Научная статья на тему 'A quoi bon le latin a Byzance apres Justinien? Ou la rhetorique et le charme de l’incomprehensible'

A quoi bon le latin a Byzance apres Justinien? Ou la rhetorique et le charme de l’incomprehensible Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

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STAVROS PERENTIDIS

À QUOI BON LE LATIN À BYZANCE APRÈS JUSTINIEN? OU LA RHÉTORIQUE ET LE CHARME DE L'INCOMPRÉHENSIBLE

sans le latin, sans le latin, plus de mystère magique

Georges Brassens

«Alors que l'empire Romain se réduisait et se mutilait, aussi bien du côté oriental qu'occidental, depuis le règne d'Héraclius l'originaire de la Libye, ceux qui sont venus au pouvoir après lui (...) se sont comportés de plus en plus en Grecs et ont abandonné même la langue1 ancestrale romaine».2 C'est par ces termes que l'empereur Constantin Porphyrogénète déplore, au ixe siècle, le progrès du grec au détriment du latin, fait dont il situe les débuts à l'époque d'Héraclius — il est vrai que le prédécesseur du second, Phocas, cherchait encore à apprendre le latin.3 En effet, l'exhellenismos progressait depuis, en rendant le latin une langue de moins en moins utilisée dans l'administration byzantine, comme nous suggèrent les témoignages historiques que nous allons voir. Le latin régressait, il n'était plus compris comme dans le passé romain, car son enseignement n'était plus ce qu'il fut avant le vie siècle. Cet abandon a conduit à l'ostracisme total du latin ; ainsi le

1 Nuvi 8è otev<B0eiorç Katâ te avatol ç Kai 8uo|x ç tfç 'P<»|xaïKfç paoileiaç Kai àKp<»trpiao0eioriç "po tfç âpxfç HpaKleiou toà Aipuoç, oî ap' ÈKeivou Kpat"oavteç (...), mâliota èlIrviÇovteç Kai trçv pâtpiov Kai p<»|xaïksv ylrôttav apopa16vteç : De Thematibus, (éd. A. Pertusi) 1, ll. 20-25, p. 60. À ce sujet, lire M. Leontsini, «GproKeutiKÉç pepoi0"oeiç Kai ylroooiK" Siatvproor tov 7o aièva», dans Oi okoteivoî airôvEÇ tou BvÇavTÎov (7oj — 9oj ai.), Athènes, 2001, p. 73—87 [E0viK6 ISpuma Epeuvèv. Ivotitovto BuÇavtivèv Epeuvèv. Àie0v" Eu|p6oia. 9].

2 Ici, il n'y a aucun doute que pâtpioç et pro|aïK^ ylrôtta est la même chose, le latin. Voir M. Gregoriou - Ioannidou, «Mia papat"pror otrç Ài"yror trôv 0au|âtrov toà âyiou Àrprtpiou», BvÇavTiaKa, 3, 1983, p. 87. Également, A. Basilikopoulou, «'H pâtpioç frov"», in N. Moschonas (dir.), npaKtiK to® B' ài£0voî>ç Ev^pooîov 'H èpiKoivrovia oto Bv>Ç6v-tw. 4—6 'OktmPpîov 1990, Athènes, 1993, p. 110.

3 Jean Lydos,De magistratibus, 3.73 (éd. A. C. Bandy) : ô FroKâç (...) °Xiou pepivofoai tiva ppoç SiSaoKaliav aùtrô tfç ûaliSoç fwvfç, Aipuv èpiÇrtrôv.

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© S. Perentidis, 2007

regretté N. Oikonomidès constate-t-il un «unilinguisme» officiel, manifeste dans les services centraux de l'administration byzantine,4 phénomène qui ne contredit pas la diglossie notée par G. Dagron.5 Dans cet édifice politique supranational qu'est l'empire byzantin, les autres langues que le grec n'avaient droit de cité que dans la périphérie,6 voire même en marge. C'est ainsi, que Théophylacte Simmocate (viie siècle) décrit un moment de panique dans l'armée, où les uns disaient aux autres de faire marche arrière («torna, torna»), dans une langue locale1 sans la préciser davantage, mais à nos yeux il n'y a pas de doute que c'était un parler latin:

èpi%<»pi<» te ylèttv ej toùpioro tpapéoGai alloç allro ppooétattev, " t6pva, t6pva " met meyiotou tapà%ou f0eyy6|mevoi.8

c'est dans la langue locale que chacun commandait à un autre de faire marche arrière, en criant " torna, torna " avec beaucoup d'effroi.

Mais en parlant du latin à Byzance9 que devons nous entendre exactement? S'agit-il bien d'une survivance pure et simple du latin classique ou d'autre chose? Rappelons-nous que, même en Occident à l'époque tardive, dès le vie siècle, le latin change de forme, pour devenir ce qui aboutira, plus tard, aux diverses langues néo-latines.10 Ce développement semble suivre en Italie un rythme plus lent qu'en Gaule ou dans la péninsule ibérique, ou même en Afrique du Nord avant l'Islam. Mais, pour le sud-est

4 Dans un stimulant article récent : N. Oikonomidès, «L'"unilinguisme" officiel de Constantinople Byzantine (VIIe-XIIe s.)», £i>|X|X£iKTa, 13, 1999, p. 9—21.

5 «Formes et fonctions du pluralisme linguistique à Byzance (IXe—XIIe siècle)», Travaux et Mémoires, 12, 1994, p. 220 sqq., en particulier p. 221.

6 Oikonomidès, loc. cit., p. 14 sqq.

7 On a proposé qu'il s'agisse peut-être d'un parler valaque, lui-même issu du latin: M. Whitby, «Theophylact's Knowledge of Languages», Byzantion, 52, 1982, p. 426. Voir, également, B. Baldwin, «Theophylact's Knowledge of Latin», ibid., 47, 1977, p. 359.

8 Histoire, 2.15 (éd. C. De Boor / P. Wirth), alors que pour le même événement Théophane parle de la langue ancestrale : ETepoç tov Seopöttiv toà Çrôou ppoofroveî tov fôpiov âvop6rôoai tî patprôa frovfj- «töpva, töpva, fpàtep» (...) oi Sè laoi âKovoavtEÇ Kai toùç polemiouç èpioT^vai aùtoîç «povo'aavTEÇ eç fuyrçv Etpaphoav, «töpva, töpva» meyiotaij frovaîç âvaKpàÇovTEÇ (Théophane le Confesseur, Chronographie, éd. C. de Boor [Bonn], p. 258). Sur cet événement voir Whitby, ibid.

9 Sur les interférences linguistiques (grec-latin / langues néolatines), voir H. Kahane / R. Kahane, s. v. «Abendland und Byzanz : Sprache», in P. Wirth (dir.), Reallexikon der Byzantinistik, Bd. I / Heft 4—6, Amsterdam, 1970-1976, col. 345-640. Voir mon c. r. dans Bulletin de la Société de Linguistique de Paris, 74 / fascicule 2, 1979, p. 172—174. Voir aussi B. Baldwin, «Vergil in Byzantium», Antike und Abendland, 28, 1982, p. 81—92, en particulier p. 88 sqq. On consultera toujours H. Zilliacus, Zum Kampf der Weltsprachen im Oströmischen Reich, Helsingford, 1935 (=Amsterdam, 1965).

10 Voir, par exemple, D. Norberg, Manuel pratique de latin médiéval, Paris 1968 (=1980), p. 26 sqq. Ajouter : J.-Y. Tillette, s. v. «Latin», in A. Vauchez (dir.), Dictionnaire Encyclopédique du Moyen Âge, ii, Paris - Cambridge - Rome, 1997, p. 872 sqq. Ajouter les indications bibliographiques supplémentaires de l'édition anglaise : Encyclopedia of the Middle Ages, ii, Paris - Cambridge - Rome, 2000, p. 826. Enfin, tout récemment, P. Bourgain, s. v. «Latin», in Cl. Gauvard et alii (dir.), Dictionnaire du Moyen Âge, Paris 2002, p. 817—819.

11 La langue latine dans le sud-est de l'Europe, Bucarest - Paris 1978. Également, Idem, «Die Lage der zwei Weltsprachen (Griechisch und Latein) im Byzantinischen Reich des 7. Jahrhunderts als Merkmal einer Seitwende», in H. Köpstein / F. Winkelmann (dir.), Studien zum 7. Jahrhunder in Byzanz. Probleme der Herausbildung des Feudalismus, Berlin, 1976,

des Balkans, les travaux de H. Mihâescu11 — qui puise dans des sources épigraphiques pour l'essentiel12 — ne semblent pas trancher la question. Plus récemment, invoquant le matériel occidental pour compléter nos connaissances sur le latin des Balkans, P. Bâdenas n'exclut pas l'hypothèse que le latin populaire du haut Moyen Âge aurait contribué de la formation des langues néo-latines dans le nord des Balkans.13 Mais dans le monde byzantin, ce latin tardif ne relevait pas de la culture et de la production littéraire écrite; il ne servait même pas de langue commune parlée. Et encore, faut-il toujours distinguer le centre byzantin de la périphérie, car ce qui nous intéresse ici émane de Constantinople, pôle administratif et culturel à la fois, où siégeait l'empereur, le patriarche et la plupart des institutions: c'est ici même que le latin s'est trouvé, avant Justinien déjà, de plus en plus abandonné. La maîtrise du latin classique aurait, certes, préservé une production littéraire d'expression latine — à côté de la création en grec byzantin - et, surtout, un enseignement systématique de la langue, mais ce ne fut pas le cas.

