Научная статья на тему 'PEACEMAKING IN THE éPOQUE OF THE HUGUENOT WARS: COMMISSIONERS RESPONSIBLE FOR “EDICTS OF PACIFICATION”'

PEACEMAKING IN THE éPOQUE OF THE HUGUENOT WARS: COMMISSIONERS RESPONSIBLE FOR “EDICTS OF PACIFICATION” Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

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Ключевые слова
ИСТОРИЯ ФРАНЦИИ / XVI ВЕК / РЕЛИГИОЗНЫЕ ВОЙНЫ / ЭДИКТЫ УМИРОТВОРЕНИЯ / ДИНАСТИЯ ВАЛУА / ГОРОДСКИЕ ОБЩИНЫ / КАТОЛИКИ / ГУГЕНОТЫ / КОРОЛЕВСКИЕ КОМИССАРЫ / HISTORY OF FRANCE / 16TH CENTURY / RELIGIOUS WARS / EDICTS OF PACIFI CATIONS / THE DYNASTY OF VALOIS / URBAN COMMUNITIES / CATHOLICS / HUGUENOTS / THE ROYAL COMMISSIONERS

Аннотация научной статьи по языкознанию и литературоведению, автор научной работы — Фоа Жереми

Настоящая статья посвящена анализу механизмов реализации эдиктов об умиротворении, которые издавал король Франции во время Религиозных войн. Гражданские войны во Франции войны не являли собой беспросветное насилие. Современники тех событий с большей охотой говорили о «смутах» («troubles»), спорадических, непрестанно возобновляющихся, нежели о «войнах». И действительно, военные действия часто перемежались периодами мира, искусными попытками примирения, т. н. «эдиктами умиротворения». Чтобы положения «эдиктов умиротворения» выполнялись на местах, монархия разослала в провинции и города специальных комиссаров, около 20 человек, наделенных широкими исполнительными и судебными полномочиями. Именно они побуждали недавних противников к совместной жизни, позволяя вчерашним врагам жить в пределах городских стен. Теперь горожане взирали на суверена как на гаранта имущественной и личной безопасности подданных, гаранта соблюдения соглашений. Ибо, чем меньше в них оставалось страха перед небесной карой, тем сильнее они боялись монаршего гнева. С одной стороны, размах насилия, подлежащего усмирению, вызвал мобилизацию беспрецедентной силы, а с другой, тяжесть преступлений, подлежащих наказанию и прощению, шла на пользу суверену, который заявлял о себе как с помощью демонстративных казней, так и громких помилований. Делая более настоятельной необходимость прощать и брать на себя обязательства, примирение, желанное королем, не только не ослабляло французскую монархию, но, напротив, ускоряло формирование современного государства.

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Миротворчество в эпоху Гугенотских войн: деятельность комиссаров, ответственных за выполнение королевских «эдиктов об умиротворении»

The present article is devoted to the analysis of mechanisms of realization of royal edicts of pacification, edited by the king of France during the Religious wars. The civil war in France wasn't uninterrupted and hopeless violence. Contemporaries more readily named them “troubles”, sporadic and constantly recurring, rather than “wars”. Indeed, military actions were often interspersed by periods of peace, elaborately attempts of pacification or rather reconciliation called “edicts of pacifi cation”. To impel “edicts of pacification” the monarchy decided to send round the provinces and cities special commissioners (about 20 people), vested with wide executive and judicial powers. Namely these commissioners urged opponents to follow recent life together within the city walls, operating on behalf of the monarch. Thus, the townspeople looked upon the sovereign as the guarantor of property and personal safety of citizens, the guarantor of the peace agreements. The less they had fear of heavenly punishment, the more they feared the Royal anger. On the one hand, the scale of the violence, that should be suppressed, caused an unprecedented mobilization of forces; on the other hand, the gravity of the crimes, subject to punishment and forgiveness, was to benefi ts of the sovereign, who declared himself by demonstrative executions and notorious pardons. Reconciliation, desired by the king, made more urgent the need of forgiveness and to assuming of obligations that not only weakened the French monarchy, but, on the contrary, accelerated the formation of the modern state.

Текст научной работы на тему «PEACEMAKING IN THE éPOQUE OF THE HUGUENOT WARS: COMMISSIONERS RESPONSIBLE FOR “EDICTS OF PACIFICATION”»

Jérémie Foa

FAIRE LA PAIX AU TEMPS DES GUERRES DE RELIGION L'EXEMPLE DES COMMISSAIRES DES ÉDITS

Entre 1562 et 1598, les guerres de Religion sont l'occasion du déploiement d'un niveau inédit de violence entre protestants et catholiques. Les violences physiques précipitent l'innovation linguistique, portant avec elles l'apparition d'un nouveau mot, «massacre»1, qui sera «popularisé» par les tueries de la Saint-Barthélemy. Toutefois, les guerres de Religion ne constituent pas un bloc insécable de violences. Les contemporains eux-mêmes parlaient plus volontiers de «troubles», sporadiques, sans cesse renaissants, que de «guerres». Cette période est en effet traversée de nombreux moments de paix, de subtiles tentatives de pacification ou, mieux, de réconciliation. Ces paix à l'essai, au lendemain de guerres fratricides, portent le nom d'«édits de pacification». Il y a là révolution: le roi ordonne à partir de 1562 aux sujets des deux confessions de vivre en paix. Tandis que le serment du roi comme les curés les plus zélés commandaient d'«exterminer» les hérétiques, la Couronne impose dorénavant aux sujets des deux religions de vivre ensemble dans un même royaume, une même ville voire une même rue. Le premier édit est celui de janvier 1562, appelé «édit de janvier». Il accorde liberté de conscience et de culte aux huguenots. Il est tellement «scandaleux» pour les mentalités de l'époque qu'il est rapidement caduque, interrompu par la première guerre de religion (mars 1562 — mars 1563). La seconde période de «paix de religion»2, néanmoins, ouverte par l'édit d'Amboise, est plus tenace et dure quatre ans, jusqu'en septembre 1567, lorsque se déclenche la deuxième guerre civile. Puis un troisième édit (la paix de Longjumeau, mars 1568) ouvre l'interminable bal des paix avortées et des guerres éclair, qui ne prend fin qu'avec ledit de Nantes, en avril 1598.

