HORIZON 7 (1) 2018 : II. Book Reviews : Prepared by E. Beauron : 223-227
ФЕНОМЕНОЛОГИЧЕСКИЕ ИССЛЕДОВАНИЯ • STUDIES IN PHENOMENOLOGY • STUDIEN ZUR PHÄNOMENOLOGIE • ÉTUDES PHÉNOMÉNOLOGIQUES
II. РЕЦЕНЗИИ
https://doi.org/10.21638/2226-5260-2018-7-1-223-227
EMMANUEL KANT
PRINCIPES MÉTAPHYSIQUES DE LA SCIENCE DE LA NATURE Introduction, traduction et notes par A. Pelletier, Paris: Vrin, 2017. ISBN 978-2-7116-2544-4
ERIC BEAURON
PhD in Philosophy.
ATER at University of Aix en Provence, Institute for the History of Philosophy. 13621 Aix en Provence, France. E-mail: [email protected]
IMMANUEL KANT
METAPHYSICAL FOUNDATIONS OF NATURAL SCIENCE Translated with an introduction by A. Pelletier, Paris: Vrin, 2017
In Metaphysical Foundations of Natural Science, Kant develops what the Critique of Pure Reason calls the "rational physiology", which is the metaphysics of corporeal nature. The aim of this text is to specify the object in general as matter and as the "movable in space" and, for this purpose, to take into account the various properties that make possible the material donation of the object, such as rest, speed, direction, impenetrability, attraction, repulsion, etc., the so-called predicables of the pure understanding (§ 10 of the CPR). Those predicables constitute the properties that are indeed necessary to ground the natural science (mathematical physics) and are here examined from a transcendental point of view thanks to the system of the categories and principles of the Analytics of Principles. The structure of the book is thus the following: Phoronomy deals with quantity (Axioms of Intuition), the Dynamics with quality (Anticipations of Perception), the Mechanics with relations (Analogies of Experience) and the Phenomenology with modalities (Postulates of Empirical Thought). What Kant seeks to account for, then, is the applicability of the mathematics that make the intuitive and apodictic certainty possible thanks to the construction of the object in an a priori intuition. The methodological problem concerns the possibility of this a priori construction, which must be here realized in the realm of existence. How to connect the empirical properties of the object to the necessary and universal principles provided by the categories in order to account for the possibility of the mathematical construction of the object? The metaphysics of the corporeal nature is different from the transcendental cognition of the pure
© ERIC BEAURON, 2018
nature in general because it considers the transcendental schematism from the point of view of space and not of time.
Key words: Kant, natural science, rational physiology, objective reality of the categories, transcendental schematism, transcendental epistemology, space, matter, force.
РЕЦЕНЗИЯ НА КНИГУ ИММАНУИЛА КАНТА
PRINCIPES MÉTAPHYSIQUES DE LA SCIENCE DE LA NATURE Introduction, traduction et notes par A. Pelletier, Paris: Vrin, 2017. ISBN 978-2-7116-2544-4
ЭРИК БОРОН
Доктор философии, ассистент.
Университет Экс-ан-Прованс, институт истории философии. 13621 Экс-ан-Прованс, Франция. E-mail: [email protected]
В Метафизических началах естествознания Канта разрабатывается то, что в Критике чистого разума названо «рациональной психологией» и представляет собой метафизику телесной природы. Речь идёт о том, чтобы определить предмет вообще в качестве материи и как «подвижный в пространстве»; для этого нужно учесть разные свойства материальной данности предмета опыта, такие как покой, скорость, направление, непроницаемость, притяжение и отталкивание и т. д. Также анализируются предикабилии (§ 10 КЧР), которые представляют собой необходимые элементы, позволяющие провести дедукцию опыта на почве математической физики. Эти предикабилии рассматриваются с трансцендентальной точки зрения, благодаря системе категорий и принципам Трансцендентальной аналитики. Структура исследования такова: в Форо-номии исследуется количество (Аксиомы созерцания), в Динамике — качество (Антиципации восприятия), в Механике — отношения (Аналогии опыта), а в Феноменологии — модальности (Постулаты эмпирического мышления). С точки зрения метода, ставится проблема применимости математики, как дисциплины, где возможна интуитивная и аподиктическая очевидность, благодаря априорному конструированию предмета в чистом созерцании. Как соотнести эмпирические свойства объекта, с одной стороны, и необходимые и универсальные принципы, выведенные из категорий, с другой, для того, чтобы рассмотреть возможность математического предмета опыта? Метафизика телесной природы отличается тем, что простраивает трансцендентальный схематизм с точки зрения пространства, а не с точки зрения времени.
