pour les forfaits, violences, irreverences et indignitez par eux commis. Troyes, 1576.

46 Discours miraculeux advenu en l'an MDLXXXVI près la ville de Poitiers, en la personne d'un nommé Bernardeau. Paris, 1586.

47 Discours miraculeux très admirable, prodigieux et véritable d'un de la Religion Pretenduë, de la Coste S. André, en Dauphiné, lequel pour avoir blasphémé contre le S. Sacrement, a esté misérablement mangé des rats. Chambéry, 1620.

parturientes — accoucha d'un veau48. Une véritable épidémie de prodiges sévissait dans tout le royaume.

Il émane de cette littérature comme un parfum de confiance retrouvée. Les auteurs de libelles se félicitaient de voir le nombre de prodiges s'accroître d'année en année pour le plus grand bénéfice de la foi: «nous n'avons point faute de miracles, écrivait l'un d'entre eux, et tous les jours Dieu, par sa misericorde, nous donne toutes occasions de nous retourner vers luy, suivre ses commandemens et cognoistre la vérité de son Eglise49». Le temps du silence de Dieu était révolu, l'éclipsé du surnaturel terminée. Le doute et le désespoir qui avaient marqué le début des années 1560 appartenaient désormais au passé. Place à la joie de voir Dieu se manifester visiblement aux côtés de son Église par des miracles qui n'étaient rien moins que quotidiens: «tous les jours se voit une infinité de beaux miracles, tant par l'intercession de la Vierge Marie et des saincts50»; «cessent donc désormais les mal-sentens de la foy de ne point croire aux miracles, il s'y en faict tous les jours de nouveaux51». Miracles «quotidiens», «infinis», les mots disent assez l'assurance de ces catholiques persuadés de vivre en un temps où les signes de Dieu n'étaient pas plus rares qu'à l'époque apostolique. Le cercle vertueux de la croyance au surnaturel était réenclenché.

Quel contraste avec le début des années 1560. A l'époque, les théologiens catholiques, abasourdis par le silence de Dieu face à l'offensive réformée, en étaient réduits à lui trouver des raisons. Désormais, ils se félicitaient de le voir agir. On sait que la Saint-Barthélemy parisienne fut accompagnée d'un miracle: au grand cimetière des Innocents, une aubépine depuis longtemps desséchée avait fleuri en plein mois d'août. L'arbuste devint immédiatement un lieu de pèlerinage. Des prêtres disaient des messes devant lui, des fidèles lui faisaient toucher leurs chapelets, des malades y venaient pour retrouver la santé52. La signification du prodige était évidente, élémentaire même. La floraison de l'au-

48 Histoire miraculeuse, advenue en la ville de Geneve, d'une femme qui a faict un veau, pour avoir mesprisé Dieu et ses saincts. Lyon, 1609.

49 Discours miraculeux advenu en l'an 1586. P. 10.

50 Discours miraculeux très admirable 1620. P. 4.

51 Miracle arrivé en la ville de Bonnye sur Loyre, souz l'Evesché d'Auxerre. Paris, 1620. P. 4.

52 Le récit le plus détaillé est celui du curé de Provins, Claude Haton (Mémoires de Claude Haton (1553-1582) / Éd. L. Bourquin. Paris. P. 462-463).

bépine était celle de la foi catholique. Il en était du royaume de France comme de l'arbuste: l'hérésie l'avait desséché, son éradication le ferait refleurir. Un jésuite suisse qui se trouvait alors à Paris écrivait ainsi à un confrère: «c'est un signe certain que la religion va être restaurée, et tout le monde embrasse avec ardeur ce présage53». Il n'était pas seul de cet avis. Quelques semaines plus tard paraissait une ballade imprimée sous le titre Chanson nouvelle du miracle advenu à Paris. En voici un couplet:

De ce miracle sainct, Jésus par sa puissance, Nous monstre pour certain Qu'en ce pays de France, La loy Catholique, Malgré l'hérétique, Sans fin florira. Le mauvais herbage Du huguenotage Peu à peu s'amortira54.

