Научная статья на тему 'Tools for the Perception and Decoding of Poetic Discourse: Study on the Analysis of Poems Written By Surrealist Authors'

Tools for the Perception and Decoding of Poetic Discourse: Study on the Analysis of Poems Written By Surrealist Authors Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

CC BY
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Ключевые слова
heuristic reading / hermeneutic reading / mimesis / semiosis / production of meaning / ungrammaticality / meaning/significance

Аннотация научной статьи по языкознанию и литературоведению, автор научной работы — Taguhi Blbulyan

The aim of this paper is to study the perception and the interpretation of a poetic discourse of hermetic nature by the reader. The perception and analysis of this type of discourse implies a complex decoding process of an intentionally encoded text by its author. The paper focuses on the methods and tools proposed by eminent linguists and semioticians in the context of sign processes.

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Текст научной работы на тему «Tools for the Perception and Decoding of Poetic Discourse: Study on the Analysis of Poems Written By Surrealist Authors»

YEREVAN STATE UNIVERSITY

Department of Translation Studies

TRANSLATION STUDIES: THEORY AND

PRACTICE

International Scientific Journal

Special Issue 1

Lectures Croisées des Discours

Hiatus entre Réalités Sociopolitiques, Récits de Mémoire et Approches Interprétatives

Guest Editors

Garik Galstyan, Gayane Sargsyan, Taguhi Blbulyan

YEREVAN 2023

DOI: https://doi.org/10.46991/TSTP/2023.SL1.227

Tools for the Perception and Decoding of Poetic Discourse: Study on the Analysis of Poems Written by Surrealist Authors

Taguhi Blbulyan* https://orcid.org/0009-0003-6950-9788

Yerevan State University

Abstract: The aim of this paper is to study the perception and the interpretation of a poetic discourse of hermetic nature by the reader. The perception and analysis of this type of discourse implies a complex decoding process of an intentionally encoded text by its author. The paper focuses on the methods and tools proposed by eminent linguists and semioticians in the context of sign processes.

Keywords: heuristic reading, hermeneutic reading, mimesis, semiosis, production of meaning, ungrammaticality, meaning/significance.

Les Outils de la Perception et du Décodage du Discours Poétique : Étude sur l'Analyse des Poèmes des Auteurs

Surréalistes

Résumé : L'objectif de cet article est d'étudier la perception et l'interprétation d'un discours poétique de nature hermétique par le lecteur. La perception et l'analyse de ce type de discours impliquent un processus complexe de décodage d'un texte intentionnellement encodé par son auteur. L'article se concentre sur les méthodes et les outils proposés par d'éminents linguistes et sémioticiens dans le contexte des processus de signes.

Mots-clés : lecture heuristique, lecture herméneutique, mimésis, sémiosis, production de sens, agrammaticalité, sens/signification

1. Introduction

Ce qui unit un texte poétique avec le discours c'est l'oralité, implicite ou explicite. Tous les deux transmettent un message prononcé ou écrit avec l'intention d'exprimer une idée, un sentiment, une vision du monde, etc. Il est bien connu que le discours

* [email protected]

This work is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial 4.0 International License.

Received: 01.02.2023 Revised: 08.02.2023 Accepted: 27.02.2023 © The Author(s) 2023

poétique est donc un discours qui puise dans les ressources littéraires pour des buts esthétiques et que le phénomène littéraire est une dialectique entre le texte et le lecteur. Celui-ci est engagé dans l'aventure poétique, dans le désordre formel1 du langage poétique, à la recherche du sens, autrement dit à la perception individuelle du discours poétique que nous appellerons dans le présent article texte poétique, puisque tout texte poétique est un discours, un espace fini, un énoncé. Donc, la poésie est tout particulièrement inséparable du concept de texte : si on ne considère pas la poésie comme une unité finie et close, on ne peut toujours pas faire la différence entre le discours poétique et la langue littéraire.

