УДК 82-991Л DE L'ESPRIT DES LOIS et le débat
8БзБК(84Ф.3р(а2)Р5ос=Рус)51 + autour du despotisme en russie
© 2017 г. Е.Н. Васильева
Санкт-Петербургский государственный университет, Санкт-Петербург, Россия Дата поступления статьи: 12 августа 2017 г. Дата публикации: 25 декабря 2017 г. DOI: 10.22455/2500-4247-2017-2-4-64-81
Аннотация: Судьба трактата Ш.-Л. Монтескье «О духе законов» в России во второй половине XVIII в. являет собой образец парадоксального восприятия идей французского просветителя, которые одновременно выступают предметом подражания и полемики. Истоки полемических тенденций коренятся в неблагоприятном образе России, представленной писателем как страна деспотизма и рабства. Идеи, изложенные в трактате, дают различным авторам в России материал для собственных размышлений о стране и, прежде всего, о проблеме свободы и равенства. В статье предлагается попытка наметить пути зарождения этой темы в политической литературе на примере отдельных сочинений Ф.-Г. Штрубе де Пирмона, Екатерины II и князя М.М. Щербатова. На рассмотрение вынесен ряд взаимозависимых текстов, что позволяет говорить о своеобразной литературной полемике. Утверждается, что каждый автор развивает собственную стратегию письма в соответствии с его специфическим положением и писательской интенцией. На основании сопоставительного анализа делаются выводы о следующих тенденциях: 1) книга Штрубе де Пирмона является классическим литературным опровержением, написанным с целью реабилитировать скомпрометированный автором «Духа законов» образ России; 2) для князя Щербатова высказывания Монтескье о России выступают условной точкой отсчета для глубокого и независимого анализа существующих явлений и процессов российской действительности; 3) двойственное положение Екатерины II — как частного лица и монарха — является наиболее уязвимым, чем определяется необходимость адаптировать свою мысль в зависимости от выполняемой роли.
Ключевые слова: Монтескье, Россия, деспотизм, рабство, полемика, Штрубе де Пирмон, Екатерина II, Щербатов.
Информация об авторе: Екатерина Николаевна Васильева — кандидат филологических наук, ассистент кафедры истории зарубежных литератур филологического факультета, Санкт-Петербургский государственный университет, Университетская наб., д. 11, 199034 г. Санкт-Петербург, Россия.
E-mail: [email protected]
THE SPIRIT OF LAWS and the debate about russian despotism
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© 2017. E.N. Vasilyeva
Saint-Petersburg State University,
Saint-Petersburg, Russia
Received: August 12, 2017.
Date of publication: December 25, 2017
Abstract: The fate of The Spirit of Laws by Ch.-L. Montesquieu in Russia in the second half of the 18th century is an example of ambiguous reception that the French enlightener and his ideas received at that time prompting both imitation and polemics. The origin of these controversies is in the unfavorable image of Russia that Montesquieu represented as a country of despotism and slavery. The ideas developed in the treatise incited various Russian authors to nourish their own thinking about the country, especially concerning such problems as liberty and equality. The article attempts to trace the emergence of this debate in political literature, including the works by F.-H. Strube de Piermont, Catherine II, and Prince M.M. Shcherbatov. Since the examined texts are interdependent, it allows me to speak of the literary polemics of a kind. It is argued that each author develops her own writing strategy in accordance with her specific position in society and intention. A comparative analysis shows the following tendencies. (1) The book by Strube de Piermont is a typical literary refutation intended to rehabilitate Russia's reputation compromised by the author of The Spirit of Laws. (2) Prince Shcherbatov uses Montesquieu's statements about Russia as a reference point for his own deep and original study of the phenomena and processes that existed in Russia. (3) The ambiguous position of Catherine II as both a private person and a monarch is the most vulnerable of the three and forces her to adapt her ideas to this peculiar role.
Keywords: Montesquieu, Russia, despotism, slavery, polemic, Strube de Piermont, Catherine II, Shcherbatov.
Information about the author: Ekaterina N. Vasilyeva, PhD in Philology, Lecturer, Philology Department, Saint-Petersburg State University, 11 Universitetskaya Emb., 199034 Saint-Petersburg, Russia.
