M. N. Kazanskaya
ypolabœv ëfh (eîne) chez Hérodote:
LES PARTICULARITÉS D'USAGE
Le participe d'aoriste du verbe molampàvw se retrouve chez Hérodote sept fois en combinaison avec un verbum dicendi avant le discours direct d'un personnage qui répond à une réplique d'autrui. Cette expression, sous deux variantes dont l'utilisation se diffère légèrement, est une des formules figées qui servent à marquer l'insertion du discours direct, et sa forme et les conditions d'emploi ne changent guère: dans la majorité des cas elle consiste en un participe masculin placé devant le verbe eiPE ou fh; dans tous les cas le sujet de ce verbe est accompagné de la particule atone 8e1, comme elle n'apparaît que dans des dialogues à deux participants2.
Du point de vue sémantique, on remarque tout de suite que molapàv fh (eîrce) lie la réplique qu'elle introduit à ce qui a été dit avant, d'une manière beaucoup plus étroite que ne le fait, par exemple, «ô 8' âmetpeto toîode» (la façon la plus fréquente et la plus neutre d'introduire une réponse chez Hérodote). A première vue notre expression ne devrait pas poser de problèmes de compréhension, et effectivement, les dictionnaires la traduisent le plus souvent tout simplement comme «he said in answer» (Liddell-Scott), «dieser nahm das Wort» (Passow) ou «et ayant pris la parole, il dit» (Bailly)3. Or, une analyse plus méticuleuse des exemples chez Hérodote, laisse apercevoir des nuances qui demandent des précisions. Ainsi, par exemple, la
1 Toutes les modifications de la formule qu'on rencontre dependent du contexte. Ainsi, dans I, 11 le participe est mis en féminin, car c'est la femme de Candaules qui parle («ùrcolapoàoa ëfn»); dans I, 27 l'expression fait partie de l'histoire raconté en discours indirect («ùnolapôvta fâvai»); en IX, 94 le participe est placé derrière le verbe pour le séparer du sujet «oi rcâpeôpoi» qui bien que substantivé, est un adjectif.
2 Tels sont, en majorité, les dialogues chez Hérodote - voir Lang 1984: 135, qui remarque à juste titre que même si trois parties ou plus participent à un dialogue, le plus souvent en fait il se réduit à un dialogue entre deux participants (Lang 1984: 136).
3 Cela est, peut-être, dû au fait que les dictionnaires parlent non seulement des usages hérodotéens de cette expression, mais aussi de ceux de Thucydide et de Platon. Malheureusement, la plupart des traductions d'Hérodote se contentent également de la traduction «répondre» ou «répliquer» (ou, plus rarement, «prendre la parole»).
traduction par un simple «répondit» ne convient pas du tout en VII, 101, 13 où Démarates ne répond pas à la question de Cyrus, mais, au contraire, lui pose une question:
'O |mèv taàta eipèta, ô 8è 0po1aßmv Efh' «Bacileà,
KÔtepa âlhôe^V xp»sm|ai ppoç ce À ^5ovi;»,
et c'est seulement quelques lignes après qu'il va procéder à la véritable réponse à la première question du roi. De même, la traduction «ayant pris la parole», étant très neutre, ne rend pas la subtilité des relations entre les personnages, telle qu'elle se présente dans leurs discours et dans le contexte général.
Plus proche du sens avec lequel Hérodote utilise cette expression est l'explication fournie par le dictionnaire de Passow à propos du verbe 0po1a|ßav8iv dans les dialogues: «in die Rede eingreifen, um sie zu unterbrechen oder weiter zu führen» (Passow 1857: II, 2, Sp. 2137: 2, ß). C'est dans ce dernier sens, «weiter zu führen», que Hérodote utilise la variante molaßmv £fq: cette expression apparaît dans les cas où le personnage A cherche à conduire B à accepter son point de vue, souvent en préparant son propos à l'avance, en quelque sorte «prenant l'autre au piège». C'est cette stratégie qu'adopte, par exemple, un des sept sages (Pittacos ou Bias, Hérodote n'en est pas sûr4) en parlant avec Crésus dans I, 27. Mais ce sens ne convient pas aux cas dans lesquels molaßmv eîpe est utilisé: ici il s'agit plutôt d'une opposition à la réplique précédente.
Cette différence entre les deux expressions, en apparence si semblables, réclame un examen plus détaillé. Le participe 0po1aßmv étant utilisé dans les deux cas, il est judicieux de supposer que le point de divergence réside plutôt dans le verbe. Dans la paire fàvai - eîpeîv, l'avis commun est de définir ce dernier comme plus neutre et utilisable dans des contextes plus larges,5 tandis que ce premier est censément plus chargé de sens, signifiant une assertion (la traduction en ce cas serait «prétendre») et souvent parvenant à signifier «affirmer, dire oui». on trouve essentiellement la même distinction, même si un peu plus élaborée, dans le livre de Fournier (1946) sur le verbe «dire» en grec ancien: «eîpeîv et Êpeîv, tournés vers l'objet, le décrivaient ou le mentionnaient, le citaient ou le notifiaient. Mais fh! présente d'emblée un caractère tout étranger, original: comme le mot exprime avant tout le
4 oî rnèv Biavta légouoi tov npihvéa àniKoimevov èç Xâpôiç, oî §è Pittakov tov Mutilhvaîov, eipo|mévou Kpoioou eï ti evq veètepov rcepi rqv 'EllâSa, eircovta t£Se Katarcaàoai rqv vaun^Y^-hv (I, 27).
5 «Le banal eirceîv», comme l'appelle Fournier (1946b: 44). Voir, ibidem, la caractérisation qu'il fait de ce verbe dans les poèmes homériques: «l'aoriste eîrce «il prononça ces paroles», d'aspect global, inexpressif, de contenu abstrait et orienté vers l'objet, c'est-à-dire, vers les paroles, qu'il mentionne purement et simplement, sans description aucune du sujet».
jugement convaincu, la notion d'énonciation est facultative; et fhm peut être verbe d'opinion pur» (Fournier 1946a: 12 - les italiques sont celles de l'auteur).
