Научная статья на тему 'LE « JEUNE FINNO-OUGRIEN DU XXIème SIÈCLE » : MYTHE OU RÉALITÉ?'

LE « JEUNE FINNO-OUGRIEN DU XXIème SIÈCLE » : MYTHE OU RÉALITÉ? Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

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Текст научной работы на тему «LE « JEUNE FINNO-OUGRIEN DU XXIème SIÈCLE » : MYTHE OU RÉALITÉ?»

LE « JEUNE FINNO-OUGRIEN DU XXIème SIÈCLE » : MYTHE OU RÉALITÉ?

[Ijevsk, Russie, 1994]

Ce qui m'étonne à première vue dans le thème proposé, c'est l'emploi du singulier, du masculin singulier. Les langues finno-ougriennes sont aussi différentes entre elles que les langues indo-européennes. Or qui aurait l'idée aujourd'hui de s'interroger sur l'avenir du jeune Indo-européen ? En outre la parenté linguistique est une chose, la culture en est une autre. Par leurs modes de vie, leurs traditions religieuses, leurs histoires respectives, les peuples finno-ougriens forment non pas un continent mais un archipel, un ensemble flou d'îlots, d'isolats. A y regarder de plus près, force est pourtant de reconnaître que des peuples parlant des langues différentes peuvent avoir le sentiment d'être unis par une communauté de destin, une foi, un idéal. La conscience d'une parenté linguistique fut la pierre angulaire du panslavisme, du pantouranisme ; elle l'est aujourd'hui du panarabisme. D'autres valeurs fondent le panafricanisme, cimentent en Amérique les luttes indiennes, suscitent en Espagne la solidarité des peuples périphériques face au centralisme castillan. Tout comme la France de 1789, tout comme la Russie de 1917, l'Europe qui se construit sous nos yeux est voulue elle aussi par des hommes de langues différentes.

Un peuple n'est pas tant ce qu'il est que ce qu'il croit être, ce qu'il veut être. Le mythe reste le moteur de l'histoire. Les peuples finno-ougriens, en dépit de leurs différences, ont en commun une certaine idée d'eux-mêmes et de leur destin. Cette idée résulte d'une comparaison globale entre leur émiettement et l'hégémonique expansion de leurs voisins immédiats. Alors que l'extension du domaine indoeuropéen apparaît comme l'un des événements majeurs de l'histoire humaine, les langues finno-ougriennes, éloignées des foyers méditerranéens de la civilisation, séparées les unes des autres par la montée vers le Nord des Germains et des Slaves, semblent moins faire tache d'huile que jouer les peaux de chagrin. D'où, chez certains de leurs locuteurs, une douloureuse frustration, celle de se sentir mal connus, mal aimés, de se croire injustement perçus, selon l'étrange formule hongroise, comme « un corps étranger à l'Europe ».

À bien y réfléchir, toutes les langues indo-européennes n'ont pourtant pas connu la même fortune que l'anglais ou le français. Le hittite, le gaulois, le gotique, le vieux prussien ont disparu sans laisser de descendance. La dernière locutrice du mannois, parler celtique, vient de mourir. L'avenir du frison, du sorabe est-il mieux assuré que celui du live ou du mansi ? En revanche, la fortune du finnois, qui continue sous nos yeux de grignoter les derniers bastions suédophones à l'est du golfe de Bothnie, ne peut que faire envie à bien des petites nations.

Et n'est-il pas miraculeux qu'une poignée de cavaliers, franchissant les Carpates au seuil de l'an mil, ait non seulement fondé dans le bassin du Danube un Etat durable, mais aussi, ce que n'ont fait ni les Francs en France ni les Varègues en Russie, légué leur langue à une population aussi nombreuse aujourd'hui que celle de la Grèce ?

«МОЛОДОЙ ФИННО-УГР XXI ВЕКА»: МИФ ИЛИ РЕАЛЬНОСТЬ?