1 ElKenz, D. Le massacre: Objet d'histoire. Paris, 2005.

2 Christin, 0. La Paix de religion: L'autonomisation de la raison politique au XVIe siècle. Paris, 1998.

©Jérémie Foa, 2016

Cette invention de la coexistence confessionnelle en France est due à Catherine de Médicis, régente pour son fils Charles IX (1560-1574), avec l'aide de son chancelier Michel de L'Hospital (1506-1573). Fragilisée par sa situation de régente et convaincue que seule la parole et la persuasion viendraient à bout des divergences religieuses, Catherine de Médicis a mis tout son cœur à réconcilier protestants et catholiques, au lendemain des nombreuses guerres civiles qui traversèrent le règne de ses fils. Toutefois, au lendemain de guerres civiles tragiques qui opposèrent voisins et frères, il ne suffisait pas de décréter la paix pour que cessent, comme par magie, les violences dans tout le royaume. Si les traités prônaient l'amnistie, nulle amnésie dans les villages: comment vivre aujourd'hui avec son ennemi d'hier? Et si les édits de tolérance proposaient des solutions, ils créaient autant de problèmes qu'ils en résolvaient. On chercherait en vain dans quelque manuel de l'époque les moyens concrets d'apaiser sur le terrain les tensions confessionnelles3. La paix n'était qu'un mot, la réconciliation un travail.

Pour établir sur le terrain les dispositions pacificatrices, la monarchie décida d'envoyer des commissaires d'application des édits de pacification, dotés de larges pouvoirs exécutifs et judiciaires. Ces juristes, modérés religieusement et étrangers aux zones qu'ils visitent, sont envoyés deux par deux par les provinces du royaume pour tenter de réconcilier catholiques et protestants. Il ne s'agit que d'une poignée d'hommes, 20 au plus, dont il s'agit présenter l'action4.

Ulysse du temps des troubles: la question du retour des exilés

La première question à laquelle les commissaires du roi se heurtent, condition même de la réconciliation, est celle du retour épineux de ces Ulysse du temps des troubles que sont les exilés5. Les villes où dominent

3 Caroll, S. The peace in the Feud in Sixteenth and Seventeenth century France, in: Past andPresent, 2003. Vol. 178. P. 86.

4 Ce texte est issu de mon travail de doctorat à paraître: Foa, J. Le tombeau de la paix: Une histoire des édits de paciflcation, 1560-1572. Limoges, 2013.

5 La figure d'Ulysse n'est pas que métaphorique. Elle est utilisée par Jean de Coras pour penser le retour des absents, dans son ouvrage sur Martin Guerre. Arrest mémorable du parlement de Tholose contenant une Histoire prodigieuse d'un supposé mary, advenue de nostre temps: enrichie de cent & onze belles & doctes annotations. Paris, 1572. P. 2; 16; 75. Au risque de l'anachronisme, ce travail a beaucoup tiré de la lecture d'Abdelmalek Sayad, et en particulier Sayad, A. La notion de retour dans la perspective d'une anthropologie totale de l'acte d'émigrer, in: L'immigration ou les paradoxes de l'altérité: T'orne 1. L'illusion du provisoire / Éd. A. Sayad. Raisons d'Agir, 2006. P. 151.

les catholiques ont souvent profité des troubles pour chasser leurs concitoyens protestants6. Le retour d'exil des réformés de Mâcon se révèle à cet égard particulièrement révélateur. La scène est rapportée par l'un des gardes des portes de la cité. Le 8 juin 1563, les gardes voient apparaître au loin l'épaisse foule des protestants mâconnais qui, en vertu de ledit d'Amboise, aspirent à retrouver leurs foyers. Les gardes maintiennent les portes closes, malgré la paix et sur ordre exprès du gouverneur, Tavannes. Mais les anciens bannis ont, fichée au cœur, la certitude qu'ils ne craignent plus rien désormais7.

«Qui [sont] ces troupes de gens que l'on void à la prairie»?, demandent pourtant les hommes du guet aux notables qui se sont avancés. «Lesquels ont dict que s'estoient partie des absens de Mascon, qui voulloient rentrer en ladicte ville». Philibert Barjot prend alors la parole:»dict qu'il a pieu au Roy ordonner par son edict de paciffica-tion que tous absens des villes rentreront en leurs maisons librement. Demande que lesdicts eschevins les laissent entrer en ladicte ville et y resider en leurs maisons». Les portiers, pas plus que les échevins, ne sont toutefois décidés à se laisser fléchir. Ils verrouillent les portes et veillent au loin sur la troupe des exilés qui se résout à camper pour lors dans la «prayerie»8.

Au lendemain d'affrontements fratricides, la possibilité du retour des exilés repose sur l'interconnaissance, c'est-à-dire la bonne foi de ceux qui sont restés, seuls capables de reconnaître les leurs. Les gardes des portes savent en réalité très bien qui sont les prétendants à l'entrée de Mâcon, mais font mine de ne les pas reconnaître: la cité est devenue catholique à la faveur de la guerre et requiert désormais «ung roolle des noms de ceux qui veullent rentrer pour s'enquerir sy tous sont de ladicte ville». Les protestants, eux, excluent de décliner leur identité, alléguant que «de donner les noms des absens, il n'en n'est besoing, par ce que ceux de ladicte ville les connoissent bien»9. Si les réformés refusent d'objectiver leur identité tant elle repose traditionnellement sur la reconnaissance implicite des voisins, les affrontements religieux exigent l'invention de

6 Pour des réflexions sur la difficulté du retour, voir Günther Anders, G. Journaux de l'exil et du retour. Lyon, 2012.

7 BnF. Ms. Fr. 4048. Fol. 147 v-148 (8 juin 1563).

8 BnF. Ms. Fr. 4048. Fol. 147 (8 juin 1563).

9 BnF. Ms. Fr. 4048. Fol. 147 v-148 (8 juin 1563).

nouveaux modes d'identification des personnes10. Car il n'est plus rien de tacite en guerre civile — l'implicite même est dangereux. Tout doit alors être identifié, marqué, étiqueté, nommé. Certains gardes feignent de ne pas reconnaître des usurpateurs, dont le cas le plus connu est celui de Martin Guerre11.