En revanche, utilisé seulement dans la périphérie et en rapport avec le catholicisme, le latin était oublié dans les milieux intellectuels du centre et son enseignement scolaire abandonné. C'est ainsi qu'Aaron Isaakios, au récit de Choniate (XIIe—XIIIe s.), a appris le latin en Sicile pour devenir traducteur de l'empereur.14 Notons toutefois, qu'à partir du XIIIe siècle, dans la périphérie, et sous la tutelle de l'autorité ecclésiastique catholique romaine, revient sur place le latin — sous telle ou telle autre forme, tardive ou archaïsante - pour redevenir langue «centrale» (à Chypre sous les Lusignan, en Morée franque). Ici le grec qui persista n'est plus l'atticisant des écrits officiels, mais la langue vivante parlée: la production littéraire sera donc ici

p. 95—100 [Berliner Byzantinische Arbeiten. Bd. 47]. Enfin, Idem, «La langue latine dans le sud-est de l'Europe», in H. Temporini /W. Hase (dir.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt. Geschichte und Kultur Roms im Spiegel der neueren Forschung. Prinzipat, xix.2, (Sprache und Literatur), Berlin — N. York, 1983, p. 1107—1147.

12 Alors que ses sources littéraires ne remontent pas à une date postérieure au vie siècle.

13 «Néeç papathp'oeiç yia to pp6ß1h|ma twv ylroaaoloyiKèv auvoprov sta Balkâvia», PpaxtiK toû B' Aieôvoûç Ev^tcooîov 'H èrciKoivrovia oto BvÇàvtio, p. 123

sqq.

14 Nicétas Choniatès, Histoire, éd. J.L. van Dieten, p. 144 : ô 'Aapëv 'Ioaàkioç, Kopiv060ev |mèv ôp|m<»|m£voç, trçv 8è AativiSa ylrôttav akproç èXhSKhKrôç rçvÎKa auvap"%0h toîç patpiètaiç eç EiKeliav ai%|mâ1<»toç Kai toîç ek tfç SialÉKtou tatithj trô ßaailet èvtuyxàvouoiv üpoßole-oj thviKaàta yiv6|mevoç. Le sens du terme «hypoboleus» est donné par Eustathe de Thessalonique : Kai «poßole^j ô èp|mrive'6j (Commentarius ad Homeri Odysseam, éd. G. Stallbaum, i, p. 43).

15 Entre autres : la Chronique de Morée (récit de la conquête du Péloponnèse), La Chronique du doux pays de Chypre de Léontios Machéras (Chypre au XVe siecle), sans oublier les poèmes de Stéphanos Sachlikis (qui vivait en Crète venitienne au XIVe siècle) etc.

16 Voir, par exemple, les formulaires de procédure (AißEXXoi), réunis et édités dans D. Simon et alii, Zyprische Prozeßprogramme, Munich, 1973 [Münchener Beiträge zur Papyrusforschung und Antiken Rechtsgeschichte. 65. Heft], sans oublier les versions grecques des Assises.

17 Néanmoins, le cas de la langue de la législation de Frédéric ii von Hohestaufen, en particulier la version grecque de son Liber augustalis (1231—32), mérite une discussion plus poussée qui ne saurait être traitée ici. Sur la question, lire M. B. Wellas, Griechisches aus dem

en démotique,15 de même que la rédaction de documents administratifs16 et officiels.17

Mais ne perdons pas de vue un détail très important: à Byzance le latin n'est point la langue de la Bible, ni de la liturgie, ni de la rhétorique ecclésiastique et du catéchisme, ni de l'administration et de la chancellerie de l'Église. De ce fait, celle-ci n'avait jamais ressenti le besoin d'organiser un enseignement pour l'apprentissage du latin. Ceci explique bien la décadence de cette langue et son oubli à Constantinople, voire dans l'Orient chrétien hellénisé. Et c'est ainsi que nous pouvons décrire la situation pour tout ce qui concerne la présence de quelques locutions latines dans des témoignages historiques écrits qui émanent du domaine de l'administration byzantine:18 là où de nombreux termes survivent isolés, nous ne sommes pas autorisés à parler de survivance de langue, d'autant plus quand il s'agit d'une adoption de termes techniques. Dans ces conditions, il convient de se poser, au niveau des mentalités, la question de savoir que devait-il signifier aux yeux des Byzantins l'emploi du latin, voire le recours au latin, une langue que l'on ne comprenait plus.

Ainsi, pour confirmer la constatation, j'examine comment le latin était-il utilisé dans deux catégories de documents : d'abord dans des écrits juridiques et similaires (infra, I), ensuite dans des témoignages issus du domaine de l'administration publique, j'entends les titres des officiers de la cour impériale, y compris son usage dans le cérémonial (II). N'oublions pas que cette sorte de documents attache la réalité officielle de l'empire d'Orient à la tradition romaine, dont Byzance se définissait idéologiquement comme le descendant légitime.

Et pour chercher une réponse à la question ci-dessus, je termine par l'analyse d'un écrit aussi insolite qu'intéressant (III).

I

Commençons par la tradition juridique.19 Ce qui marque le passage du droit romain au droit byzantin c'est bien l'exhellenismos, situation que l'on peut décrire ici comme l'incapacité des juristes à lire les textes, leurs textes, dans l'original latin. Ainsi, durant le vie siècle, la grande époque du droit romain, Justinien se voit dans l'obligation d'interdire la traduction en grec des dispositions juridiques maintenues dans les codifications. Toutefois, il heurte devant l'obstacle de la non compréhension du texte officiel, dont il tient absolument à préserver la forme originale et officielle. Aussi autorisa-t-il un compromis. Est ainsi permise la traduction mot à mot, ou pour mieux dire :

Umkreis Kaiser Friedrichs II, Munich, 1983, p. 27 sqq. [Münchener Beiträge zur Mediävistik und Renaissance-Forschung. 33].

18 Dont l'«unilinguisme» n'est pas contestable : voir Oikonomidès, loc. cit..

19 Pour l'essentiel : S. Troianos, H eXXhviK" vo|xik" gXèssa. réveah Kai iiopçoXoyiK" eX&XiXh thj vo|hk"ç opoXoyiaç sth p<B|iaïK" AvatoX", Athènes, 2000, passim ; également C.G. PitsakIs, «'H iotopia tfjç PrômhÇ Kai toà ProimaïKOî) SiKaio-u st ß-u^avtiv Kai Ixeraß-ü^avTiv vo|ik èy%£ipi8ia», dans Ti|iai Iroàvvov Tpiavta^'üXXoftO'öXo'ü, Athènes, 2000, p. 399—436.

mot-au-dessus-du-mot : dans les livres, au-dessus du mot latin du texte serait toléré le terme grec correspondant sans que l'ordre des mots de la rédaction originale (latine) soit modifié; c'est le célèbre Kat po8aç.20 Justinien a également interdit d'ajouter des commentaires en marge du texte officiel de sa codification, pour que le grec n'ostracise ou ne remplace de fait l'original latin. Il voulait préserver l'authenticité du monument par excellence qu'avait légué la tradition romaine. Mais, il ne réussit pas, car de son vivant, le latin devint une langue morte même pour les juristes. Il se voit donc dans l'obligation de considérer comme valides les testaments qui n'ont pas été rédigés en latin,21 et même d'accepter que les juges puissent émettre leurs sentences en grec.22

C'est bien cette égression du latin comme langue de l'enseignement du droit, qui marque le passage du droit romain au droit gréco-romain, autrement dit Byzantin, comme constate S. Troianos, qui souligne le rôle décisif de l'enseignement du droit à Constantinople et à Bérytte dans ce processus.23 Effectivement, l'on essayait de passer de la vox latina à la vox graeca, non sans hésitation, et souvent sans succès, ce qui aboutira au retour des termes latins, cette fois-ci sous forme d'emprunts ou Lehnwörter. Un exemple : improprement traduit comme ppesßeiov, legatum devra s'interchanger pour redevenir to 1hg©tov,24 mais en tant que terminus technicus, il ne restera dans le jargon des juristes byzantins que comme un Lehnwort.25 Nous suivons aussi, avec l'aide de J. Beaucamp,26 l'aventure sémantique des catégories

20 Constitutio Tanta [= Code de Justinien 1.17.2.21, éd. P. Krueger] : «hoc autem quod ab initio nobis visum est, cum hoc opus fieri deo adnuente mandabamus, tempestivum nobis videtur et in praesenti sancire, ut nemo neque eorum qui in praesenti iuris peritiam habent nec qui postea fuerint audeat commentarios isdem legibus adnectere. nisi tantum si velit eas in graecam vocem transformare, sub eodem ordine eaque consequentia sub qua voces romanae positaesunt, hoc quod Graeci кат poSaç dicunt». À ce sujet, voir H. J. Scheltema, «Das Kommentarverbot Justinians», Tijdschrift voor rechtsgeschiedenis, 45, 1977, p. 307—331.