Notre présente tâche a pour but de comprendre comment s'effectue la perception et l'interprétation du texte poétique à nature hermétique de la part du lecteur expérimenté. Chaque perception sous-entend la reconstruction du sens à partir du texte. Nous allons parler aussi du rôle important du lecteur, de ses compétences culturelles, idéologiques et linguistiques, de ses contraintes discursives, de son modèle de l'interprétation confrontées à celles de l'auteur (compétences linguistiques, idéologiques et culturelles, contraintes discursives et modèle de production) dans la formation du sens (Kerbrat-Orecchioni 2014: 22)

Notre expérience et pratique dans l'étude et l'analyse des textes poétiques surréalistes à nature hermétique nous ont conduits à la l'idée d'utiliser comme outils l'alternance des thèses d'analyse proposées dans les ouvrages de M. Riffaterre Sémiotique de la poésie (1978) et de celui de C. Kerbrat-Orecchioni L'Énonciation, ce qui nous paraît logique et plus productif, l'approche purement linguistique ne permettant pas de réaliser une analyse complète là où il y a de l'hermétisme en forme de non-sens. La linguistique n'est pas capable, selon nous, d'élucider, de décoder ce type de texte dans sa complexité. C'est pour cette raison que nous sommes venus à l'idée d'appliquer des approches plutôt sémiotiques en considérant la poésie comme une communication/énonciation. La théorie de subjectivité de Kerbrat-Orecchioni inspiré par E. Benveniste avec son nouveau schéma de communication, inspiré à son tour par R. Jakobson, nous permettront d'expliquer la nature subjective de l'analyse poétique (ce qui est étudié parallèlement par les deux spécialistes susmentionnés, mais sur les paradigmes différents).

La langue de la poésie diffère de celle de l'usage commun. Elle peut se servir des mots de l'usage commun, des mots qui sont hors de l'usage commun et qui sont recherchés. Une chose est constante : la poésie exprime les concepts d'une manière oblique : elle nous dit une chose et signifie tout à fait une autre chose. L'opacité du texte devient dominante lors de l'épanouissement de la poésie surréaliste dont la préoccupation essentielle était ne pas laisser la poésie pure tomber dans les lieux commun (Desnos 1999: 647) préférant la réserver pour une élite de lecteurs. La notion d'obliquité est étudiée par Riffaterre et, selon lui, elle se manifeste par trois façons distinctes : a) le déplacement du sens, b) la distorsion du sens, c) la création du sens.

Le déplacement c'est le fait quand le signe glisse d'un sens à l'autre et que le mot en vaut un autre comme cela se produit dans la métaphore et la métonymie :

1 C'est sous ce titre que R. Desnos a d'abord réuni ses poèmes surréalistes (Dumas 1999: 490).

Nous sommes les mots arborescents qui fleurissent sur les chemins des jardins cérébraux (Desnos 1999: 172).

La distorsion est signalée quand il y a de l'ambiguïté, de la contradiction ou du nonsens.

Du feu de quatre fers éclaboussant les voiles Il plonge au plus profond des ténèbres de lait. (Desnos 1999: 557).

La création c'est le fait quand l'espace textuel agit en tant que principe organisationnel produisant des signes à partir des éléments linguistiques qui autrement seraient dépourvus du sens, par exemple la symétrie, la rime ou des équivalences sémantiques entre les éléments rendus homologues par leur position dans une strophe :

Je vois les pensées BC et les femmes MÉ, Et les poumons qui en ont QC de l'RLO... (Desnos 1999: 172).

Ces trois éléments nous mènent à penser que le trait caractéristique de la poésie c'est donc l'obscurité.

Une autre propriété constante caractérise ces trois signes d'obliquité : tous les trois menacent la représentation littéraire de la réalité, la mimesis. La représentation peut simplement être altérée de manière sensible et persistante de la vraisemblance ou de ce que le contexte avait amené le lecteur à attendre, mais elle peut aussi être gauchie par une grammaire ou un lexique déviant que Riffaterre appelle agrammaticalité. Enfin, la représentation peut être totalement annulée dans le cas du non-sens. L'auteur propose de ne prendre en compte que les faits accessibles au lecteur et perçus en relation avec le poème conçu comme contexte spécifique et clos. Si on étudie le type d'agencement de mots dans les exemples mentionnés ci-dessus du point de vue linguistique, on se retrouvera devant une impasse, puisque par une féérie poétique les mots cessent de l'être : ils deviennent des signes. Un signe peut être représenté par un mot ou un groupe de mots.