E-mail: [email protected]
L'œuvre de Charles-Louis de Montesquieu est bien connue en Russie dès la seconde moitié du XVIIIe siècle. C'est à cette époque que de nombreuses traductions des ouvrages du philosophe deviennent accessibles au public russe [5; 6; 13]. Après avoir proposé à leurs lecteurs des traductions de Considérations sur les Romains et d'ouvrages moins connus, parmi lesquels Lysimaque, Le Dialogue de Sylla et d'Eucrate, et L'Essai sur le goût, les auteurs russes s'attèlent à la traduction des œuvres majeures de l'écrivain. La première version russe de L'esprit des lois, quoique incomplète (cette édition ne comprend que douze des trente et un livres du traité), voit ainsi le jour en 1775. De même, des fragments des Lettres persanes font leur apparition dans divers périodiques russes bien avant la publication de la traduction complète du roman, en 1789. En même temps, de nombreuses traductions demeurent inédites. Parmi ces manuscrits restés inaccessibles au grand public citons, par exemple, la traduction inachevée de L'esprit des lois réalisée par Alexandre Pavlov, chambellan du régiment Izmaïlovski de la Garde, et la traduction complète des Considérations sur les Romains, de la main du prince Mikhaïl Chtcherbatov, toutes deux conservées par le Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de Russie, à Saint-Pétersbourg. D'autres manuscrits semblent avoir été perdus, puisqu'il n'en reste, à présent, aucune trace, mis à part quelques brefs témoignages des contemporains. L'abbé Guasco, auteur de La vie d'Antiochus Cantemir (1749), mentionne en effet les Lettres persanes parmi les ouvrages que le prince Kantemir1 aurait traduit en russe, sans que les papiers de
1 Le poète Antiokh Dmitrievitch Kantemir (1709-1744) fut ambassadeur de Russie à Londres
(1731-1738) et à Paris (1738-1744). La transcription traditionnelle de son nom est «Kantemir»,
mais il signait ses papiers sous le nom francisé de «Cantemir».
ce dernier ne puissent en attester. Plus tard, Nikolaï Novikov, auteur du célèbre Essai de dictionnaire historique des écrivains russes (1772), évoque une traduction réussie de L'esprit des lois réalisée par Alexeï Miatlev, sous-lieutenant de la Garde en retraite, cette traduction qui, selon le mot de Novikov, «fait honneur à son auteur» [4, p. 328] n'a pu être, jusqu'à présent, retrouvée ou identifiée.
Certes, les traductions en disent long sur la réception favorable de l'œuvre de Montesquieu en Russie. Elles sont autant de preuves d'un intérêt marqué des auteurs russes pour les idées du philosophe, et de l'importance qu'ils attachent à la propagation de son œuvre en Russie, malgré le poids de la censure. Celle-ci est, en effet, à l'origine de nombreuses coupures ou de contresens typiques dans la quasi-totalité des traductions russes de Montesquieu de l'époque. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les thèses de la théorie politique de Montesquieu semblaient encore trop audacieuses. Selon Nadezda Plavinskaia, ce n'est qu'à partir du XIXe siècle qu'il devient possible de soulever de vrais débats autour de ces idées, avec l'apparition des sociétés secrètes [14].
Sans doute saluée par les milieux savants russes, l'œuvre de Montesquieu n'en suscite pas moins de vives réactions critiques, dont témoignent divers écrits de l'époque dispersés dans les bibliothèques et les archives de Russie. Certaines idées de Montesquieu ont une forte résonance auprès des intellectuels russes, laquelle se fait encore entendre des années après la publication de L'esprit des lois. Les origines de ces controverses résident dans l'image désavantageuse que le philosophe donne de la Russie, présentée comme un pays de despotisme et de servage. En effet, avancées par un des maîtres-penseurs des Lumières, ces idées risquent de nuire au prestige du pays, qui ambitionne de jouer un rôle important sur la scène politique du continent européen, et dont les souverains se veulent des monarques éclairés.
La lecture de L'esprit des lois pousse certains auteurs, tant russes qu'étrangers, à nourrir leur propre réflexion sur la Russie. S'inspirant des idées de Montesquieu, ils s'interrogent principalement sur le problème de la liberté et de l'égalité des hommes en Russie. Ces auteurs se retrouveront donc à l'origine du débat qui secouera la société russe suite à la Révolution française. Ils en arrivent à des conclusions souvent opposées, suscitant entre eux des commentaires critiques. Bien qu'il ne s'agisse pas d'une polémique ouverte, nous avons affaire à un ensemble de textes qui se font écho. Sans prétendre en donner une analyse complète, nous nous contenterons d'esquisser ce débat naissant autour de la question
du despotisme et de l'esclavage en Russie à partir de quelques écrits de Frédéric Henri Strube de Piermont, de l'impératrice Catherine II et du prince Mikhaïl Mikhaïlovich Chtcherbatov. Le choix de ces trois auteurs, auxquels nous limiteront notre propos, n'est pas du tout arbitraire, bien qu'il n'eût pas, a priori, semblé évident de confronter les réflexions d'un Académicien russe d'origine allemande, de l'impératrice de Russie, elle aussi d'origine étrangère, et d'un descendant de la vieille aristocratie russe, grand connaisseur de l'histoire de la Russie et fervent détracteur du pouvoir officiel. Cette approche permet, en effet, de montrer que chacun de ces auteurs développe sa propre stratégie d'écriture, en fonction de sa situation et de son intention finale.
