Научная статья на тему 'Hiérotopie de l’obscurité'

Hiérotopie de l’obscurité Текст научной статьи по специальности «Философия, этика, религиоведение»

CC BY
11
2
i Надоели баннеры? Вы всегда можете отключить рекламу.
Ключевые слова
hiérotopie / obscurité / lumière / espace sacré / icône spatiale / imageparadigme / catacombe / paradis / faisceaux de lumière / inconnaissance / verre doré / Rome / иеротопия / темнота / свет / сакральное пространство / пространственная икона / образпарадигма / катакомбы / рай / лучи света / неведение / золотые стёкла / Рим

Аннотация научной статьи по философии, этике, религиоведению, автор научной работы — Simsky A.

Tandis que le rôle de la lumière dans la création des espaces sacrés est bien connu, la hiérotopie de l’obscurité n’a jamais fait l’objet d’études specifiques. Dans cet article, l’obscurité est thématisée comme un élément constitutif des espaces sacrés. J’affirme que l’obscurité est plus que l’absence de lumière. L’ambiance sombre engendre une spiritualité toute particulière, caractérisée par le silence, la paix sereine et par la concentration sur le monde intérieur. Cette spiritualité est dotée de sa propre symbolique sacrée, étroitement liée avec la dramaturgie et la symbolique de la lumière. Comme exemple typique, nous allons prendre les catacombes romaines paléochrétiennes, lieux de rituels funéraires et commémoratifs. Du point de vue hiérotopique, les catacombes peuvent être considérées comme des icônes spatiales du royaume des morts, où l’image-paradigme du paradis chrétien luisait invisiblement à travers l’ambiance lugubre de ce monde souterrain.

i Надоели баннеры? Вы всегда можете отключить рекламу.
iНе можете найти то, что вам нужно? Попробуйте сервис подбора литературы.
i Надоели баннеры? Вы всегда можете отключить рекламу.

Иеротопия темноты

Роль света в создании сакральных пространств хорошо известна, однако иеротопия темноты ещё не была, насколько нам известно, предметом специального исследования. В данной работе темнота рассматривается как самостоятельный составляющий элемент сакральных пространств. Хотя сакральные смыслы темноты тесно связаны с символическими смыслами и драматургией огня и света, темнота–это нечто большее, чем просто отсутствие освещения. Темнота порождает свой тип духовности, ориентированный на созерцание внутренней жизни в спокойствии и тишине. Римские катакомбы–раннехристианский некрополь и сакральное пространство поминальных и похоронных ритуалов–дают нам замечательный пример иеротопии темноты. С иеротопической точки зрения катакомбы представляли собой пространственную икону под-земного царства мёртвых, сквозь которую «просвечивал» христианский рай, невидимое присутствие которого обозначалось круглыми иконками золотых стёкол, отблёскивающих в слабом свете масляных ламп.

Текст научной работы на тему «Hiérotopie de l’obscurité»

https://d0i.0rg/10.34680/visthe0-2023-5-1-106-114

Hiérotopie de l'obscurité

Andrew Simsky ©

Le centre d'études de la culture d'Europe orientale, Louvain, Belgique andrew_simsky@mail.ru

Pour citer:

Simsky A. Hiérotopie de l'obscurité. Journal ofVisualTheology. 2023. Vol. 5. 1. Pp. 106-114. https://doi. 0rg/l0.34680/visthe0-2023-5-l-l06-ll4

Résumé. Tandis que le rôle de la lumière dans la création des espaces sacrés est bien connu, la hiérotopie de l'obscurité n'a jamais fait l'objet d'études specifiques. Dans cet article, l'obscurité est thématisée comme un élément constitutif des espaces sacrés. J'affirme que l'obscurité est plus que l'absence de lumière. L'ambiance sombre engendre une spiritualité toute particulière, caractérisée par le silence, la paix sereine et par la concentration sur le monde intérieur. Cette spiritualité est dotée de sa propre symbolique sacrée, étroitement liée avec la dramaturgie et la symbolique de la lumière. Comme exemple typique, nous allons prendre les catacombes romaines paléochrétiennes, lieux de rituels funéraires et commémoratifs. Du point de vue hiérotopique, les catacombes peuvent être considérées comme des icônes spatiales du royaume des morts, où l'image-paradigme du paradis chrétien luisait invisiblement à travers l'ambiance lugubre de ce monde souterrain.