Or, le sens que Fournier donne à ces deux verbes ne correspond pas tout à fait à la façon dont ils se présentent chez Hérodote dans la formule 0po1apàv fh / 0po1abrnv eîpe; dans ce cas, surtout la caractérisation du verbe eîpeîv comme «objectif» et «inexpressif», qu'on trouve également chez le chercheur français (Fournier 1946a: 39) est injustifiée. Chez Hérodote, eîpeîv est souvent utilisé dans un sens beaucoup plus fort: on le trouve, par exemple, dans les cas d'une réponse qui ne cadre pas avec les attentes de l'interlocuteur. C'est surtout évident dans le dialogue de Crésus et Solon dans le premier livre: Crésus, ayant montré à Solon ses richesses, attend en vain que le sage le nomme l'homme le plus heureux du monde. Le dialogue consiste en quatre répliques de chaque côté, et les réponses de Solon, à l'exception de la première6, sont introduites par un simple «'O 8è eîpe» (I, 30, 31, 32) qui implique un décalage entre la réponse attendue et la réponse donnée . Dans ce cas il est évident que eîpeîv a un sens plus fort que «dire», et qu'il correspond à une prise de position individuelle, à une assertion décidée (et c'est plutôt dans ce sens contrariant qu'il va apparaître dans la formule 0po1abrnv eipe).
La différence entre «eîpe» et «£fh» devient plus nette, si l'on prend en compte l'aspect des deux verbes. La forme «eîpe» est un aoriste dont l'aspect est bien défini. Au contraire, «£fh» qui est une forme d'imparfait, est utilisé aussi bien avec le sens de l'imparfait que de l'aoriste. Comme le formule Ruipérez, «la valeur aoristique qui lui est couramment attribuée <...> doit être comprise non pas comme ponctuelle, mais comme neutre. <.> £fqv n'a pas d'aspect» (Ruipérez 1982: 133; Voir également Schwyzer 1950: 261). Apparemment, cette ambivalence commence avec Homère, chez qui le style formulaire nivelle dans une certaine mesure, comme le montre Fournier, les différences de sens et même d'aspect des verbes: ainsi, dit-il, «rnç EÎpèv» et «rnç fàmevoç» sont interchangeables sans grande variation du sens, et l'utilisation d'une formule ou de l'autre est due plutôt à des
6 'O rnèv èlrciÇwv eîvai àvBpèrcwv ôlpiètatoç taàta èrceipèta, Solwv §è oùSèv ùnoBwneûoaç, àllà tô èovti cphoâmevoç, légei... (I, 30). Il faut noter que le présent «légei» est utilisé dans le sens de l'aoriste, et est en quelque sorte, synonyme de «eîrce» qui introduit les répliques suivantes de Solon.
7 Dans o Sè eîrce, ce n'est pas seulement le verbe eîrceîv qui est utilisé dans un sens plus fort que d'habitude, mais aussi la particule Sé: elle est constamment utilisée pour l'articulation des parties du dialogue chez les auteurs anciens, mais ici elle porte plus d'opposition à la réplique précédente que d'ordinaire.
causes métriques8. Comme Hérodote n'est pas restreint par la métrique, la préférence pour «fh» °u pour «eîpe» chez lui doit être expliquée en chaque cas par une nuance de sens. Aussi est-il vraisemblable que «eîpe» à force de sa valeur ponctuelle peut apparaître dans le contexte d'une affirmation forte, d'une formulation d'avis individuel, contrariant à des fois l'avis d'autrui; cette réplique résolue, introduite par le verbe en aoriste, se rapportera immédiatement au développement précédent du dialogue, c'est-à-dire, au moment concret de parler. A son tour, la forme «fh» qui est indifférente à l'aspect9 est bien appropriée pour introduire une assertion conclusive, qui sera décisive pour le développement des événements qui suivent le dialogue.
Aussi voit-on que l'aspect du verbe principal joue un rôle important pour la reconstitution du sens précis de l'expression en question. Mais le participe molapèv porte également une nuance qu'il convient de noter. La plupart des commentaires et des dictionnaires expliquent que dans la formule 0po1abrnv fh (eipe) le mot logov est sous-entendu (la traduction précise serait «en prenant le mot, il dit...»)10. En fait, l'expression "opolabeîv logov existe, et même apparaît deux fois dans les Histoires, mais elle a la signification sens très précise et spécifique de «suivre le conseil de quelqu'un» («répondre aux paroles de quelqu'un
8 Fournier 1946b: 60-65. Il formule son idée le plus clairement à la fin de ce chapitre: «ôç fâ|ievoç et ôç eircèv, puis ôç f£to, ôç ¥p' fh et ôç ¥p' èfèvhoev en particulier se confondent complètement et l'on comprend que les anciens et modernes discutent de l'aspect de fh et de f£to sans pouvoir trancher la chose. Aucune indication de contexte dans ces formules après le discours direct - participe ou adverbe - n'éclaire nettement l'aspect du verbe dire» (Fournier 1946b: 65).
9 Il est intéressant de noter que fhl n' a pas de valeur durative même au présent (Ruipérez 1982: 133). Apparemment, il faut lier à ce fait l'usage des temps de ce verbe quand il signifie «confirmer, dire oui» et, donc, est évidemment non-duratif. Le dictionnaire de Liddell-Scott-Jones signale que dans ce sens-ci les auteurs attiques utilisent les formes du présent (fhM-i-), du futur (f»ow) et de l'aoriste (ëfhsa), et préfèrent éviter les formes de l'imparfait, infinitif et participe en les remplaçant par des formes correspondantes du verbe f£oKw.
