YEREVAN STATE UNIVERSITY
Department of Translation Studies
TRANSLATION STUDIES: THEORY AND
PRACTICE
International Scientific Journal
Special Issue 1
Lectures Croisées des Discours
Hiatus entre Réalités Sociopolitiques, Récits de Mémoire et Approches Interprétatives
Guest Editors
Garik Galstyan, Gayane Sargsyan, Taguhi Blbulyan
YEREVAN 2023
DOI: https://doi.org/10.46991/TSTP/2023.SL1.217
Polyphony of the Modal Subject in Mythopoetic Discourse
Naira Manukyan* https://orcid.org/0009-0006-1502-9836 Brusov State University
Abstract: The modalization of the mythopoetic enunciation transforms the lyrical subject into a modal subject, which finds its place in the paratopic space expressed through the aquatic element, which plays a role in the progressive erasure of the poetic self, attested from the Baroque period, and led to its absolute elocutory disappearance in surrealist poetry. This dynamic of the metamorphoses of the modal subject in mythopoetic texts is analysed on the example of the poems of Saint-Aimant, Tristan l'Hermite and André Breton.
Keywords: mythopoetic discourse, paratopic space, modalization, enunciation, lyrical subject
Les Manifestations du Sujet Modal dans le Discours Mythopoétique
Résumé : La modalisation de l'énonciation mythopoétique transforme le sujet lyrique en sujet modal qui trouve sa place dans l'espace paratopique exprimé à travers l'élément aquatique qui participe à l'effacement progressif du moi poétique, attesté dès l'époque baroque, et conduit à sa disparition élocutoire absolue dans la poésie surréaliste. Cette dynamique des métamorphoses du sujet modal dans les textes mythopoétiques est analysée sur l'exemple des poèmes de Saint-Aimant, Tristan l'Hermite et André Breton.
Mots-clés : discours mythopoétique, espace paratopique, modalisation, énonciation, sujet lyrique
1. Introduction
La problématique de la production et de la réception du sens dans le contexte de la communication poétique se définit par une dimension spécifique car il s'agit d'un type de rapport entre le destinateur et le destinataire du message esthétique qui n'est pas identifiable d'une manière univoque. Les études axées sur la dynamique de la réception
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Received: 21.11.2022 Revised: 21.11.2022 Accepted: 15.12.2022 © The Author(s) 2023
qui se dessine lors de la communication esthétique s'inspirent des assises des théories poétiques de la cognition de l'univers, centrées sur les rapports du sujet du savoir à l'objet de la perception. Dans ce contexte, il est intéressant de suivre les possibilités des manifestations du sujet lyrique en tant que sujet modal responsable pour la « prise en charge » d'une représentation prédicative ou d'un dictum (Bally 1932: 37). Dans le cas d'une analyse mythopoétique, les valeurs référentielles du moi poétique intra-textuel peuvent être appréhendées également à la lumière de la notion de la paratopie auctoriale proposée par Dominique Maingueneau (Maingueneau 2004: 272). Cette notion permet de révéler la présence implicite du sujet lyrique, souvent sous-jacente, assurant la cohérence textuelle en tant qu'une instance de modalisation de l'énonciation. Elle peut, entre autres, se manifester à travers les images de l'eau, notamment celles du lac et de la rivière, fonctionnant comme des embrayages paratopiques capables de générer des mythèmes, éléments constitutifs des mythes qui se présentent soit comme un nom magique développé dans une histoire intimement vécue, à la fois sacrée et réelle, soit comme une image archétypale ressentie comme une clé vers la compréhension de l'inconscient collectif, projetant une lumière sur le sens des images refoulées dans la mémoire universelle de l'humanité.