[Ижевск, Россия, 1994]

Что меня сразу удивляет в предложенной теме, так это употребление единственного числа, мужского рода единственного числа. Финно-угорские языки столь же неодинаковы, как и индоевропейские. Но кому бы пришла в голову мысль спрашивать себя о будущем молодого индоевропейца? Кроме того, лингвистическое родство - это одно, родство культур - это другое. По укладу жизни, религии, истории финно-угорские народы представляют не континент, а архипелаг, неопределенную совокупность островков, изолированных групп. При более пристальном взгляде необходимо, однако, признать, что у народов, говорящих на разных языках, может быть чувство общности судьбы, веры, идеала. Сознание лингвистического родства раньше было краеугольным камнем панславянизма, пантуранизма, а сегодня и панарабизма. Другие ценности порождают панафриканизм, в Америке крепят борьбу индейцев, в Испании создают единство периферийных народов перед лицом кастильского централизма. Как Франция 1789 года, как и Россия 1917 года, Европа, строящаяся на наших глазах, создается людьми, говорящими на разных языках.

Любой народ представляет собой не столько то, что он есть, сколько то, каким он себя считает и хочет быть. Миф остается двигателем истории. Несмотря на различия, финно-угорские народы объединяет представление о себе и своей судьбе. Оно является результатом глобального сравнения их раздробленности с господствующей экспансией их ближних соседей. В то время как экспансия индоевропейских языков представляется как одно из значительных событий человеческой истории, финно-угорские языки, удаленные от средиземноморских очагов цивилизации, отделенные одни от других поднявшимися к северу германцами и славянами, скорее сокращаются, чем распространяются. Отсюда у некоторых носителей финно-угорских языков появляется болезненная фрустрация, состоящая в том, что их плохо знают, не любят, что их несправедливо не замечают, заблуждаются на их счет подобно тому, как иногда говорят о венграх, что это «инородное тело в Европе».

Если хорошо над этим поразмыслить, то не все индоевропейские языки имели такую же судьбу, как английский или французский. Хеттский, галльский, готский, старопрусский исчезли, не оставив потомства. Последняя носительница мэнского, одного из кельтских языков, только что умерла. Лучше ли будущее у фризского, лужицкого, чем у ливского или мансийского? Напротив, судьба финского языка, который на наших глазах отвоевывает последние бастионы носителей шведского языка на востоке Ботнического залива, может служить предметом зависти для многих малых наций. Не является ли чудом то, что на пороге тысячного года, горстка наездников, перейдя Карпаты, не только основала в бассейне Дуная прочное государство, но также сделала то, чего не сделали ни франки во Франции, ни варяги в России, - передала в наследство свой язык народу, такому же многочисленному сегодня, как и греки.

La fortune d'une langue, le destin d'une nation dépend de facteurs nombreux dont la démographie n'est pas le moindre. Les quelques six millions de Québécois qui envisagent à présent d'organiser un référendum sur l'indépendance de leur province sont les descendants, dit-on, de quelques centaines seulement d'émigrants. Si la Finlande est aujourd'hui finnoise, c'est parce que la natalité y fut pendant des décennies plus forte chez les paysans de l'arrière-pays que dans la population suédoise de la côte occidentale. C'est aussi parce qu'elle voulut l'être. La destinée du « jeune Finno-ougrien du XXIe siècle » ne sera pas la même selon qu'il est Hongrois ou Estonien, Mordve ou Komi, Lapon, Vepse ou Khanty, selon qu'il aura reçu son éducation dans sa langue maternelle ou que celle-ci, par la force des choses, ne sera restée qu'un parler local, sans prestige et sans rayonnement.

A l'heure où j'écris ces lignes, les Finlandais s'apprêtent à se prononcer sur leur éventuelle entrée dans une Communauté Européenne à laquelle ils appartiennent déjà par leur mode de vie, leur culture, leur économie. La Hongrie est, elle aussi, candidate. L'Estonie, malgré le handicap résultant de son passé récent appartient à la même aire culturelle que les autres riverains de la Baltique et ne rêve que de suivre le modèle finlandais.

Moins structurés, d'autres peuples finno-ougriens ne sont pas aussi assurés de leur avenir, certains mêmes, les moins nombreux, risquent de perdre leur langue et partant leur identité. Les Lapons, les Ougriens de l'Ob, plus encore sans doute les Lives, les Votes, les Vepses, sont aujourd'hui menacés par l'assimilation, l'urbanisation, la désertification des campagnes, le bouleversement de leur environnement traditionnel, parfois aussi, hélas, par des catastrophes écologiques dont ils sont plus irrémédiablement que d'autres les victimes.