0 Ainsi, le commentaire de Abicht (ad I, 11) et Macan (ad 9, 94: "took him up, or took up the conversation, as frequently..."); de même, Passow: "das Wort nehmen und antworten, erwidern, entgegnen"; Bailly: "avec ou sans logov, prendre la parole après quelqu'un". Notons que pour le sens que les chercheurs voudraient donner à cette expression, la restitution de logoç comme le mot omis n'est pas la meilleure, parce qu'il signifie «parole» dans le sens de «raisonnement» (cf. note 16); il serait plus logique dans ce cas de suppléer ercoç ou |ru0oç.
par une action conforme à ce qui a été dit»)11: ainsi, Tomyris, la reine des Messagètes, e dit n menaçant Cyrus: «Nàv rav è^éo eâ papaiveo^chç 0pô1abE tov lôgov» (I, 212) , et quand Cyrus, tout en satisfaisant la première partie de sa demande (de laisser son fils), ne quitte pas le pays des Méssagètes, elle tient sa promesse et le «rassasie de sang» au sens littéral; de même, Méandrios suit le conseil de son frère en III, 146 (Taàta £1eXe ô XaptlEwç- Maiàv8pioç 8è mela^E tov lôgov...)12. Mais cette signification ne convient pas du tout à "opolabrnv £fh (eipe), et il faut se garder de restituer un complément d'objet direct pour cette expression1 . Il est assez significatif que chez les lexicographes antiques,
11 Le commentaire de Lhardy est le seul, à notre connaissance, à le dire explicitement: "wnolaßowa- erwidernd <...>; man pflegt dabei tov logov zu ergänzen, was jedoch bei Herodot in diesem Sinne nie dabei steht: denn I, 212. III, 146. IX.122 heisst wnolamßäveiv tov logov den Vorschlag anzunehmen" (Lhardy 1850: I, 9; italiques sont les miennes - M. K.).
12 Ce sens semble être propre à Hérodote; après lui, l'expression logov wnolaßeiv est utilisé assez souvent, mais dans tout un autre sens, celui de «comprendre le raisonnement d'autrui». Par exemple, chez Euripide: «Öv m^ où fpâÇeiç nîç •pnoläßoim' âv logov;» (Eur., Iph. Aul., 523). Dans les dialogues de Platon le verbe wnolaßeiv se trouve dans le même sens le plus souvent tout seul (avec le mot logov sous-entendu), ce qui montre que pour lui c'était déjà une expression si figée qu'elle a pu être abrégée. On trouve ce verbe (souvent accompagné d'un adverbe comme ôp0ôç, eâ, apiota, Kalôç, etc.) dans les situations où il y a besoin de préciser quelque chose dans le raisonnement d'un des personnages du dialogue: «Kâlliota •pnélabeç- aùto toàto légw» (Plat., Theaet., 159b), «'Egrô toivuv oou tote taàta légovtoç ùnélabov œç» (Plat., Gorg., 460e), «'Ynolamßäveij g&P 8»nou ti, ëfh, Ö iégro;» (Plat., Euthyd., 295b), etc. Le fait que unolaßeiv se trouve dans la moitié des cas en couple avec le verbe légeiv montre que logov est vraiment sous-entendu. Il est important de noter que ni chez Hérodote, ni après on ne trouve l'expression unolaßeiv logov dans le sens de «prendre la parole», qui semble d'être une invention des chercheurs à partir du sens étymologique de unolaßeiv et son correspondant latin suscipere: cf. suscipit Anchises atque ordine singula pandit (Verg., Aen., VI, 723).
13 Un cas qui pourrait ressembler un peu plus à cette invention savante, qui est unolaßeiv <16yov>, se trouve dans l'introduction du discours de Cyrus, qui persuade les Perses de le joindre et de se rebeller contre Astyage. En se faisant passer pour un général commissionné par Astyage, il ordonne à ses soldats un jour de dur travail dans les champs, et l'autre un jour de fête avec une régalade libérale; ensuite il leur demande lequel des jours leur avait plu le plus, à quoi ils répondent, bien sûr, que c'est le deuxième.
1 lapalaßcov 8è toàto to enoç o Kàpoç napeyuimvou tov nâvta logov, légrov- «"Avdpeç népoai, oûtwç 0|mîv e%ev boulomévoioi |èv è|éo nei0eo0ai eoti t£8e te Kai alla mupia àya0â, oùdéva novov doulonpenéa ecouoi- m^
expliquant le sens de «répondre», bien établi à l'époque tardive pour notre verbe, on ne trouve aucun indice que le mot logov soit sous-entendu. Par exemple, dans le Suda: 'Ypolapèv: movo»oaç, À àpoKpiGeiç, À àvteipèv, âvtiKpo'Doaç (u, 534); ou chez Hésychius: 0po1apèv 0povo»caç, vomtcaç, âpoKpiGeiç (u, 678).
Comme Hérodote est le premier auteur à utiliser molabeîv dans les dialogues, il semble pertinent, pour mieux comprendre la nuance du sens, de considérer les usages qu'il en fait dans d'autres contextes. Ce verbe est assez fréquent chez notre historien qui l'utilise régulièrement à l'égard des forces naturelles, incontrôlables par l'homme: par exemple, à propos des vents d'orage qui emportent les navires (IV, 179; II, 26), à propos des maladies qui saisissent les gens (la peste, la folie - VI, 27; VI, 75), etc.14 De manière un peu semblable, le personnage dont la réplique est introduite par molabrnv fh (eipe) donne une réponse qui est hors du contrôle de l'autre, et qui est déterminante pour le déroulement des événements à venir, ou au moins pour le développement du dialogue: dans presque tous les cas, à l'exception de VII, 101 qui sera examiné d'une manière plus détaillée ci-dessous, c'est avec elle que se clôt le dialogue. Surtout dans le cas de molabrnv fh, le locuteur décide pour
pouloimévoioi §è è|iéo rcei0eo0ai eisi 0|mvv rcovoi tô %0iZù rcaparc1»oioi àvapi0|htoi. Nàv rov è|éo nei06|evoi giveo0£ èle-uBepoi...» (I, 126).
Mais même ici, si on le compare à I, 148 et II, 19 (où Hérodote parle de ses propres recherches), il est évident que cela signifie «en recevant / en entendant leur réponse...»; la différence qu'Hérodote fait dans cette phrase entre ercoç et 16gov est évidente: le premier signifie «parole, ce qui est dit», tandis que le deuxième signifie «raisonnement».