II se trouve que la mimésis est caractérisée par une séquence sémantique Notre représentation littéraire de la réalité est fondée sur le caractère référentiel de la langue. Peu importe que cette relation soit notre illusion, ce qui importe c'est que le texte multiplie les détails et modifie sans cesse le point de vue adopté, de façon à produire un modèle acceptable de réalité puisque celle-ci est très complexe. La mimésis est donc à la fois variation et multiplicité. À l'opposé, le trait qui caractérise le poème c'est son unité : unité à la fois formelle et sémantique enfermant plusieurs variations de la réalité. C'est de cette capacité de l'œuvre artistique (poésie, roman, œuvre musicale, peinture, etc.) que le grand sémioticien Umberto Eco parle dans son ouvrage Œuvre ouverte donnant un exemple sur la perception et interprétation de l'œuvre d'art :

[...] Une œuvre d'art est d'un côté un objet dont on peut retrouver la forme originelle, telle qu'elle a été conçue par l'auteur, à travers la configuration des effets qu'elle produit sur l'intelligence et la sensibilité du consommateur : ainsi l'auteur crée-t-il une forme achevée afin qu'elle soit goûtée et comprise telle qu'il l'a voulue.

Mais d'un autre côté, en réagissant à la constellation des stimuli, en essayant d'apercevoir et de comprendre leurs relations, chaque consommateur exerce une sensibilité personnelle, une culture déterminée, des goûts, des tendances, des préjugés qui orientent sa jouissance dans une perspective qui lui est propre. Au fond, une forme est esthétiquement valable justement dans la mesure où elle peut être envisagée et comprise selon des perspectives multiples, où elle manifeste une grande variété d'aspects et de résonances sans jamais cesser d'être elle-même (Eco 2006: 70).

Umberto Eco appelle aussi la création artistique l'œuvre en mouvement, c'est-à-dire en changements continuels dépendant des variations des lecteurs à un nombre indéterminable. Tout nouveau lecteur/interprète/consommateur peut découvrir autre chose dans le texte poétique. Tout constituant du poème, qui dirige notre attention vers cette autre chose signifiée, sera donc une constante, et il sera parfaitement possible de distinguer de la mimésis. Cette unité formelle et sémantique qui contient tous les indices de l'obliquité est appelée par Riffaterre la signifiance. Il faut noter qu'il réserve le terme sens pour l'information fournie par le texte au niveau mimétique. Du point de vue du sens, le texte est une succession linéaire d'unités d'information et du point de vue de la signifiance, le texte est un tout sémantique unifié. Tout signe du texte étudié se révélera donc pertinent à l'égard de sa qualité poétique à partir du moment où il réalise ou manifeste une modification continue de la mimesis.

2. Première lecture du poème : lecture euristique

Examinons un poème du recueil Constellations, d'André Breton, qui a été choisi au hasard afin d'expérimenter comme un lecteur devant un poème opaque et inconnu. Rappelons que chaque poème de ce recueil est illustré par le peintre surréaliste Joan Miró, ce qui permet de voir certaines élucidations à propos du poème. Donc, le poème choisi est intitulé : Femmes au bord d'un lac à la surface irisée par le passage d'un cygne, un titre parlant qui crée déjà une disposition spatiale.

Joan Miró, l'illustration pour le poème Femmes au bord d'un lac à la surface irisée par le passage

d'un cygne

Leur rêverie se velouté de la chair d'une pensée proportionnée aux dimensions de l'œil cyclopéen qu'ouvrent les lacs et dont la fixité fascina qui devait

se

faire le terrible héraut du Retour Éternel.

Le beau sillage partant du cœur innerve les trois pétales de base de l'immense fleur qui vogue se consumant sans fin pour renaître dans une flambée de vitraux. Ce sont les oratoires sous-jacents, plus que profanes, où se retirent les belles, chacune dans son secret. Elles s'y rendent en tapis volant, sur le merveilleux nuage d'inconnaissance. C'est là que la vapeur des alambics fait ruche et que le bras, qui reflète à s'y

méprendre

Je col de cygne, pointe tout distraitement sur l'angle du miel. Plus, entre les mots, la moindre brise : le luxe est dans la volupté. -Toute femme est la Dame du Lac.