La perte d'une langue, il est vrai, ne signifie pas obligatoirement celle du sentiment identitaire. Des exemples aussi différents que ceux de l'Irlande ou de la diaspora juive le prouvent. Mais à défaut d'un idiome particulier, une communauté ne peut survivre sans repères culturels forts, sans le ciment de ses mythes et de ses rites. Les vestiges du chamanisme ou le culte de l'ours sont-ils susceptibles d'un véritable renouveau ? Des syncrétismes inédits peuvent-ils prendre la relève des croyances et des religions périmées ? Gardons-nous de toute conclusion prématurée. La mise en question par la « spiritualité indienne » de l'économie capitaliste et de la hiérarchie pyramidale de la société occidentale fut un élément important de la crise morale traversée par la société américaine à l'époque de la guerre du Vietnam. La reprise à Wounded Knee, en 1973, des danses du Soleil interdites depuis 1905 par le Gouvernement fédéral illustra aux yeux du monde, comme un symbole fort et inattendu, la permanence outre-Atlantique d'une identité autochtone irréductible. De l'occupation de l'ilôt d'Alcatraz à l'autodétermination des Esquimaux, des guérillas andines au prix Nobel de Rigoberta Menchu, le Nouveau Monde ne cesse de nous rappeler que Christophe Colomb ne l'a découvert que de notre point de vue mais ne l'a pas pour autant inventé.

Участь языка, судьба нации зависят от многочисленных факторов, при этом демографический фактор играет немаловажную роль. Приблизительно шесть миллионов жителей Квебека, намеревающихся провести референдум о независимости их провинции, являются, говорят, потомками только нескольких сотен эмигрантов. Финляндия сегодня является страной финского языка только потому, что в течение десятилетий рождаемость у крестьян внутри страны была выше, чем у шведов на западном побережье. А все потому, что она хотела ею быть. Участь молодого финно-угра будет разной в зависимости от того, кто он: венгр или эстонец, мордвин или коми, саам, вепс или ханты, получит ли он образование на родном языке или, в силу обстоятельств, его язык будет только местным говором без престижа и влияния.

В тот момент, когда я пишу эти строки, финны готовятся высказаться о возможном вступлении в Европейское сообщество, к которому они принадлежат по укладу жизни, культуре, экономике. Венгрия тоже является кандидатом на вступление в ЕЭС. Эстония, несмотря на трудности, связанные с недавним прошлым, принадлежит к тому же культурному пласту, что и другие прибрежные страны Балтии, и мечтает последовать финской модели.

Другие финно-угорские народы, менее организованные, не так уверены в будущем, некоторые, самые малочисленные, рискуют даже потерять язык, а посему свою опознаваемость. Саамам, обским уграм и, без сомнения, ливам, водам, вепсам грозят сегодня ассимиляция, урбанизация, уход из деревень, нарушение окружающей среды, иногда, увы, экологические катастрофы, жертвами которых они непременно становятся скорее, чем кто-либо другой.

Правда, утрата языка еще не означает утраты чувства принадлежности. Примеры столь разные, как и судьба ирландцев или еврейской диаспоры, подтверждают это. Но без языка общность может выжить лишь при наличии хорошо развитой культуры, основанной на мифах и обрядах. Поддаются ли обновлению шаманство или культ медведя? Может ли новый синкретизм принять эстафету вероисповеданий и отживших религий? Воздержимся от преждевременных заключений. Оспаривание «индейской духовностью» капиталистической экономики и вертикальной иерархии западного общества сыграло важную роль в моральном кризисе Америки во время вьетнамской войны. Возобновление в Вундед Ни в 1973 г. танцев Солнца, запрещенных с 1905 г. федеральным правительством, неожиданно и ярко заявило всему миру о неразрывной преемственности коренных традиций жителей за океаном. Со времени оккупации острова Алькатраз до самоопределения эскимосов, от Санди-нистских партизанских войн до Нобелевской премии Ригоберте Менчу, Новый мир не перестает напоминать нам, что Христофор Колумб открыл Америку лишь с нашей точки зрения, а не придумал ее.