2. La paratopie du sujet lyrique dans la poésie baroque
La quête des indices linguistiques de la présence de l'auteur dans le texte trouve son assise judicieuse dans l'idée de la pseudo-communication littéraire (Maingueneau 1993: 10) et la tentative de l'appréhender en termes d'une auto-communication en dehors des particularités des genres et des mouvements littéraires. À cet égard, il n'est pas sans intérêt de constater que « la disparition élocutoire du poète » (Mallarmé 1897), propre à la poésie des symbolistes et des surréalistes, trouve ses prémisses dans les métamorphoses polyphoniques du sujet de l'énonciation poétique dans la poésie du XVIIe siècle. La répartition des rôles y devient tributaire du caractère pluridimensionnel de la mise en scène poétique créant l'illusion de dialogues entre différents protagonistes. Cette illusion rime souvent avec l'image archétypale de l'eau. Gaston Bachelard dans L'eau et les rêves suggère que l'Eau serait un élément transitoire (Bachelard 1942: 17), elle est conçue comme métamorphose ontologique essentielle entre le feu et la terre. L'être voué à l'eau est un être en vertige. Il meurt à chaque minute, sans cesse quelque chose de sa substance s'écroule. La disparition élocutoire du moi poétique va de pair avec les images des miroirs aquatiques qui selon Bachelard deviennent « une occasion d'une imagination ouverte », fonctionnent comme des embrayages paratopiques et aboutissent à une pluralité référentielle du sujet lyrique. Sur le plan sémantique, l'archisémème l'eau dans le texte mythopoétique s'enrichit des sèmes fugacité, temporel, changement éternel, mais surtout des sèmes virtuels du reflet et du regard qui exercent une contamination sémantique sur les autres images de la scène poétique. Dans ces conditions, la production du sens est souvent fonction de l'instabilité de la focalisation du sujet modal qui crée l'effet d'une polyphonie au niveau de l'énonciation poétique.
Dans la poésie baroque, la polyphonie énonciative du sujet modal est liée aux particularités d'une scénographie poétique qui se construit en accord avec les règles du concettisme appelé également marinisme, inspirées de la poésie de Jean-Baptiste Marini, poète italien de l'époque baroque, imposant un langage évoquant le goût de la rêverie et des méditations solitaires, mais surtout celui des métamorphoses et du déguisement de l'univers grâce à l'emploi des concetti, pensées brillantes et affectées, qui participent inéluctablement à la fragilité du binôme destinateur-destinataire dans le contexte de la communication poétique.
Le poème de Saint-Amant Je me feins mille objets, qui en est un merveilleux témoignage, instaure une mise en scène onirique où la muse se métamorphose en bruit des ailes du Silence et fonctionne comme une instance d'une spiritualité mystérieuse, source de visions et d'illusions polymorphes.
Tantôt, nous allant promener Dans quelque chaloupe à la rade
Nous laissons après nous traîner Quelque ligne pour la dorade... Tantôt, saisi de quelques horreurs D'être seul parmi les ténèbres, Abusé d'une vaine erreur, Je me feins mille objets funèbres,
Mon esprit en est suspendu... Et dans la frayeur qui m'oppresse Je crois voir tout, pour ne voir rien. Tantôt, délivré du tourment De ces illusions nocturnes, Je considère au firmament L'aspect des flambeaux taciturnes... J'écoute à demi transporté, Le bruit des ailes du Silence, Qui vole dans l'obscurité...
L'élément aquatique, présent inexorablement dans le paysage baroque, est une condition sine quoi non des métamorphoses subies par le sujet modal poétique, elles se lisent dans les images du champ sémantique de l'eau qui, par la suite, se métamorphosent en se sublimant dans les images aériennes telles que ailes du Silence, voler dans l'obscurité.
Notons que le sujet modal qui est exprimé par le pronom personnel Nous au niveau explicite du texte rappelant une condition humaine généralisée instaure une mise en scène de dialogue supposant la présence implicite du destinataire impliqué dans le nous conçu comme je + tu (vous). Dans la suivie d'images Nous fait place à un Je du poète, à l'écoute du Silence. Notons qu'à partir de ce moment, c'est la Muse - Silence volant dans l'obscurité - qui est investi du rôle du véritable destinateur du message poétique, tandis que le déictique Je fonctionne comme le destinataire à l'écoute de l'inspiration, soit les bruits des ailes du Silence. Le dialogue se réinstaure en forme d'une autocommunication entre le sujet modal déguisé et le Je exprimant le sujet lyrique
explicitement présent. Quant à la connotation euphorique du poème, elle est conditionnée par la contamination sémantique exercée par des flambeaux taciturnes aux firmaments agissant sur la signifiance axiologique du sémème obscurité qui, dans ce cas peut acquérir la valeur oxymoronique des ténèbres lumineuses, métamorphosant les illusions visuelles en révélations des vérités poétiques sublimes.
Une belle illustration des fluctuations des positionnements énonciatifs est présentée dans Le promenoir de deux amants de Tristan l'Hermite où la mise en scène poétique débute par la description d'une grotte à l'aide d'une focalisation externe du sujet modal exprimé par le pronom indéfini on.