21 Code de Justinien 5.28.8 : «Tutores etiam graecis verbis licet in testamentis relinquere»; ibid. 6.23.21: «graece omnibus liceat testari», et alibi. À ce sujet H. Mihäescu, «Die Lage der zwei Weltsprachen (Griechisch und Lateinisch)», loc. cit., p. 96 sqq.

22 Code de Justinien 7.45.12 : «Iudices tam latina quam graeca lingua sententias proferre possunt». Cf. Mihäescu, ibid.

23 S. Troianos, «'H mEtaßaoh âpo то рюцашо ото ß-u^avTivo SiKaio», Т 'IoTopiKa, vol. 3 / fasc. 6, 1986, p. 267—281, et Idem, Oi ptï/eç той ßv^avTivov 5iKaiov>, Athènes-Komotini, 19992, p. 22 sqq.

24 Emprunté dans Troianos, Oi ptï/eç той ßv^avTivov SiKakrn, p. 36. Voir Justinien, Novelle 22 De nuptiis (dans Corpus Iuris Civilis, iii, p. 165, l. 6, éd. M. Schoell / G. Kroll) : Kai taàta 5è v£vo|rno0£T"a0<B Kai èpi tfç ppoya|iiaiaç 5<Bpeâç Kai èpi pàarç EtÉpaç filonimiaç. eite èv Çwp pap toù âvSpoç eîç aÙTrçv y£vo|mévrç À Kai ek 5ia0"krç À imopuç Kaàsa SropEâç, eïte èvoTâoEMÇ EÏr |mépoç eïte ppeaßEiov eïte fiSEïKÔ^^iooov. Alors que dans la même Novelle le terme 1ry£tov figure aussi, manifestement comme synonyme: où klfpov où fiSEïKÔ^^iooov où Xhgàxov où |x6piiç Kaùoa SropEav (p. 163, l. 6).

25 J'adopte la distinction entre Lehnwort et Fremdwort dans le domaine des sources du droit byzantin, d'après E. Popescu-Mihut, «Contributions à l'étude des mots latins dans la littérature juridique byzantine», Revue des Études Sud-est européennes, 19, 1981, p. 434 sqq.

26 «Byzance et l'héritage latin : le discours juridique du VIe au XIe siècle», Ktèma, 23, 1998, 475—484.

publicus et privatus, à travers leurs traductions byzantines du VIe au XIe siècle, ce qui confirme l'incertitude manifeste que nous y constatons.

Ainsi dès le VIe siècle, le latin n'était-il plus compris, même dans les professions traditionnellement latinistes. On insistera sur l'analyse de deux cas.

a) Le premier se réfère à la célèbre École impériale de droit, attribuée à l'instigation de Jean Mavropous, sous le règne de Constantin Monomaque, autour de 1047. Celui qui aspirerait au poste de Maître de cette École27 devrait, outre son expérience des lois et de la science du droit, pouvoir maîtriser aussi bien le grec que le latin:

èkatépav 8è glrôooav oùv «KpiPeia pao-p ppo'fetai, trçv èllhviK'rçv légw taûtriv Kai trçv ôoh p<B|maïKf| .28

et il doit maîtriser avec exactitude parfaite les deux langues, j'entends aussi bien le grec que le latin.

Par pw|aïK^ glècca nous devons entendre le latin. Dans les écrits des chroniqueurs byzantins, la langue des Romains et la langue latine sont des synonymes. Bien plus tard mais dans un esprit de repli vers la tradition romaine, le dignitaire patriarcal Théodose Zygomalas, vers la fin du XVIe siècle, fera à sa manière la distinction par le compromis:

léyeç g p oî p<»|iaîoi toùç v6|ouç ôvo|àÇouoi, pro|aîoi 8è oî vàv fpàgKoi, véoi 8è p<»|iaîoi oî gpaikoi.29

Car leges sont appelées les lois chez les Romains, les Romains sont les Francs aujourd'hui, alors que les Grecs sont les Nouveaux Romains.

Mais pour revenir à notre propos, selon la plus récente interprétation, cette version du texte de la novelle n'a pas été définitif.30 Autrement dit, cet écrit de Mavropous n'a été qu'un simple projet de loi, jamais promulgué. Toutefois, ce témoignage n'en constitue pas moins une preuve encore de l'attachement idéologique à la tradition romaine, mais non de l'emploi du latin dans l'éducation des jeunes juristes. Ces derniers ne devaient se contenter que d'un apprentissage sur le tas, assuré probablement par des praticiens, où l'enseignement systématique du latin ne devait pas avoir droit de cité.

b) Le second cas est celui des Gloses nomiques. C'est ainsi que l'on appelle aujourd'hui les florilèges de mots techniques du droit romain

27 Manifestement le futur patriarche Jean Xiphilin était pressenti.

28 A. Salac, Novella constitutio saec. xi medii quae est de schola iuris Constantinopoli constituenda et legum custode creando, Pragae, 1954 [Textus breves graeci et latini. I], § 17, p. 29. À son sujet, voir S. N. Troianos, «Latinitas Graeca», in Chr. Angelidi (éd.), To bv>ç6vtio <»pi|xo gia aXXagÉç. EpiXogÉç, £Vaio6^oi£ç Kai Tpopoi ÉK^paorç apo tov EvSéKaio otov SéKaio p£|pto airôva, Athènes, 2004, p. 167 sqq. [E0viKo ISpuima Epeuvrôv. Ivotitovto BuÇavuvrôv Epeuvrôv. Ai£0v" Symposia, 13].

29 Paraphrase de la Synopsis minor, E 34 (éd. S. Perentidis). Dans le même sens : ibid. r 40 : èv ti poliieia trôv promairov, ^gouv eîç t^v âpxovtiav trôv fpàgKrov, ici en parlant du règne du bienheureux basileus Markos, qui en réalité n'est autre que Marc-Aurèle !

30 C'est la nouvelle thèse proposée par P. Speck, «Konstantinopel — Ein Modell für Bologna ? Zur Gründung einer Rechtschule durch Irnerius», dans W. Brandes et alii (dir.), Varia III, p. 330, 341 [Freie Universität Berlin. Byzantinisch- Neugriechisches Seminar. Poikila Byzantina 11]. Voir aussi Troianos, «Latinitas Graeca», loc. cit.

«adpraetium participatum», «aedes», «aditevsi» etc. Ceci ne justifie pas une confusion avec habet, mot qui serait normalement placé plus bas dans l'ordre alphabétique du glossaire, avec les mots qui commencent par h. Quoi qu'il en soit, c'est un exemple très éloquent pour illustrer le niveau de l'ignorance du latin chez les juristes, de la période byzantine tardive tout au moins.37

Un autre lexique commence par le mot aûar|038 — ou d'après une autre variante: aùo^S - terme que l'on n'a pas su reconnaître, à l'époque, et rectifier en absit, malgré la traduction correcte dans le même lexique: «àpéotw, m^ yévoito». On serait tenté de voir ici une confusion qui renvoie non pas à un mot latin, mais plutôt à Aùofl, le nom d'un personnage biblique39 que l'on retrouve souvent dans la littérature ecclésiastique.40 La transcription grecque du bs latin est habituellement rendue par y : obsequium est ainsi écrit ôyÎKiov41 alors que obses est rendu oyiç, oyiSoç;42 ce n'est point le cas pour absit / aùo|0. La confusion avec le personnage biblique est très probable, et l'impossibilité des Byzantins à reconnaître la forme correcte du terme latin, à l'aide même de sa traduction grecque, est ici manifeste.

D'autre part, c'est la confusion paléographique entre le Honcial et la manière byzantine d'écrire la lettre n, qui explique la forme erronée vepeSitàtiç (pour haereditatis), très fréquente dans les manuscrits. Même le très savant Psellos ne la rectifie pas quand il écrit dans son poème didactique en vers décapentasyllabes sur la science du droit :

37 Le plus ancien des manuscrits qui nous ont conservé le lexique, le codex Vaticanus graecus 852, daterait du XIIIe siècle : cf. Burgmann, ibid., p. 29.

38 Éd. L. Burgmann, «Das Lexikon aüohö», dans Fontes Minores VIII, loc. cit., p. 249—337.

39 Nombr. 13.8

40 Cf. Justin, Dialogue avec Tryphon (éd. E. Goodspeed), 106.3, 113,1 et alibi. Voir aussi Origène, Selecta in Numeros, éd. Migne, P .G. 12, col. 576. Également Théodoret de Cyr, Quaestiones in Octateuchum (éd. N. Fernandez Marcos / A. Saenz Badillos), p. 209. Jean Chry-sostome, In Epistulam adHebraeos homilia, Migne, P. G. 63, col. 188. Voir aussi Georges Syn-cellus, Ecloga chronographica (ed. A. Mosshammer), p. 151. Également, Michel Glykas, Annales (éd. Imm. Bekker, [Bonn]), p. 299.