De fait, l'édit d'Amboise manque de clarté en ce qu'il déclare que désormais «chacun pourra vivre et demourer partout en sa maison»12. Les villes catholiques profitent de cette formulation maladroite pour affirmer que seuls les habitants originaires de la ville, anciennement enracinés, pourront rentrer en leurs demeures personnelles. En aucun cas, les étrangers ne pourront s'installer à loisir. Dans une requête adressée aux commissaires, les échevins de Mâcon, inquiets, demandent «si, en ensuyvant ledict edict de paciffication [...], il sera permys aux estrangers indifféremment venir resider en cestedicte ville»13. Répondant par la négative et restreignant l'entrée aux seuls natifs, les villes s'arrogent du même coup un droit de regard sur les entrants, dans la mesure où seuls les autochtones sont capables, en l'absence de registres d'état civil, de certifier qui sont les locaux. On le constate, la paix n'implique en rien une réconciliation. Elle permet, dans ce contexte, la poursuite paradoxale de la guerre par d'autres moyens. Ici, le harcèlement judiciaire, qui se saisit de toutes les failles de la loi pour inquiéter ses adversaires. Les contemporains eux-mêmes rapportent combien les édits peuvent être instrumenta-lisés par les adversaires pour continuer la guerre: des huguenots assurent qu'on «n'a voulu faire qu'une Paix en figure, pour plus aisement executer par une Paix fourree et dissimulée ce qu'on n'a peu faire par une force ouverte»14. Etienne Pasquier affirme de son côté que «jamais le roi n'a tant gagné sur ceux de la Religion en tems de guerre, comme il a fait par ses édits de pacification»15. C'est dire qu'à défaut d'avoir perdu la guerre, les huguenots ont, d'emblée, perdu la paix. L'horizon final, ici, au risque

10 Denis, V. Une histoire de l'identité: France, 1715-1815. Seyssel, 2008.

11 Davis, N. Z• Le retour de Martin Guerre. Etude historique, in: Le Retour de Martin Guerre, 1982. P. 121-287.

12 Edit d'Amboise, article 2.

13 AM Mâcon. EE 49. P. N. 12 (6n janvier 1571).

14 Brief Discours sur les moyens que tient le Cardinal de l'Orraine, pour empescher l'establissement de la Paix et ramener les troubles en France. S. 1., 1568. P. Eiij.

15 Parkin, J. Etienne Pasquier, tolérant ou indécis?, in: Studi francesi, 1980. Vol. 24. P. 205-223.

de la téléologie, est bien celui d'une défaite qu'il s'agit d'expliquer — celle du protestantisme français. Pasquier, comme d'autres, met au cœur de l'histoire de cette défaite la paix, non la violence, aiguillonnant la thèse que cet article aimerait défendre, à savoir que le protestantisme français n'a pas tant perdu la partie en raison des violences physiques qu'il a subies que des violences symboliques, et notamment légales qui se sont exercées à son encontre. Ce qui amène à soutenir une thèse paradoxale qui propose de lire les édits de pacification comme une continuation de la guerre par d'autres moyens.

Ce contrôle aux frontières des villes suscite en retour d'inépuisables conflits. C'est pourquoi Charles IX essaie, dès février 1564, de préciser que «les villes du Roy sont libres à ses subjectz»16. Charles IX laisse donc à l'entière volonté de ses sujets l'élection d'un domicile et supprime les obstacles (la garde des portes ou les barrières confessionnelles) à la circulation des hommes dans l'espace: la qualité de sujet du roi confère un droit d'accès à toutes les cités du royaume, sans égard à la confession. Le critère d'appartenance «nationale» suffit: essentiel à l'apaisement, il permet en outre d'espérer réconcilier les Français autour de leur roi et d'exporter le conflit à l'extérieur des frontières du royaume. De manière très explicite, Charles IX répond aux huguenots de Languedoc que les «subjectz du Roy» peuvent résider «par toutes les provinses de son royaume comme bon leur semblera»17.

Mais cette clarification de Charles IX suscite à son tour une lutte de définition autour des concepts mêmes d'«étranger» et de «sujet». Les villes hostiles à la réconciliation considèrent comme «étrangers» ceux qui ne sont pas natifs de la cité. Pour le roi au contraire, l'étranger est de plus en plus conçu comme celui qui n'est pas du royaume: c'est un Allemand, un Espagnol ou un Italien. Or, si ce dernier critère permet une déterritorialisation de sa mise en œuvre en ce qu'il définit des «ayant-droit» (tout Français peut vivre dans les villes du roi de France), celui retenu par les villes nécessite en revanche un savoir-faire, ou plutôt un «savoir voir» (1') indigène qui ne s'acquiert que par une longue fréquentation, une socialisation partagée: qui, sinon les voisins, pourrait tester (ou contester) l'appartenance? L'on passe ainsi de modes divergents d'appréhension du monde social et des individus y agissant (bourgeois/

16 BnF. Ms. fr. 15879. Fol. 58 v (février 1564).

17 BnF. Ms. fr. 15879. Fol. 106 (s. d. [1564-1565]).

sujet) à deux modes opposés de gestion de ces personnes: le premier peut se conduire depuis Paris ou être mis en œuvre par un agent royal apte à distinguer un Français d'un Allemand. Le second, à l'inverse, est l'affaire exclusive des locaux parce qu'il ne peut s'apprendre ni même être codifié18. En «nationalisant» le droit à l'entrée comme la notion d'étranger, la Couronne tente donc de réconcilier les adversaires religieux en rappelant leurs qualités communes de Français et en vantant les vertus nationales19.

La guerre des plaintes

Chaque fois qu'ils arrivent dans un village, les commissaires convoquent des assemblées générales, réunissant les habitants des deux religions20. Ces derniers se saisissent de l'occasion pour présenter leurs doléances. A Valence, en février 1572, un témoin mentionne les centaines «d'afferes qui se presantent tous les jours par devant messieurs les commissaires»21. Les commissaires participent ainsi d'un phénomène plus large, étudié sous nom de «conversion judiciaire» des affrontements religieux.