Auprès de cette grotte sombre Où l'on respire un air si doux L'onde lutte avec les cailloux Et la lumière avecque l'ombre. L'ombre de cette fleur vermeille Et celle de ces joncs pendants Paraissent être là-dedans Les songes de l'eau qui sommeille.
Il est évident que l'image prototypique de L'Eau qui sommeille est pourvue d'un double rôle : d'une part, elle évoque le mythe de Narcisse et, d'autre part, par le changement du point de vue du sujet modal, elle adopte la posture propre à la focalisation interne et se déguise en sujet de l'énonciation pour révéler la force irrésistible de l'ensorcellement et de la fascination produits par le reflet du lac.
Penche la tête sur cette onde Dont le cristal paraît si noir Je t'y veux faire apercevoir L'objet le plus charmant du monde.
L'esprit aquatique symbolisant la poéticité même se présente comme une précondition du destin tragique du poète, en s'actualisant, notamment, à travers l'isotopie sémantique
Ensorcèlement - autoadmiration - songe - sommeil - mort.
Pour le poète, témoin des métamorphoses des mondes, sujettes à la dialectique du dedans et du dehors, il n'est plus de frontières entre l'espace intérieur et extérieur, ce qui rend possible l'équivalence contextuelle Le Moi poétique = les eaux du lac dans les images suivantes :
Je tremble en voyant ton visage Flotter avecque mes désirs, Tant j'ai de peur que mes soupirs Ne lui fasse faire naufrage.
Le Moi poétique se manifeste, au niveau explicite du texte, comme le sujet modal à travers le pronom personnel Je, qui symbolise la magie de l'esprit aquatique et, en reprenant la focalisation externe, se métamorphose dans la dernière strophe en un moi poétique moralisateur :
De crainte de cette aventure Ne commets pas si librement
À cet infidèle élément Tous les trésors de la Nature.
La production du sens de ce fait conditionnée par la présence des images aquatiques provoquant l'instabilité référentielle des deixis je et tu qui, du point de vue de la communication intra-textuelle, peuvent actualiser simultanément les valeurs référentielles opposées conformément au schéma suivant :
Je= Eau (niveau implicite) ^ Tu = Amant (niveau explicite) Je = Moi Poétique (niveau explicite) ^ Tu = Narcisse (niveau implicite)
Si la lecture linéaire du poème fait alterner deux modes de communication où le destinataire et le destinateur du dialogue intra-textuel apparaissent alternativement sous les formes soit implicite soit explicite, instaurant une pénombre sémantique, le fait même d'une communication entre deux personnages se met en doute, puisqu'un des protagonistes de ce dialogue ne se laisse que deviner grâce à un contexte purement allusif, cerné par les métaphores baroques. En revanche, une lecture verticale fait apparaître une équivalence d'une part entre le Moi poétique et l'Eau, infidèle élément, en permanentes métamorphoses et, d'autre part, entre Amante et Narcisse.
Quant au destinataire du dialogue intra-textuel, il s'exprime par la deixis Tu (Amante)
Tu ne dois pas être étonnée (...) Bien que ta froideur soit extrême, Si, dessous l'habit d'un garçon Tu te voyais de la façon, Tu mourrais d'amour pour toi-même.
Vois mille amours qui se vont prendre Dans les filets de tes cheveux ;
Et d'autres qui cachent leurs feux Dessous une si belle cendre.
Je tremble en voyant ton visage Flotter avecque mes désirs.
Les deux derniers vers, à condition d'une lecture instaurant l'équivalence contextuelle Je ^ Narcisse, créent la similitude au niveau référentielle entre les deixis je et tu, suite à la corrélation sémantique entre les possessifs mon et ton, ce qui peut
être perçu en même temps comme une dislocation du sujet modal entre les deux pôles de l'énonciation. L'espace poétique présentant au niveau explicite de la description poétique le dialogue de deux amants, se transforme en conséquence en une scène de monologue révélant, en l'occurrence, l'adoration narcissique de sa propre image. La polyphonie référentielle des images-signes s'opérant de ce fait instaure au niveau implicite du texte une instabilité foncière de la focalisation de l'ethos discursif dans un texte poétique. Cependant le sujet modal étant le fruit des dispositifs et des conditions spécifiques de la poéticité ne peut pas mettre en doute sa réalité référentielle qui, loin d'avoir une manifestation univoque et claire, reste l'incontournable condition de la cohésion des parties intégrantes de l'objet esthétique.