Mots clés : hiérotopie, obscurité, lumière, espace sacré, icône spatiale, image-paradigme, cata-combe, paradis, faisceaux de lumière, inconnaissance, verre doré, Rome.

Hierotopy of darkness

Andrew Simsky ©

Research Center for Eastern Christian Culture, Leuven, Belgium andrew_simsky@mail.ru

For citation:

Simsky A. Hiérotopie de l'obscurité. Journal of Visual Theology. 2023. Vol. 5. 1. Pp. 106-114. https://doi. 0rg/l0.34680/visthe0-2023-5-l-l06-ll4

Abstract. Although the role of light in the creation of sacred spaces is well known, the hierotopy of darkness has never been, to our knowledge, a subject of a dedicated study. In this work, darkness is thematized as a constitutive element of sacred spaces. I argue that there is more

© Andrew Simsky, 2023

Cet article est basé sur la contribution présentée au 24ème Congrès International d'études Byzantines, Venise / Padoue, 22-27 août 2022, session thématique par Nicoletta Isar : 'Ineffable Archaeologies, Byzantium and the West', 23.08.2022.

Визуальная теология. 2023. Том 5. № 1

to darkness than merely the absence of light. A dark ambience engenders its own spirituality characterized by serenity, quiet peace and focusing on one's inner life. Moreover, darkness is imbued with its own sacred meanings intimately intertwined with the dramaturgy and meanings of light. As an example, we take Roman catacombs, a site of funerary rituals and a spatial icon of the underworld through which the Christian paradise was shining, with sporadically embedded small gold-glass tondo icons as points of connection between earth and heaven.

Keywords: hierotopy, darkness, light, sacred space, spatial icon, image-paradigm, catacomb, paradise, beams of light, unknowing, golden glass, Rome.

Иеротопия темноты

А. Д. Охоцимский )

Научный центр восточно-христианской культуры, Лёвен, Бельгия andrew_simsky@mail.ru

Для цитирования:

Simsky A. Hiérotopie de l'obscurité // Визуальная теология. 2023. Т. 5. № 1. С. 106-114. https://doi. 0rg/l0.34680/visthe0-2023-5-l-l06-ll4

Аннотация. Роль света в создании сакральных пространств хорошо известна, однако иеротопия темноты ещё не была, насколько нам известно, предметом специального исследования. В данной работе темнота рассматривается как самостоятельный составляющий элемент сакральных пространств. Хотя сакральные смыслы темноты тесно связаны с символическими смыслами и драматургией огня и света, темнота - это нечто большее, чем просто отсутствие освещения. Темнота порождает свой тип духовности, ориентированный на созерцание внутренней жизни в спокойствии и тишине. Римские катакомбы - раннехристианский некрополь и сакральное пространство поминальных и похоронных ритуалов - дают нам замечательный пример иеротопии темноты. С иеро-топической точки зрения катакомбы представляли собой пространственную икону подземного царства мёртвых, сквозь которую «просвечивал» христианский рай, невидимое присутствие которого обозначалось круглыми иконками золотых стёкол, отблёскивающих в слабом свете масляных ламп.

Ключевые слова: иеротопия, темнота, свет, сакральное пространство, пространственная икона, образ-парадигма, катакомбы, рай, лучи света, неведение, золотые стёкла, Рим.

Je commence par une brève introduction à la hiérotopie. Elle a été définie par Alexei Lidov comme la création d'espaces sacrés, une forme particulière de créativité humaine [Lidov 2009 a]. Quand on parle de l'approche hiérotopique, on pense, en premier lieu, aux propriétés émergentes des espaces sacrés, qui sont discutées en termes d'images spatiales, telles que les 'icônes spatiales' ou les 'images-paradigmes'.

L'icône spatiale est un espace sacré compris comme une représentation d'un autre espace sacré ou d'un lieu saint, marqué par la visitation de la divinité. Par exemple, les

nombreuses répliques de la Terre Sainte peuvent être considérées comme des icônes spatiales de la Terre Saintel.