La conflictualité ne baisse donc pas avec la paix. Elle revoit ses tactiques. A l'évidence, pacification n'est pas réconciliation. Un auteur protestant l'écrit en toutes lettres: «on a voulu faire qu'une Paix en figure, pour plus aisement executer par une Paix fourrée et dissimulée ce qu'on n'a peu faire par une force ouverte»22. Autrement dit, les ennemis religieux ne renoncent en rien à «abattre» leurs adversaires mais l'arme par excellence, dorénavant, celle qui garantit les meilleurs résultats, est judiciaire. Les hommes des deux confessions embauchent des avocats, consultent des spécialistes du droit pour présenter adéquatement leurs plaintes. Le maire et les échevins de Tours s'adjoignent l'aide de cinq avocats du présidial pour «requérir par devant messieurs les commissaires»23.

18 Desrosières, A. L'opposition entre deux formes d'enquête : monographie et statistique, in: Justesse et justice dans le travail / Éd. L. Boltanski, L. Thevenot, et al. Paris, 1989. P. 1-9.

19 Talion, A. Le Sentiment national dans l'Europe méridionale aux XVIe et XVIIe siècles (France, Espagne, Italie). Madrid, 2007.

20 Alazard, F. La plainte à la Renaissance: Journées d'études des 16 et 17 novembre 2005. Paris, 2008.

21AM Montélimar. BB 53. Fol. 41 (23 février 1572).

22 Brief Discours sur les moyens 1568. P. Eiij.

23 AM Tours. CC 79. Fol. 66 v°(2 décembre 1563).

Comme Olivier Christin l'a démontré, la pacification est «une chance pour les hommes de loi»24.

Néanmoins, la conflictualité n'est pas simplement aiguillée par la plainte. Sa nature se transforme pour partie, tant les plaignants sont contraints de se plier à une grammaire spécifique, fixée avec patience par les commissaires. La plainte doit non seulement être exempte d'insultes, mais aussi afficher son intention de promouvoir le Bien Commun, non pas simplement le triomphe d'une Église aux dépens d'une autre. Ainsi à Aurillac, les commissaires interdisent de «s'ataquer, injurier ou provoquer l'un l'aultre de faict ou de parolle»25. Partant, le corpus des doléances envoyées aux agents de la Couronne est débarrassé de toute insulte : les réformés n'y sont nullement traités d'«hérétiques», mais toujours appelés «ceux de la prétendue religion», ce qui contraste notoirement avec le ton des pamphlets contemporains. On n'appelle pas plus les catholiques»papistes». En outre, l'argumentation des plaignants est strictement sécularisée: nul ne peut avoir l'espoir de gagner en justice en se proclamant meilleur fidèle.

Le premier motif de plainte (l/5e des affaires), à savoir les questions de culte, le démontre. Les commissaires ont en effet pour tâche d'attribuer des temples aux protestants: en sus de deux temples à l'intérieur des murailles dans les villes déjà entre leurs mains lors de la proclamation de la paix (7 mars 1563 pour 1 edit d'Amboise; 1er août 1570 pour 1 edit de Saint-Germain), les réformés doivent être dotés d'un temple aux faubourgs d'une ville par bailliage en 1563, et de deux aux faubourgs d'une ville par gouvernement en 1570. Ici encore, les querelles de définition, le harcèlement judiciaire se révèlent les armes les plus blessantes des guerres de Religion: où établir ce lieu de culte? Sera-t-il fixé dans la ville principale du pays ou, au contraire, dans quelque bourgade inconnue? Si l'enjeu pour les huguenots est d'obtenir un lieu proche, le but pour les catholiques est d'écarter le prêche le plus possible. Or, dans toutes leurs doléances, les huguenots demandent des temples de proximité, non pour leur âme mais en vertu de l'ordre public: un site trop à l'écart les obligerait à tenir des prêches clandestins et réitérerait les troubles. A l'identique, les raisonnements développés par les catholiques pour tenir le temple à distance ne s'appuient jamais sur une peur de la «pollution»

24 Christin, 0. La Paix de religion. P. 104.

25 Bibliothèque de l'Institut. Ms. 96. Fol. 80 sq.

hérétique. Si ces motivations religieuses restent sous-jacentes, la règle du jeu dicte aux catholiques la nécessité de souligner les risques militaires ou économiques de l'établissement d'un prêche dans les environs.

Les stratégies de type «effet pervers» permettent d'avertir les commissaires des «mauvaises surprises» qu'un temple trop proche ne manquerait pas de réserver. A Nantes, on prévient les commissaires des effets néfastes sur le négoce de l'octroi d'un temple aux portes («par ledict exercice, ledict traficq leur seroict presque entièrement rompu»26). Le raisonnement a le mérite de maintenir la discussion en dehors du religieux et de le politiser. En donnant au débat une tournure technique, on oppose des experts aux experts27. De la sorte, les opposants à la paix peuvent, tout en assurant se réjouir des projets du roi — la coexistence pacifique — prétendre ne refuser que les moyens mis en œuvre pour y parvenir. A Nantes, les échevins et le clergé mobilisent toute leur expertise pour freiner l'implantation d'un culte réformé: le faubourg de Beauregard est «une petite isle sur les pontz», ce qui explique bien «l'incommodité qui seroict au Roy et à la ville [que les réformés] tinssent le passaige de leurs pontz»28. Le critère de la sécurité du royaume procure un remplaçant acceptable de l'impensable préférence religieuse. Peu importe alors que les personnes n'avouent jamais ce qui, en leur âme, les tourmente — leur salut ou la damnation des Autres. Compte beaucoup, à l'inverse, qu'ils soient contraints de transformer leurs réticences par un montage technique, seul valide pour convaincre les instances officielles. Importe que les hommes intériorisent la nécessité d'adosser leurs doléances à des formes sécularisées du Bien Commun, jeu de bascule que Jon Elster a baptisé «force civilisatrice de l'hypocrisie»29.

Refonder le consensus local

L'obtention d'un accord entre les parties est d'autant plus difficile que le recours aux forces religieuses de création du consensus est dorénavant impensable. Le religieux ne pouvant plus souder la ville, c'est en établissant des référents civiques que les commissaires tentent

26 AM Nantes. GG 643. P. 3.

27 Hirschman, A. 0. Deux siècles de rhétorique réactionnaire. Paris, 1991. P. 27 sq.

28 AM Nantes. GG 643. P. 3 (avant le 25 mai 1564).

29 Elster, J. Argumenter et négocier dans deux Assemblées constituantes, in: Revue française de science politique, 1994. Vol. 44. P. 86-256. P. 191.

d'asseoir la paix. Ils font par exemple prêter serment de respecter les édits de pacification et de vivre ensemble paisiblement : dans ces serments, sauf exception, nulle référence à Dieu ni à aucune forme religieuse de validation de l'accord, mais allégeance à l'autorité royale30.