14 Un sens assez étrange, «suivre immédiatement» (pour le cours des événements), qui est signalé par les dictionnaires (Passow, 2138; Liddell-Scott; Bailly, 2025), est inventé ad hoc pour expliquer deux passages d'Hérodote, où ùnolapeîv est utilisé à propos d'une bataille navale (VI, 27; VIII, 12). Mais dans ces deux cas, la bataille est précédée par une série de malheurs (la peste et l'écroulement du toit d'une école dans le premier cas, un orage dans le second) et, tout en étant leur comble, elle est représentée comme aussi incontrôlable que les autres désastres naturels. C'est surtout évident en VI, 27, chapitre qui commence par la célèbre phrase: «Filéei Sé kwç npoohiaiveiv, eât' âv léllv meg&la Kakà À p61i à ë0vei eoeo0ai»: les malheurs prédisent la défaite de Chios dans la bataille et son subjugation par Histiaeos. Il est signifiant que le verbe ùnolapeîv est utilisé deux fois dans ce chapitre - une fois à propos de la peste, et l'autre à propos de la bataille, ce qui montre que Hérodote, voulant dépeindre la défaite dans la même tonalité que les malheurs précédents, a utilisé le verbe en question dans un sens figuratif et dans un contexte qui ne lui est propre (d'ailleurs, Powell note dans son Lexique que l'usage de ùnolampâveiv dans ce sens est métaphorique).
l'autre, en sorte que le sens va plutôt vers «prendre l'affaire en main, devenir maître de la situation».
De ce point de vue, le choix du participe d'aoriste pour cette expression plutôt qu'un participe du présent est important. La nuance que l'aspect du participe apporte devient plus évidente, si on le compare avec certaines formules d'introduction du discours direct chez Homère, comme:
Tov 8' âpameipômevoç ppooéfh ftôdaç çk-ùç 'Axille^ç (II., 1, 84);
Tqv 8è nàpiç m^Goiciv âmeipômevoç ppocéeipe (Il., 3, 437);
tov Kai liccômevoç npla^oç ppoç m/D0ov eeipe (Il., 24, 485); etc.
Dans ces formules, comme Homère utilise participe présent, l'action du verbe et celle du participe présent sont simultanées; voire, on peut dire qu'il s'agit d'une seule action exprimée par deux verbes où le participe remplit une fonction adverbiale. Mais le participe d'aoriste présuppose deux actions, dont une est ponctuelle: effectivement, molapàv fait référence à la réplique précédente par laquelle l'autre locuteur avait montré qu'il s'est laissé piéger. Bien entendu, les deux actions étant si proches l'une de l'autre, cette nuance est très faible, et bientôt ne se laisse plus sentir (cf. la note 39).
Passons maintenant aux exemples concrets. L'expression que nous examinons se trouve pour la première fois tout au début du premier livre, dans la première nouvelle insérée dans le récit historique, celle de Gygès et Candaule (I, 8-11). La narration de cette histoire, connue par ailleurs et qui circulait, apparemment, sous la forme d'un conte populaire15, est nettement divisée chez Hérodote en deux parties symétriques par deux dialogues, chacun consistant en trois répliques: celui entre Candaule et Gygès au long duquel le roi de Lydie persuade son serviteur de voir sa femme nue, et celui entre Gygès et la reine qui, à son tour, en lui donnant le choix soit de se donner la mort, soit de tuer Candaule et devenir de roi à sa place, aboutit à le forcer à trahir son maître. Les deux dialogues sont
15 Pour la caractérisation de cette histoire comme «conte», voir Dovatour (1957: 94-95). A l'époque classique, une version plus fabuleuse de cette histoire est donnée par Platon dans la République: ici Gygès est un berger qui trouve par hasard l'anneau d'invisibilité, ce qui lui permet de séduire la reine et de s'emparer du trône de Lydie. Les deux versions, «rationnelle» d'Hérodote et «fabuleuse» de Platon, ont coexisté jusqu'à la fin de l'antiquité et même plus tard, surtout dans les exercices rhétoriques, comme le montre dans son article Smith [1920]. La version que raconte Hérodote, lui permet d'analyser les caractères des participants dans leur conflit, tandis que dans la version fabuleuse les personnages sont complètement dépourvus de caractère (un trait marquant des contes populaires), à tel point qu'on ne pourrait pas dire si Platon classe Gygès parmi les «Sikaioi» ou les «aSikoi» (cf. Plat., Rep., 360b).
liés par des parallèles lexicaux, la symétrie du dessein, ce qui est évident dans la réplique finale de la reine16, et surtout par la figure du malchanceux Gygès piégé entre deux forces bien plus puissantes que lui: car ce n'est pas seulement le pouvoir dont ils sont investis, qui donne la force à Candaule et la reine, mais l'amour et l'orgueil vaniteux à ce premier, et le sentiment d'outrage et la nécessité de défendre son aidèç à cette dernière. Gygès ne peut qu'obéir dans les deux cas17.
Le deuxième dialogue, celui entre la reine et Gygès, consiste en trois répliques: la reine expose les deux possibilités à Gygès; Gygès en évitant de dire «je le ferai», lui demande de quelle manière cela doit être fait18; la réplique de la reine suit immédiatement la sienne:
'H 8è molaboàoa efh' «Ek toà aùtoà mèv xwptou ^ ôpm^ estai Ô0ev pep kai èkeîvoç èmè èpedeXato yumv»v, ^pvwmévj 8è ^ èpi%etphciç estai».
L'introduction de sa réplique montre que c'est elle qui gère désormais, après le consentement élusif de Gygès, le déroulement des événements.
Très peu de temps après on retrouve 0po1apàv efh dans le récit portant sur un des sept sages (Pittacos ou Bias) qui conseille à Crésus de renoncer à bâtir des navires pour vaincre les insulaires (I, 27). Leur dialogue consiste, comme dans le cas précédent, en trois répliques: le sage dit que les insulaires ont commencé à acheter des chevaux pour vaincre les Lydiens sur le continent (ce qui n'est pas vrai, bien sûr); Crésus, trompé par ce stratagème discursif, exprime l'espoir que les dieux mettent vraiment ce dessein dans les têtes des insulaires; et le sage s'en sert pour lui montrer la témérité de son propre dessein:
Tov 8è 0po1apôvta fàvav «'W bacileà, ppoG^mwç moi fatveai eft^acOai vhciètaç ippeuomévouç 1a|3eîv èv °petpj, oikôta èlptZwv- vhciètaç 8è tt dokeeiç e^xecGai allo rç, èpette tà%icta èp^eovtô ce mellovta èpi cftci vauphyéecGai veaç, la^eiv âpèmevoi Audo-bç èv Galàccv, ïva 0pèp trâv èv ti
16 «'Ek toà aùtoà mèv %ropiou ^ op|mn eotai o0ev nep Kai èkeîvoç èmè èneSé^ato gumv»v...» (I, 11).