A l'époque de la « stagnation » les médias soviétiques n'offraient sans doute pas aux revendications des minorités nationales les mêmes tribunes ni la même publicité que ceux des pays occidentaux. Mais la Russie démocratique, celle de la « transparence », ne peut plus, sauf à se renier, continuer à se voiler la face. Comme aux Etats Unis, comme au Canada, le problème de la contradiction entre la pression des impératifs économiques et le respect des minorités ethniques y est posé. On a dit, à tort ou à raison, que la plus grande partie des réserves énergétiques américaines se trouvaient en territoire indien; celles de la Russie ne se trouvent-elles pas pareillement sur un sol et dans un sous-sol que les populations autochtones peuvent considérer comme leur patrimoine ancestral? Isolés, les Khantys et les Mansis ont peu de chances de faire entendre leurs voix. Mais d'autres expriment des revendications identiques, et l'opinion publique russe, de plus en plus consciente de la nécessité de respecter les grands équilibres naturels, ne peut, compte tenu de ses valeurs les plus profondes, que faire sienne la cause des petits peuples spoliés par notre civilisation industrielle.

A mi-chemin des nations disposant d'un Etat et des groupuscules ethniques menacés d'extinction, les Mordves, les Maris, les Oudmourtes et les Komis se trouvent aujourd'hui dans une situation dont l'observateur lointain que je suis se demande depuis un quart de siècle si elle préfigure leur essor ou leur déclin. Inclus dans une mosaïque de peuples dont la prise de Kazan estompa quelque peu l'histoire, ils font depuis le moyen âge partie d'une Russie dont ils partagent sans conteste les valeurs, la culture, le mode de vie, les indices démographiques, les heurs et les malheurs, les espoirs. S'ils ne bénéficient pas d'une natalité forte comparable à celle de leurs voisins de tradition turko-musulmane, leur nombre, si j'en crois les recensements publiés au cours de ce siècle, n'a cessé de s'accroître. Mais leurs situations sont diverses, leur cohésion géographique inégale, et même « souveraines » les républiques autonomes dont ils sont les populations éponymes, loin de pouvoir ressembler à des Etats-nations, ne constituent guère que des régions administratives dans lesquelles leur importance relative, par suite des flux migratoires liés à l'industrialisation, n'a cessé de s'amenuiser.

En Europe occidentale, la situation et le sentiment identitaire des communautés linguistiques régionales est très variable. Le romanche, quatrième langue de la Suisse, bénéficie d'un statut particulier qui en assure la pérennité. Le catalan, opprimé sous la dictature franquiste, est devenu, depuis le retour de l'Espagne à la démocratie, la langue officielle et florissante d'une communauté de huit millions de locuteurs. N'en déplaise aux irrédentistes les plus radicaux, le basque a retrouvé lui aussi largement droit de cité. Faute en revanche d'un soutien sincère de l'autorité centrale et d'une volonté affirmée des locuteurs, les langues celtiques de GrandeBretagne et de France, peu parlées par les jeunes, considérées bien souvent comme une curiosité relevant du folklore, ont tendance à disparaître. Dans les matchs de football internationaux les supporters écossais se reconnaissent plus à leur kilt qu'à leur langage. À l'Ouest comme à l'Est du continent, les modèles sont donc très divers. Chaque peuple a été façonné par son histoire. L'idée de « nation » n'est pas non plus la même partout.

Во время «застоя» советские средства массовой информации не предоставляли национальным меньшинствам те же трибуны и рекламу, что на западе. Но демократическая Россия не может больше, если только не отступится, продолжать скрывать свое лицо. Как в Соединенных Штатах и Канаде, там встала проблема противоречий между экономическим давлением и уважением к этническим меньшинствам. Справедливо или нет, но говорили, что наибольшая часть американских энергоресурсов находилась на индейской территории; соответственно, не находятся ли энергоресурсы России на территории и в недрах Земли, которую коренные жители унаследовали от своих предков? Находясь в изоляции, ханты и манси имеют мало шансов заставить говорить о себе. Но и другие национальные меньшинства выдвигают подобные требования; и русское общественное мнение, все больше сознавая необходимость соблюдения естественного равновесия, должно, учитывая их глубочайшие ценности, считать своим дело малых народов, ограбленных нашей индустриальной цивилизацией.