Les commissaires savent en outre que tout n'est pas réparable, ni les morts, ni les traumatismes, ni les blasphèmes et désacralisations qui ont ponctué les conflits. Que faire pour le meurtre du huguenot clermontois Gilbert Douxsaintz, massacré lors de la procession de la Fête-Dieu en 1568 et dont la veuve implore réparation aux commissaires31? L evêque de Castres dit sans détours l'impossibilité de tout indemniser, lorsqu'il assure qu'on ne réparerait pas les pertes pleurées par son église «pour cinquante mille escus»32. La coexistence impose souvent de préférer la réconciliation à l'action judiciaire. A défaut, la conflictualité risque de sortir non pas amoindrie, mais simplement transformée, voire aiguisée, du processus de pacification. Les commissaires préfèrent donc étouffer certaines plaintes plutôt que de voir la justice pervertie en machine à vengeance par les habitants. A Saint-Maixent, ils écrivent au roi que «les choses se sont adoulcies, tant d'une part que d'aultre, et que maintenant [les habitants] ne présentent pas si indifféremment des requestes, comme ils souloient, remettans une partie de leurs vengeances et l'espoir d'y parvenir par le moyen de nostre commission, sachans bien que nous ne les y recepvirons pas»33. Vivre avec l'ennemi, c'est préférer l'ordre stable à l'ordre juste, c'est-à-dire, le politique au juridique. Les commissaires font alors promettre aux consuls de Romans une «reconcilliation generale par criees publiez, signees par touts les chefz de maison»34.

Au droit à la réparation, les agents du roi opposent alors un devoir d'oubli. Par 1 edit d'Amboise, Charles IX décrète que «toutes injures et offenses que l'iniquité du temps et les occasions qui en sont survenues ont peu faire naistre entre nosdietz subjeetz, et toutes autres choses passées et causées de ces presens tumultes, demoureront estainctes, comme mortes, ensevelies et non advenues». L'expression «non advenue» dit bien ici la magie de l'opération (rebrousser l'histoire), le miracle accompli

30 AM Nantes. BB 1 (juillet 1572).

31 AM Clermont. BB 38 (20 novembre 1570).

32 AM Castres. GG 3. P. 12.

33 BnF. Ms. fr. 15878. Fol. 110v°.

34 AM Romans. BB 6. Fol. 220.

par la politique de réconciliation35. S'ils restent prisonniers de l'irréversibilité du temps, les hommes sont condamnés à se reprocher sans cesse les gestes du passé. C'est pourquoi, dans un discours adressé au parlement de Bourgogne, le commissaire Charlet loue les mesures d'amnistie édictées par Thrasybule, ce «citoyen d'Athènes, qui bello Peloponesiaco confecto, et pour apaiser les grandes dissensions, legem tulit saluberrimam qui était lex oblivionis injuriarum»36. A Amiens comme partout ailleurs, les commissaires commandent donc aux habitants de cesser de «s'injurier, provoquer l'ung l'aultre par reproche de ce qui est passé»31. Il s'agit d'œuvrer à éclipser l'ennemi comme ennemi dans l'oubli.

Pour restaurer la possibilité d'une coexistence, il faut non seulement pardonner, mais encore rétablir la confiance dans les gestes à venir de l'ancien ennemi, épargner aux habitants la crainte du futur, les lendemains qui hantent. Car il n'existe nul projet dans l'incertitude ni communauté dans la méfiance. Le soupçon, fiché au cœur des voisins depuis les troubles, rend difficile le retour des gestes les plus innocents, se rendre au marché, faire du commerce ou garder les portes ensemble... C'est pourquoi, les commissaires, s'ils travaillent d'une part à effacer le passé par l'oubli, s'attellent à baliser l'avenir par le serment36. Au moment de quitter la ville, ils assemblent les habitants et leur font jurer de respecter les édits de pacification, de vivre dorénavant en «frères, amis et concitoyens». Ils espèrent de la sorte lier le comportement futur des habitants à une parole donnée. En août 1563, les commissaires font jurer les Grenoblois de respecter les édits de paix et d'oublier les inimitiés passées39. A Nîmes, le maréchal de Damville fait jurer aux notables de «garder, faire garder, obéir et observer inviolablement ledict edict suivant sa forme et teneur». Protestants et catholiques se promettent»l'un à l'aultre, fidélité, loyaulté et asseurance»40. Sans parler des sanctions tombées des puissances invisibles auxquelles s'exposerait le contrevenant, l'exclusion qu'engendrerait la violation d'un tel serment suffit la plupart du temps à le rendre efficace.

35 Edit d'Amboise, art. 9; Ricœur, P. La mémoire, l'histoire, l'oubli. Paris, 2000.

36 BM Dijon. Fds Saverot n°l. Fol. 1391; Loraux, N. La cité divisée: L'oubli dans la mémoire d'Athènes. Paris, 1997.

37 AM Amiens. AA 14. Fol. 208v.

38 Sur le serment, Prodi, P. De l'analogie à l'histoire: Le sacrement du pouvoir, in: Christianisme et monde moderne: Cinquante ans de recherches / Ed. P. Prodi. Paris, 2006. P. 217-246.

39 AM Grenoble. BB 18. Fol. 432v.

40 AM Nîmes. DD 3. P. 7.

Ainsi, la possibilité de coexister repose, comme l'a vu Hannah Arendt, sur une négation magique — politique — des bornes fondamentales du temps humain (l'avant et l'après), celles qui rendent les choses irrévocables quant au passé et incertaines quant à l'avenir. Par l'action politique, les hommes peuvent casser l'irréversibilité du passé, en usant de leur faculté de pardon, et réduire l'incertitude des lendemains par la promesse. La possibilité de vivre ensemble naît ainsi des facultés politiques de l'homme de nier ses propres limites anthropologiques. Autrement dit, si, comme le remarque H. Arendt, vivre avec l'autre est la condition du pardon et de la promesse (puisqu'on ne peut se pardonner à soi ni être lié d'une promesse faite à soi-même), principes fondateurs du politique, l'époque des guerres de Religion, en tant qu'elle impose de vivre avec l'ennemi, constitue un formidable accélérateur du processus de politisation41.