41 Cf., par ex., Acta Philippi, éd. M. Bonnet, 66.4 : met ôyiKiou Kai oclou.. Également, la version longue du Testament d'Abraham, éd. Fr. Schmidt, 10.3 : etSev Kai veovvmfouç ôyiKEUomévouç. Enfin, Le livre des cérémonies de Constantin Porphyrogénète, éd. Vogt, ii, p. 47 : SiamepiÇetai to ôyikiv e„ç toùç ppoß1ri0£vtaj. Voir C. du Cange, Glossarium ad scriptores mediae et infimae Graecitatis, Lugduni, 1688, s. v. «ôyikiov» et «ôyiKe-oeiv» col. 1071—1073, ainsi que Kahane / Kahane, «Abendland und Byzanz», loc. cit. [supra, n. 9], col. 523.

42 Par exemple : la Synopsis minor E 52 (éd. dans Io. Zepos / P. Zepos, Jus Graecoromanum, vi, Athènes, 1931 [=Aalen 1962], p. 395), passage reproduit dans S. Perentidis, «Recherches sur le texte de la Synopsis minor», dans Fontes Minores VI, loc. cit., p. 260 : toùç ô|m"pouç âvaipe0fjvai, ^youv foveu0fjvai toùç âv0prôpouç èKeivouç toùç èÇ allrov âpxrôv e„ç trçv promaïK^v âpxrçv èrà a-ü|ißißäa£ai tiai SiSo^évovç, oûç oi Koivoi oyiSaç ôvoixaÇo-oai. Voir aussi du Cange, loc. cit., s. v., col. 1073.

43 Psellos, Synopsis legum, vers 129—130 (éd. L.G. Westerink). Le regretté G. Weiß, «Die „Synopsis legum" des Michael Psellos», Fontes Minores II, p. 163, avait cru nécessaire de corriger en vepeSitàthç léyouoi petitio Aatîvoi, mais sans appui fondé sur la tradition manuscrite. Sur ce terme chez Psellos, voir G. Weiß, Oströmische Beamte im Spiegel der Schriften des Michael Psellos, Munich, 1973, p. 315 [Miscellanea Byzantina Monacensia. 16].

q pepî àpaix"aemç Klhpovo|j.i,aç &11t|, ¿v vepeSaxhj légousi petmo Aaxîvoi.43

Alors qu'ailleurs, dans le même poème il reproduit ce même terme (vepeSàthç) en y ajoutant une syllabe de plus : vepeSitàtiç.44 Manifestement, le nombre correct des syllabes devait, à ses yeux, compter bien plus que la forme exacte du mot latin. D'ailleurs la connaissance du latin et des lettres latines par Psellos a déjà été mise en doute.45 À son sujet on peut répéter ce que M. Whitby46 propose pour Théophylacte Simmocate : muni d'une bonne formation, bon juriste et haut fonctionnaire, il utilisait quelque latin, mais pas plus qu'il ne lui fallait pour sa carrière d'homme d'État. On ne peut terminer sans invoquer le cas de Constantin Harménopoulos, le célèbre juge de Thessalonique et rédacteur de l'Hexabible (1345—1346), pour lequel le faussaire Nicolas Papadopoli — Comnène47 avait inventé toute une biographie aussi bien imaginée qu'imaginaire. Entre autres, il avait fait de lui un latiniste distingué, dont le maître serait un certain Aspasios, supposé moine calabrais, lequel n'a probablement jamais existé. Chez Papadopoli — Comnème47 la vérité importait moins que la propagande.

Et les exemples peuvent être multipliés, comme la tradition semble avoir fabriqué plusieurs latinistes Byzantins.

II

La seconde catégorie de données que je vais analyser sont les titulatures des offices impériaux, autrement dit les titres des offikialioi de la cour. Leurs noms manifestent le même attachement idéologique à la tradition impériale romaine. D'un côté nous notons un maintien de termes latins, le plus souvent grécisés, alors des Lehnwörter, de l'autre côté nous constatons des calques, c'est-à-dire la fabrication de termes à la manière latine. En revanche, les offikialioi de la cour ecclésiastique ne portaient pas à l'origine de titres latins. Toutefois, des termes empruntés à la titulature impériale y sont également attestés. Ainsi les mots d'origine latine : vorâpioç, ppwtovotàpioç, pefe-pevSàpioç, SoméstiKoç, ftpi|miK"pioç, KayKeiàpioç, Kavatp"moç, etc. se trouvent à côté d'une majorité de termes forgés sur le grec : loyoôéthç, oÎKov6|moç, laosuvaKthç, ùftomvrpaTOYpàfoç, ppwtÉKSiKoç, skeuo-fûlaX, %apTOfû1aX et ainsi de suite. Mais tous ces termes d'origine latine ont été empruntés à la tradition administrative romaine et la pratique de la

44 Ibid., vers 612 et 784.

45 Voir, par exemple, S. Runciman, «Byzantine Linguistics», npooçop eîç EtiXrcrova n. Kv>piaKÎ8riv èrà ti EÎKooircEvtaEtrpiSi t^q Ka6ry£aiaç ai>toî> (1926—1951), Thessalonique, 1953, p. 598, avec la n. 5 ['Ellrvika. napaptrima 4]. Voir, également, le scepticisme de Troianos, «Latinitas Graeca», p. 172 sqq.

46 Whitby, «Theophylacts Knowledge of Languages», loc. cit., p. 428.

47 Praenotiones mystagogicae ex jure canonico, Naples, 1695, passim. À ce sujet, J.A.B. Mortreuil, Histoire du droit byzantin ou du droit romain dans l'empire d'Orient, iii, Paris-Marseille, 1846, (=Osnabruck, 1966), p. 495 sqq., et plus amplement dans l'introduction de C. Pitsakis, Krovotavtivov ^ApiXEVorco-oXo-o np6%£ipov v6|x<»v ^ 'EÇàpipXoç, Athènes, 1971, p. ke' sqq.

cour impériale. Nous ne trouvons pas dans la titulature ecclésiastique des termes latins que la cour n'employait pas déjà. Ils ont donc été empruntés non à la tradition qui remontait jusqu'à la pratique ancienne du latin, mais à un usage courant contemporain. Il est clair que la mentalité à l'égard du latin n'est pas la même au sein de l'Église byzantine.48

Voici deux exemples de Lehnwörter.

i) D'abord le terme quaestor sacripalatii qui attire l'attention à cause de sa longévité et pour l'intérêt que sa forme grécisée présente pour les linguistes. Confondu peut-être à l'origine avec un autre titre, le quaesitor,49 institué par Justinien, ce terme deviendra, par le moyen de l'exhellenismos : Kuaistwp, forme attestée en même temps que sa variété orthographique : Koiaistwp.50 Le mot figure en permanence dans les listes de préséance de la cour impériale. Quatre parmi elles datent du IXe et du Xe siècle51), alors que le Traité des offices du Pseudo-Kodinos est bien plus tardif (XIVe siècle). Le terme est attesté aussi dans les écrits historiographiques de diverses époques, d'une façon constante depuis Palladios52 qui écrivait au IVe—Ve siècle, jusqu'à Georges Pachymérès,53 lui-même offikialios vers la fin du XIIIe siècle. Une longévité qui confirme cet attachement à la tradition.

ii) Un autre échantillon qui présente pour nous un intérêt à cause de sa longévité, constitue le terme o àsrKpftiç.54 Diverses sources l'attachent directement au latin a secretis, donc à la tradition administrative romaine, et

48 Voir les listes byzantines des offikia de l'Église dans J. Darrouzès, Recherches sur les ôç^ÎKia de l'Église byzantine, Paris, 1970 [Archives de l'Orient chrétien. 11]. Il est intéressant de constater que dans une liste des offikia orthodoxes en langue latine, datant de février 1274, les titres grecs sont simplement translitérés en caractères latins : magnus iconomus, logotheta, protecdicus, ipominiscus [sic, pour i>po|xi|xv"aKrov], chartophylax, skevophylax.. Cf. Darrouzès, ibid., p. 531.

49 Jean Lydos, De magistratibus 1.25, précisément sur les différences entre ces deux offikia.. D'autres homonymes, mais non des synonymes, attestés chez Lydos : Kuaiotirov, Kuaiatitrop (ibidem).

50 Sur la confusion des phonèmes v> et oi en grec médiéval, voir par ex. D. Chila-Markopoulou, « 'H ppofop tfj ÊlIrviKfç tov 10o ||.X. airôva. "E|X|XEaEÇ maptupÎEÇ àpo %Eip6ypafo tfj Bodleian Library», in Mvf||iri. T6|xoç eîç |vf||iriv rEropyio-o KoupixovXn, Athènes, 1988, p. 133—144.

51 Le Taktikon d'Uspenskij(datant de 842/843), le Klètorlogion de Philothée (899), le Taktikon dit de Benesevic (datable de 934 a 944), le Taktikon de l'Escurial (entre 971 et 975). Ils sont édités dans N. Oikonomidès, Les listes de préséance byzantines des IXe et Xe siècles, Paris, 1972.