Le décodage du poème commence par une première phase qui consiste à lire le texte du début à la fin, la page du haut en bas, en suivant le déploiement syntagmatique. C'est lors de cette première lecture appelé heuristique, que la première interprétation prend place. Le lecteur contribue au procès par sa compétence linguistique et celle-ci inclut l'hypothèse selon laquelle la langue est référentielle. Dans cette phase les mots semblent bien, tout d'abord, établir des relations avec les choses.

Cette compétence linguistique inclut également l'aptitude du lecteur à percevoir des incompatibilités entre les mots. Ainsi peut-il identifier les tropes et les figures, c'est-à-dire reconnaître qu'un mot (ou un groupe de mots) n'est pas pris dans son sens littéral. Le lecteur est conduit à réaliser un transfert sémantique pour qu'une signification apparaisse. Il peut par exemple lire ce mot ou ce syntagme comme une métaphore ou une métonymie. Étudier ce type de changement du glissement de sens relève du domaine de la stylistique. Riffaterre propose de réaliser ou appliquer une approche globale, partant de la philosophie du langage, de sa structure. Alors, on peut placer toutes ces modifications du sens dans un concept : l'agrammaticalité. C'est un terme employé par Riffaterre pour désigner toute chose - mot, groupe de mots, expressions -qui comporte une déviance par rapport à la norme (linguistique, culturelle, etc.). Mais en aucun cas cela ne signifie pas une erreur, une faute grammaticale. Même si on rencontre dans le texte poétique publié des fautes grammaticales répétées, on doit alors penser à l'intentionnalité de l'auteur, comme dans le poème « Au mocassin le verbe » de Desnos tiré de son recueil « Le langage cru » :

Tu me suicides, si docilement Je te mourrai pourtant un jour.

Je connaîtrons cette femme idéale et lentement je neigerai sur sa bouche. [...]

Ici l'auteur intentionnellement commet des violations des normes langagières afin de manifester sa révolte contre la frigidité de l'expression.

Selon Riffaterre, c'est l'agrammaticalité du texte qui rend au lecteur l'apport le plus nécessaire (Riffaterre 1978: 16). Mais pour cela il est nécessaire aussi d'avoir des connaissances littéraires. La familiarité du lecteur avec les systèmes descriptifs, les thèmes, les mythologies de la société à laquelle il appartient et surtout avec les autres textes. Lorsqu'il y a des condensations ou des manques dans le texte ou des descriptions incomplètes, des allusions ou des citations, c'est cette compétence littéraire seule qui permet au lecteur de réagir de manière adéquate, de compléter ou de rétablir des pièces manquantes conformément au modèle hypogrammatique. Riffaterre emploie le terme hypogramme pour indiquer le mot le plus important de la matrice ou de la signifiance. Il peut être actualisé ou non dans le texte poétique. Donc, c'est lors de cette première phase de la lecture que la mimésis s'établit.

Lors de la première lecture (que Riffaterre appelle heuristique) du poème de Breton (ci-dessus) nous avons révélé plusieurs agrammaticalités, des images inhabituelles qui échappent à notre mimesis. Ce sont : Leur rêverie se velouté, la chair d'une pensée proportionnée aux dimensions de l'œil cyclopéen, le beau sillage partant du cœur innerve les trois pétales de base de l'immense fleur, renaître dans une flambée de vitraux, en tapis volant, sur le merveilleux nuage d'inconnaissance, la vapeur des alambics fait ruche, Je col de cygne, l'angle du miel, entre les mots, la moindre brise : le luxe est dans la volupté, toute femme est la Dame du Lac. Dès le début, ces groupes de mots commencent à fonctionner comme des signes, puisqu'ils n'expriment pas, c'est clair, ce qu'ils signifient.