L'image-paradigme est une image mentale évoquée par la perception d'un espace sacré. Les images-paradigmes ne sont pas picturales, elles sont évoquées par l'ambiance entière, donc elles sont plutôt des expériences vécues ou des souvenirs des lieux que l'on a visités2. L'image-paradigme de Jérusalem est un exemple populaire [Simsky 2018]. Aujourd'hui je vais parler de la hiérotopie des espaces sombres. Nous allons prendre les catacombes romaines comme un exemple primaire.

Tandis que le rôle de la lumière dans la création d'espaces sacrés est bien connu, la hiérotopie de l'obscurité n'a jamais été un sujet d'études spécifiques. Dans cette contribution, l'obscurité est thématisée comme un élément constitutif des espaces sacrés. J'affirme que l'obscurité est plus que l'absence de lumière. L'ambiance sombre engendre une spiritualité toute particulière imprégnée de sa propre symbolique sacrée, en lien étroit avec la dramaturgie et la symbolique de la lumière. Comme exemple typique, nous prenons les catacombes romaines paléochrétiennes, un lieu de rituels funéraires et commémoratifs. Du point de vue hiérotopique, les catacombes peuvent être considérées comme des icônes spatiales du royaume des morts, dans lequel l'image-paradigme du paradis chrétien se révélait invisiblement, à travers l'ambiance lugubre du monde souterrain. Les icônes des verres dorées connectaient le monde des vivants avec l'au-delà chrétien3.

La théologie néoplatonicienne lie la lumière à la présence divine et, plus généralement, à la connaissance. Suivant cette logique, l'obscurité doit être reliée, de la même manière, à l'absence de Dieu, qui a abandonné ce monde pécheur et l'a laissé dans l'obscurité et l'ignorance. Mais est-ce vraiment le cas ? Si l'obscurité est apparentée à l'absence de Dieu, pourquoi tant de croyants préfèrent-ils prier avec les yeux fermés ou la lumière éteinte ou tamisée ? Pourquoi sommes-nous souvent plus créateurs pendant les nuits ? Peut-être l'obscurité inspire-t-elle la spiritualité particulière caractérisée par le silence, par la paix sereine et par la concentration sur le monde intérieur ? Peut-être l'obscurité a-t-elle sa propre raison d'être et sa propre esthétique ? Tandis que le jour est destiné au travail, à la conversation, à la pensée rationnelle et à l'activité ciblée, la nuit est un monde d'émotion, d'amour, de rêves et d'imagination. Il semble, paradoxalement, que l'ambiance obscure soit un berceau de visions et d'illuminations.

1 Les répliques de la Terre Sainte, connues aussi comme les « Jérusalems Nouvelles », sont devenues un thème favori de la recherche hiérotopique. Elles sont vues comme une 'matrice générative de la culture chrétienne' [Lidov 2009 b, 8].

2 La notion d'image-paradigme fut introduite par Lidov [Lidov 2006, 42]. Simplement dit, c'est une unité d'imagerie spatiale et collective, un instrument de son analyse, dont Lidov a présenté plusieurs exemples. En particulier, il a retrouvé dans la hiérotopie byzantine les images-paradigmes du voile du temple [Lidov 2014], des rivières du paradis [Lidov 2017] et de la nuée brillante de la Gloire Divine [Lidov 2015]. La recherche d'aspects théoriques d'images-paradigmes a montré leur caractère complexe et synergique [Simsky 2018].

3 Les verres dorés romains paléochrétiens furent extraits des fonds de vaisseaux et ensuite furent insérés dans le ciment, scellant ainsi des niches funéraires dans les catacombes. Les images furent exécutées sur des feuilles d'or laminées entre deux couches de verre. Une grande partie des verres dorés connus contenait des images bibliques et les portraits de saints. Ces proto-icônes étincelaient à travers l'obscurité des catacombes, marquant ainsi les lieux de contact avec l'au-delà [Simsky 2022].