De l'imminence d'un tel avenir radieux, François de Belleforest était persuadé. Dans le court ouvrage qu'il fît paraître à l'automne 1572, le publiciste s'attacha à recenser les «heureux présages» qui s'étaient multipliés depuis quelque temps. Une étoile était apparue en plein jour au dessus de la procession que le roi Charles IX conduisait en personne avec les reliques de sainte Geneviève, patronne des Parisiens. Des arbres s'étaient couverts de feuilles en plein hiver. Mais le signe le plus clair, le plus indubitable, c'était encore l'aubépine du cimetière des Innocents:

Quel plus grand signe en asseurée preuve en veux tu, peuple chres-tien, et de veoir des le jour que Coligny fut massacré, celle espine blanche, auparavant seche et demy morte, reverdir, produire feuilles et des fleurs au moys d'aoust et outre la saison que les aubespines fleurissent, à la veuë de tout le monde. [...] Il y a en Paris plus de cent mil hommes tesmoins de ceste fleur, présageant le bonheur et refleuronnement de France55.

53 Deux lettres de couvent à couvent écrites de Paris, pendant le massacre de la Saint-Barthélemy, in: Bulletin de la Société de l'histoire du protestantismefrançais, 1859. Vol. 8. P. 292-293. P. 292-293.

54 Complaincte et deploration de l'heresie. S. 1., s. d. P. 30-31.

55 François de Belleforest. Discours sur l'heur des présagés advenuz de nostre temps, signiflantz la félicité du regne de nostre Roy Charles neuflesme tres-chrestien. Paris, 1572. f. 30v-31r.

De leur côté, les prédicateurs ne se privaient pas d'insister lourdement sur la confirmation quasi quotidienne de leur doctrine par le surnaturel. L'aubépine du cimetière des Innocents n'avait pas encore fleuri que le prédicateur toulousain Jean d'Albin de Valsergues jetait à la face d'un contradicteur imaginaire: «regardez et considérez, je vous prie, les choses grandes et merveilleuses qui se font en nostre Eglise56». Son confrère parisien, le célèbre Simon Vigor, n'avait pas moins confiance dans le bras de Dieu: «sa puissance n'est diminuée, ny son bon vouloir envers nous, veu qu'il a faict des miracles plus grands pour monstrer la bien-vueillance qu'il nous porte qu'il n'a faict anciennement57». Quelques années plus tard, un Louis Richeome pouvait écrire avec une satisfaction visible: «les miracles ont tousjours continué et continuent encore et continueront en l'Eglise58».

Nous voilà loin des lamentations d'un Claude de Sainctes ou d'un Denis Godefroy. A l'angoisse suscitée par l'offensive huguenote et par le silence incompréhensible d'un Dieu qui semblait avoir abandonné son Église a succédé la joie de le voir appuyer de toute la force de son bras le camp catholique. L'éclipsé du surnaturel ouverte par les événements de 1562 était bien terminée et la dernière phase des guerres de Religion fut marquée par un prodigieux crescendo du surnaturel catholique. Possédés délivrés par la vertu de l'eucharistie à l'issue d'exorcismes spectaculaires, miracles de châtiment publiés sous forme de libelles ou simplement rapportés dans les chroniques et les livres de raison. Ajoutons encore, la floraison des pèlerinages. C'est en effet à cette époque, soit dans les années 1580-1590, que débuta le grand renouveau des sanctuaires à miracles qui devait marquer tout le xvne siècle59. De nouveaux pèlerinages apparurent, comme Notre-Dame des Ardilliers. D'autres retrouvèrent

56 Jean de Valsergues. Marques de la vraye Eglise catholique, par lesquelles on la peut aise-ment discerner de la fausse Eglise Calvinienne et autres. Paris, 1572. f. 7r. Publiés de façon posthume, ces sermons avaient été prononcés dans la seconde moitié des années 1560.

57 Vigor, S. Vigor 1597 — Sermons catholiques sur les dimanches. Vol. 2. P. 210-211.

58 Richeome, L. Trois discours pour la religion catholique: Des miracles, des saincts et des images. Rouen, 1604. P. 232.