Оказавшись между нациями, оформленными в государство, и этническими меньшинствами, которым грозит вымирание, мордва, мари, удмурты и коми находятся сегодня в ситуации, о которой такой дальний наблюдатель, как я, спрашивает себя вот уже четверть века: будет ли это расцвет или упадок. Войдя в мозаичный состав народов, их история была размыта взятием Казани, со времен Средневековья эти народы являются частью России, чьи ценности, культуру, уклад жизни, демографические показатели, счастье, несчастье и надежду они, бесспорно, разделяют. Если их рождаемость и не такая высокая, как рождаемость соседей тюркско-мусульманской традиции, их численность, если верить публикациям о переписи населения за этот век, не перестает расти. Но положение их разное, географически они не сплочены, и даже будучи «суверенными», автономные республики, носящие имя коренных жителей, далеки от сходства с государствами-нациями; они представляют лишь административные регионы, относительная значимость которых не переставала уменьшаться в зависимости от миграционных приливов, связанных с индустриализацией.

В Западной Европе ситуация и чувство принадлежности лингвистических региональных общностей очень разные. Ретороманский, четвертый язык Швейцарии, имеет особый статус, который упрочивает его постоянство. Каталанский, угнетенный диктатурой Франко, стал с момента возвращения Испании к демократии официальным и процветающим языком восьмимиллионной общности. Несмотря на мнение самых радикальных ирредантистов, баскский обрел право быть услышанным. Напротив, из-за отсутствия поддержки центрального руководства и твердой воли носителей языка кельтские языки Великобритании и Франции, на которых практически не говорит молодежь, часто рассматриваются как достопримечательность с фольклорным оттенком и имеют тенденцию к исчезновению. В международных футбольных матчах шотландские любители узнаются скорее по их юбке, нежели по языку. Следовательно, модель разная, как на западе, так и на востоке континента. Каждый народ был смоделирован своей историей. Идея «наций» везде разная.

De la nation, ce « groupe d'hommes auxquels on suppose une origine commune », l'ordre féodal, on le sait, ne tenait guère compte ; au hasard des guerres et des mariages princiers, des populations étaient réunies ou séparées indépendamment de leur langue, de leur culture, de leurs traditions. En vertu du principe cujus regio, ejus religio, l'Eglise, seule institution à vocation universelle, était obligatoirement - totalitairement - la même pour tous : catholicisme romain à l'Ouest, orthodoxie byzantine à l'Est. Les dissidents - juifs, cathares, vieux-croyants... - étaient tenus à l'écart, persécutés, proscrits, parfois brûlés.

La Révolution française, en même temps qu'elle proclamait l'abolition des ordres et des privilèges, donna au mot « nation » un sens nouveau. En janvier 1790, les délégués de 80 villes de Bretagne et d'Anjou déclarent solennellement qu'ils ne sont « ni Bretons ni Angevins, mais Français et citoyens du même Empire ». Le 13 juin 1790, les patriotes d'Alsace, de Lorraine, de Franche-Comté se fédèrent à Strasbourg et plantent un drapeau tricolore au pont de Kehl, sur le Rhin, avec l'inscription : « Ici commence le pays de la liberté ». La « nation » jacobine ne se définit pas par son origine ethnique mais par sa volonté de vivre en commun. Le droit français, droit du sol et non pas droit du sang, ignore la distinction entre nationalité et citoyenneté. Ne reconnaissant qu'une seule catégorie de citoyens, il vise à interdire toute possibilité de discrimination.

Généreux dans son principe, ce système a pour conséquence d'être éminemment centralisateur, de laminer les particularismes locaux. L'unité de la France s'est faite au mépris des langues et des cultures régionales; les populations, en un temps où le suffrage n'était pas encore universel, ne furent jamais démocratiquement consultées. L'eussent-elles été que le résultat n'eût sans doute guère été différent. Dans un pays où dialectes et langues régionales étaient uniformément confondus sous la dénomination péjorative de « patois », l'acquisition du français s'imposait comme la condition sine qua non de la promotion sociale. En interdisant à leurs élèves « de cracher par terre et de parler breton », les instituteurs de la IIIe République, qui dans nos départements armoricains étaient le plus souvent Bretons eux-mêmes, n'avaient rien d'horrible racistes brimant à plaisir les indigènes, mais visaient au contraire, avec un dévouement sincère, à offrir à leurs jeunes concitoyens les bienfaits du progrès, les « fruits de l'instruction ». Dans les pays de meltingpot comme les Etats Unis ou le Brésil, dans les jeunes Etats du Tiers Monde sans unité linguistique, la promotion de l'anglais, du français, du portugais paraît à beaucoup le seul moyen de surmonter les divisions tribales et de maintenir l'unité de l'Etat. Mais on mesure aujourd'hui les ravages de la déculturation. Coupés de leurs racines, livrés à la culture de masse et à la société de consommation, les peuples des favelas, des slums, des bidonvilles, loin de s'élever, s'appauvrissent et se marginalisent.