Peut-on vraiment dire que le monde obscur est abandonné par Dieu ? Dieu n'est-il pas présent dans l'obscurité aussi, mais d'une autre manière que dans la nuée de Gloire ? Peut-être notre expérience de l'obscurité physique n'est-elle pas vraiment celle de l'absence de Dieu, mais de sa présence toute-pénétrante dans l'essentialité des choses ? Quand la lumière s'éteint, notre sens du divin prend les rênes et se manifeste plus ouvertement. En bref, dans l'obscurité, le monde visible disparait, mais le monde invisible se révèle.

Le psaume du soir, qui ouvre les vêpres orthodoxes, dit : « Tu amènes les ténèbres, et il est nuit » (Ps 104.20). L'obscurité est donc considérée dans la Bible comme un élément avec sa propre existence, comme quelque chose à « amener ».

Le début de la Création s'inscrit dans une obscurité complète (Gen 1.1-2), tandis que la lumière apparait plus tard (Gen 1.3). Ce monde obscur contenait donc déjà les cieux, la terre et les eaux. Cette narration implique que l'obscurité a été créée pendant la phase préliminaire de la Création. Cette dernière ne peut être caractérisée en termes de jours, car les jours n'étaient pas encore séparés des nuits. Comme nous le voyons, le monde originel dépourvu de lumière n'était ni chaos ni vide, mais un siège d'activité créatrice par Dieu et son esprit. Ainsi, ce monde obscur et sans forme était une matrice où un monde visible et la lumière même allaient être créés. La lumière était séparée de l'obscurité, comme si l'obscurité contenait déjà la lumière cachée en son sein sous une forme latente4.

Dans la Bible, on rencontre souvent l'obscurité mentionnée dans un sens similaire. La lumière y figure comme la marque archétypique de l'immanence divine, en même temps que l'obscurité agit comme son opposé et sa précondition. Comme nous l'avons vu, la lumière provient, dans un sens, de l'obscurité. De fait, on ne peut distinguer la lumière, en tant qu'élément indépendant, que sur un fond d'obscurité. Paradoxalement, en plein jour, on ne voit pas la lumière comme telle - on ne voit que le monde visible avec ses formes et ses couleurs. Selon l'optique d'Aristote, la lumière n'est pas une espèce de matière, mais plutôt sa qualité, une aptitude de la matière à devenir visible [Costello 2022]. Les principes de l'optique d'Aristote sont donc très différents du paradigme judéo-chrétien de la lumière. Dans ce dernier, la lumière même, dotée d'un degré de matérialité, agit comme une 'icone aniconique' de la présence divine. Cette espèce de lumière est directement visible, par exemple, quand elle brille à travers un nuage. Telle était la colonne de feu guidant les Hébreux lors de la traversée du désert. Telle était la Gloire de Dieu dans le tabernacle, que les prêtres ont pu voir à travers les nuées de fumées produites par leurs encensoirs. Telle était l'icône de lumière formée dans Sainte Sophie, la Grande Eglise de Constantinople5.

On peut aussi voir la lumière comme un élément visible dans la lueur des lampes d'huile ou des bougies, comme pendant les vêpres orthodoxes par exemple. Le halo de lumière créé par les bougies dans la pénombre fonctionne comme une icône de cette Lumière divine qui 'est venue dans le monde' mais que 'les ténèbres n'ont point reçue' (Jn 1.5,9). Le prologue de l'Evangile de Jean nous présente le drame de la Lumière

4 « Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la lumière d^avec les ténèbres » (Gen 1.4).

5 La recherche récente a révélé le système complexe de fenêtres et de réflecteurs intégré dans l'architecture de la Grande Eglise pour éclairer la coupole, sa voûte originale ayant été spécialement construite pour faire converger la lumière au sommet [Potamianos 2021 a].

et des Ténèbres comme l'interaction - même la lutte - de deux éléments indépendants. La lumière ici est une force active, tandis que 'les ténèbres' sont comprises comme un milieu dense, résistif presque matériel, percé par des rayons de lumière.