Le signe pertinent n'a pas besoin d'être répété. Il suffit qu'il soit perçu comme un variant à l'intérieur d'un paradigme. La perception d'un signe, comme nous avons remarqué, tient à son agrammatiealité. Les agrammaticalités relevées au niveau de la mimesis sont finalement intégrées dans un autre système. Le lecteur perçoit ce qu'elles ont en commun et en construit un paradigme personnel, lequel modifie le sens du poème. N'oublions pas que d'après Riffaterre le sens se forme lors de la lecture linéaire, Les premiers indices de l'emploi non grammatical - leur rêverie se velouté, je col de cygne - nous conduisent vers le ludisme intentionnel et opaque de l'auteur, accentuant peut-être l'importance de l'oralité du poème en général : leur rêverie se veloutait, je colle des signes peuvent en être des variants. La phrase - le beau sillage partant du cœur innerve les trois pétales de base de l'immense fleur - est agrammaticale non pas par sa grammaire, mais par son image. Grammaticalement c'est une phrase correcte, mais par l'imagerie mimétique c'est une déviation de notre représentation de la réalité. Une image proche de la peinture surréaliste se dessine en nous représentant les trois pétales de l'immense fleur innervées par un sillon partant du cœur ! Les autres exemples cités plus haut sont de la même nature.

L'autre autre chose qu'on découvre lors de la première phase de la lecture c'est l'emploi des expressions la Dame du Lac et le terrible héraut du Retour Éternel qui nécessitent des connaissances littéraires et mythologiques de la part du lecteur, la première expression indiquant la femme, la fée arthurienne qui dota le lancelot de force, d'une épée omnipotente, la deuxième évoquant la philosophie de Nietzche dans son ouvrage « Ainsi parla Zarathoustra ».

« Je reviendrai, avec ce soleil et cette Terre, avec cet aigle et ce serpent, - non pour une vie nouvelle, ou une meilleure vie, ou une vie pareille ; - à jamais je reviendrai pour cette même et identique vie, dans le plus grand et aussi bien le plus petit, pour à nouveau de toutes choses enseigner le retour éternel » (Marton 2021: 87-114).

Si on considère aussi que dans la tradition poétique le mot héraut est toujours associé au concept du poète, on pourra percevoir petit à petit le message que le poète nous envoie. Chez Breton on rencontre très souvent le héraut, poète du monde. Dans le poème, notamment dans le titre, un autre être qui vole se présente : le cygne. Toujours notre mimesis nous conduit vers une mythologie universelle où les cygnes symbolisent (les cygnes noirs, tel comme on le voit sur l'illustration de Miró, page 3) le poète, le mâle. Donc le symbole de l'oiseau constitue une métaphore pour le poème. D'ailleurs, les surréalistes ont souvent eu recours au symbolisme universel encodant le message poétique afin de rendre le décodage plus attrayant et spectaculaire, pour que l'information que le poème cache ne tombe pas dans les lieux communs. Il représente très nettement quelque chose qui n'est pas très claire, à laquelle la description fait cependant référence. L'ensemble nous mène vers un sens caché, dérivé sans nul doute d'un mot clé. C'est nous qui sommes conduits à l'imaginer à l'aide de la rationalisation de nos connaissances et nos expériences. Nous pourrons déduire que l'auteur est le poète lui-même et il est entraîné dans l'inspiration poétique, dans son vol, ce qui est décrit dans le titre. L'un des multiples symboles attribués au cygne est celui de la force poétique.

Lors de cette première lecture nous avons révélé aussi que le poème est traversé par la poétique iconique de Baudelaire dans les deux passages : merveilleux nuage du poème « Étranger » (j'aime les nuages, les merveilleux nuages.) le luxe est dans la volupté dans « Invitation au voyage » (là tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté.). Les deux phrases comportent l'idée de voyage, d'un passage (titre) vers un pays désiré.

Afin d'arriver à la signifiance on doit s'astreindre à passer par l'obstacle de la mimésis. En acceptant la mimesis, le lecteur introduit la grammaire comme base de référence et, sur cet arrière-plan, les agrammaticalités se découvrent susceptibles, le cas échéant à être comprises à un autre niveau. Le manque sémantique qui apparaît dans linéarité textuel étant impossible à compenser avec le matériel disponible, le lecteur tente de rechercher hors du texte des éléments qui complètent la séquence verbale. Il a recours à des éléments extralinguistiques. Il continue à confronter la langue à la réalité et puisque les mots calquent la réalité même extralinguistique et les choses sont contraintes à servir de signes, le texte proclame donc la souveraineté de la sémiosis. Nous pouvons en conclure que la première phase de la lecture est caractérisée par la visualisation et la sélection de détails formant les connotations.