17 cf. Immerwahr [1954: 136]: «The wording of the passage suggests that Herodotus is thinking of a choice between life and death as hardly a choice at all, but as a forced decision; yet after the deed is done Gyges is held responsible for it by the Delphic oracle».
18 'Erceipèta S^ légwv tâSe- «'Ercei me àvagKâZeiç Seonorqv tov è|mov Kteiveiv oùk èBélovta, fépe àKoww, téj Kai tporcro èni%eip»oomev aùtô» (I, 11). Notons qu'il évite d'utiliser la première personne singulier même en parlant de meurtre projeté, en la substituant par le pluriel (èrci%eip»oomev).
°PEipj oÎKhM-évwv 'E11»vwv Teicwvtai ce, to-bç cù doulècaç e%eiç;»
Hérodote raconte cette histoire qui, elle aussi, porte plusieurs marques d'appartenance à la tradition populaire19, en discours indirect (peut-être, parce qu'il n'est pas sûr de quel sage il s'agit, mais aussi parce qu'il doutait de sa véridicité20), et donc l'expression qui nous intéresse est mise à l'accusatif et à l'infinitif. Même si, comme le montre Dovatour, cette épisode est insérée dans le récit pour expliquer le fait que Crésus n'ait pas essayé de subjuguer les îles grecques (Dovatour 1957: 106107), l'impression que ce passage en question rejoint le domaine de conte populaire est renforcée par la réplique qu'Hérodote met dans la bouche de Crésus, et qui est pleine d'éléments homériques:
«A'î gap toàto 0eoi poi»ceiav èpi voov vqcimTVci, è10eîv èpi Audrnv paîdaç cbv ïppoici».21
19 Il y a un décalage entre les dates de la vie de Crésus et des deux sages qui rend ce récit de leur rencontre historiquement improbable. Cf. le commentaire de How et Wells (adloc.), en particulier: «Herodotus' story here is unhistorical; it is a piece of Greek proverbial philosophy which was fathered on any sage <.. > Croesus had a good reason for inaction in the west, when affairs on his east frontier were so threatening». La tradition sur les sages était une des sources d'Hérodote (How et Wells, ad I, 27).
20 Il raconte ainsi les histoires d'Arion et du dauphin (I, 24) de la même manière (une page entière au discours indirect), et notamment des enlèvements réciproques des femmes entre Grecs et Barbares tout au début du premier livre (I, 1-4, deux pages, à peu près, au discours indirect). L'effet stylistique obtenu par ce moyen est bien expliqué par Gould: «This fact <.. > marks the story of Arion both as a subordinate insertion into the main narrative and as a story told entirely on the authority of others than the storyteller. The technique of narrative in indirect speech is one that Herodotus uses on a number of occasions to distance himself as a storyteller from a particular section of his narrative» (Gould 1989: 50). Hérodote, même s'il a des doutes sur la vérité de l'histoire du roi lydien et le sage, l'insère pour souligner le fait que Crésus n'a pas agi sur l'est de la Lydie, et pour introduire en quelque sorte les récits sur l'activité maritime des barbares (dont le premier sera celui de Cyrus et sa fable des poissons dansants, et qui continueront jusqu'à la fin des Histoires, par exemple, le conseil que donne Artimisia à Xerxes en VIII, 68 - voir l'analyse de ces passages chez Hirsch 1986).
1 «Aï gàp» est complètement homérique (voir, par exemple, Il., II, 237; IV, 189; IV, 288, etc.) et ne se trouve nulle part ailleurs chez Hérodote (cf. le commentaire de How et Wells, et celui de Stein, ad locum); la dénomination périphrastique du peuple comme «les fils de.» (AuSôv rcaîSeç) a une teinte archaïque et poétique (voir également les commentaires de How et Wells, et de Stein); l'expression «rcoi»oeiav èrcï v6ov» trouve des parallèles chez Homère sous la forme de «èrcï fpeoï 0eîvai» qui est une formule bien attestée (6 exemples), ou «èvi fpeoï rcoieîv» qui est plus rare (2 fois chez Homère - 1l.,
Le sage qui avait «préparé» cette réaction du roi, emmène (molapôvta fàvai) la discussion dans une direction que le roi n'a pas du tout pu prévoir. Comme dans le passage précédent la reine avait maîtrisé la situation, ici le sage est le maître du dialogue et, même si sa réplique finale est formulée comme une question, c'est lui qui décide pour le roi qu'il faut renoncer à l'idée de conquérir les îles grecques.
Après ces deux exemples, durant quatre livres Hérodote n'utilise pas l'expression qui nous intéresse, et c'est seulement dans l'histoire de la danse d'Hippocleidès dans le sixième livre que le participe molabrnv réapparaît dans l'introduction du discours direct d'un personnage. Kleisthénès voulait marier sa fille au meilleur homme de Grèce qu'il puisse trouver, et lança une compétition pour mettre les prétendants aux épreuves différentes pendant une année. Hippocleidès, fils de Tisandre, sembla être le favori du concours jusqu'au dernier soir où Kleithénès allait annoncer sa décision: sous l'influence du vin et de l'orgueil de la victoire si probable, il commença à danser - au début, sur le sol, puis sur une table, et finalement en dessinant des figures en l'air avec ses jambes, la tête en bas. Bien sûr, Kleisthénès regardait sa danse avec beaucoup de mécontentement:
KleioGévhç Sè ta p,èv pprnta каг та 8eùtepa opceomévou âpoctuyémv yambpôv av ol Eti yevéoGai 'IppoKlei8hv 6ia t»v te Ôpcqsiv каг fqv âvai8ethv катег%е èmutôv, où boulômevoç ÊKpayqvai èç aùtôv œç 6è егбе toîci ckéleci %eipovom»oavta, oÙKEti Katé%eiv 8uvàmevoç егле- «'W лаг Teicàv8pou, âpopx»caô ge p,èv tôv gàp,ov.» 'O 6è 'IppoKlet-8hç ùpolabrnv егле- «Où фpovtгç 'IppoKletSv» (VI, 129).