La scène baroque sous la plume de Tristan de l'Hermite fait révéler au Moi poétique sa dualité : il est autant charmeur et ensorceleur que sujet au charme et à l'ensorcèlement qui émanent de son propre regard. La double valeur référentielle des deixis Je - Tu développe le scénario poétique sur une scène à deux dimensions communicatives, dialogique (niveau explicite) et monologique (niveau implicite). Cette instabilité semble être générée, entre autres, par les métamorphoses propres à l'esprit aquatique qui, se manifestant dans la force évocatrice de l'image prototypique de l'Eau qui sommeille, aboutissent dans le tissu poétique à un éclatement du sujet modal.
3. Une paratopie pluridimensionnelle dans la poésie surréaliste
La notion des embrayages paratopiques de l'auteur proposée dans la théorie de l'analyse du discours littéraire par Dominique Maingueneau trouve une manifestation sur plusieurs dimensions de la perception de la poésie surréaliste. La scène de la communication esthétique ouvre devant le lecteur un espace magique d'infinies métamorphoses du tissu poétique perçues comme une fascinante promesse de sémantisation. L'étymon spirituel fait exploser son noyau sémique qui se libère des contraintes imposées par le centre logique des lexèmes qui étincèle d'une multitude polyphonique de sens et actualise les sèmes virtuellement présents dans l'image archétypale fonctionnant comme une Image-matrice qui génère une pluralité de lectures. Celle-ci au niveau de l'analyse sémiotique n'est possible que par le repérage des classèmes responsables de la cohésion du texte qui prédéterminent la logique inhérente au texte tout en sauvegardant néanmoins les secrets les plus intimes de la cognition poétique. La pluralité de perceptions de textes est fonction souvent de la spécificité de la mise en scène poétique. Elle est responsable, en particulier, pour la pluralité du sujet modal dans la poésie surréaliste, dont un témoignage aussi émouvant qu'énigmatique se présente à travers les images d'un des poèmes d'André Breton intitulé « Femmes au bord d'un lac à la surface irisée par le passage d'un cygne » :
Leur rêverie se veloute de la chaire d'une pensée proportionnée aux dimensions de
l'œil cyclopéen qu 'ouvrent les lacs et dont la fixité fascina qui devait se faire le
terrible héraut du Retour Éternel.
Le beau sillage partant du cœur innerve les trois pétales de base de l'immense fleur
qui vogue se consumant sans fin pour renaître dans une flambée de vitraux.
Ce sont les oratoires sous-jacents, plus que profanes, où se retirent les belles,
chacune dans son secret.
Elles s y rendent en tapis volant, sur le merveilleux nuage d'inconnaissance.
C 'est là que la vapeur des alambics fait ruche et que le bras, qui s'y reflète à s'y
méprendre le col de cygne, pointe tout distraitement sur l'angle du miel.
Plus, entre les mots, la moindre brise : le luxe est dans la volupté.
Toute femme est la Dame du Lac.
Dictées par le rythme ralenti du rêve éveillé, les images-symboles s'ouvrent à la lisière du songe et de la réalité. La structure syntaxique tissée par une implication d'une chaîne de subordonnées incisives participe à une impression d'une dynamique verticale de l'architecture sémantique du poème. Celle-ci, bien que lente et en spirale, tend inéluctablement vers la sublimation de l'ineffable. La lecture du texte peut se construire par le repérage d'une organisation polyphonique d'isotopies thématiques supposant la modalisation des images poétiques sur trois dimensions : la dimension du mythe, la dimension du merveilleux et la dimension de la spiritualité.
Il est incontestable, que le volume sémantique des images est largement tributaire de l'élargissement du contexte intertextuel littéraire et voire interculturel, néanmoins nous partirons dans notre analyse du texte du poème pris comme un objet sémiotique autosuffisant susceptible de produire le sens par sa structure inhérente de sémantisation.
L'image inaugurale du poème met en évidence la possibilité de construire une isotopie mythopoétique autour du mythème du regard fonctionnant en l'occurrence comme un sème de relais dans l'isotopie sémantique suivante : Lac^surface irisée^œil^œil cyclopéen.
Le sème regard, qui fait partie du champ sémantique de la rêverie, s'actualise dans le tissu poétique s'enrichissant d'une double opposition axiologique. Elle oppose l'intimité subjective à l'infini universel, mais aussi le matériel et au spirituel, ces deux oppositions prenant source dans l'étymon spirituel féminité-transfiguration.