L'intérêt de Frédéric Henri Strube de Piermont2 pour l'œuvre de Montesquieu et notamment pour l'image de la Russie s'annonce déjà dans les années 1750, à l'époque où il travaille sur son Discours sur l'origine et les changements des lois rus-siennes. Lu devant l'Assemblée publique de l'Académie impériale des Sciences le 6 septembre 1756, cet ouvrage est d'autant plus remarquable que l'auteur, selon sa propre formule métaphorique, «ose s'exposer sur une mer qui n'a été vûe (sic) que de loin, et où personne ne s'est encore avisé de naviguer» [16, p. 3]. En effet, Stru-be de Piermont se réfère à Montesquieu et à d'autres illustres auteurs étrangers ayant parlé des lois de cet empire pour montrer, indigné, leur étonnante ignorance en la matière. Il rapporte, à titre d'exemple, un extrait du chapitre 14 du livre XXII de L'esprit des lois dans lequel Montesquieu condamne les lois russes qui empêcheraient, selon lui, l'établissement du commerce en Russie: «Tous les sujets de l'empire, comme des esclaves, n'en peuvent sortir, ni faire sortir leurs biens, sans permission. Le change, qui donne le moyen de transporter l'argent d'un pays à un autre, est donc contradictoire aux lois de Moscovie. Le commerce même contredit ses lois» [12, p. 93]. Or, pour Strube de Piermont, «rien n'est moins conforme à la vérité, et on voit que ce savant s'étoit donné bien peu de peine pour s'instruire du commerce et des lois de ce pays» [16, p. 2]. Si Strube de Piermont s'empresse d'apporter un démenti aux propos de Montesquieu, c'est que, dans L'esprit des lois, un État qui évite le développement du commerce est jugé despotique. Dans la
2 Frédéric Henri Strube de Piermont (1704 — circ. 1790) débute sa carrière en Russie sous le règne d'Anna Ioannovna. En 1738, il est nommé professeur de jurisprudence et de politique à l'Académie impériale des Sciences, dont il est renvoyé en septembre 1757. En 1754, sous le règne d'Elisabeth Petrovna, il est appelé à participer à la rédaction d'un nouveau code de lois. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages savants: Recherche nouvelle de l'origine et desfondements du droit de la nature (1740) et Dissertation sur les anciens Russes (1785), entre autres.
hiérarchisation des formes de gouvernement établie par Montesquieu, la Russie est en effet classée parmi les États despotiques.
Strube de Piermont, qui doit le succès de sa carrière à sa patrie d'adoption, rejette vigoureusement l'idée de tout despotisme en Russie, ce qui l'amène à publier, en 1760, les Lettres russiennes dirigées contre L'esprit des lois de Montesquieu. À en croire l'éditeur, qui est, sans doute, Strube de Piermont lui-même, l'auteur «a fait voir les inexactitudes, les paralogismes et les variations, qui sont échappées à ce grand Homme, plus attentif, ce semble, à la bonté de la cause, qu'il s'étoit proposé de soûtenir (sic)» [17, p. 6]. Autrement dit, Strube de Piermont entend corriger les erreurs de Montesquieu, qui aurait donné une vision peu conforme des lois et du gouvernement russes, faute de documentation sérieuse sur le pays, dont il n'a de surcroît jamais franchi les frontières. L'auteur des Lettres russiennes accuse ainsi Montesquieu de fonder son jugement sur la Russie sur des témoignages principalement tirés de récits de voyage, c'est-à-dire sur des sources non scientifiques. Par exemple, lorsque Montesquieu reproche aux Russes de n'avoir aucune expression pour rendre le mot «honneur», il ne fait pas mystère d'avoir puisé ce renseignement dans L'État présent de la Grande Russie ou Moscovie de John Perry. Sans nier l'indubitable mérite de cet ouvrage, qui constitue une des principales sources de connaissances sur la Russie du début du XVIIIe siècle [9], Strube de Piermont remet en cause l'exactitude des informations contenues dans ce livre publié au lendemain de la visite du tsar Pierre Ier à Paris, en mai 1717, ce qui expliquerait son succès immédiat en Europe. Ainsi, selon Strube de Piermont, «le S. Perry que l'A. cite, a fait assez connaître par la manière dont il a estropié quelques mots Russiens, qu'il rapporte dans son ouvrage, qu'il ignoroit cette langue, et ne méritoit pas d'être cru sur ce qui la regarde» [17, p. 151].