Cette nouvelle, comme les histoires examinées ci-dessus, circulait selon toute vraisemblance sous la forme d'un conte populaire (Macan le montre bien dans son commentaire22). Mais le ton sur lequel elle est
13, 55 et Od., 14, 273), mais qui présente des contextes très proches de celui d'Hérodote: e.g., ofôiv S' roSe 0eôv tiç èvi fpeoi noi»oeiev. Sans parler du fait que les premiers quatre mots de la phrase forment un hémistiche hexamétrique parfait.
22 Macan 1894: II, 304-310. Cette histoire de prétendant refusé à cause d'une danse indécente trouve un parallèle frappant dans les contes du recueil bouddhique des Jatakas: le développement du sujet reste essentiellement le même, mais les personnages figurent sous la forme d'oiseaux. En général la découverte de ce parallèle est attribuée à Macan, mais un an avant lui Warren l'avait déjà signalé dans un court article dans le Hermes (Warren 1894). Macan pense que c'était la fable indienne qui a été «historicisé» en Grèce avant Hérodote plutôt que l'histoire hérodotéenne répandue en Inde (Macan 1895: II, 308, et Halliday est également de cet avis (Halliday 1923: 137); Warren est
racontée est très différent par rapport à celui des deux contes précédents: c'est une histoire comique, et Hérodote la raconte comme telle23. L'utilisation du participe molapèv pour introduire la fameuse réponse d'Hippocleidès (qui est devenu proverbiale - comme le dit Hérodote: 'Apo toutou |mèv toàto ôvomàZetai - VI, 13024), est assez étonnante et ne correspond pas à ce qu'on a vu auparavant. Le dialogue qui le précède n'est pas développé; il consiste seulement en deux répliques qui ont toute l'apparence d'être complètement disjointes. Le trait le plus important pour notre expression est que le verbe principal change de £fh à eipe, ce qui est logique au vu de ce qui a été dit sur les valeurs aspectuelles des deux verbes: la réponse d'Hippocleidès est en opposition totale à la phrase de Kleithènes, et le fait qu'elle soit si courte et décisive met en valeur la ponctualité de cette réplique, son attachement à ce moment concret. D'autant plus que le eipe qui introduit cette réponse fait écho au eipe qui introduit les mots de Kleisthénès. Et l'utilisation du participe molabèv, même si elle n'est pas conforme aux
réticent à trancher sur cette question (Warren 1894: 477). L'existence de ce parallèle ne veut pas dire, cependant, que la narration sur Kleisthénès et Hippocleidès n'ait pas des fondations historiques: "The recognition of a fabulous element in the wedding-tale leaves the historic substance unaffected. There is no substantial to doubt that Hippokleides and Megakles were the chief, and perhaps the only, suitors for the hand of Agariste" (Macan 1895: II, 310). Cela d'autant plus que le sujet est étroitement lié à l'établissement des jeux panhelléniques (voir McGregor 1941). La tonalité folklorique qui caractérise cette narration était bien expliquée par Macan: «the memory of the wedding of Agariste was obscured or glorified, by adventitious influences from various quarters, among which may be detected not merely the obvious matter derived from native epic sources, but the workings of oriental fable.» (ibidem).
23 Il y a, par exemple, un humour évident dans le choix des mots «toîoi okéleoi y£ipovom»oavTa», même si ce dernier était un mot commun pour désigner les gestes interprétatifs des danseurs (voir Lawler 1954: 155-156]). Après cette épisode, le ton change sensiblement, et dans la suite de l'histoire, surtout dans les paroles de Kleisthénes, on a trouvé des éléments épiques (voir Aly [1921: 160]).
24 Et en fait, on la retrouve chez les auteurs tardifs, par exemple, chez Lucien (Luc., Her., 8; Apol., 15, 22); comme la phrase avait une structure anapestique, elle est employée par Hermippos dans une de ses comédies (fr. 17). Intéressante est la manière dont l'austère Plutarque dans son traité De Herodoti malignitate tourne la phrase contre Hérodote lui-même: o Sè fqv |èv ej AewviSav à|6trta S»1ro|a rcoioù|£voç, oti |â1iota S^ àvSpôv o pâppapoç è0u|è0h Çrovti AewviSv, 0rpaiouç Sè Kai rnrSiZovtaç légwv èv 0£p|iorc'u1aiç otix0^vai Kai oti%0évtaç aâ0ij èv niataiaîç m^SiZeiv rcpo0"U|iroç SoKeî moi, Ka0ârcep 'IrcrcoKleiSrj o toîç okéleoi %£ipovo|iôv èrci fqç tparcéÇrÇ, eipeîv âv èXop%o"U||£voç t^v à1»0eiav "où fpovtij HpoS6tj" (867b).
usages précédents, doit également être expliquée par le déroulement de la scène. Hippocleidès, emporté par sa danse frénétique et ne respectant plus aucune règle de comportement, prend les dessus dans cette échange des répliques: sa réponse bouleverse l'idée de la réaction adéquate que Kleisthénès a pu attendre à ses paroles. Or, il n'est pas du tout humilié, et dans ce court dialogue c'est lui qui a le dernier mot. Et c'est le décalage entre cette «victoire» dans le dialogue et la défaite évidente dans la compétition qui rend ce personnage si ridicule et si fort en même
temps25.
On retrouve la même expression introduisant une réplique, dans le même livre, dix chapitres plus tard (VI, 139), quand Hérodote (et son lecteur) tiennent, bien entendu, encore en memoire le contexte de ce passage antérieur. Punis pour le massacre de leurs femmes athéniennes, les Pélasges doivent, selon l'oracle, expier leur crime envers les Athéniens en accomplissant leur désir, quel qu'il soit.