59 Pour des exemples régionaux, voir Martin, P. Pèlerins de Lorraine. Metz, 1997. P. 51-89; Provost, G. La fête et le sacré: Pardons et pèlerinages en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles. Paris, 1998. P. 163-190., pour une vue d'ensemble d'un phénomène qui avait pour théâtre toute l'Europe catholique, Dominique, J. Sanctuaires et lieux sacrés à l'époque moderne, \sr. Lieux sacrés, lieux de culte, sanctuaires: Approches terminologiques, méthodologiques, historiques et monographiques /Éd. A. Vauchez. Rome, 2000. P. 258-290. P. 258-290.

une nouvelle jeunesse, comme Notre-Dame de Liesse qui servit de point de ralliement aux grandes processions blanches de 1581-1582. Une myriade de sanctuaires reprit vie: Notre-Dame de Garaison en Gascogne, Notre-Dame de Verdelais en Guyenne, Notre-Dame de Bon-Encontre en Agenais, autant de pèlerinages qui se relevèrent alors. Des registres de miracles furent ouverts, parfois publiés. Des congrégations religieuses s'installèrent pour accueillir les pèlerins et faire connaître ces lieux sacrés qui étaient autant de réponses en actes aux doctrines réformées. En un mot, le réenchantement du monde était en marche. Ce réenchantement était aussi, et tout simplement, l'expression d'une victoire: celle de la religion traditionnelle qui était parvenue à répondre au défi lancé par la Réforme.

Il faut, en tirant les conclusions de ce qui précède, se garder d'exagérer ou de confondre les registres. Ce ne sont pas les possessions démoniaques ni les sanctuaires à miracles qui ont donné la victoire au camp catholique ou ont empêché sa défaite. Nicole Obry n'a pas gagné les guerres de Religion à elle seule. Il n'y a pas de hasard sans nécessité et ce qui s'est passé à Laon un certain jour de février 1566 n'a sans doute été que la concrétisation fortuite d'une dynamique qui ne l'était pas. Mais l'événement qui enclenche la dynamique est également le symptôme qui permet à l'historien de la reconnaître. Plus généralement, les occurrences concrètes du surnaturel sont autant d'indices qui traduisent l'état de l'imaginaire, cette force agissante du xvie siècle religieux dont l'importance n'est plus à démontrer. Si l'on fait confiance à cet indice, il apparaît que le choc des imaginaires au temps des troubles de Religion a, du côté catholique, pris la forme d'un triptyque. Son premier pan est constitué par les années d'avant-guerre. Les miracles réguliers qui les scandent sont perçus comme autant de preuves que Dieu, s'il laisse se développer les nouvelles doctrines, n'en reste pas moins aux côtés de son Église qui peut compter sur l'appui de son bras. Tout change avec l'année 1562, l'offensive huguenote et la révolution iconoclaste qui l'accompagne. Dieu se tait, laisse le champ libre aux réformés et son silence plonge les catholiques dans une détresse dont l'absence de miracles est à la fois la cause et le signe. Mais l'éclipsé ne dure guère. Dès 1566 et les événements de Laon, le surnaturel catholique revient sur les devants de la scène. Il ne la quittera plus jusqu'à la fin des guerres. Telle serait la chronologie du surnaturel au temps des troubles de Religion. Ce n'est qu'une chronologie

qui, comme toute chronologie, n'explique rien mais donne seulement à voir. En l'espèce, elle laisse entrevoir une autre histoire, qui n'est pas celle des batailles et des traités. Elle n'est pas moins importante. Elle a sa propre respiration.

Information on the article / Информация о статье

Balzamo N. Le surnaturel dans les guerres de religion: Esquisse chronologique, in: Proslogion: Studies in Medieval and Early Modem Social History and Culture. 2106. Vol. 1(13). P. 59-84.

Никола Бальзамо

Доктор истории, профессор, Университет Невшателя (2000, Швейцария, Невшатель, ул. дю ле-Мар 26, 2000)

nicolas.balzamogiunine.ch

УДК 94 (44)

Сверхъестественное в Религиозных войнах: Хронологические зарисовки

Данная статья не ставит своей целью изложить историю сверхъестественного в эпоху Религиозных войн во Франции, но всего лишь дать набросок хронологии его проявлений. Автор обосновывает точку зрения, что хронология борьбы верований католиков и гугенотов XVI в. отнюдь не является точным отражением военных баталий Гражданских войн.