Il reproche également à Montesquieu d'avoir confondu ces différentes manières de gouverner que sont le véritable despotisme, la monarchie absolue, l'État tyrannique, et ce qu'il appelle gouvernement «barbare ou irrégulier». Cette confusion serait à la source même de l'erreur commise par Montesquieu lorsqu'il taxe les souverains russes de despotes, le gouvernement de Russie n'étant pas, d'après le mot de Strube de Piermont, «un gouvernement despotique proprement dit», mais une monarchie. Il fait de cet argument l'idée principale de son ouvrage, auquel il donne pour titre Lettres russiennes, sans doute sur le modèle des Lettres persanes de Montesquieu. C'est précisément en ces termes que, sous couvert de lettres, l'auteur définit le véritable objet de son livre: «Je me bornerai à prouver
que l'Empire, pour qui j'ai pris la plume, a été de tous tems (sic) une véritable Monarchie» [17, p. 194].
À peine publié, le livre attire l'attention de Catherine Alexeevna, future impératrice Catherine II. Dans la marge de son exemplaire des Lettres russiennes3, elle fait des notes en français, qui témoignent d'un profond mépris que suscite en elle le livre, écrit d'ailleurs dans la seule intention de défendre la cause du gouvernement russe. Le nom de l'auteur lui étant sans doute inconnu, elle le taxe de «réfuteur» médiocre pour avoir osé critiquer cet illustre philosophe qu'est Montesquieu, un de ses auteurs préférés. Les propos de Strube de Piermont, qui définit le gouvernement russe comme «une véritable monarchie» et non «un gouvernement despotique proprement dit», entrent en contradiction avec l'idée que s'en fait la grande duchesse Catherine Alexeevna. Dans son exemplaire du livre, on trouve cette brève remarque déplorant l'ambiguïté terminologique introduite par l'auteur: «Monsieur dispute pour le nom, non pour la chose» [17, p. 197]. De la sorte, elle ne fait que soutenir la thèse de Montesquieu selon laquelle l'actuel gouvernement russe est de nature despotique. De même, Catherine Alexeevna se montre solidaire du philosophe qui établit un lien direct entre la forme du gouvernement et les dimensions du territoire. Selon l'auteur de L'esprit des lois, le vaste territoire occupé par l'Empire de Russie est cette «raison particulière» qui impose le despotisme et rend impossible toute autre forme de gouvernement.
Dès son accession au trône en 1762, la notion de despotisme lui pèse toutefois autant qu'à Strube de Piermont, qu'elle avait autrefois baptisé de «réfu-teur». Ainsi, dans son fameux Nakaz (1767), destiné autant à l'usage intérieur (comme une sorte de guide pour la mise en place d'un gouvernement sage) qu'à l'usage extérieur (c'est-à-dire pour la distribution en Europe dans le but de confirmer l'image de Catherine II comme monarque éclairé), l'auteur cherche manifestement à éviter l'emploi du mot «despotisme». Le gouvernement russe est ainsi décrit comme autocratique. L'idée que la forme du gouvernement dépend des dimensions du territoire, formulée dans la marge des Lettres russiennes, revient, quoique légèrement défigurée, sur les pages du Nakaz, et ce changement ne semble pas être tout à fait anodin: «Un vaste État suppose le pouvoir autocratique dans celui qui gouverne. Il est indispensable que la rapidité avec laquelle
3 L'exemplaire des Lettres russiennes contenant les notes marginales de Catherine II a été
découvert parmi les papiers de l'impératrice au début du XXe siècle. Il est actuellement conservé
par la Bibliothèque nationale de Russie.
les tâches sont accomplies récompense le retard causé par la distance» [3, p. 3]. Plus loin, Catherine II persiste à parler du pouvoir autocratique en des termes utilisés par Montesquieu pour décrire le pouvoir monarchique en faussant ainsi les rapports établis par l'auteur de L'esprit des lois. En effet, sans cacher son admiration pour cet ouvrage qui lui sert de référence, Catherine II ne se contente pas d'en donner un simple résumé. Malgré son attachement sincère aux idéaux des Lumières, l'impératrice se voit contrainte d'adapter, en quelque sorte, ceux-ci aux conditions particulières de la réalité russe de l'époque. D'où de nombreuses coupures, omissions, transformations et autres exemples typiques de déviation consciente des idées de Montesquieu qui caractérisent le Nakaz.
La licence avec laquelle Catherine II jongle avec les idées de Montesquieu fait l'objet d'une minutieuse analyse critique de Mikhaïl Mikhaïlovitch Chtcher-batov4 , ancien membre de la Commission pour l'élaboration du projet d'un nouveau code de lois. Grand admirateur de Montesquieu et fervent détracteur de la politique de l'impératrice, le prince Chtcherbatov est, en effet, un des premiers à s'être intéressé au problème de cohérence entre le texte de L'esprit des lois et celui du Nakaz. En 1773, il travaille sur ses Observations sur le Nakaz, dans lesquelles il se contente de restituer les emprunts faits par Catherine II à Montesquieu, délaissant ceux faits à d'autres ouvrages, par exemple au Traité des délits et des peines de Beccaria, autre source importante du Nakaz qui est cependant mentionnée dans les Observations. Il se propose également de donner son avis personnel sur le gouvernement actuel de Russie.