52 Dialogue sur la vie de Chrysostome, p. 19.

53 Relations historiques (éd. A. Failler / V. Laurent), p. 126.

54 Autre forme attestée : àarKp"tiç. La graphie àorKpitrç semble attestée seulement dans Syméon le Logothète ou Métaphraste, Chronique (éd. Imm. Bekker [Bonn]), p. 195, alors que la variante àsEKpftiç figure chez Jean Malalas, Chronographie, p. 494 (éd. L. Dindorf [Bonn]).

55 Procope, De bello persico (éd. G. Wirth / J. Haury) 2.7.16 : tov trôv àpopp"t<»v ypa|||xatÉa ppEaßEij pap Xoaporv atEilaç. àarKp"tiç Kaloàsi to à^iroma toàto 'P<B|maîov ariKphta y p Kaleîv t àpopprta vEvo|mÎKaaiv.

56 "pÉ0r y p «poypafE'ùç toîç trôv Kpatovvtrov |Uothpioiç 0PhpEtov|Evoj, oûtw y p pap ti AùooviSi SialÉKtro to àohKp"thj ovo|xa, o èpi trôv |Uothpiwv ||E0Ep|xrivE'6Ea0ai ßovlEtai : Ignace le Diacre, Vie de Nicéphore patriarche (éd. de Boor), p. 144. La même définition figure aux Additamenta à l'Etymologicum Gudianum : A 211, sub verbo, avec

ce depuis Procope qui vivait au VIe siècle.55 Il est attesté soit sous cette forme, soit comme ppwtaohKpÂtiç, jusqu'à l'époque tardive.56 Nous notons toutefois que le synonyme grec, muotiKÔç, en tant que titre d'offikialios de la cour,57 n'a pas réussi à le remplacer, ce dernier ayant été créé peut-être pour désigner un autre fonctionnaire impérial, bien que l'implication symbolique principale reste la même. Les deux cas concernent des dignitaires proches de l'empereur qui bénéficiaient de sa confiance ; mutatis mutandis c'est la même logique que pour le rôle de Geheimrat, institution allemande moderne, bien longtemps avant la lettre.58 Il est toutefois difficile de statuer si cette synonymie nuancée (a secretis et mystikos) pouvait être saisie par les Byzantins, du fait que le latin n'était plus compris comme auparavant. Son ignorance est manifeste aussi du fait que le terme est transcrit d'une façon erronée: à8or|Kpfitiç,59 malgré les reproches que Jean Lydos avait adressé à ses contemporains,60 au VIe siècle déjà.

Ajoutons que dans la même logique, l'emploi du latin dans le cérémonial de la cour impériale utilise le latin comme une langue que l'on ne comprend plus. Nous disposons d'une nomenclature des acclamations et des vœux rituels prononcés en latin61 par les kagkelarioi du quaestor, en l'honneur des souverains, au moment de leur arrivée à l'église de la sainte Sophie, lors de la liturgie de la Nativité, l'Epiphanie, à Pâques, à la Pentecôte et à la Transfiguration. Les vœux latins se trouvent copiés en caractères grecs, accompagnés d'une traduction en grec. Malgré les divers problèmes concernant la tradition manuscrite de ce texte, et malgré toutes les réserves que l'on peut formuler au niveau de la qualité de l'édition en usage, ces quelques extraits permettent de corroborer notre propos. Ainsi :

l'addition : to â[8]orKpfjtiç ovo|ma ô èpi trôv rn'ootrpirov ||£0£p||rv£'£a0ai pouletai (éd. A. de Stefani). Voir a ce sujet, infra, et la note 57. Le lexique de la Souda donne : rpa||||at£'6ç' ô vorâpioç. tov trôv âpopp"trov Ypa||||at£a âorKpfjtiç Kaloàoi to âXiro|a 'Pro|aîoi : G 418 (éd. A. Adler).

57 R. Guilland, «Études sur l'histoire administrative de l'empire byzantin : le mystique, ô |i.uotiK6ç», Revue des Études Byzantines, 26, 1968, p. 279—296 et A. K(azhdan), s. v. «Mystikos», dans Idem (dir.), The Oxford Dictionary of Byzantium, ii, p. 1431—1432. Toutefois, la définition de Pseudo-Codinos, Traité des offices, p. 179 (éd. J. Verpeaux) : 'H toà |UOTiKoà ùprpeoia voeîtai Kai âp' aùtoà toà ôv6||atoç, ne doit pas être entendue à la lettre : loin de vouloir dire «secret», par ùprpeoia du |Uotik6ç entendons le rôle politique d'une personne fidèle qui ne divulgue pas les confidences qu'il partage avec le prince.

58 N. Oikonomidès, Les listes de préséance byzantines, loc. cit., p. 324 sqq.

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59 Cf. la Chronique Pascale, (éd. L. Dindorff [Bonn]), p. 625, 628, 730 et alibi. Même le très savant Théodore Studite commet la même erreur, et confirme ainsi l'affaiblissement du latin au ixe siècle, même dans les milieux intellectuels, voire dans les centres d'études philologiques : Théodore Studite, Lettres (éd. G. Fatouros), No 5 et No 419, toutes les deux adressées : Etefàvro âSorKpfjtiç.

60 De magistratibus 3.20 : oùSè g p âSarKp nç Kat toùç iSirôtaç, èÇ âyvoiaç |et toà Sélta otoixetou Trçç ppoGéoeroç èpiPa11o||évrç. A ce sujet, Troianos, H eXX^vik" vo|xik" yXèssa. p. 48.

61 Dans le célèbre Livre des cérémonies, œuvre de l'empereur Constantin Porphyrogénète, chapitre 83 (74), intitulé : T 0po trôv KagKellapirov toà Koiaiatropoç èv taîç ppoele'oeoi trôv Seopotrôv èv ti Megàlv 'EKKlr°iv pw|aïoTi S6|£va .

Eiç ta Fâta- «"Iôiavveç èv "IopSàve baptiÇat Aô|irvou|j.- sekoûvSoum ïlloum pôKœt Sè tè bôlo».

'Ep^^ve^Etai- «"Iwàvvriç èv "IopSàvv baptiÇei tôv Kûpiov, àkolo^wç aùtôv fwveî- ûpô sou 9é1w baptis9fvai».

"Allwj- «'Imàvvrç èv "IopSàvv baptiÇei tôv Kûpiov, èk Seuté-

pou aùtôv èfévraev- ûpô sou 9é1w baptis9fvai».62

Le fait d'y joindre deux traductions témoigne d'une incertitude sur le sens. Dans le manuscrit unique, ce passage est copié en marge du texte ; probablement c'est un ajout à la suite d'une collation. Ainsi la traduction grecque donne un verbe (baptisôfvai) dont l'original latin est omis : s'agit-il d'une simple inadvertance de scribe, qui aurait omis un mot, même après relecture ? Ou bien d'un vocable manquant dans son modèle ? Pour ma part, je crois plutôt qu'il aurait-il reproduit consciencieusement ce qu'il voyait déjà copié sur son modèle, mais sans le comprendre. D'ailleurs, la deuxième traduction grecque du même extrait comporte un constresens: ici «secundum» est rendu «èk Seutépou»; aussi la seule différence avec la première version grecque du passage (car le reste est identique) ne nous conduit-t-elle qu'au même constat : l'ignorance du latin.

Même sans lien avec l'administration et la cour impériale, ajoutons un exemple analogue. Il émane de la plume de Jean Tzetzès, le célèbre philologue du xiie siècle. Dans les vers récemment découverts de l'épilogue de sa Théogonie,63 l'auteur reprend les salutations prononcées par divers peuples. Suivons ici sa formulation pour le latin.

Tfi Sè Aativj pposfmvfi kat Aativwv ylôissav Kalîj f19eç aù&Évta lot, Kalîj f19eç aSelfÉ, béve bevésti, Sô|mive, béve bevésti fpàtep. nô9ev EÈaai Kai apo poiot 9é|atoç f19eç; OâvSe eç êt Sekoûale ppobivtÇia bevésti; nfiç, aSelfÉ, f19eç taût-qv t-qv pôliv; Kô|oSo, fpàtep, bevésti ivistav tÇibitàte|; neÇôç, Kaballàpioç, Si 9a1àaar|ç, 9é1eiç àpyfjaai; neSôve, kaballapiouç, pep|àpe, bç |opàpe;64

62 Constantin Porphyrogénète, Le livre des cérémonies (éd. A. Vogt), ii, p. 169.

63 H. Hunger, «Zum Epilog der Theogonie des Johannes Tzetzes. Neue Lesungen und Ergänzungen, besonders zu den alt-ossetischen Sprachresten, aus einer bisher unbekannten Handschrift der Österreichischen Nationalbibliothek (Phil. Gr. 118)», Byzantinische Zeitschrift, 46, 1953, p. 302—307.

64 Passage édité dans Hunger, loc. cit., p. 305, vers 9—17. L'éditeur place en italiques la traduction interlinéaire des passages, copiés à l'encre rouge dans le manuscrit de Vienne.