Parmi les divers moyens dont la lumière signale sa présence (des lampes, des bougies, des fenêtres ...), le plus direct est celui des faisceaux de lumière. Les rayons de lumière deviennent visibles en perçant l'espace sombre où se répandent la poussière ou la fumée. I. Potamianos a fait une étude détaillée des faisceaux de lumière dans les églises - depuis leur formation, les conditions de leur présence et de leur visibilité, ainsi que de jusqu'à leur perception par un observateur. Du point de vue de l'observateur, la pénétration de l'obscurité par les rayons de lumière provoque l'impression que le vide est rempli d'une substance, d'une véritable matière, que les rayons percent avec force. « Dieu se manifeste à la fois à travers les faisceaux lumineux et la densité perceptible de l'obscurité » [Potamianos 2021 b, 89-90].

La parenté entre l'obscurité et la lumière est forte et organique. Toutes deux peuvent indiquer la présence divine, mais de manières tout à fait différentes, étroitement reliées aux deux paradigmes théologiques bien connus : cataphatique et apophatique [Lossky 2013]. Quand le Dieu biblique fait son message ou ses actions connus et compris, il « ... fait briller la lumière et éclaire les ténèbres » [Ps i8:29]6 mais, dans le même temps, la divinité elle-même n'est pas visible. Dieu reste inconnu et indescriptible, et c'est pour cela que son propre siège est dans l'obscurité. Ainsi, tandis que selon le paradigme cataphatique Dieu se trouve partout, dans le paradigme apophatique il ne se trouve nulle part et n'est accessible ni par les sens ni par la pensée. Le même Dieu qui « ... s'enveloppe de lumière comme d'un manteau » (Ps 104.2) est aussi celui qui « ... fait des ténèbres sa retraite, sa tente autour de lui » (Ps 18.11) et que « les nuages et l'obscurité <...> environnent » (Ps 97.2). Le Dieu biblique ne s'ouvre pas en une seule fois : certaines choses se font connaître dans le temps juste, alors que d'autres restent encore couvertes.

Un thème similaire a été exploré par Origène dans son commentaire sur le prologue de l'Evangile de St Jean7. Selon Origène, il ne faut pas toujours interpréter l'obscurité dans son sens négatif. Dieu s'abrite dans l'obscurité parce que « les choses qui le concernent doivent rester inconnues et hors des limites de notre connaissance ». Par exemple, la divinité du Christ est bien un mystère invisible ; c'est notre grand « trésor dans l'obscurité ». De la même manière, le Christ cache son message dans l'obscurité des paraboles. « C'est pourquoi tout ce que vous aurez dit dans les ténèbres sera entendu dans la lumière » (Luc 12.3). Dans l'activité de l'Esprit Divin il y a donc place pour les ténèbres, ainsi que pour la lumière.

On peut généraliser les idées théologiques d'Origène et y voir le modèle général du processus de la connaissance. Toute la connaissance commence dans l'obscurité de l'ignorance. La lumière de la connaissance éclaire une partie de l'espace sombre, mais

6 Parmi un grand nombre de citations comme celle-ci, voir : « Sa lumière se lèvera sur l'obscurité, et ses ténèbres seront comme le midi » (Es 58.10).

7 Origen's Commentary on the Gospel of John. Ch. 23 de tome 2 intitulé « Il y a l'obscurité divine qui n'est pas le mal et qui finalement devient la Lumière ». Cette obscurité divine est une 'icône aniconique' de Dieu transcendantal, de par son aspect inconnu, imperceptible et inexplicable (https://biblehub.com/library/ origen/origens_commentary_on_the_gospel_ofjohn/index.html).

seulement pour découvrir les nouvelles frontières plus larges indiquées par l'obscurité où la lumière n'a pas encore pénétré.