À la différence de Strube de Piermont et de Catherine II, Chtcherbatov, qui ne destine pas son œuvre à la publication [11], n'hésite pas à parler du «pouvoir absolu des souverains russes», et ne cherche pas à substituer au mot «despotisme» d'autres expressions plus neutres. Quant au «pouvoir autocratique» de Catherine II, il lui semble à peine différent du despotisme proprement dit. Chtcherba-tov reproche notamment à Catherine II l'ambiguïté des termes et des concepts
4 Mikhaïl Mikhaïlovitch Chtcherbatov (1733-1790), fut un homme d'État et un historien.
En 1767, il participe à la Commission pour l'élaboration du projet d'un nouveau code de lois, où
il se montre un fervent défenseur des privilèges de la noblesse. En 1768, il est invité à classer les
papiers du cabinet de Pierre le Grand. En même temps, il est un des premiers historiens russes à
avoir obtenu l'autorisation de travailler sur les documents anciens conservés dans les archives.
Il s'appuiera beaucoup sur ces documents dans son ouvrage intitulé L'Histoire de la Russie, où il
décrit, en quinze livres, des événements historiques survenus depuis les temps anciens jusqu'à 1610.
Il est également l'auteur de nombreux essais politiques, philosophiques et économiques.
employés, ambiguïté sur laquelle celle-ci fondait autrefois sa critique de Strube de Piermont. Chtcherbatov se montre très hostile à toute forme de gouvernement absolu, qu'il apparaisse sous les termes de «despotisme» ou d'«autocratie», et rejette les raisons avancées par Catherine II pour justifier l'implantation de ce type de gouvernement en Russie. Disciple de cet «homme plein de sagesse», de cet «oracle de la politique et de la science de la législation», Chtcherbatov doute néanmoins que l'étendue du territoire puisse tenir lieu d'argument en faveur du despotisme: «Qu'un grand État exige nécessairement le pouvoir absolu est un problème qui nécessite une réflexion» [7, p. 21]. Pour étayer sa démonstration, il prend l'exemple du vaste Empire romain qui, sans être un gouvernement despotique, «non seulement gouvernait les pays éloignés et contribuait à la paix et la tranquillité des peuples nouvellement conquis, mais aussi agrandissait quotidiennement son territoire» [7, p. 22]. Chtcherbatov qui avait déjà manifesté son intérêt pour la Rome antique en traduisant Les Considérations sur les Romains de Montesquieu, ne choisit pas cette référence de façon tout à fait innocente. En effet, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la Rome antique fait souvent l'objet d'une comparaison avec la Russie5. D'une part, l'avènement de la Russie post-pé-trovienne est comparé à celui de l'Empire romain. D'autre part, Rome, symbole de la puissance et de la gloire, est aussi un exemple remarquable de pouvoir tyran-nique sans merci. D'où la question si le despotisme des souverains russes n'entraînera pas la destruction de l'empire, tout comme celui des souverains romains fut à l'origine de la perte de Rome.
À la différence des autres pays despotiques, il est impossible, selon Montesquieu, d'expliquer le despotisme en Russie par sa situation géographique, au nord de l'Europe. En effet, les peuples du Nord manifestant un penchant naturel pour la liberté, le despotisme semble s'y imposer comme un phénomène étranger
5 À titre d'exemple, citons Antonio Nunes Ribeiro Sanches, médecin et intellectuel portugais au service de la Russie de 1731 à 1747. Dans un mémoire de 1771 rédigé à l'intention du général Ivan Ivanovitch Betskoï, Sanches écrit: «Comparons présentement la puissance militaire de Russie formée par Pierre le Grand, et qui continue de nos jours, non seulement avec l'éclat avec lequel elle a été admirée alors, mais qui surpasse en conquêtes, et en victoires tout ce que l'histoire nous a fourni depuis longtemps, comparons cette puissance militaire avec la Romaine, et tachons de voir dans l'avenir si la première pourra se soutenir pendant si longtemps, comme la seconde avec l'éclat que nous venons de remarquer» (Les fragments du mémoire sont publiés dans: Georges Dulac et Sergueï Karp [éd.], Les archives de l'Est et la France des Lumières: guide des archives et inédits. Ferney-Voltaire, Centre international d'étude du XVIIIe siècle, 2007, 2 vol., 870 p.).