'AGhvaîoi 6è èv trâ pputavhiJ Klivqv ctpècavteç œç ei%ov Kallicta гаг tpàrceÇav èpipléhv âgaGrnv pàvtrnv papaGévteç èKeleuov toùç nelacgoùç fqv %rnphv cftci papa8i8ôvai oûtrn 8%oucav. Ol 6è Пe1acgoг molapôvteç eipav «'Epeav bopév âve^j aùthmepôv èXavocv vhàç èK tç ùmetéphj èç fqv ^metéphv, tôte papaSècomev», èpictamevoi toàto eivai âSOvatov gevécGav ^ gap 'AttiKrç ppôç vôtov Keîtai pollôv tç A»uvou.
L'exigence des Athéniens 6, bien qu'elle soit aussi légitime que la phrase de Kleisthénès, est aussi décisive et indiscutable que cette
25 Il faut noter que dans la fable indienne la décision de l'Oie d'or de donner sa fille à son neveu et son indignation à propos de la conduite peu respectable du paon sont unis dans la même réplique; le paon ne répond rien à la décision du roi et est véritablement humilié: «... and the peacock was covered with shame at not getting the fair gosling, and rose straight up from the place and flew away» (traduction anglaise citée de Macan 1894: II, 306). L'histoire, comme la raconte la fable (où les personnages sont convertis en oiseaux, et donc dépourvus dans une grande mesure de psychologie humaine, et où le développement du sujet est très extériorisé), est beaucoup plus simple du point de vue psychologique que la version «humaine» racontée par Hérodote qui, apparemment, était la version répandue en Grèce (cf. ôvomâÇetai, «circule en tant que proverbe», à propos de la réponse d' Hippocleidès).
26 Pour la première fois, la réplique à laquelle répond, ùrcolapèv, le deuxième participant du dialogue est donnée en discours indirect, ce qui est facile à comprendre, car elle est directement liée à la description de la table que les Athéniens ont dressée pour les pélasgiens. Bien sûr, Hérodote a pu citer les mots des Athéniens au discours direct, mais le discours indirect qu'il préfère, sert à garder l'unité de la partie visuelle et la partie verbale de la demande.
dernière; de même, la réponse des Pélasges est aussi forte que celle d'Hippocleidès: en fait, la réponse est «jamais» (èpictàmevoi toàto eîvai âdùvatov gevéceai), mais formulée comme une promesse conditionnée, ce qui leur permet de se réconcilier avec les dieux. Après beaucoup de temps, à l'époque de Miltiade, un navire a, cependant, fait ce trajet en un seul jour, et les Lemniens étaient forcés de céder leur île.
Il faut noter en particulier qu'ici, pour la première fois dans l'utilisation du verbe ùpo1a|3eîv dans les dialogues d'Hérodote, c'est l'ensemble du peuple qui donne la réponse. Les statistiques des réponses que donne Lang montrent que le pourcentage des groupes parlants est beaucoup moins élevé que celui des individus (25% et 75% respectivement); elle montre également que les réponses des groupes prennent pour modèle celles des individus27. Dans ce cas, la situation entre les Athéniens et les Pélasges est mise en parallèle avec celle de Kleisthénès et d'Hippocleidès, le participe molapèv en constituant un écho explicite28.
Dans le septième livre nous trouvons encore deux exemples de l'utilisation de la formule ùpolabrnv ëfh. En I, 101 Xerxès pose la question à Démarate sur la probabilité que les Grecs, évidemment cédant en nombre à l'armée perse, se confrontent à elle en bataille:
metepémyato AhM-àphtov tov 'Apictrnvoç cuctpateuô-mevov aùtrâ èpi fqv 'Ellàda, Kalécaç 8' aùtov eïpeto tàde- «Ahmàphte, vàv moi ce ti èoti eipéceai ta eélw. Sù eîç "Ellhv te Kai, œç ègë puveàvomai céo te Kai trâv alîwv 'E11»vwv trâv èmoi èç lôgouç âpiKveo-mévwv, pôlioç oùt' èiaxlcthç oùt' âceevectàthj. Nàv rav moi tôde fpàcov, e„ "Ellhveç ùpomevéouci %eîpaç èmoi âvtaeipômevoi. OÙ yàp, œç ègë dokéw, où8' e„ pàvteç "Ellhveç Kai ol loipoi ol ppoç ècpéphj oikéovteç avepwpoi cu11e%eeihcav, oùk âXiôma%oi eici ème èpiôvta ùpomeîvai, m'H èôvteç apemioi. ©éîw mévtoi Kai to âpo céo, ôkoîôv ti pepi aùtrâv légeiç, pueéceai.» 'O mev taàta eipèta, ô 8e ùpolabrnv ëfh' «Bacileà, Kôtepa âlheetv xp»cwmai ppoç ce À
«the majority of pair's second speeches either provide amended motivation, rejection of action, explanation, or justification, all of which are more likely to be made by single individuals, or are motivating oracles that are to be regarded as the god speaking as a single individual» (Lang 1984: 135).
28 La réplique des Athéniens est d'autant plus «laconique» qu'elle est en essence non-verbale; la réponse des Pélasges, comme le note Aly 1921: 161 est hexamétrique, ce qui trahit ses origines poétiques et populaires.
^8ovi;» 'O 8é miv al^éet^ cp»cacéai èkéleue, fàç oùdév ol âhdéctepov ececéai À ppôtepov ^v.