L'imagerie de l'obscurité ou d'un nuage sombre agissant comme une barrière pour un esprit curieux, en recherche, en questionnement est devenue un cliché des textes mystiques, spécialement grâce à un écrit anonyme anglais de la fin de 14ème siècle intitulé « Le nuage de l'inconnaissance ». L'idée centrale de cette œuvre connue est typiquement apophatique : il est inutile d'essayer de comprendre Dieu selon le processus normal de la connaissance et par des études graduelles [Hodgson 1944; Volkova 2021]. Dieu est hors du tout. Pour y parvenir dans la mesure du possible, il faut éteindre toute raison et toutes pensées et se présenter à lui avec une intention pure, dans un élan d'amour né dans le cœur. Comme première étape de cette 'technique', on peut imaginer Dieu derrière un nuage sombre - une métaphore efficace de 'rien'. La divinité 'demeure' dans l'obscurité sacrée. Ici l'obscurité reçoit un statut d'espace sacré comme tous les espaces dotés de la présence divine. L'obscurité de l'inconnaissance n'est pas seulement une figure d'explication. Les grottes sombres attiraient toujours les ascètes. Rappelons-nous aussi les deux grottes les plus sacrées du Christianisme : le Saint Sépulcre et la grotte de la Nativité. Nous abordons ici un cas très particulier parmi les grottes sacrées : les catacombes romaines.

Le terme 'catacombes de Rome' se réfère à un réseau de corridors et de chambres souterraines, qui forment une nécropole chrétienne gigantesque [Nicolai 2009]. Les enterrements chrétiens dans les catacombes commencèrent à la fin du 2ème siècle apr. J.-C. La recherche contemporaine ne soutient pas l'opinion populaire selon laquelle les catacombes servaient comme abris en cas de persécutions. Elles étaient gérées par la communauté chrétienne et servaient de cimetière ainsi que de lieu sacré pour les rites funéraires et commémoratifs. Après les édits de paix par Constantin, les catacombes connurent une période de construction intensive. Durant la deuxième moitié de 4ème siècle, elles devinrent une place de vénération des martyrs et des saints. Au début du 5ème siècle, les enterrements dans les catacombes arrêtèrent, mais les visitations pieuses8 continuèrent durant une autre centaine d'années.

Du point de vue hiérotopique, l'histoire des catacombes nous raconte l'évolution des espaces sacrés. Au début de cette histoire, on voit les premiers chrétiens dont l'idée de l'au-delà et les rites funéraires avaient beaucoup en commun avec leurs voisins païens. On croyait que les défunts habitaient des espaces souterrains mystérieux, associés avec les sites d'enterrement - au moins dans le sens où ces sites pouvaient servir comme lieux de rencontre des vivants et des morts, ou même comme tables de repas communs où les défunts avaient leur place inaliénable. La construction d'une nécropole dans les catacombes constituait l'activité hiérotopique dans le sens le plus direct possible. L'enterrement massal servait comme icône spatiale représentant le monde des morts.

La foi chrétienne des défunts et de leurs proches insufflait à ce monde obscur une vision du paradis, céleste ou terrestre - son caractère n'ayant pas été bien précisé. Cette vision devint de plus en plus forte - soit en tant qu'images mentales, soit représentée par des motifs bucoliques peints sur les murs. Le domicile des morts ainsi décoré était prêt pour accueillir de nouveaux habitants : les saints chrétiens, qui exigeaient eux

8 Les visites aux tombeaux de martyrs dans les catacombes constituaient un exemple de la tradition naissante du pèlerinage chrétien.

aussi des rituels, des dons et des prières et qui devinrent un nouvel objet de vénération. L'habitation des morts familiaux devint un mausolée des héros de la foi, certifiés par l'église.

La création de catacombes comme espaces sacrés et leur évolution dans le contexte historique et culturel forment le sujet hiérotopique par excellence - le sujet d'intérêt spécifique de cette recherche, en tant qu'exemple archétypique de la hiérotopie de l'obscurité.

L'histoire de l'art traditionnelle a prêté beaucoup d'attention aux catacombes romaines, mais elle s'intéressait principalement aux iconographies des peintures murales, des verres dorés et des autres artéfacts [Bisconti 2009 ; Zimmerman 2018]. La paradigme hiérotopique, d'un autre côté, invite à une approche holistique et plus inclusive, afin d'apprécier l'imagerie spatiale dans son entièreté. Du point de vue hiérotopique, c'est l'expérience complexe du royaume souterrain des morts qui rend les catacombes uniques, alors que les peintures ne constituent qu'un composant de cette expérience. Pour les chrétiens contemporains, une telle expérience était évoquée par l'ambiance entière des catacombes, où la présence accablante des morts enveloppait toute personne entrant dans ces espaces lugubres. Ces espaces funéraires gigantesques, enfoncés dans la profondeur de la terre, formaient déjà une 'installation' iconique naturelle. Les parois des tunnels souterrains étaient comme une catapetasma naturelle, un Voile qui couvrait les habitations souterraines de morts.