65 La confusion de ß et de à cette époque n'est pas concevable au niveau de la prononciation du vocable latin b. Au XIIe siècle Anne Comnène ne confond pas les sons b et : elle écrit Po|péptoç et non Pobéptoç (e. g. Alexiade, 1.10.1, 3.12.6, 6.5.8, et alibi). Même orthographe du nom chez Michel Glykas, Annales, p. 619 (Bonn) et Jean Zonaras, Épitomè, p. 736 (Bonn), tous les deux du XIIe siècle également. La graphie du prénom Bovifàtioç (et non Mpovif-, forme non attestée) remonte à une époque bien plus ancienne, jusqu'aux vies et

Donc, «péve» [à l'époque prononcé : véné] au lieu de bene,65 «imopape» et non morari (la conjecture de l'ancien éditeur Gyula Moravczik), «SeKoûale» à la place de de quale : cette version latine de Tzetzès manifeste, elle aussi, une connaissance non aisée de la langue. Il est possible que le savant philologue ait reproduit des notes, sans maîtriser effectivement le latin, peut-être d'après un vade mecum personnel. Les extraits bilingues dans les autres langues du même passage («scythe» en réalité cuman, turc ou persan, arabe, russe, hébreu etc.) renvoient à la même explication : ils comportent des salutations de formulation variée, ce qui suggère que Tzetzès aurait plutôt réuni ce qui lui était accessible, par ouï-dire probablement, sans pouvoir reproduire la phrase identique dans tous ces parlers différents.

* * *

Juste deux mots sur deux autres catégories de sources, où le latin survit : les inscriptions latines sur les monnaies byzantines et la terminologie militaire.

La monnaie circule et sert de moyen d'estimation de prix sans que l'on ait besoin de lire ce qui est gravé sur elles ; il suffit de pouvoir reconnaître leurs valeurs. La présence des inscriptions latines sur les monnaies byzantines n'exige pas une connaissance du latin, ni au niveau des masses, ni même au niveau des milieux concernés, les professions ou l'administration fiscale. On peut dire la même chose au sujet d'une autre survivance, les termes militaires latins : si l'on comprenait des expressions standard du type : sayliia,66 «la flèche», sKoàiov67 ou sKourâpiov68 «le bouclier», en réalité elles ne fonctionnaient que comme des Lehnwörter ou Fremdwörter. Il en est de même pour les commandements : aussi Sepove Se^tpa ou Sepove

les acoluthies de saint Boniface (F. Halkin, Bibliotheca Hagiographica Graeca, Bruxelles, 19573, no 279-282 [Subsidia hagiographica, 8a]), dont un sermon par saint Ephrem le Syrien rédigé au IVe siècle. Donc, le souci du respect de la tradition de la forme écrite ne permet pas de considérer ce cas comme un témoignage pour telle ou telle autre prononciation à l'époque de Tzetzès.

66 Maurice, Strategikon, 1.1 l.6, ou même 1.2.16, 17, 58 et alibi (éd. E. Gamillschek / G. Dennis). Voir aussi ses dérivés : oagiTtàtrop (ibid. 12.8, l. 8 et alibi), oayiTT0P0iôç (ibid. 12. 7, l. 6).

67 Jean Lydos, De magistratibus, p. 4 : Ai il t ç âopiSaç OKOàta [...] oî 'P<»|iaîoi Kaloàoi.

68 Maurice, Strategikon, 6.6.1, tout comme 7.15a.2 et alibi. Également Constantin Porphyrogénète, Le livre des cérémonies (éd. J. J. Reiske [Bonn]), p. 579, et Idem, "Osa SeÎ yiv£o6ai toû iXEgaXcm Kai ûynXoû PaaiXéroç irôv 'Pro^airov |xeX,X,ovtoç çoaaaiEÎiaai, éd. J. Haldon, Texte C, versets 430, 493. D'autres exemples dans Kahane / Kahane, «Abendland und Byzanz», loc. cit., p. 531.

69 Leonis vi sapientis Problemata, 3.11 (éd. A. Dain). L'extrait correspondant nous est transmis en lettres latines dans les manuscrits VNP de Maurice, Strategikon, 3.5, l. 52 et 53.

70 Tout comme les locutions du même type : pepKOUTE (Maurice, Strategikon, 3.5 l. 29 et Leonis Problemata, 3.7), oekoue (Strategikon, 3.5, l. 40 et Leonis Problemata, 3.8), OEpßaiE (Strategikon, 12.14, l. 3), ipavofopma (Strategikon, 3.5, l. 58 et Leonis Problemata, 3.12) et d'autres.

oeveotpa69 devait-il être certainement saisi par les soldats,70 mais ces derniers n'auraient pas besoin de maîtriser le latin pour suivre ces directives de combat. Les militaires, même ceux de haut rang, ne se servaient pas du latin quotidien.

* * *

Nous reconnaissons ici l'idéologie typiquement byzantine, celle qui tient à légitimer toute situation politique et administrative, voire toute manifestation de la vie publique, par la référence à la tradition romaine et à l'idée de Rome même. On n'est pas étonné de constater que, sous cette perspective, dans l'empire chrétien, l'on maintient le qualificatif «bienheureux» ou «divin» pour des empereurs de l'ère païenne: o mampièraTOç év Paaileàoi MâpKoç,71 ailleurs o 0eioç MâpKoç,72 toujours pour Marc-Aurèle, tout comme o 0eioç 'ASpiavôç pour Hadrien.73 Et dans une confusion significative pour notre propos, où le jurisconsulte Ulpien est manifestement considéré comme un empereur-législateur, ce dernier porte le même qualificatif : toàto éloyloato o 0eioç Oûlftiavôç.74

Mais imposer une idéologie présuppose un consensus, donc on a besoin d'une rhétorique, laquelle servira à consolider le consensus. Et quand on parle de normes juridiques ou de l'administration impériale, on parle, certes, de la rhétorique aussi. Mais ce que nous appelons ici rhétorique que doit-il signifier dans la pratique byzantine ? Autrement dit, faut-il entendre par ce terme un procédé de conviction par l'entente de certains arguments, suivant une procédure bien déterminée, voire les règles d'une dogmatique ?

Au-delà de cette définition, la rhétorique est tout un art de persuasion par le discours qui se sert non seulement de l'argumentation rationnelle, c'est-à-dire de la raison, mais aussi il met à profit l'irrationnel, soit la passion et le sentiment. Pour certains cas de destinataires, comme la foule, la rhétorique ne saurait produire ses effets que par la mobilisation de l'émotion. Quand l'argumentation rationnelle ne suffit pas pour fixer une croyance, l'appel à l'irrationnel est nécessaire pour que la conviction s'établisse à travers l'animation des passions : la peur, la haine, la compassion (vraie ou fausse), l'admiration etc. C'est bien le cas pour les croyances collectives. Suivons dans ce sens le témoignage de Grégoire de Nysse, un théoricien de la pensée chrétienne, dont les écrits étaient bien diffusés à Byzance, étudiés par des théologiens et propagés par les orateurs ecclésiastiques. Il y est dit que

71 Synopsis minor, G 37 (éd. dans Zepos / Zepos, vi, p. 369). Ce témoignage date de la fin du XIIIe siècle.

72 Voir dans la collection juridique privée de Michel Attaliatte, Ponèma nomikon, 35.191 (éd. Zepos / Zepos, Jus Graecoromanum, vii, p. 482), rédigé en 1073-4, d'où le même terme a été repris dans la Synopsis minor, B 38 (ibid., vi, p. 356).

73 Jean Malalas, Chronographie, p. 279 : èrci 8è tfjç ßaoileiaj toû aÙToà eEioTàtou 'ASpiavoà, et alia.

74 D'après la version tardive d'un extrait du Digeste, conservé dans un manuscrit tardif, le Parisinusgr. 1355 fol. 124v, édité dans M. Th. Fögen, «Hexabiblos aucta. Eine Kompilation der spätbyzantinischen Rechtswissenschaft», Fontes Minores VII, Frankfurt/Main, 1986, p. 331.

nous aimons de tout cœur ce dont nous ignorons la nature et que nous ne pouvons pas saisir par l'intellect ; la compréhension par la méditation est loin d'y être présente et constatée ; le sentiment empêche de rejeter ce que nous ignorons, ce qui nous ne convainc pas par la démonstration, donc par la raison.

alla Kai aùtrçv trçv pâvta voàv ùpepPaivouoav fùoiv trçv 0eiav te Kai imaKapiav Kai âkatàlhPtov ôti |ièv Ëoti pepioteÙKa|iev (...) Kai ô|i<»ç àyaprô|iev to àyvooù|ievov èÇ ôlrç KapSiaç te Kai yu%fç Kai 8uvâ|ie<»ç to KatalfQ'nvai toîç loyiamoîç où 8uvâ|ievov.75

et nous croyons en cette nature divine, bienheureuse et non intelligible, celle qui dépasse tout intellect (...) et malgré tout cela, nous aimons de tout cœur et du fond de notre âme et par toutes nos forces ce que nous ignorons (en elle), ce qui n'est pas possible de saisir par notre esprit.