Ключевые слова: Кант, естествознание, рациональная физиология, объективная реальность категорий, трансцендентальный схематизм, трансцендентальная эпистемология, пространство, материя, силы.
La nouvelle traduction des Metaphysische Anfangsgründe der Naturwissenschaft de Kant publiée par A. Pelletier chez Vrin est un heureux événement pour les études philosophiques françaises. Aucune édition séparée de cet ouvrage n'avait vu le jour depuis celle de J. Gibelin en 1952 et la dernière traduction en date, de F. De Gandt, n'était accessible qu'en Pléiade (Kant, 1980). Les lecteurs disposent désormais d'un ouvrage de
poche autonome qui prend acte des traductions précédentes et qui constitue à ce titre un précieux outil de travail, accompagné d'une éclairante introduction et de la traduction inédite d'opuscules pré-critiques permettant de mesure l'intérêt jamais démenti de Kant pour la Naturforschung. Cette publication devrait contribuer à relancer l'intérêt qu'il y a lieu de porter aux Metaphysische Anfangsgründe, un ouvrage important mais qui n'a guère reçu l'attention qu'il mérite depuis les travaux de Jules Vuillemin (Vuillemin, 1955) et de Pierre Kerszberg (Kerszberg, 1999). Pour quiconque s'intéresse à la philosophie transcendantale de la nature, aux rapports entre métaphysique et mathématique, à l'élaboration de l'épistémologie transcendantale ainsi qu'à la problématique, fondamentale, de la réalité objective des catégories, ce court traité est d'une importance capitale. Non seulement parce que, développant ce que l'Architectonique de la raison pure appelle la « physiologie rationnelle » (Kant, 1980, 546 ff.), il propose une véritable confrontation entre les principes transcendantaux de l'Analytique et le donné empirique, à travers le traitement des prédicables, mais aussi parce que le succès de cette entreprise repose sur l'élaboration du schématisme transcendantal selon la forme de l'espace — ce que ne fait pas la Critique, où la prééminence est accordée au temps. Louvrage développe ainsi le passage (au sens du futur Übergang de l'Opus postumum) de la métaphysique générale de la nature, qui prend pour thème l'objet en général sans le spécifier en tant que matière mobile dans l'espace, à la métaphysique spéciale de la nature corporelle, passage qui permet d'achever la déduction de l'expérience grâce à la prise en compte des propriétés les plus essentielles de l'étant matériel. Or cela est tout à fait indispensable puisque, d'après la Préface même de l'ouvrage, « une métaphysique séparée de la nature corporelle rend un admirable et indispensable service à la métaphysique générale en fournissant des exemples (des cas in concreto) qui donnent une réalité aux concepts et aux théorèmes de cette dernière (et précisément à ceux de la philosophie transcendantale), c'est-à-dire qui donnent sens et signification à une simple forme de pensée » (Kant, 2017, 77). C'est dire à quel point les Metaphysische Anfangsgründe constituent le complément indispensable de l'Analytique des principes, apportant grâce à la forme de l'intuition externe la preuve définitive de la réalité objective des catégories1.
L'une des questions suscitées par la problématique physiologique est la suivante. Comment le dispositif catégorial de l'Analytique et le schématisme transcendantal peuvent-ils s'approprier le donné dans ce qu'il a de plus empirique ? Peut-on connaître a priori de la matière, définie en tant que mobile dans l'espace ? Comment traiter d'un point de vue authentiquement métaphysique, grâce aux « actes purs de la pensée » (Kant, 2017, 67), le repos, la direction, la vitesse et la relativité du mou-
1 Ce point est discuté par Förster (2000, 56-59) et Friedman (2013, 563-564).
vement (Phoronomie) ; les forces d'attraction et de répulsion qui assurent le remplis-sement de l'espace (Dynamique) ; l'inertie, la conservation et la communication du mouvement (Mécanique) ? Ces questions, qui sont au cœur de la physique et de la métaphysique de la nature du XVIIIe siècle, sont abordées par Kant de façon tout à fait singulière puisque, d'une part, il pousse jusqu'au bout l'interprétation critique et transcendantale de la révolution copernicienne et de la physique galiléo-newtonienne en en discutant les concepts et les implications les plus décisifs (principe de relativité, espace absolu, forces originaires, rotation de la Terre, etc.), mais aussi parce que, d'un point de vue interne au criticisme, il faut trouver les moyens de tenir sur la natura materialiter spectata un discours qui puisse se prévaloir de l'universalité et de la nécessité propres aux jugements synthétiques a priori. Or c'est là un défi inédit puisque rien, dans l'Analytique des principes, ne permet de s'avancer au-delà de la structure de l'objet en général, dans la rencontre avec l'étant matériel. Les Metaphysische Anfangsgründe développent une véritable doctrine transcendantale de la science positive de la nature, dont la méthodologie transforme alors de l'intérieur le geste transcendantal. On peut esquisser les raisons de cette transformation en s'arrêtant sur la Préface de l'ouvrage, pièce maîtresse de la réflexion kantienne sur les rapports entre métaphysique, science de la nature (physique) et mathématique. Quels sont les déplacements majeurs que les Principes métaphysiques opèrent par rapport à la Critique ?