Ce royaume souterrain était plongé dans l'obscurité, mais son atmosphère était influencée par l'optimisme chrétien. Dans les arcosolia, les motifs floraux et aviens évoquaient l'image-paradigme du paradis chrétien qui brillait à travers les ténèbres. Bien sûr, ces peintures murales couvraient seulement une petite fraction des catacombes, dont la longueur s'étendait sur environ 150 km. La plupart des morts étaient enterrés dans des niches funéraires primitives. L'atmosphère générale dans les catacombes était dominée par la présence envahissante de la mort. Cependant, pour les chrétiens, la croyance en la résurrection brillait à travers les ténèbres, même sans des signes visuels explicites. L'image du paradis n'était pas simplement picturale, elle appartenait à une catégorie d'images-paradigmes, telle que je l'ai mentionnée dans l'introduction. Néanmoins, les peintures procuraient des pointeurs évocateurs.

La faible lumière des lampes à huile faisait, elle aussi, partie de la même expérience. Ce n'est pas par hasard si les lampes à huile étaient souvent décorées par des représentations d'épisodes bibliques salvifiques, ainsi que par des christogrammes. Dans les labyrinthes lugubres des corridors étroits, des icônes de verre doré brillaient comme si elles marquaient les liens entre le monde terrestre et le royaume céleste.

Le culte des morts traditionnel était encore répandu parmi les chrétiens romains à l'époque constantinienne. Vers la fin du 4ème siècle, il a été aboli et le culte des saints a été introduit à sa place [Nicolai 2009, 49-59]. Le soin des morts est devenu une fonction de l'église. Les fêtes funéraires et commémoratives ont été remplacées par les rituels ecclésiastiques de vénérations des tombeaux et de reliques de saints. Alors que ce nouveau culte, lui aussi, était né dans les catacombes, il s'est élevé du royaume de l'obscurité vers l'air frais, en pleine lumière, afin que les sujets du culte puissent s'approcher de l'habitation céleste des âmes vertueuses.

Au début du 5ème siècle, le royaume souterrain des morts a été abandonné. Dans les nouveaux cimetières, ouverts à la lumière de jour, les foules des âmes mortes se

mélangeaient avec les communautés des chrétiens vivants, tous deux dirigés vers le ciel. Le tracé de la frontière séparant les vivants des morts est devenu quelque peu dilué : les morts jouissaient de la vie éternelle, tandis que les vivants mouraient pour le monde, baptisés dans la mort de Jésus. Le monde d'ici fusionnait avec l'au-delà.

Mais le monde souterrain de l'obscurité sacrée, ainsi que la lumière étincelante des catacombes n'ont pas vraiment disparu. L'antiquité tardive connut la formation de deux tendances majeures et bien différentes : la chrétienté paroissiale et familiale d'un côté et l'ascétisme monastique de l'autre. Tandis que les chrétiens séculaires confiaient le soin des morts ainsi que de leur propre âme à l'église avec les saints, les moines quant à eux, spécialement en Orient, considéraient la voie chrétienne comme la quête personnelle de la Grâce divine. Une telle quête les menait vers la solitude tranquille des déserts, des montagnes et aussi - en lien avec notre sujet - des grottes. On peut ainsi envisager la connexion entre l'expérience des premiers chrétiens dans leurs catacombes et les prières silencieuses d'hésychastes, en recherche de la Lumière incréée dans l'obscurité de leurs grottes.

References

Bisconti 2009 - Bisconti F. The Decoration of Roman Catacombs. Nicolai V. F., Bisconti F.,

Mazzoleni D. The Christian Catacombs of Rome. Regensburg, 2009. Pp. 71-145. Costello 2022 - Costello S. M. Aristotle on Light and Vision: An 'Ecological' Interpretation. Apeiron.

2022. Vol. 55. 2. Pp. 247-279. Hodgson 1944 - The Cloud of Unknowing and the Book of Privy Counseling. Ed. by Phyllis Hodgson. Oxford, 1944.