Dans l'espace germanophone, une autre conception de la nation, fondée sur la langue et ce qui est pire sur la race, prévaudra pendant plus d'une siècle. Sans doute le morcellement de la Germanie en une poussière de petits Etats nourrissait-il un désir légitime de rassemblement et d'unité. Sans doute le Saint Empire romain

Известно, что феодальный уклад совсем не учитывал нацию, эту «группу людей, которым приписывалась общность происхождения»; волей войн или княжеских свадеб народы объединялись или разъединялись независимо от их языка, культуры, традиций. По принципу cujus regio, ejus religio, церковь - единственный институт универсального назначения - была обязательно тоталитарно-одинаковой для всех: римский католицизм на Западе, византийское православие на востоке. Диссиденты - евреи, катары, старо веры - держались на расстоянии, преследуемые, гонимые, иногда сжигаемые.

Французская революция, провозгласив упразднение сословий и привилегий, дала слову «нация» новое значение. В январе 1790 г. делегаты 80 городов Бретани и Анжу торжественно заявляют, что они «не бретонцы и не анжуйцы, а французы и граждане одной империи». 13 июня 1790 г. патриоты Эльзаса, Лотарингии и Франш-Конте объединяются в Страсбурге и вывешивают трехцветный флаг на кельнском мосту на Рейне с надписью: «Здесь начинается страна свободы». Якобинская «нация» определяется не по этническому признаку, а по воле к жизни в одном сообществе. Французское право, право проживания, а не право рождения, не знает разницы между национальностью и гражданством. Признавая лишь гражданство, оно стремится запретить всякую возможность дискриминации.

Щедрая в принципе, эта система является сильно централизующей и гасит местные особенности. Единство Франции возникло, игнорируя языковую и культурную принадлежность; у народа в то время, когда еще не было всеобщего избирательного права, никто не спрашивал его мнения. Даже если бы его и спросили, результат остался бы, без сомнения, тем же. В стране диалекты и региональные языки путали и уничижительно называли «местным говором», владение французским языком становилось sine qua non продвижения в обществе. Запретив своим ученикам «плевать на землю и говорить по-бретонски», учителя III Республики, бывшие в армориканских департаментах большей частью бретонцами, не имели ничего общего с расистами, притеснявшими без надобности местное население; напротив, они чистосердечно стремились донести до молодежи достижения прогресса и «плоды просвещения». В странах melting pot, таких как Соединенные Штаты или Бразилия, в молодых государствах Третьего мира, где нет языкового единства, приоритет английского, французского, португальского представляется многим единственным средством преодоления племенных различий и поддержания государственного единства. Но уже сейчас видны культурные потери. Отрезанные от своих корней, отданные на произвол массовой культуры, жители favelas, slums, трущоб, вместо того чтобы развиваться, беднеют и выбрасываются на задворки общества.

В странах носителей германских языков существует другое понятие нации, основанное на единстве языка и, что еще хуже, на единстве расы, и оно будет властвовать больше столетия. Без сомнения, уже в раздробленной на множество мелких государств Германии рождалось законное желание объединения и единства. Без сомнения, Священная германская

germanique, auquel Napoléon venait de donner le coup de grâce, ne s'appelait-il pas pour rien Das heilige Römische Reich Deutscher Nation. Il n'est pas moins vrai que les Discours à la nation allemande de Fichte contenaient en germe une idéologie dont nous ne connaissons que trop les conséquences. À l'Est elle voudra ignorer la présence des Slaves et des Baltes. À l'Ouest, en Alsace notamment, elle se heurtera au patriotisme supraethnique de la tradition française. L'hitlérisme en sera le produit. La politique de « purification ethnique » appliquée de nos jours en Bosnie-Herzégovine ou au Rwanda ne s'inscrit-elle pas elle aussi dans la même logique infernale ?