Centrée autour du « mot nature », la préface problématise à nouveaux frais les rapports entre existence et intuition. L'Analytique des principes repose sur le partage inaugural de ces deux domaines ontologiquement distincts, l'intuition relevant des principes mathématiques constructibles (Axiomes de l'intuition et Anticipations de la perception), l'existence des principes dynamiques non constructibles (Analogies de l'expérience et Postulats de la pensée empirique en général). Or ce partage est immédiatement remis en question par la métaphysique de la nature corporelle car elle se déploie tout entière sur le sol de l'existence, mais selon une méthodologie qui doit être celle de l'intuition puisqu'il ne peut y avoir de « véritable science » (eigentliche Wissenschaft) que dans la mesure où l'on peut construire mathématiquement ses concepts dans l'intuition (Kant, 2017, 61-63). L'intérêt fondamental des Principes métaphysiques réside dans la résolution de cette tension entre méthodologie de l'intuition (construction) et ontologie de l'existence (prédicables). Ce que l'Analytique avait séparé demande à être rapproché et pensé selon une affinité inédite. Et contrairement à ce que soutient notamment M. Friedman dans Kant's Construction of Nature (Friedman, 2013, 26-28, 570), il n'est pas possible de reconduire strictement la structure de l'Analytique des principes sur celle des Principes métaphysique car la prise en compte des prédicables modifie de fond en comble la déduction de l'expérience et les opérations de subsomp-
tion qui instituent le rapport entre le donné et les catégories. On ne peut pas affirmer que la Phoronomie et la Dynamique seraient exclusivement concernées par la construction de l'essence et seulement justiciables d'une fondation mathématique tandis que la Mécanique et la Phénoménologie relèveraient exclusivement de l'existence et d'une fondation métaphysique. Chacun des chapitres de l'ouvrage doit affronter une double fondation, selon l'intuition et selon l'existence, en vue d'une construction possible, opération qu'il revient au métaphysicien de justifier en raison du fait que les Naturforscher prétendent à une apodicticité dont ils ne cherchent pas eux-mêmes les fondements (Kant, 2017, 67). Le projet kantien n'est donc pas, à la lettre, une construction de la nature, mais une élucidation métaphysique de la possibilité de construire mathématiquement la nature — ce qui n'est pas du tout la même chose.
Or, pour réaliser un tel projet, la méthode du jugement déterminant de la Critique ne suffit pas. Le jugement déterminant doit être réaménagé afin d'inventer les ressources cognitives capables de montrer que et comment il est possible de subsumer les prédicables sous les catégories (affinité de l'existence et de l'intuition). Une telle problématique ne se ramène pas à une simple application des catégories, comme le soutiennent Friedman et Vuillemin avant lui. Elle implique des opérations sui generis de la faculté de juger, semblables aux futures Gedankenexperimente de E. Mach, puisqu'il faut partir du donné afin d'inventer le principe de la construction, ce que ni les formes logiques pures des catégories ni les principes de l'Analytique ne permettent de réaliser (la relativité du mouvement et le principe de sa composition sont par exemple prouvés par une procédure de dédoublement de l'espace qui est un acte original de l'imagination). La méthodologie des Principes métaphysiques est l'œuvre d'une faculté de juger qui anticipe en partie celle de la troisième Critique puisque juger est un art qui ne s'apprend pas et que l'entendement, muni de ses catégories, est incapable de les appliquer au donné. L'opération de construction apparaît comme l'acte d'une faculté de juger déterminante dont les ressources s'apparentent déjà à celles d'une réflexion réfléchissante qui invente un principe de construction en partant du donné empirique.
REFERENCES
Förster, E. (2000). Kants Final Synthesis: An Essay on the Opus postumum. Cambridge/London: Harvard University Press.
Friedman, M. (2013). Kant's Construction of Nature. A Reading of the Metaphysical Foundations of the
Natural Science. Cambridge: Cambridge University Press. Kant, E. (1980). Critique de la raison pure. Paris: Gallimard. Kant, E. (2017). Principes métaphysiques de la science de la nature. Paris: Vrin. Kerszberg, P. (1999). Kant et la nature. Paris: Les Belles-Lettres. Vuillemin, J. (1955). Physique et métaphysique kantiennes. Paris: PUF.