Lidov 2006 - Lidov A. M. Hierotopy. The Creation of Sacred Space as a Form of Creativity and Subject of Cultural History. Hierotopy: Creation of Sacred Spaces in Byzantium and Medieval Russia. Moscow, 2006. Pp. 9-31. In Russian. Lidov 2009 a - Lidov A. M. Hierotopy. Spatial Icons and Image-Paradigms in Byzantine Culture.

Moscow, 2009. In Russian. Lidov 2009 b - Lidov A. M. New Jerusalems. Transferring of the Holy Land as Generative Matrix of Christian Culture. New Jerusalems: Hierotopy and Iconography of Sacred Spaces. Moscow, 2009. Pp. 5-10. In Russian.

Lidov 20l4 - Lidov A. M. The Temple Veil as a Spatial Icon. Revealing an Image-Paradigm of

Medieval Iconography and Hierotopy. IKON. 20l4. 7. Pp. 97-l08. Lidov 20l5 - Lidov A. M. Judeo-Christian Icon of Light: From a Shining Cloud to the Whirling Church. Image and Symbol in Judaic, Christian, and Islamic traditions. Moscow, 2015. Pp. 127-153. In Russian.

Lidov 20l7 - Lidov A. M. Sacred Waters in Ecclesiastical Space. The Rivers of Paradise as an Image-Paradigm of Byzantine Hierotopy. Holy Water in the Hierotopy and Iconography of the Christian World. Moscow, 2017. Pp. 159-183. In Russian. Lossky 20l3 - Lossky V. N. An Essay on the Mystic Theology of the Eastern Church. Transl. into Russian. Moscow, 2013.

Nicolai 2009 - Nicolai V. F. The Origin and Development of Roman Catacombs. Nicolai V. F.,

Bisconti F., Mazzoleni D. The Christian Catacombs of Rome. Regensburg, 2009. Pp. 9-69. Potamianos 2021 a - Potamianos I. Byzantine Church Space: A Holy Mountain of Light and Shadow. The Hierotopy of Holy Mountains in Christian Culture. Ed. by A. Lidov. Moscow, 2021. Pp. 100-125.

Potamianos 2021 b - Potamianos I. The Concept ofTemenos and the Sectioning of Light. Icons of

Space. Advances in Hierotopy. Ed. by J. Bogdanovic. New York, 2021. Pp. 68-91. Simsky 2018 - Simsky A. The Image-Paradigm of Jerusalem in Christian Hierotopy. ПРАЕНМА

(Praxema). Journal ofVisual Semiotics. 2018. 3 (17). Pp. 101-113. Simsky 2022 - Simsky A. Drink and Live! Roman Gold Glasses and Early Christian Hierotopy.

Journal ofVisual Theology. 2022. Vol. 4.1. Pp. 10-38. In Russian. Volkova 2021 - Volkova A. G. The "Cloud of Unknowing" as an Example of the Apophatic Mysticism

of the Middle Ages. Christian Reading. 2021. 2. Pp. 128-136. In Russian. Zimmerman 2018 - Zimmerman N. Catacomb Painting and the Rise of Christian Iconography in Funerary Art. The Routledge Handbook of Early Christian Art. Ed. by R. Jensen, M. Ellison. London & New York, 2018. Pp. 21-38.

Information about the author

Andrew D. Simsky

Cand. Sci. (Physical and Mathematical Sciences), Senior Researcher Research Center for Eastern Christian Culture 160, Groenstraat, Leuven, 3001, Belgium ORCID: https://orcid.org/0000-0002-0902-3634 e-mail: andrew_simsky@mail.ru

Информация об авторе

Андрей Дмитриевич Охоцимский

кандидат физико-математических наук, старший научный сотрудник Научный центр восточно-христианской культуры Belgium, 3001, Leuven, Groenstraat, 160 ORCID: https://orcid.org/0000-0002-0902-3634 e-mail: andrew_simsky@mail.ru

Материал поступил в редакцию / Received 16.03.2023 Принят к публикации /Accepted 25.04.2023

i Надоели баннеры? Вы всегда можете отключить рекламу.