À Byzance, aussi bien le droit séculier que l'administration publique relèvent directement du palais impérial, c'est-à-dire d'une instance qui, pour maintenir le consensus dont elle a besoin, cherche à prouver ou à imposer sa légitimité à tout moment et par tous les moyens. Dans cette forme de gouvernement, derrière toute activité législative et juridique au sens large, sans oublier le fonctionnement de l'administration publique, se trouve la volonté de Dieu, tête du pouvoir et de la hiérarchie tout entière. L'empereur n'est que son lieutenant sur terre, toujours dans l'obligation de convaincre son peuple qu'il en est digne, et conserver le consensus afin de consolider et maintenir son pouvoir.76 Pour persuader les masses, l'on ne peut que recourir à la rhétorique qui éveille le sentiment, mais non la logique. Ce que l'on ne comprend pas nous fait peur, et convainc par la peur. N'oublions pas que, chez les Byzantins, Dieu et sa volonté est avant tout qualifiée d'àmtâ1r|Ptoç, non saisissable par l'esprit. Théodoret de Cyr précise:

œç àôpatoç ô trâv ôlwv Qeoç, âvépiKtôç te Kai àKatà1|Ptoç.77

Dieu de tous est imperceptible par la vue, inaccessible et non saisissable par l'intellect.

De même que Jean Damascène intitule un chapitre de ses écrits.78

nepi toà àKatà1|Ptov eîvai tov Qeov, Kai t êpya aùtoù- Kai ôti où Seî rpâç t Kpupt Kai èpÉKeiva trnv Siatetay|iévwv rpîv Çrteîv, À pepiepyâÇeaflai. "AvéfiKtoç y p r|îv, Kai àKatà1|ptoç àv9pépoiç oâaiv r toùtmv eùpeaiç, Kai àluaitelfç.

Que Dieu est insaisissable par l'intellect, tout comme ses œuvres ; et que nous ne devons pas chercher à comprendre ou travailler dans l'esprit ce qui est caché et qui se trouve au-delà de ce qui nous est permis. Leur compréhension nous est inaccessible et non maîtrisable, du fait que ne nous sommes que des hommes, et sera sans succès.

75 De mortuis non esse dolendum, éd. G. Heil, dans Gregorii Nysseni Opera omnia, IX.1, Leyde, 1968, p. 45.

76 V. Nicolaïdou-Kyrianidou, O apôpX^TOç Kai o 0£Opp6pXriToç. noXiHK" avayvroari thj AKoXo-oeiaç tov opavoù, Athènes, 1999, p. 187 sqq., avec la bibliographie antérieure.

77 Interpretatio in xiv epistulas sancti Pauli, dans Migne, P. G. 82, col. 613. Le motif remonte a Philon d'Alexandrie, De confusione linguarum, 138 (éd. Wendland) ou même De posteritate Caini, 16 : KatalaPeîv ôti aKatâlrptoç ô Kat to eîvai 0eoç (éd. Wendland).

78 Sacra parallela, dans Migne, P. G. 96, col. 536.

Enfin, de son côté, au xie siècle Michel Psellos affirme :

'o èpî pàvxmv 9eôç, ôç 8-q kod pœrqp rnvômaaxai, «karalrptov éauxôv poieî.79 Dieu de tous, qui est appelé Père, rend soi-même non saisissable par l'intellect.

Il devient ainsi clair que l'amour pour Dieu doit l'emporter sur la connaissance et sur la conviction issue de la raison.80

Aussi bien le droit que l'administration doivent donc se servir de ce motif, au bénéfice de la propagande impériale. Inaccessible par la plupart des gens, ni même par la majorité des lettrés, le latin doit assurer un prestige aux institutions et au pouvoir, à l'appui du consensus nécessaire à leur validité. À Byzance, le latin n'est pas compris. Selon cette logique le latin ne devait pas être compris. Les très rares exceptions que nous connaissons dans l'histoire de la culture byzantine ne contredisent pas cette constatation ; entendons par cela quelques lettrés qui traduisent du latin : Maxime Planude,81 Manuel Holobolos,82 les deux frères Cydonès.83 Nous avons déjà

79 Michel Psellos, trôv %aA,8aïKrôv prtrôv (éd. O'Meara), Michaelis Pselli philosophica minora, Leipzig 1988, p. 141. Cette liste est indicative.

80 Voir, par exemple, Nicolaïdou-Kyrianidou, O apôpXritoç mi o GEoftpôpXritoç, op. cit., p. 74 sqq. avec des renvois aux sources.

81 Qui a traduit du latin, entre autres, l'Énéide et les Héroïnes d'Ovide, le De Trinitate d'Augustin etc. Sur ses traductions du latin, lire la préface dans l'édition du texte : A-oyo-ootivo-o nepi TpiàSoç pipxia pevtEKaiSEKa anep ek trj Aativrov SiaXÉKtov eîç trçv 'EXVvrov iiEt'veyKE MàÇi|ioç o nXavovSrç (éd. M. Papathomopoulos / I. Tsavari / G. Ri-gotti), i, Athènes, 1995, p. xxxiv sqq. ['AKa8r|iia 'AGrvrôv. Bipiio0"Kr 'A. Mavcmari. 3] et, plus récemment, ^Avvitio-o MaXXiov EePrpivov BorSoû BipXoç pepi papa|V0iaç trj çiXoooçiaç, lETÉçpaoE MàÇi|ioç |iova%ôç o nXavovSrç (éd. M. Papathomopoulos), Athènes, Paris, Bruxelles, 1999 [Corpus Philosophorum Graecorum Medii Aevi. 9]. Enfin,

E. A. Fisher, «Planoudes, Holobolos, ad the Motivation for Translation», Greek, Roman and Byzantine Studies, 43, 2002/3, p. 77—104.

82 Auteur d'une traduction du De topicis differentiis, de Boëce, œuvre dont une autre tarduction nous est parvenue par la plume de Prochoros Cydonès. Toutes les deux sont éditées dans D. Z. Nikitas, Boethius, De topicis differentiis Kai oi p-oÇavuvèç iiEtaçpàoEiç trôv Mavo-orçA, 'OXoprôXov Kai npo%opo-o KviSrôvri, Athènes, Paris, Bruxelles, 1990 [Corpus Philosophorum Graecorum Medii Aevi. 5]. À ce sujet, Fisher, loc. cit.,passim.

83 Auteurs de la traduction grecque (XIVe siècle) de la Somme theologique et de la Somme contre les gentils de Thomas d'Aquin, et de quelques autres écrits latins. À ce sujet voir, en dernier lieu, Chr. Maltezou, «Diversitas linguae», npaKtiK toû B' AiE0voî>ç Ev|pooiov 'H èpiKoivrovia atô BvÇàvtio. op. cit., p. 93 sqq. et sur Démértios Cydonès : P. Gounaridis, «Eftiloyéç |miaç koivmvik"ç o|m68aç (14oç airôvaç)», in Chr. Angelidi (éd.), To BvÇàvtio rôpi|io yia aXXayiq, loc. cit, p. 177 sqq. L'édition critique d'une partie de cette traduction de la Somme théologique paraît sous la direction d'E. Moutsopoulos : Arirtpiov KviSrôvr, ©<B|iâ ^AK^ivatov : £oî>|x|xa ©EoXoyiK^ ÈÇEXXrvioGEÎoa, t. II,15, éd. G. Leontsinis / A. Glycophrydou-Leontsini, Athènes, 1976 , t. II, 16, éd. Ph. Dimitrakopoulos, Athènes, 1979 et t. II.17, éd. Ph. Dimitrakopoulos / M. Brentanou, Athènes, 1980 [Corpus Philosophorum Graecorum Recentirum]. Sur la polémique théologique autour de ces traductions, voir

F. Tinnefeld, «Intelelctuals in Late Byzantine Thessalonike», Dumbarton Oaks Papers, 57, 2003, 153—172, et en particulier p. 156 etn. 17.

84 Supra, p. 000 et n. 47.

dit que Constantin Harménopoulos ignorait en réalité le latin.84 Tout cela ne vaut que pour les langues attachées à une idéologie, soit le latin pour l'idéologie politique, laquelle exprime un retour à la légitimité romaine, ou même le grec atticisant à l'extrême au service de l'authenticité doctrinale et de la vérité ecclésiastique.

iii

Dans cet esprit, je vais terminer par un récit aussi insolite qu'intéressant. Il s'agit d'un extrait de la version B de la Vie de sainte Écaterine,85 emprunté dans un petit livre introuvable, édité en 1897. Sans trop insister ici sur des détails, je rappelle que ce récit donne la version christianisée d'une fable que l'on connaît aussi par Les mille et une nuits : la légende de Tawaddoud, la docte esclave, réputée pour son talent unique de narrateur, voire de rhéteur, comme l'a montré mon regretté maître José Grosdidier de Matons.86 Donc, Sainte Catherine combattra et vaincra tous les orateurs païens, que l'empereur infidèle avait invités ad hoc pour lui montrer que celui que les chrétiens adorent n'était pas le vrai Dieu. Dans la version B de la passion, son rédacteur87 se sert à l'extrême de cette rhétorique du discours incompréhensible. Son écrit est un récit utile à l'âme, une 8i"yhsiç yu%wf£l"ç, pleine de miracles et des merveilles surnaturels. Son public est composé de gens qui doivent admirer et croire, précisément puisqu'ils ne peuvent pas comprendre le discours. Les arguments ne comptent pas. La conviction ne viendra que par le sentiment. Pour «prouver», donc, le savoir et la supériorité rhétorique de la docte vierge Catherine, le rédacteur place dans sa bouche des mots calqués sur le grec qui n'ont jamais existé.