à la nature du climat. Son implantation en Russie ne relèverait donc pas de l'effet du climat, mais de facteurs extérieurs, tels que les invasions tartares ou l'influence des peuples voisins.
L'idée d'une appartenance historique de la Russie au continent européen, reçue avec beaucoup d'enthousiasme par Catherine II, qui en fait d'ailleurs l'idée maîtresse de son Nakaz, est un grand point de désaccord entre Montesquieu et Chtcherbatov. Aux yeux de ce dernier, il est complètement faux de parler de la Russie comme d'un pays européen «car beaucoup de ses contrées se trouvent en Asie» [7, p. 18]. Ainsi, lorsque Montesquieu juge inutiles les méthodes tyran-niques employées par Pierre le Grand pour donner des mœurs et des manières européennes à un peuple d'Europe, Chtcherbatov estime au contraire que les anciennes mœurs seyaient mieux aux sujets du tsar: «Tout en gardant le profond respect pour cet illustre écrivain, il paraît qu'on peut donner un juste démenti à son idée, et comme nous sommes mieux instruits qu'un étranger de nos anciennes mœurs nous pouvons dire qu'elles s'accordaient mieux avec notre climat que celles d'aujourd'hui» [7, p. 19].
À la différence de Montesquieu, Chtcherbatov insiste sur la spécificité de la culture russe, modèle en marge de la civilisation européenne. Pourtant, Chtcherbatov est loin d'y voir un avantage, la culture nationale russe lui semblant à l'origine du retard de la Russie sur d'autres pays. Si bien que, pour se mettre sur la voie de la modernisation, la Russie devra nécessairement y renoncer, en faveur de la culture européenne, sorte d'idéal absolu vers lequel devront tendre toutes les nations de la terre [2]. Chtcherbatov, qui approuve la politique d'européanisa-tion de la Russie entreprise par Pierre le Grand, approuve également les moyens auxquels recourt le tsar, dont il justifie la rigueur par les circonstances qui avaient accompagné sa vie et son règne. En effet, dans la Russie de l'époque, tout autre moyen que la force eût été inutile, tant le peuple était attaché aux us et coutumes d'autrefois.
L'idée d'obstacles rencontrés par le législateur en raison de l'attachement naturel du peuple à ses traditions apparaît dans un texte très original — et pourtant complètement oublié — de Chtcherbatov, rédigé en français entre 1759 et 1760, et portant le titre de Réflexions diverses sur le gouvernement. Le manuscrit,
6 Ces Réflexions diverses sur le gouvernement sont incluses dans un recueil intitulé Разные сочинения и переводы [Divers écrits et traductions], RNB, 885, Collection de l'Ermitage, no 228, fol. 238-261. La date indiquée sur le recueil (1759-1760) est de la main de Chtcherbatov. En 1860,
conservé par le Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de Russie, est, en effet, un des premiers témoignages de la réflexion politique du prince, qui s'inspire alors fortement de L'esprit des lois de Montesquieu. La structure même de l'ouvrage, divisé en neuf chapitres, semble reproduire, de façon simplifiée, celle du fameux traité7. Dans le chapitre intitulé «Des lois», Chtcherbatov se prend, entre autres, à dresser le portrait d'un sage législateur, problème qui préoccupe tant Montesquieu. Selon Chtcherbatov, celui qui aspire à devenir un bon législateur doit non seulement être versé dans les anciennes lois et la constitution de son pays, mais aussi connaître suffisamment l'histoire pour pouvoir en tirer des exemples. Il lui faut également connaître le cœur humain et le caractère dominant de sa nation, tout en sachant se montrer ni trop indulgent ni trop rigoureux envers ses sujets. Enfin, «il faut qu'il suive en quelque façon le prejugé (sic) du peuple dans leurs coutumes qui par leur ancienneté ont acquis force des lois, et qui souvent ne peuvent être changées sans faire plus de mal que des biens (sic)»8. Ces propos de Chtcherbatov font écho à ceux de Montesquieu, qui plaint les sujets de Pierre le Grand, victimes d'une politique fondée sur la force: «En général, les peuples sont très attachés à leurs coutumes; les leur ôter violemment, c'est les rendre malheureux» [12, p. 468].