La juxtaposition des éléments saillants du poème ne peut pas encore élucider le message caché. Il faut franchir le niveau de la sémiosis, des liens qui se créent entre le lecteur et l'auteur.

3. Seconde lecture du poème : lecture herméneutique ou rétroactive

Le procès sémiotique, en fait, prend place dans l'esprit du lecteur et résulte d'une seconde lecture. Si nous voulons comprendre la sémiotique de la poésie, il convient de passer soigneusement deux niveaux de la lecture, pour pouvoir réaliser un transfert vers le système supérieur de signifiance. Ce type de transfert d'un signe du niveau de discours au niveau textuel, cette métamorphose de ce qui était un ensemble signifiant dans le niveau élémentaire en un système plus développé, et ce déplacement fonctionnel qui se relève du domaine spécifique de la sémiotique sont définis par l'auteur comme la sémiosis. En résumant ce processus, Riffaterre en donne la définition suivante : « Tout ce qui est lié au passage intégratif des signes du niveau de la mimésis au niveau plus élevé de la signifiance est une manifestation de la sémiosis. » (Riffaterre 1978: 17)

Chez Umberto Eco la sémiosis est caractérisé comme mouvement entre l'auteur et le lecteur (Eco 2006: 75) comme une dialectique.

Lors de la lecture de ce poème, nous pouvons dire que la sémiosis domine la mimésis, puisque le texte ne cherche pas à établir la crédibilité de la description et la description n'est pas très explicite, nous sommes menés immédiatement à la recherche du sens non linéaire.

Nous ne pouvons pas comprendre la sémiosis tant que nous n'avons pas placé dans un système ce texte que nous considérons maintenant comme un signe global, unique, un signe formellement complexe, mais monosémique, puisque par définition, un signe ne peut être qu'une relation avec une autre chose.

La seconde phase c'est la lecture rétroactive qu'on appelle herméneutique et pendant cette phase on fait des premières interprétations et les premiers décodages. Tout au long de sa lecture, le lecteur réexamine, révise tout ce qui le précède. En fait, nous effectuons un décodage structural, ce qui est recommandé par les grands linguistes-sémioticiens pour les textes poétiques (R. Jakobson, J. Kristeva, M. Riffaterre, U. Eco, etc.). Selon Riffaterre, « Le texte est donc une variation ou une modulation d'une seule structure thématique, symbolique, qu'importe - et cette relation continue à une seule structure constitue la signifiance » (Riffaterre 1978: 17).

L'effet maximal de la lecture rétroactive ou herméneutique, « l'apogée de sa fonction de générateur de sa signifiance », intervient, bien entendu, à la fin du poème. Alors que les unités de sens peuvent être des mots, des syntagmes et/ou des phrases, c'est le texte entier qui constitue l'unité de signifiance. La deuxième phase de la sémiosis est caractérisée par le facteur de représenter un sens autre, symbolique, résidant de la façon le texte est construit.

En réalisant le décodage structural de notre texte, nous allons en analyser les agencements temporel, spatial et actoriel. L'agencement temporel n'est pas très loquace/riche, puisque Breton utilise un présent absolu/constatatif (qu'ouvrent les lacs, toute femme est la Dame du Lac...). Il est connu aussi que la poésie surréaliste est considérée comme poésie de l'instant, c'est pourquoi c'est le plan du présent qui domine la poésie surréaliste. L'emploi du plan du passé est presque exclu dans les textes surréalistes. L'un des deux imparfaits est implicite (se velouté), l'autre est constatatif (devait) indiquant un fait intertextuel (retour éternel chez Nietzsche).

Leur rêverie se velouté de la chair d'une pensée proportionnée aux dimensions de l'œil cyclopéen qu 'ouvrent les lacs et dont la fixité fascina qui devait se faire le terrible héraut du Retour Éternel.

Le passé simple (fascina) nous rappelle aussi une intertextualité : la légende du héraut du Retour Éternel qui devait faire son retour puisque la fixité fascina..., mais il (le héraut) ne l'a pas réalisé jusqu'à maintenant.