Deux mots sur l'extrait avant de vous en donner lecture:88 précède le discours introductif de la sainte, rédigé en grec clair. Il termine par ces termes, annonçant ce qui va suivre dans son argument:

(...) Km, met toàio 1éi;ffl coi t-v àv9ô|moiov lé^iv toà Xpiatoà mou t-v ËKXE0EÎaav irn KÔamj eïç Çwr|v airnviov.

Et après ceci, je te dirai le mot de mon Christ, mot qui n'a rien de semblable, lequel a été exposé au monde en vue de la vie éternelle.

En effet, l'argument de la Sainte surprendra l'helléniste, car il est prononcé dans un grec fictif destiné à être inintelligible. Je reproduis fidèlement l'édition de J. Viteaux, qui précise copier ce qu'il lisait dans les manuscrits (sans accents, ni esprits) :

85 F. Halkin, Bibliotheca Hagiographica Graeca, loc. cit., no 30a.

86 J. Grosdidier de Matons, «Un hymne inédit à sainte Catherine d'Alexandrie», Travaux et Mémoires, 8, 1981 = Hommage à M. Paul Lemerle, p. 187—207.

87 Ou Anastase le tachygraphe, mentionné dans le colophon du texte.

88 D'après le Parisinus gr. 1538, du Xe siècle, tel qu'il a été reproduit dans J. Viteau, Passions des saints Écaterine et Pierre d'Alexandrie, Barbara et Anysia, Paris, 1897, p. 31. L'éditeur y donne aussi le même passage d'après le Parisinus gr. 1539, du XIe siècle, et le Vaticanus gr. 866 ; comme il n'y a pas de différences de fond, je n'ai pas cru nécessaire de les reprendre ici.

a1ki|movotatfflç apupmiyiliotpuptfflç akteofopwç katoptpiÇo|Eva apEpE|mvuwç Xpuaoaka1kia|mov apoku1ia|ma imavSpagopEatikov aktewtatov aktivoppu|mvo1ukiov ev gepaalivovov lektpofaveç |mavSpagopov aktoupoSapr opup|j.iggr1iov polukuSov lEktuofaveç ppu|mvoSapEj gEpgEaEW|ia |map|iapoapup|iiggr1oSapr kai Çofor-iioeiseç kataSpomr Paivovtwv koufoiç ptepu^iv ev aepoPaSr tpiPw a1ki|iffltatfflç puÇrSov apofoitwvtwv Ekpeptavtai kpuotatrj laupoEiSwç Ekfuaouarç ev kepauvoij SEvSpeaiv aafwç apogalaktouvtai klaSoi kai avSpwv apoPouvtai teucr opupmiyyrliwtatmç Eklektwv tpupaviakwv pa|j.fo1igEç |mEgE0oç |EtEmpmv uyw|matfflv ev aPatw te^vr kpE|ma|iEvfflv aopatwç 9E|iEliouvtai kprivoeiSej to ESpaa|mati SialElu|Evmv apo caouç |iEgiatou |mupioSapr ie^ei ev aglao kEvwmati aafwç apup|miggr1iou|j.Eva pEl|matiÇovtai gEpgEvo|Eva |mEtEwpov aigieie afoSpa pwç EUmxou|Eva apopleouaiv aepoPaSr uyw|mata pElayia|mata apgypoSapr ap1w|mata pupoEiSeatata ap|mata Seapeaia 0au|mata poikiloSapr EkfEggia|mata aafwç glufevta..

Alors que la suite du discours est en un grec clair :

Kai tiç о taàta topvEÛaaç; èpigvwtE luaifpoveç, àvôrtoi, pEpmpm|Évoi. Ti Sialé^ffl aoi p'top ; etc.

Et qui est-ce qui a forgé tout cela ? Reconnaissez inconscients, insensés, aveuglés. Que te dirais-je, rhéteur ?

Certes, ce passage sans précédent doit tirer son inspiration de l'extrait de saint Paul, qui dit au sujet d'un homme en Christ qu'il avait connu : ^ppagr eîç tov papâSeiaov kai ^kouoev apprta p"|ata § oùk è^ov àvQprapra lalfloai.89

* * *

Dans ce texte, le terme par lequel est qualifiée la docte et sage Catherine, un hapax pour ce sens, est inspiré du vocabulaire latin. Pour la traiter de sapientissima90 ou de orator doctissima91 le redacteur de la version B utilise l'adjectif Pipyllioç, dont la variante de la version A est éKPipyllioç. Le même qualificatif, dans ce texte désigne, également Homère (Toàto toà imeylotou 'O|m"pou PipyiHou rcpôtov KEfdlaiov) et Aristote (toà rcoiuKÛSou PipyiHou 'Apiototelouç.92 Bien qu'il soit unique, ce sens du terme semble attribuer, aux yeux des Byzantins, un ton prestigieux au latin, cette langue qu'ils ne comprenaient plus. Il n'est pas, d'ailleurs, sans importance de noter ici que la fabrication de mots monstrueux est attestée aussi dans le sens inverse: quand ils doivent servir au désenchantement, voire à l'Entmythologisierung d'une situation ou d'une personne, les mots monstres sont composés en grec parlé, et pour bien fonctionner leur sens doit

89II Cor. 12.2-4.

90 D'après V. Peri, «Bipyilioç = sapientissimus. Riflessi culturali latino-greci nell'agiografia bizantina», Italia medioevale e umanistica, 19, 1976, p. 1—40.

91 D'après la leçon des manuscrits P et R (cf. l'apparat critique de la p. 31 chez J. Viteau), où Pipyilioç figure comme varia lectio synonyme de p"trop. Voir aussi Peri, «Bip yilioç = sapientissimus», p. 23—25.

92 J. Viteau, loc. cit., § 11, p. 30.

être absolument compréhensible. Voici quelques exemples pris dans la célèbre Liturgie de Spanos, ou Messe de l'imberbe :

— «àvaxesomoûoouSoç»,93 mot approximativement traduisible en français mais tout à fait clair en grec: «celui dont le museau a été chié à plusieurs reprises»,

— «àvaxE°ofoaopopSa1"9pa»,94 que l'on pourrait rendre en français comme «la partie du corps qui chie et provoque des courants et des émanations de pets à plusieurs reprises».

— «èvTepoKapSioaUKWTofléyimova»,95 inventé pour désigner en un seul mot: «tripes-cœur-foie-entrailles».

Mais, nous connaissons maintenant que ce discours visait à rendre clair aux masses que le défaut physique, le manque de barbe, du protagoniste Spanos, devait dissuader les ambitions d'un personnage notable connu de tous à l'époque (même s'il est resté anonyme pour nous),96 peut-être ses prétentions à la revendication par lui du pouvoir impérial.97 Pour faire passer

ce message, la clarté du discours était donc une condition sine qua non.

* * *

Pour conclure, en termes de continuité et de rupture : dans ce domaine, certes le latin ne parvient pas à gêner la continuité du grec, néanmoins il

93 Spanos (éd. H. Eideneier), D 208, D 557, D 725, A 54. Voir aussi les commentaire de l'éditeur du texte : Spanos. Eine byzantinische Satire in der Form einer Parodie.. Einleitung, kritischer Text, Kommentar und Glossar besorgt von H. Eideneier, Berlin — New York, 1977, p. 282.

94 Spanos, D 629, D 677, D 1590 et alibi. Une variante : àva%£aofuaa11iSopopSa1iatpia : B 46, B 85.

95 Spanos, A 503. Une variante : èyKapSioaUKrotopléyimova, B 178, cf. le commentaire d'Eideneier, p. 293, s. v.

96 Nicolaïdou-Kyrianidou, O apoßX^Tog Kai o 0£Opp6ßX^Tog, loc. cit., p. 333 sqq., et Eadem, «Le corps humain monstrueux comme allégorie du mauvais gouvernement: la politique et la barbe dans l'Acoluthie de Spanos byzantine», dans L'Allégorie de l'Antiquité à la Renaissance, éd. B.Pérez / P. Lojkine, Paris, 2003, p. 437—471. Au sujet de ce texte voir aussi E. Zachariadou, «H Ako1ou0ia tou Epavoir oâtipa Katâ tou lativiKoù kV'pou», in S. Kaklamanis et alii, ^Ev0i>|X"naiç NiKoXâov M. navayiroxaK^, Héraklion, 2000, p. 257—268.

97 Nicolaïdou-Kyrianidou, O ap6ßX^Tog Kai o 0£opp6ßX^Tog, ibid.

persiste, grâce aux constructions idéologiques, et c'est ainsi qu'il prend sa revanche. Au lieu de la ruse de la raison, on pourrait ici parler de la ruse du latin par le pouvoir et le charme du discours incompréhensible.

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