Selon Montesquieu, il existe une autre raison, bien plus grave, empêchant l'évolution de la Russie: le servage. L'idée ne laisse pas indifférents les disciples du philosophe en Russie, mais ni Strube de Piermont, ni l'impératrice Catherine II, ni le prince Chtcherbatov ne partagent pas vraiment sa vision. En effet, Strube de Piermont, qui critique violemment Montesquieu pour avoir présenté la Russie comme étant un État despotique, ne semble pas révolté par l'idée de la servitude du peuple russe. Celle-ci est, pour lui, tout à fait conforme à la raison et ne s'oppose aucunement au principe d'humanité. Justifiant la légalité de la serla traduction russe des Réflexions a été publiée dans Чтения в обществе истории и древностей российских при Московском университете [Lectures dans la Société de l'histoire et des monuments anciens russes auprès de l'Université de Moscou]. À la fin du XIXe siècle, cette traduction réapparaît dans les Œuvres complètes du prince M.M. Chtcherbatov (Ivan P. Khrouchtchov [éd.], Сочинения князя М.М. Щербатова [Œuvres complètes du prince M.M. Chtcherbatov], Saint-Pétersbourg, prince B.S. Chtcherbatov, 1896, vol. 1).
7 Les chapitres sont intitulés comme suit: «Du gouvernement en général», «Du gouvernement monarchique», «Du gouvernement aristocratique», «Du gouvernement démocratique», «Du despotisme», «Des mœurs des peuples sous ces divers gouvernements», «Des lois», «Des récompenses», «Des punitions».
8 M.M. Chtcherbatov. Разные сочинения и переводы [Divers écrits et traductions], RNB, 885, Collection de l'Ermitage, no 228, fol. 255.
vitude, il va d'ailleurs jusqu'à affirmer son utilité: «Si la servitude prive un serf d'une grande partie des commodités et des agrémens (sic) de la vie, si elle le met à certain égard au dessous du reste des humains, elle l'empêche en récompense de périr, ou de vivre plus misérablement encore, et lui conserve tout ce que la nature même lui a départi» [17, p. 27]. Strube de Piermont, qui avait accusé Montesquieu d'avoir été moins attentif à la vérité qu'à la cause qu'il s'était proposé de soutenir, tombe incontestablement ici dans la même erreur. Mais, en même temps, il parvient à mettre en lumière une certaine incohérence présente dans la théorie politique et sociale de l'écrivain. En effet, une réflexion sur l'utilité de la servitude apparaît dans la pensée de Montesquieu, à travers plusieurs chapitres de son traité. Sans vouloir défendre l'esclavage en tant que tel, l'auteur de L'esprit des lois admet néanmoins que la servitude puisse être une donnée naturelle chez certains peuples. Dans ces pays, affirme-t-il, «la chaleur énerve le corps, et affaiblit si fort le courage, que les hommes ne sont portés à un devoir pénible que par la crainte du châtiment» [12, p. 394-395], c'est pourquoi la servitude y est utile dans la mesure où elle incite les gens à travailler. L'idée de «servitude naturelle», assez paradoxale chez un écrivain connu pour ses convictions anti-esclavagistes [10], n'échappe pas à l'œil vigilant de Strube de Piermont, qui ne manque pas de reprocher à ce «redoutable écrivain» son inconséquence.
D'autre part, la vision particulière de la servitude dont témoigne le livre de Strube de Piermont amène à poser la question du concept d'égalité et des différentes interprétations proposées par les deux auteurs. Dans la pensée de Montesquieu, tous les hommes naissent égaux, et l'auteur de L'esprit des lois n'invoque qu'une raison, celle d'ordre géographique, qui, seule, pourrait justifier la servitude dans certains pays. Pour Strube de Piermont, le droit de posséder un esclave relève, au contraire, de l'inévitable inégalité des individus, l'égalité n'étant pas dans la nature de la société [15]: «Dans nos sociétés il doit y avoir des hommes, qui veuillent servir, avec d'autres qui veulent être servis» [17, p. 83].
L'opinion du prince Chtcherbatov est plus intransigeante encore. En fervent défenseur des privilèges de la noblesse, il va jusqu'à justifier le servage, dont l'abolition serait nuisible aux serfs comme à l'État. Lorsqu'il rédige, aux environs de 1768, sa Note sur la question des paysans, Chtcherbatov plaint la situation misérable des paysans russes, qui «vivent plus comme des bêtes que comme des humains», alors qu'ils constituent la force essentielle de l'empire [7, p. 7-8]. Cet ouvrage, rédigé sous forme de notes de voyage en Russie prises par un étranger se
présentant comme un citoyen du monde et prétendant bien connaître le pays qu'il décrit, constitue une sorte de mystification littéraire. Ce procédé, largement utilisé dans la littérature du XVIIIe siècle, et connu sous le nom de «ostranenie [principe de défamiliarisation]», permet à Chtcherbatov de livrer une réflexion distanciée sur l'épineux problème de la condition des paysans en Russie. Il se risque ainsi à l'hypothèse suivante: l'accord du droit de propriété foncière aux paysans russes est-elle susceptible de remédier à leur situation déplorable? Mais il s'empresse aussitôt de renoncer à cette idée, qui lui semble trop ambitieuse compte tenu de la réalité russe de l'époque: «Non, non, je fuis ces idées et quoi que le droit naturel en dise, il vaut mieux laisser les paysans en Russie dans l'état dans lequel ils sont depuis plusieurs siècles» [7, p. 8].