Examinons l'agencement spatial :

- Le cygne-poète est dans le ciel, il est en mouvement, en passage, il symbolise un médiateur entre le ciel et la terre, il est sublime (Chevalier 1969: 332).

- Les femmes sont au bord du lac, au sol - le lac symbolise l'œil de la terre (l'œil cyclopéen) par lequel les habitants du monde souterrain peuvent regarder les hommes, les animaux, les plantes (Riffaterre 1978: 556).

- Les oratoires sous-jacents, plus que profanes. Les oratoires pourraient renvoyer à deux objets : l'art de parler (mais : plus que profane) et une petite chapelle (plus que profane).

En tout cas, une connotation négative est attribuée à ce signe. Ou bien l'auteur a en vue une poésie profane, de mauvaise qualité. Il est bien connu que les surréalistes menaient une lutte acharnée contre la poésie populaire et normative. C'est pour cette raison qu'ils - les oratoires - se trouvent en bas, près du lac et des forces souterraines.

Dans le cadre de l'agencement actoriel nous avons : le cygne-poète qui est en vol-passage, mais sous la surveillance des forces souterraines, il est élevé de tout : des femmes, des oratoires, du lac, des alambics qui font ruche, il touche le ciel, peut-être le merveilleux nuage qui, dans le poème de Baudelaire, symbolise la création-poésie, ce qui est sublime et inaccessible.

Où en sont les femmes, les belles ? Elles sont, dans le titre, au bord du lac, donc aussi près des forces souterraines. La femme serait-elle dangereuse et fatale ? Puisqu'elles se rendent sur les tapis volant aux oratoires sous-jacents plus que profanes. Breton attribue en effet à la femme des facultés privilégiées : la femme est capable de dépasser les simples évidences de la vie réelle et de sentir, au-delà d'elles (sur les tapis volants), les mystérieux liens immanents qui existent dans l'univers. Breton a tenté, en homme dont la sensibilité érotique s'est forgée au début du XXe siècle, avec l'aventure surréaliste à une époque où la femme était effectivement lointaine, mystérieuse (chacune dans son secret), possédant les pouvoirs par le désir amoureux, de donner d'elle une image différente. C'est une femme au corps sexué, libre de son désir, qui est l'immense fleur qui vogue se consumant sans fin pour renaître dans une flambée de vitraux et dont les trois pétales de base sont innervés par un sillon partant du cœur. Mais chaque femme est aussi une Dame de Lac, le personnage mythique des légendes arthuriennes qui donne l'épée magique à Arthur le rendant invincible. Donc le signe de la Dame du Lac nous renvoie à un autre signe implicite : celui de l'épée qui symbolise la puissance, la force libératrice du désir et du rêve. Chaque femme peut donner de la force et du désir à un homme. N'est-ce pas un érotisme surréaliste encodé ? D'autres signes de l'agencement environnemental : une flambée de vitraux, tapis volant, merveilleux nuage, la vapeur des alambics, des ruches, entre les mots, la moindre brise commencent à rayonner d'érotisme dès que l'image sensuelle de la femme se dévoile et presque tous les signes s'avèrent pertinents par rapport aux autres et se placent sur le même paradigme comme les signifiants du désir et de l'acte sexuel :

Leur rêverie se velouté de la chair ...

C'est là que la vapeur des alambics fait ruche et que le bras, qui reflète à s'y

méprendre

Je col de cygne, pointe tout distraitement sur l'angle du miel.

Plus, entre les mots, la moindre brise : le luxe est dans la volupté.