L'architecture sémantique tridimensionnelle du texte se construit autour des classèmes Œil, Foi, Mystère, dont chacun fonctionne comme une unité bipolaire, constituée de valeurs sémantiques opposées. L'actualisation sémantique du classème Œil se réalise à la dimension mythique de la production du sens pris dans le contexte de l'isotopie figurative Lac ^ œil cyclopéen.
Elle suit la double logique corrélative regardant-regardé, où d'un côté le Lac apparaît comme la matérialisation de la pensée douce et envoûtante dans le contexte de l'isotopie Lac^douceur^pensée matérialisée^fixité du regard^puissance d'enchantement. Mais de l'autre côté, au niveau explicite du texte, le Lac se donne comme un objet regardé, ce qui aboutit à une double sémantisation du classème Œil comme une instance à la fois regardante et regardée.
De ce fait, le Lac qui cesse d'être une simple interface reflétant, s'investit des fonctions attribuées au Moi poétique et peut s'appréhender comme un transforme métonymique du sujet modal qui, assumant sa paratopie foncière, se disloque en sujet regardant et en objet regardé.
Rappelons que l'analogie Poète^Cygne crée l'éventuelle conciliation entre les deux mondes en perpétuelle opposition le monde de la haute spiritualité et celui de
l'existence profane. Le regard du poète, loin d'être un simple canal de perception, s'investit d'une véritable puissance créatrice, les eaux du Lac obéissant aux lois cosmiques réconcilient l'esprit et la matière.
La structure arborescente de la production du sens cède sa place aux liens rhizomatiques qui, sans mettre en danger la cohérence textuelle, lui redonne une densité sémantique supplémentaire. Les éléments de sens naissent de l'image oxymoronique chaire de la pensée qui englobe à la fois l'idéal et le matériel créant par la suite deux mondes parallèles.
Le sujet modal réconcilie ces deux mondes, le classème Foi dans le contexte de l'image qui suit s'actualise comme une structure énantiosémique impliquant dans son volume sémantique les deux dimensions opposées, celle qui relève du sacré et celle qui se rapporte au monde profane :
Le beau sillage partant du cœur innerve les trois pétales de base de l'immense fleur qui vogue se consumant sans fin pour renaître dans une flambée de vitraux. Ce sont les oratoires sous-jacents, plus que profanes, où se retirent les belles, chacune dans son secret...
D'ailleurs, la dimension du sacré se lit également dans l'isotopie sémantique Terrible retour^Eternel Retour^Lac^Œil qui met en exergue outre les sèmes de l'isolement et du danger, celui de la fatalité et de la futilité de toute tentative d'échapper au destin préétabli.
La dimension du sacré se construit autour des images suivantes :
- trois pétales de base de l'immense fleur (sème virtuel : la rose catholique)
- se consumer sans fin (sème virtuel : sacrifice éternelle)
- renaissance dans la flambée des vitraux (sème virtuel : sainte demeure)
- oratoires sous-jacents (sème virtuel : mystère).
L'image métaphorique Chacune dans son secret est en écho avec l'isotopie figurative isolement ^lac^féminité, elle rappelle la formule oxymoronique de la poéticité de G. Bachelard évoquant l'immensité intime de la rêverie, instaurant une harmonie entre les deux univers, celui de l'infini cosmique, le macrocosme, et celui des profondeurs du cœur humain, le microcosme.
La lecture du poème est guidée par l'étymon spirituel féminité-transfiguration générant l'architecture sémantique du texte tissé autour l'isotopie figurative le lac^les merveilleux nuages d'inconnaissance^tapis volant^transfiguration transférant le processus de la production du sens dans le contexte du merveilleux.
L'image aquatique se métamorphose en s'enrichissant d'élément aérien qui souligne la connotation de la spiritualité à travers l'isotopie esprit aquatique^esprit aérien^transcendance spirituelle. Notons que dans le contexte mythopoétique, la dimension aérienne est conçue comme un degré supérieur par rapport à la dimension aquatique. La sémantisation désormais s'effectue à l'instance du silence serein, aussi bien mystérieux que sublime : Plus entre les mots la moindre brise, le luxe est dans la volupté. Elle rend possible le repérage des équivalences contextuelles entre mystère = inconnaissance et mystère = savoir secret qui aboutit à une corrélation sémantique inconnaissance=savoir secret, révélant la nature même de la cognition poétique. Le sujet modal suit la magique alchimie verbale :
C'est là que la vapeur des alambics fait ruche et que le bras qui reflète à s'y méprendre le col de cygne pointe distraitement sur l'angle du miel.