La Révolution soviétique, en même temps qu'elle proclamait la nécessité de briser la « prison des peuples », recueillait ce double héritage. Dans un premier temps, elle tenta d'en réaliser la synthèse, de concilier l'égalité des citoyens avec la fraternité des nations. Que cet idéal ait été perverti est une autre affaire, mais il est vrai que de nombreux peuples accédèrent en 1917 à une dignité qu'ils n'avaient pas connue sous les tsars. La nationalité, distincte de la citoyenneté, fut reconnue par la loi ; une politique de promotion des cultures nationales fut mise en application. L'idée, neuve et généreuse, se révéla pourtant grosse d'effets pervers. Dès les années 30, de nombreux intellectuels, finno-ougriens notamment, furent accusés de « nationalisme bourgeois » et payèrent de leur vie la faillite de leurs illusions. Le soupçon de future culpabilité collective dont furent victimes les Tatars de Crimée, les Ingouches, les Allemands de la Volga supposait la reconnaissance légale de ces nationalités. Pendant plusieurs décennies, un citoyen soviétique étiqueté carélien, juif, tsigane, arménien, estonien ou français (j'en ai connu !), avait plus de chance d'être déplacé vers l'Est que de devenir ambassadeur. Les belles paroles de 1917 n'avaient-elles été qu'un leurre, une concession provisoire imposée par l'affaiblissement de l'Etat ?

Lorsqu'en 1959, grâce à un ami qui voulut bien m'initier aux rudiments de sa langue, je découvris quelques pans de la littérature oudmourte, j'eus le sentiment que celle-ci, subitement épanouie dans les années 20, avait alors brillé d'un éclat suffisant pour pouvoir, comme au XIXe siècle la littérature finnoise, fonder une culture moderne et favoriser l'émergence d'une fierté nationale authentique. Comparant des dates, je compris aussi qu'un terrible génocide culturel avait ensuite été perpétré et me demandai dans quelle mesure le « dégel » consécutif au XXe Congrès du Parti Communiste Soviétique permettait un réel renouveau analogue à celui que je pouvais observer dans les lettres russes. L'ère de la « stagnation » me fit douter de mon enthousiasme et même de la légitimité de mes analyses. Quel jugement pouvais-je porter sur une culture dont je n'apercevais que de menus fragments par une porte à peine entrouverte ? Les quelques informations qui nous parvenaient en Occident sur la place concédée aux langues nationales dans les écoles des républiques autonomes m'inclinèrent, je l'avoue, au pessimisme.

Римская империя, с которой покончил Наполеон, не зря называлась Das heilige Römische Reich Deutscher Nation. Тем не менее «Речи к немецкой нации» Фихте содержали в зародыше идеологию, печальные последствия которой нам хорошо известны. Согласно этой идеологии, на Востоке не будет славян и балтов. На Западе, а именно в Эльзасе, она столкнется с надэтническим патриотизмом французской традиции. Ее продуктом будет гитлеризм. Не вписывается ли политика «этнической чистки», применяемая в наши дни в Боснии и Герцеговине или в Руанде, в ту же самую адскую логику?

Советская революция, провозгласившая необходимость разбить «тюрьму народов», получила одновременно двойное наследие. Вначале она попыталась соединить, примирить равенство граждан с братством народов. Другое дело, что этот идеал был попран, но многие народы об -рели в 1917 г. чувство собственного достоинства, которого они не знали при царях. Национальность, отличная от понятия гражданства, была признана законом; вошла в силу политика поддержки национальных культур. Эта идея, новая и великодушная, была чревата отрицательными послед -ствиями. С 30-х гг. многим интеллигентам, в частности финно-уграм, вменялся в вину «буржуазный национализм», и они поплатились жизнью за крах своих иллюзий. Подозрение в будущей коллективной вине, жертвой которой стали крымские татары, ингуши, волжские немцы, предполагало официальное признание этих национальностей. В течение многих десятилетий у советского гражданина, будь то карел, еврей, цыган, армянин, эстонец или француз (а я знал таких), было больше шансов быть сослан -ным на восток, чем стать послом. Были ли красивые слова 1917 г. лишь наживкой, временной уступкой, навязанной ослаблением государства?