Quelle est donc l'image que nous avons construite ? L'épiphanie de la sémiosis se produit lorsque l'on retrouve la voix perdue grâce à l'allusion continue dans le titre et restée jusqu'à la fin incomprise. La signifiance du poème ne tient pas à sa philosophie, mais à sa conformité formelle avec le titre, qu'on peut appeler aussi un code métaphysique du poème. Rappelons le titre - « Femmes au bord d'un lac à la surface irisée par le passage d'un cygne » - qui nous a guidés vers la signifiance du texte puisqu'il fonctionne comme signe double. Le titre introduit le poème qu'il couronne là où il s'explicite et en même temps renvoie à un autre texte. Il confirme que l'unité de signifiance dans la poésie est toujours textuelle. En renvoyant à un autre texte, ce signe double dirige l'attention du lecteur là où s'explique la signifiance du poème. Il nous paraît convainquant que l'idée maîtresse de ce poème est le fait que le poète est

quelqu'un qui est toujours supérieur au monde qui l'entoure, qui prend sa force, assouvit ses désirs charnels là-bas (C'est là que la vapeur des alambics fait ruche), mais son regard est tourné vers une vérité spirituelle, abstraite, et non pas vers la vérité matérielle, concrète, forcément illusoire, il voyage vers un ailleurs infini et rêvé, il risque de devenir le terrible héraut du Retour Éternel séduit par le désir charnel et matériel.

Nous trouvons bon de nous arrêter là, puisque plusieurs variations des signes relevés sont vraiment possibles. Notre objectif était de montrer les voies et les opportunités de l'analyse d'un poème hermétique.

Bien sûr, tout poème doit être analysé dans son milieu intégral de spécificités, dans la complexité chronologique. Pourtant, choisissant au hasard un poème, dépourvus des apports informatifs ou complétifs, nous poursuivions le but de comprendre si une extraction du sens global/de la signifiance est possible à l'aide d'une analyse purement sémiotique structurale.

4. Conclusion

En guise de conclusion nous pouvons affirmer que lors de la première phase de lecture, appelée lecture heuristique ou de découverte, on ne repère que le sens qui est linéaire et syntagmatique, et c'est à ce stade que notre mimesis commence à fonctionner. Le sens complet ou global, la signifiance apparaît lors de la deuxième lecture appelée herméneutique qui est paradigmatique ou textuel. Le titre est un signe double et, après la lecture herméneutique du poème, il doit s'ouvrir au texte et être pertinent par rapport à la signifiance. Les cliches apparus dans le discours poétique fonctionnent comme des liens intertextuels et cette intertextualité complète la signifiance.

Toute analyse est une praxis (Riffaterre 1978: 32), selon Riffaterre, de la transformation par le lecteur. Les praxématiciens R. Lafont et F. Gardès-Madray, dans leur ouvrage Introduction à l'analyse du texte constatent que c'est la réunion de toutes les pratiques qui fondent la culture au sens anthropologique du mot. Tous les mots et toutes les notions se réunissent autour de l'anthropologie. De cette façon, on peut dire qu'il n'y a pas de langage sans culture et le vice versa. Toute modification culturelle entraîne l'invention d'une nouvelle forme du langage et toute invention d'une forme du langage correspond à une modification culturelle. C'est pour cette raison que nous dirons que l'analyse que nous avons présentée est une praxis individuelle conditionnée par nos compétences linguistiques et culturelles et que la signifiance que nous avons extraite du texte est unique et subjective.

Références bibliographiques :

Breton, André, Signe ascendant, Constellations, NRF Gallimard, Paris, 1968. Chevalier, Jean et Gheerbrant Alain, Dictionnaire des symboles, Robert Lafont-Jupiter,

Paris, 1969.

Dumas, Marie-Claire, Desnos, Œuvres, Quarto, Galimard, Paris, 1999.

Eco, Umberto, Otkrytoye proizvedeniye, [Œuvre ouverte], Symposium, Saint-Pétersbourg, 2006.

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Kerbrat-Orecchioni, Catherine, L'Énonciation, Armand Colin, Paris, 2014.

Lafont, Robert et Gardès-Madray, Françoise, L'introduction à l'analyse textuelle, Presses de l'Université Paul Valérie, Montpellier, 1990.

Riffaterre, Michael, Sémiotique de la poésie, Seuil, Paris, 1978.

Marton, Scarlett, Les ambivalences de Nietzsche. Type, images et figures féminines, Chapitre IV. « Les femmes de Zarathoustra : la sagesse, l'éternité et la vie », Édition de la Sorbonne/La philosophie à l'œuvre, Paris, 2021, p. 87-114. URL : https://books.openedition.org/psorbonne/94907?lang=f. (consulté le 21 août 2022).

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