La pluralité polyphonique du sujet modal poétique se lit à travers les éléments constitutifs de l'isotopie figurative suivante : Moi
poétique^rêverie^alchimie^nuages d'inconnaissance^tapis volant^le col d'alambics^le Cygne. On pourrait en déduire que la pluralité de sujet modal se manifeste à travers une structure textuelle à sémantisme tridimensionnel construit autour des classèmes Œil, Foi, Mystère. D'autre part, les classèmes en question, sur le plan de la forme du contenu, sont unis par le sème de relais connaissance qui peut être perçu comme l'archisème du texte du poème conférant au sémème volupté une possibilité de lecture polyphonique rappelant le poème baudelairien L'Étude du Beau, où le sémème volupté est une expression d'un plaisir intense d'ordre moral et intellectuel à la fois conciliant, à travers une double sublimation, l'esprit et la matière et qui dans le texte de André Breton se lit à travers l'isotopie suivante : intensitérfaire rucher-angle du mielrdouceur.
Le dernier élément de la série isotopique fait résonner avec une nouvelle intensité le diapason sémantique du sémème le Lac. La définition proposée par les dictionnaires -« grande étendue d'eau intérieure généralement douce » - dans le contexte de l'image du poème en question se réfère à L'œil cyclopéen qu'ouvrent le lac et permet l'actualisation des sèmes isolement et douceur. Ces deux sèmes se trouvent en opposition cotextuelle : isolement ф immensité et douceur ф force des géants forgerons mythiques. Ils sont en parfaite corrélation sémantique avec l'isotopie thématique Lac ^Œil cyclopéen qui renvoie aux mythèmes regard^transgression de l'interdit par le biais de l'image du terrible héraut du Retour Éternel. Cette évocation provoque une superposition des scénarios mythiques relié par l'actualisation du sème virtuel danger imminent aboutissant à la lecture polyphonique du poème. On dirait que le sujet modal de l'énonciation poétique invite le lecteur à déceler un lien sémantique entre les mythèmes de l'auto-admiration narcissique et de l'éternel retour grâce à l'élément transfiguration-métamorphose qui fonctionne comme sème nucléaire du diapason sémantique des mythèmes en question.
Cet effet de surdétermination est également repérable dans les éléments constitutifs du champ sémantique tissé dans le poème autour du classème Foi, où le sème de transfiguration-métamorphose aboutit à l'isotopie axiologique de spiritualité sur la dimension spirituelle de la lecture du texte qui associe les éléments suivants :
Trinitérfleur immorteller se consumer sans finrsacrifice éternelrrenaissance en vitrauxrtransfiguration.
L'effet de sublimation poétique fait naître le sentiment d'une félicité suprême. Elle apparaît suite à l'effet de la contamination sémantique du sémème irisé qui se définit comme couvert des couleurs d'arc-en-ciel sur les sémèmes Lac et Rêve qui peuvent actualiser le sème virtuel arc-en-ciel dans l'image du lac à la surface irisée par le passage d'un cygne et évoquer la promesse d'une Nouvelle Alliance sur la voie de la quête du Paradis perdu.
4. Conclusion
La mise en scène poétique ouvre la voie aux changements de la focalisation du sujet modal qui aboutissent à la polyphonie énonciative. L'effacement progressif de la présence manifeste du sujet de l'énonciation poétique prend sa source dans la nature même de l'évocation poétique. Celle-ci ressuscite les images archétypales, notamment, celle de l'Eau, qui tissent le canevas des textes poétiques en proposant une lecture polyphonique. Dans ces conditions, les manifestations du sujet modal peuvent subir des métamorphoses voire laisser l'impression de sa disparition élocutoire. Cependant une analyse des isotopies sémantiques confirme l'idée de sa présence au niveau implicite du texte se révélant comme une présence plurielle, garantissant la cohérence textuelle sur les dimensions figurative, thématique et axiologique.
Références bibliographiques :
Bally, Charles, Linguistique générale et linguistique française, Francke, Berne, 1965. Bachelard, Gaston, L'eau et les rêves, José Corti, Paris, 1942.
Maingueneau, Dominique, Eléments de linguistique pour le texte littéraire, Dunod, Paris, 1993.
Maingueneau, Dominique, Le discours littéraire. Paratopie et scène d'énonciation,
Armand Colin, Paris, 2004. Mallarmé, Stéphane, Crise de vers. URL : http://lyriktheorie.uniwuppertal.de/texte/-1897_mallarme2.html (consulté le 10 août 2022).