Il faut relier la rédaction de cet opuscule au fameux concours organisé par la Société libre d'économie (1765-1767), dans lequel les participants, tant Russes qu'étrangers, étaient invités à proposer leurs réflexions sur le sujet suivant: «Est-il plus avantageux et plus utile au bien public que le paysan possède des terres en propre, ou seulement des biens mobiliers? Et jusqu'où doit s'étendre le droit du paysan sur cette propriété afin qu'il en résulte le plus grand avantage pour le bien public?» [8]. L'idée de l'éventuelle libération des paysans en Russie lui étant particulièrement chère, Catherine II soutient l'initiative. À l'époque où elle lit les Lettres russiennes de Strube de Piermont, elle manifeste déjà son rejet de la servitude, accusant l'auteur d'en avoir fait l'apologie: «Un ancien Grec ou Romain auroit dit que ce livre est l'opprobre de l'esprit humain, l'éloge de la servitude! et pourquoi l'auteur ne ce (sic) vend il pas pour esclave?» [17, p. 82]. Plus tard, sa délicate condition d'impératrice de Russie lui imposera une certaine réserve. D'un côté, le servage apparaît inévitable, naturellement conditionné par la structure d'une société qui ne pourrait fonctionner correctement sans un équilibre entre ceux qui servent et ceux qui sont servis. Ces idées, qui rappellent beaucoup celles de Strube, sont développées dans l'article 250 du Nakaz: «La société civile, de même que tout autre établissement, exige un certain ordre. Il faut qu'il y ait des personnes qui gouvernent et qui commandent, et d'autres qui obéissent» [3, p. 74]. D'un autre côté, Catherine II redoute fortement les excès du servage, susceptibles, à long terme, de ruiner le pays: «De quelque nature que soit la dépendance, il faut que les lois civiles cherchent à en ôter, d'un côté, les abus, de l'autre les dangers» [3, p. 75].
Or, l'écart entre le programme de l'impératrice annoncé dans le Nakaz et sa politique réelle, notamment en matière de renforcement du servage, ne fait que
s'accentuer au fil du temps. En effet, dans la société russe de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, l'idée de libération des paysans paraît encore prématurée, et va à l'encontre de l'opinion majoritaire [1]. Dans l'entourage de l'impératrice, rares sont ceux qui envisagent réellement la possibilité d'une concrétisation de cette audacieuse initiative. Malgré l'échec du Nakaz, la parution de ce texte apparaît, à elle seule, comme une avancée significative, dans la mesure où s'y manifeste une volonté de s'approprier ces valeurs essentielles des Lumières que sont la liberté et l'égalité. À en croire Montesquieu, la Russie est lasse du despotisme: «Le gouvernement moscovite cherche à sortir du despotisme, qui lui est plus pesant qu'aux peuples mêmes» [12, p. 187].
Certes, le thème de la Russie n'est pas un des sujets centraux de L'esprit des lois. Son rôle est pourtant loin d'être négligeable. En effet, la Russie représente un exemple unique d'État despotique à l'intérieur de l'espace géographique européen. C'est la raison pour laquelle Montesquieu recourt à cet exemple, et que ce pays occupe une place importante dans son système d'argumentation contre le despotisme et l'esclavage. Montesquieu, qui fonde son savoir sur la Russie sur l'expérience d'autrui, n'est pas l'instigateur de l'image négative faite du pays. C'est à lui, cependant, que revient le mérite de l'avoir confirmée dans l'imaginaire français, son autorité d'écrivain et de philosophe ayant ici joué un rôle prépondérant. On comprend alors pourquoi les auteurs russes attachent une si grande importance aux pages consacrées à la Russie dans L'esprit des lois. La multitude de réactions qui se font entendre en Russie tout au long du XVIIIe siècle témoigne de l'étonnante finesse historique de Montesquieu, qui a su détecter les problèmes fondamentaux de la Russie, à l'origine de son retard économique au XVIIIe siècle. Cependant, ces réactions se distinguent par leurs objectifs. En effet, certains auteurs se laissent emporter par leur élan de contestation, cherchant à apporter un démenti aux idées controversées de Montesquieu et à réhabiliter, ce faisant, l'image somme toute caricaturale donnée de la Russie, tandis que d'autres, envisagent ladite image comme le point de départ d'une analyse plus profonde des processus à l'œuvre dans le pays. Aussi pourrait-on parler d'une sorte de remise en question de l'histoire et de l'identité nationales, débat qui atteindra son paroxysme dans la première moitié du XIXe siècle.
Список литературы
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