Столкновение разных форм религиозного воображения в эпоху Реформации, с точки зрения католиков, состояло из трех этапов. Первым этапом являются предвоенные годы (1550-е), во время которых чудеса воспринимаются как доказательства того, что Господь, несмотря на то, что он допустил распространение новых еретических учений, тем не менее, остается на стороне католической церкви и не дает ей погибнуть. Начиная с 1562 г., ситуация меняется: наступление гугенотов сопровождается иконоборческой революцией, «Господь молчит», и ничто не останавливает протестантского натиска: эта ситуация приводит католиков в смятение, причиной и следствием которого следует считать отсутствие чудес. Но это затмение оказывается временным: начиная с 1566 г. и т.н. «Ланских событий», католическое сверхъестественное вновь выходит на историческую сцену с тем, чтобы уже не покидать ее до окончания Религиозных войн.

Ключевые слова: История Франции, XVI век, Религиозные войны, Реформация, католики и гугеноты, история сверхъестественного, божественные чудеса, иконоборчество.

Nicolas Balzamo

Doctor in history, professor, University of Neuchâtel (Av. du ler-Mars 26, 2000 Neuchâtel)

nicolas.balzamogiunine.ch

Supernatural in the Wars of religion: A chronological draught

The article doesn't summary history of supernatural during the era of the Religious wars in France, but only makes a sketch of chronology of its manifestations. The author argues that the chronology of fight of the Catholics and the Huguenots beliefs in the 16th century doesn't correspond to chronology of military fights of the Civil wars.

Struggle of different forms of religious imagination in the age of Reformation, from the point of view of Catholics, consisted of three stages. The first stage took place in the paramilitary years (1550s), when miracles were perceived as proofs, that the Lord, in spite of allowing new heresies to extend, nevertheless, remained on the side of the Catholic church and wouldn't allow it to die. Since 1562 the situation changed: approach of Huguenots was followed by iconoclastic revolution, the Lord was silent and nothing stopped Protestant onslaught. The situation immersed the Catholics in confusion, which cause and effect was lack of miracles. But this eclipse was temporary: since 1566 and so-called "events in Laon" the Catholic supernatural stepped on the historical stage again and didn't vanish by the end of Religious wars.

Keywords: History of France, the 16th century, the Religious wars, Reformation, the Catholics, the Huguenots, history of supernatural, divine miracles, iconoclastic fight

Список источников и литературы / References

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Denis Crouzet

UNE HISTOIRE À L'ENVERS? LE ROI ET LA DIVISION DE LA FOI DANS LE ROYAUME DE FRANCE AU XVIe SIÈCLE

L'historiographie du temps des réformes a toujours été téléologique pour ce qui est de la division confessionnelle française, discernant des lignes de continuité portant les premiers dissidents évangéliques à être comme les précurseurs des iconoclastes calvinistes de 1560, et les tenants de la défense de l'Église romaine des années 1520 à être les avant-cou-reurs des massacreurs du temps des Saint-Barthélemy. Or tout est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît dans ce qui est une histoire longue. Il s'agira ici réfléchir sur le processus de segmentation et d'institutionnalisation confessionnelles, de formation des confessions et donc de mise en conflit de ces dernières. Il s'agira encore de questionner le cheminement historique qui a conduit à la fixation confessionnelle et à ses implications dans le champ de la vie civile telle que les historiens ont eu tendance à l'appréhender sous l'angle rétrospectif et problématique — voire anachronique — d'une tension de disciplination instrumentalisée par l'État: donc d'une fonctionnalité socialement, éthiquement, politiquement contraignante corrélative de la formation d'une «Untertanengesell-schaft». Au contraire de cette approche, sera proposée l'hypothèse selon laquelle, du moins pour le cas du royaume de France, la différenciation confessionnelle ne s'est faite dans le cadre d'un «Verstaastlichungspro-zess», une «étatisation» de la religion. Car l'État royal au contraire a tenté, pour remédier aux conséquences civiles et religieuses, de mettre en place, au moyen terme et donc a-téléologiquement, une logique ou une stratégie qui sera qualifiée de «déconfessionnalisation». C'est contre l'établissement de frontières confessionnelles théoriquement impliquées par la Konfessionbildung que l'État a travaillé en France durant un long xvie siècle: c'est donc contre le principe d'une «modernisation» de l'État

© Denis Crouzet, 2016

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