Dans le même but, les commissaires créent, de manière autoritaire, de très nombreux «consulats mixtes», au sein desquels le nombre de protestants était à la hauteur du nombre de catholiques. C'est le cas à Gap, Grenoble, Lyon, Millau, Montélimar, Montpellier, Nîmes, Orléans etc. Or, cette mixité des instances politiques ne figure pas dans le texte des édits. Elle constitue toutefois une solution efficace pour assurer la paix civile: pour mettre un terme aux violences, les commissaires convainquent les huguenots de Montélimar d'intégrer les catholiques aux décisions politiques42. Élément clef de la pacification, cette direction mixte des intérêts urbains donne à chaque confession la possibilité de médiatiser la gestion des conflits, évitant en partie le recours à la violence. Une instance plus innovante encore est initiée à Romans par les commissaires Bauquemare et La Madeleine qui ordonnent l'institution d'une assemblée originale, composée de trente hommes, tant catholiques que protestants, chargée de traiter au quotidien le flot des problèmes spécifiquement posés par la coexistence de deux confessions aux intérêts antagonistes43.

On aurait tort, pour finir, de considérer la paix comme une pure invention étatique, autoritairement imposée d'en haut par un roi de paix à ses belliqueux sujets. En bien des lieux au contraire, surtout dans

41 Arendt, H. Condition de l'homme moderne. Paris, 1961. Réédition: Paris, 1983, P. 301-314.

42 AM Montélimar. BB 46. Fol. 32-34 (février 1564).

43 AM Romans. BB 10. Fol. 109 (octobre 1563).

les petites villes, les citoyens ont adopté, voire devancé, les solutions préconisées par le monarque et ses commissaires pour assurer le vivre ensemble interconfessionnel44. Les «accords de bonne entente», jurés par les habitants des deux religions alors que les hostilités redémarrent ailleurs dans le royaume, en sont la manifestation éclatante. Olivier Christin, qui a découvert ces textes, les a baptisés «pactes d'amitié», tant le vocabulaire amical y est à la fois récurrent et surprenant dans un contexte interconfessionnel45. S'ils restent minoritaires — un peu moins d'une vingtaine pour le règne de Charles IX — et cantonnés aux petites villes, les pactes d'amitié n'en demeurent pas moins fondamentaux pour comprendre les tactiques mises en œuvre par les sujets afin de conjurer les violences. A Saint-Affrique par exemple, au lendemain de la Saint-Barthélemy parisienne (24 août 1572), catholiques et protestants jurent qu'«entre lesdits habitans et concitoyens y aura paix, concorde, amour et amitié»46. Simultanément à Millau, les citadins se proclament «voysins et amis, s'entreaymans et se cherissans» les uns les autres. Pour sauver l'essentiel, les hommes des guerres de Religion n'hésitent donc pas à mettre en sourdine leurs oppositions religieuses ni à faire de l'ennemi religieux un ami politique. Assurément, les sujets du roi font figurer parmi l'essentiel la sauvegarde de leurs vies, de celles de leur famille et la protection de leurs biens. Ces coalitions mettent toujours en avant les intérêts communs des citoyens — en particulier économiques — aux dépens de leurs divergences confessionnelles. A Millau, les deux confessions ont à cœur de maintenir entre elles la «liberté de commerse» malgré les guerres qui déchirent le pays47.

Les habitants estiment donc que les intérêts du citoyen, du père de famille ou du propriétaire l'emporteront sur ses intérêts confessionnels. Autrement dit, que la raison communale prendra le pas sur les passions religieuses. Ce faisant, les pactes opèrent une distinction, au niveau local, entre les amis et les ennemis, fort différente de celle proposée par leurs

44 Hanlon, G. Confession and community in Seventeenth-century France: Catholic and Protestant coexistence in Aquitaine. Philadelphia, 1993. P. 115.

45 Christin, 0. La Paix de religion. P. 122-132, où sont publiés, sauf exception, les pactes d'amitié.

46 Olivier, C. Amis, frères et concitoyens. Ceux qui refusèrent la Saint-Barthélemy (1572), in: Cahiers de la Villa Gillet, 2000. Vol. 11. P. 71-94.

47 AM Millau. CC 42. 2e inv. Pièce non numérotée.

propres Églises. Ici, la discrimination entre l'ami et l'ennemi s'effectue non plus sur critères religieux, présentement inopérants pour protéger du danger, mais en fonction de l'utilité du regroupement à la protection de la ville48. Aussi l'ennemi au point de vue religieux ne l'est-il pas forcément d'un point de vue politique. A l'inverse, l'orthodoxie religieuse n'est pas gage d'amitié politique: est-il vraiment important que le soldat qui plastronne aux portes soit papiste ou huguenot? Les habitants de Saint-Laurent-des-Arbres promettent donc que «la diversité de Religion qu'est entre eux ne pourra empêcher ladite alliance». Ces pactes trahissent tous la même idée: celle que le danger vient de l'extérieur, non de l'intérieur de la communauté. Dans ces endroits où tout le monde se connaît, en particulier dans ces petites villes où les pactes s'élèvent, la «surveillance de chacun sur chacun», comme l'écrit Durkheim, limite fortement les possibilités d'autonomie et donc de trahison49. Les habitants de Millau se décrivent comme «hantans, frequentans, mangeans et buvant» ensemble. L'usage du champ sémantique de la proximité laisse peu de doutes sur l'importance des relations quotidiennes dans la construction des identités collectives. Fréquenter, manger, boire, verbes qui définissent autant d'activités et d'identités parallèles au confessionnel.