Когда в 1959 г. благодаря другу, решившему ознакомить меня с азами удмуртского языка, я открыл некоторые грани удмуртской литературы, у меня возникло чувство, что она внезапно расцвела в 20 -х гг. и, как финская литература в XIX в., засияла достаточно ярко, чтобы создать новую культуру и благоприятствовать расцвету национальной гордости. Сравнивая даты, я понял также, что свершился ужасный культурный геноцид, и передо мной встал вопрос: в какой степени «оттепель», последовавшая за ХХ съездом Коммунистической партии, допускала реальное обновление, аналогичное тому, что я наблюдал в русской литературе. Эпоха «застоя» заставила меня усомниться в моем энтузиазме и даже в верности моих выводов. Как я мог судить о культуре, от которой до меня доходили сквозь едва приоткрытую дверь лишь фрагменты? Кое-какая информация, доходившая к нам на Запад, о роли, отводившейся национальным языкам в школах автономных республик, признаюсь, настраивала меня пессимистично.

Depuis 1959, beaucoup d'eau a passé sous les ponts de la Kama. Les grands empires coloniaux se sont effondrés, le droit international a évolué, nombre de jeunes nations, inconnues hier encore de la plupart des habitants de la planète, ont leur siège à Genève, à New York, à Paris, et arborent leur drapeau dans les jeux Olympiques. Votée le 16 décembre 1966, la résolution 2200 de l'O.N.U. stipule que « tout peuple détermine librement son statut politique et assure librement son développement économique et culturel ». Qui dit « peuple », il est vrai, ne dit pas forcément « nation », mais la République de Russie, à la recherche d'un nouvel équilibre, d'une nouvelle légitimité, n'a pas oublié qu'elle était fédérative.

Aujourd'hui ce n'est plus, semble-t-il, d'un simple « dégel » mais d'un vrai printemps qu'il s'agit. A sa lumière, les peuples finno-ougriens, libres de devenir enfin ce qu'ils sont, retrouvent eux aussi leurs racines, recueillent les trésors de leur patrimoine, se consultent, se concertent, coordonnent leurs actions, nouent des contacts internationaux impossibles encore il y a peu. Parce que Serge Essénine parlait de la finskaïa, mordovskaïa Rus', les valeurs qu'ils incarnent ne me semblent pas contredire celles dont le peuple russe peut lui aussi se prévaloir. Que leur cousins de Budapest, de Helsinki, de Tallinn soient plus que jamais les premiers à leur tendre la main, quoi de plus naturel ? Mais la communauté finno-ougrienne ne doit pas devenir un ghetto élargi. Au XXI e siècle, que le jeune Finno-ougrien soit ou non encore un mythe, le jeune Européen, lui, sera, je l'espère, une réalité !

С 1959 г. много воды утекло под мостами Камы. Рухнули великие колониальные империи, развилось международное право, многие новые нации, неизвестные еще вчера большинству жителей планеты, заседают в Женеве, Нью-Йорке, Париже и поднимают свой флаг на Олимпийских играх. 16 декабря 1966 г. ООН приняла резолюцию 2200, которая предусматривает, что всякий народ свободен сам определить свой политический статус и обеспечить свое культурное и экономическое развитие. Правда, кто говорит «народ», необязательно говорит «нация», но республика Россия в поисках нового равновесия и новой законности не забыла, что она федеративная.

Сейчас можно говорить не просто об «оттепели», а о настоящей весне. В ее свете финно-угорские народы свободны стать тем, чем они хотят стать, ищут свои корни, собирают сокровища народного достояния, объединяются и проводят совещания, согласовывают действия, завязывают международные контакты, невозможные еще недавно.

Eще Сергей Есенин говорил о финской, мордовской Руси; их ценности, на мой взгляд, не противоречат тем ценностям, которые русский народ почитает за главные. Пусть их собратья из Будапешта, Хельсинки, Таллинна первыми протянут им руку - что может быть естественнее? Но финно-угорское сообщество не должно стать большим гетто.

Не знаю, будет ли молодой Финно-угр мифом в XXI веке, но молодым Европейцем, я надеюсь, он действительно будет!

Перевела В. Козуева, 1994

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