A de nombreuses reprises, les habitants montrent qu'ils considèrent l'adversaire religieux autrement que comme un ennemi. A Montferrand, en septembre 1572, les consuls catholiques refusent d'enfermer Françoise Morel, huguenote, en raison de «sa grave malladie»50. A la même date, les ménagers de Lisieux laissent en liberté le protestant, Albert de La Couyère, parce qu'il est chirurgien51. La proximité, la profession, le niveau de richesse constituent autant de déterminants sociaux de l'identité mobilisables en dehors du répertoire confessionnel. Avant de prier séparément, on va à la halle ensemble, on se fréquente à la taverne, on se croise au jeu de paume. Avant même de se considérer comme papistes ou huguenots, les habitants sont ici des fils et des filles, des beaux frères et des cousins. Ils sont le voisin, le riche, le bègue, l'artisan ou le commerçant. A Nant, la signature d'un pacte à l'automne 1568 est facilitée

48 Schmitt, C. La Notion de Politique: Théorie du Partisan. Paris, 1992. P. 64.

49 Durkheim, E. De la division du travail social: Étude sur l'organisation des sociétés supérieures. Paris, 1893. Chapitre III. Livre III passim.

50 AD Puy de Dôme. 3 E 113. fds II. BB 20. F°20v.

51 AM Lisieux. BB 7. F.°347.

par l'existence de liens de parenté entre notables des deux confessions. Bessières, le viguier catholique qui paraphe en tête du pacte, n'est autre le beau-frère de François de Malbois, meneur des protestants, qui signe après lui52.

Pour conjurer la guerre civile et les risques qu'elle fait courir à la communauté, les habitants excluent de situer l'hostilité potentielle à l'intérieur des murs et exportent alors l'ennemi à l'extérieur de la ville. L'ennemi qu'ils dénoncent, c'est d'abord le soldat, celui qui attaque la ville indépendamment de la cause religieuse qu'il prétend défendre. A Nant, les habitants proclament vouloir mettre «tel ordre et police par la guarde de la ville qu'elle ne soit assallie par les ennemys du Roy». A Nyons, les citadins s'assemblent pour que nul soldat «ni d'une religion ni d'aultre» ne puisse s'emparer de la ville. Les habitants font aussi du voleur, celui qui profite des troubles pour rapiner sous couleur de religion, un ennemi commun. A Nyons, on s'entend pour garder «la ville nuyct et jour des voleurs». A Saint-Laurent, on se protège des «voleries que se pourraient faire par certains vagabonds tenant les champs». A l'intérieur, l'ennemi n'est donc plus l'hérétique, l'adversaire d'hier, mais l'étranger ou le vagabond. Comme un seul homme, les habitants décident donc l'expulsion de «tous vagamontz (sic) et gens sans adveu». Il s'agit de la sorte de chasser le traître potentiel, celui que ni ses attaches familiales ni ses intérêts économiques ne lient à la communauté.

Certes, les habitants n'oublient pas que l'ami d'aujourd'hui est l'ennemi d'hier. Ils restent donc méfiants et reprennent avec obéissance les solutions préconisées par les commissaires pour assurer la coexistence confessionnelle: confiscation des armes, interdiction des injures, partage des charges municipales etc. Surtout, comme le leur avaient demandé les commissaires, ils promettent, par serment, d'oublier le passé et de se comporter à l'avenir en «frères, amis et concitoyens». Mais la nouveauté n'est pas tant dans ces serments de temps de crise que dans l'instance qui en garantit désormais l'inviolabilité. Ici, nulle mention des puissances célestes qui contraignaient d'ordinaire les hommes à tenir parole: ni messe, ni prêche, ni curé, ni pasteur. La traditionnelle délégation du maintien de la cohésion sociale aux dieux et aux choses sacrées est ici renversée et remplacée par des sanctions humaines: les consuls, les juges,

52 Mazel, E. Les Guerres de religion à Nant et le pays d'extrême Haute-Marche du Rouergu. Rodez, 1920. P. 39.

la loi s'engagent à punir les contrevenants. Surtout, c'est en dernier recours le pouvoir central qu'on appelle pour garantir l'accord. C'est la monarchie dont on parle le langage, celui des édits de pacification, celui de l'amitié, distillé depuis plusieurs années par les commissaires.

En dernière analyse, c'est donc le Roi qui s'affirme à la fois comme auteur des contraintes pesant sur le vivre ensemble et comme source privilégiée de la cohésion sociale. En permettant à l'ennemi d'hier de vivre à l'intérieur des murs, le monarque prescrit un remède qu'il est seul en mesure de bien administrer. L'irruption et le maintien par décision royale de l'adversité religieuse au cœur des communautés fragilisent les mécanismes traditionnels de préservation du consensus, qui tendaient précisément à conjurer l'appel au roi. Les habitants se tournent alors vers le souverain, garant des biens, protecteur des personnes et caution des accords. Car à défaut de redouter semblablement l'intercession céleste, tous craignent intensément l'intervention monarchique. D'un côté, l'ampleur des violences à maîtriser implique la mobilisation d'une puissance inédite, de l'autre la gravité des fautes à punir et absoudre conforte une souveraineté qui se manifeste tant par le déploiement des supplices que par l'éclat de la grâce. En rendant plus pressante la nécessité de pardonner et plus impérieuse l'obligation de s'engager, la réconciliation voulue par le roi, loin d'affaiblir durablement la monarchie française, précipite au contraire la formation de l'État moderne.

Information on the article / Информация о статье

FoaJ. Faire la paix au temps des guerres de religion. L'exemple des commissaires des edits, in: Proslogion: Studies in Médiéval andEarly Modem SocialHistory and Culture. 2106. Vol. 1(13). P. 174-192.

Жереми Фоа

Доктор истории, доцент, Университет Марселя (13284, Франция, Марсель, бульвар Шарля Ливона 58)

jeremie.foaQigmail.com

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УДК 94 (44)

Миротворчество в эпоху Гугенотских войн: деятельность комиссаров, ответственных за выполнение королевских «эдиктов об умиротворении»

Настоящая статья посвящена анализу механизмов реализации эдиктов об умиротворении, которые издавал король Франции во время Религиозных войн. Гражданские войны во Франции войны не являли собой беспросветное насилие. Современники тех событий с большей охотой

говорили о «смутах» («troubles»), спорадических, непрестанно возобновляющихся, нежели о «войнах». И действительно, военные действия часто перемежались периодами мира, искусными попытками примирения, т. н. «эдиктами умиротворения».

Чтобы положения «эдиктов умиротворения» выполнялись на местах, монархия разослала в провинции и города специальных комиссаров, около 20 человек, наделенных широкими исполнительными и судебными полномочиями. Именно они побуждали недавних противников к совместной жизни, позволяя вчерашним врагам жить в пределах городских стен. Теперь горожане взирали на суверена как на гаранта имущественной и личной безопасности подданных, гаранта соблюдения соглашений. Ибо, чем меньше в них оставалось страха перед небесной карой, тем сильнее они боялись монаршего гнева. С одной стороны, размах насилия, подлежащего усмирению, вызвал мобилизацию беспрецедентной силы, а с другой, тяжесть преступлений, подлежащих наказанию и прощению, шла на пользу суверену, который заявлял о себе как с помощью демонстративных казней, так и громких помилований. Делая более настоятельной необходимость прощать и брать на себя обязательства, примирение, желанное королем, не только не ослабляло французскую монархию, но, напротив, ускоряло формирование современного государства.

Ключевые слова: история Франции, XVI век, Религиозные войны, эдикты умиротворения, династия Валуа, городские общины, католики, гугеноты, королевские комиссары.

Jérémie Foa

Doctor of history, Maître de Conférences, Aix-Marseille University (13284, France, Marseille Jardin du Pharo, 58 Boulevard Charles Livon)

jeremie.foaQjgmail.com

Peacemaking in the époque of the Huguenot Wars: Commissioners responsiblefor "edicts of pacification"

The present article is devoted to the analysis of mechanisms of realization of royal edicts of pacification, edited by the king of France during the Religious wars. The civil war in France wasn't uninterrupted and hopeless violence. Contemporaries more readily named them "troubles", sporadic and constantly recurring, rather than "wars". Indeed, military actions were often interspersed by periods of peace, elaborately attempts of pacification or rather reconciliation called "edicts of pacification".

To impel "edicts of pacification" the monarchy decided to send round the provinces and cities special commissioners (about 20 people), vested with wide executive and judicial powers. Namely these commissioners urged opponents

to follow recent life together within the city walls, operating on behalf of the monarch. Thus, the townspeople looked upon the sovereign as the guarantor of property and personal safety of citizens, the guarantor of the peace agreements. The less they had fear of heavenly punishment, the more they feared the Royal anger. On the one hand, the scale of the violence, that should be suppressed, caused an unprecedented mobilization of forces; on the other hand, the gravity of the crimes, subject to punishment and forgiveness, was to benefits of the sovereign, who declared himself by demonstrative executions and notorious pardons. Reconciliation, desired by the king, made more urgent the need of forgiveness and to assuming of obligations that not only weakened the French monarchy, but, on the contrary, accelerated the formation of the modern state.

Keywords: History of France, the 16th century, the Religious wars, edicts of pacifications, the dynasty of Valois, urban communities, the Catholics, the Huguenots, the Royal commissioners.

Список источников и литературы / References

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Archival materials

The British Library

AD Puy de Dôme. 3 E 113. fds II. BB 20. F°20v. AM Amiens. AA 14. Fol. 208v. AM Castres. GG 3. P. 12. AM Clermont. BB 38. AM Grenoble. BB 18. Fol. 432v.

AM Lisieux. BB 7. F.°347.

AM Mâcon. EE 49. P. N. 12.

AM Millau. CC 42. 2e inv.

AM Montélimar. BB 46. Fol. 32-34.

AM Montélimar. BB 53. Fol. 41.

AM Nantes. BB 1.

AM Nantes. GG 643. P. 3.

AM Nîmes. DD 3. P. 7.

AM Romans. BB 10. Fol. 109.

AM Romans. BB 6. Fol. 220.

AM Tours. CC 79. Fol. 66 v°(2 décembre 1563).

BM Dijon. Fds Saverot n°l. Fol. 1391

Bibliothèque de l'Institut

Ms. 96. Fol. 80 sq.

Bibliothèque nationale de France (BnF)

Ms. fr. 15878. Fol. 110v°.

Ms. fr. 15879. Fol. Fol. 58 v (février 1564), 106 (s. d. [1564-1565]). Ms. Fr. 4048. Fol. 147 v-148.

Grégory Champ eaud

GUERRES ET PAIX DE RELIGION EN FRANCE VUES PAR LE PRISME DES PARLEMENTS: L'EXEMPLE DE BORDEAUX

(1562-1600)

Sans aller jusqu'à considérer, comme Biaise de Monluc en avril 1563, que le parlement de Bordeaux constituait la «fontaine et origine de tout»1, je voudrais souligner ici l'intérêt de l'étude des sources parlementaires — et plus généralement de l'attitude des parlements — pour éclairer d'un jour nouveau l'histoire des guerres de religion en France. Sans être un plaidoyer, il s'agit — pour faire écho au sous-titre de ce colloque — de proposer à l'étude des guerres de religion et de la pacification en France de «nouveaux» documents et de «nouvelles études».

L'histoire des parlements d'ancien régime en général, et plus particulièrement au cours des guerres de religion, a fait l'objet d'un regain d'intérêt des chercheurs depuis une quinzaine d'années. Répondant indirectement à l'injonction d'Yves-Marie Bercé et d'Alfred Soman qui regrettaient, en 1995, que les archives judiciaires en général et celle du parlement de Paris en particulier constituent «des monceaux documentaires laissés à l'abandon»2, la plupart des études récentes ont porté sur le «père de tous les parlements». Je pense en particulier aux ouvrages remarquables de Sylvie Daubresse sur Le parlement de Paris ou la voix de la

1 Lorsqu'en avril 1563, Biaise de Monluc rapporte au parlement de Bordeaux les difficultés de l'application de la paix en Guyenne, il rappelle non sans flagornerie: «qu 'il lui convient prendre premièrement avis d'icelle [cour] comme de la fontaine et origine de tout. Bon conseil, s'il lefaisoit autrement, sembleroit qu'il mit la charrette avant les bœufs (...)» Registres secrets du parlement de Bordeaux (RS). (Archives Municipales de Bordeaux (AMB). Ms 771. 19 avril 1563).

2 Soman, A., Bercé, Y.-M. Les archives du Parlement dans l'histoire, in: Bibliothèque de l'école des chartes, 1995. Vol. 153, No. 2. P. 255-273. P. 255.

© Grégory Champeaud, 2016

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