L'utilisation de la formule ùpolapàv efh ici est étonnante, et contredit, en apparence, ce qu'on a vu auparavant. Elle n'introduit pas une véritable réponse à ce que dit Xerxès; elle n'est pas la réplique finale de ce dialogue (en outre, même si l'on prend la première partie du dialogue, I, 101, séparément, la réplique est insérée entre deux répliques de Xerxès, une au discours direct et l'autre indirect); le dialogue lui-même est loin d'être tripartite (comme c'est le cas dans I, 11 et I, 27). En fait, ce cas présente la contamination des deux formules: ùpolapàv efh, en gardant plusieurs traits qui lui sont propres, se rapproche dans son usage de ùpolapàv eîpe. En particulier, c'est de ùpolapàv eîpe comme nous l'avons vu en VI, 129 et VI, 139, que vient l'apparent décalage entre les logiques des deux répliques et son utilisation dans un dialogue essentiellement «bipartite»29 (si l'on parle de la première partie du dialogue). Cependant, malgré ces innovations d'emploi, dans ce passage Hérodote utilise le verbe efh et non eîpe, parce que la formule introduit une réplique qui sera décisive pour le développement suivant de dialogue (en fait, par sa question Démarate définit les conditions de sa réponse30), et qui n'est pas en opposition à la réplique précédente; en
29 En fait, la réponse de Xerxès est donnée au discours indirect, ce qui montre qu'elle est d'importance secondaire dans ce dialogue, et ainsi est en quelque sort pareille à la réaction de Crésus en I, 127: K£pta te ^oG^vai Kpoîoov tô ènilogro Kai oi, rcpoofuéwç gàp So^ai légeiv, neiGomevov naùoaoGai trçç vaunhgihÇ-
30 Il ne faut surtout pas voir dans cette question de Démarate quelque opposition à Xerxès que ce soit, comme le fait, par exemple Legrand. Il dit à propos de la réplique de Démarate: «Ce préambule, où Démarate reproche ironiquement (italiques sont les miennes - M. K.) à Xerxès de ne guère demander aux autres leur avis que pour les entendre approuver son opinion personnelle, ne dépasse-t-il pas en fait ce que Démarate, quel qu'eût été son crédit à la cour de Suse, pouvait se permettre à l'égard du Roi ?» (Legrand: VII, 111). Cette réplique de Démarate n'a pas du tout une intonation ironique (il faut prendre en compte que l'ironie et le rire est réservé chez Hérodote aux personnages peu raisonnables qui vont mal finir - voir Lateiner 1977, passim, et Démarate, tel que le dépeint Hérodote, dans son comportement se montre essentiellement bon et sage -Gould [1989: 22] (en même temps, comme personnage dans les Histoires Démarate est, comme le montre Boedeker, assez ambivalent: «In the Histories then Demaratus reverberates with potential for disaster which is not fully realized» - Boedeker 1987: 193); et le «reproche» n'apparaît que plus tard dans ses mots: 'W paoileù, àpc^Gev °niotâmhv oti al^Qeiv %pero|mevoç où fila toi èpéw où Sè èrcei °v£gKaoaj légeiv tôv logwv toùç àl^Seotâtouç, elegov tà Kat»Kovta Snapti»tvoi (VII, 104). Certes, dans cette scène en général il y a une opposition très forte des Perses et des Grecs, et la réplique de
outre, dans ce dialogue le Laconien apparaît comme le locuteur le plus fort, avec une position et une opinion bien précises à la différence de Xerxès, dont la manière même de poser la «question» montre que, malgré sa fierté de son armée énorme, il éprouve le besoin d'être assuré que la supériorité du nombre va lui garantir la victoire (de ce point de vue, il ne veut pas tellement avoir une vraie réponse à sa question). Ce que dit Démarate trompe l'attente du roi, et même si à la fin du dialogue Xerxès rit, ne prenant pas ses paroles au sérieux, il est le vrai maître du dialogue, surtout en tant qu'il formule les principes de la démocratie grecque qui sont très importants pour Hérodote, et en tant que l'histoire va apporter la preuve que c'est lui qui a raison3 .
Du point de vue de la composition de cette scène, pour Hérodote l'insertion de cette réplique de Démarate est également un moyen d'insister sur l'objectivité du discours qui suit et qui est un des plus importants discours programmatiques dans son œuvre. Il faut se rappeler que Xerxès fait l'inspection de son armée à Doriskos, et Hérodote utilise l'occasion pour donner la description - sur 40 chapitres ! - des forces barbares (VII, 60-100). Ensuite le roi pose la question citée ci-dessus à Démarate qui est un de ses généraux. Le discours de Démarate sert à contrebalancer le catalogue de l'armée perse32, et Hérodote insiste à plusieurs reprises sur son objectivité qui doit à son tour contrebalancer l'objectivité des chiffres donnés dans les chapitres précédents: cf. Démarate qui dit lui-même qu'il n'a pas d'amour particulier pour les Laconiens qui l'ont exilé:
Kaltoi œç ègë tuy%àvw ta vàv tàde èctopyrnç èkelvouç, aùtoç màlicta è^eplcteai, oï me tim»v te Kai gépea âpelômevoi patpèia apollv te Kai fugàda pepoi»Kaci.
(VII, 104).
Démarate en I, 101 doit être comprise dans ce sens-ci: dans sa réponse il va se montrer aussi libre que les Laconiens qu'il loue ('EleùBepoi yàp èovteç où rcâvta èleùBepoi eîov erceoti g£p ofi SeonÔThj vomoç, ton ùnoSeimaivouoi nollô eti mâllov À oi ooi oé - VII, 104); et sa question au début du dialogue, sur la manière dont il doit parler, est plutôt une façon de demander permission de parler comme un Laconien, et pas comme un Perse.
31 En général, seul le déroulement du dialogue détermine celui qui maîtrise la conversation; mais dans ce cas, comme c'est une confrontation d'idées qui dépasse largement un dialogue proprement dit entre deux personnages historiques, les événements qui suivent doivent également être pris en compte.
32 Forsdyke montre bien que cette scène est bâtie sur des principes dramatiques, et donne un beau parallèle - le début des «Perses» d'Eschyle qui commence par un catalogue de l'armée perse, suivi d'un dialogue entre le chœur et Atossa pour laquelle, comme pour son fils chez Hérodote, la supériorité du nombre semble garantir la victoire (Forsdyke 2001: 342-343).
Dans l'exemple suivant, qui contient le bref dialogue de Xerxès avec ses conseillers en VII, 147, Hérodote va revenir à l'utilisation habituelle de la formule ùpolabrnv Efh- Les conseillers exhortent Xerxès à attaquer les navires grecs chargés de blé:
'O 6è HépXhÇ eïpeto aùtoùç okv rcléoiev ol 6è eîpav-«'Eç toùç coùç rcolepAouç, ш 8écpota, cîtov agovteç.» 'O 6è ùpolabrnv Efh' «OÙK ôv каг ^p,eîç èkeî rcléomev EvGa pep <каг> oùtoi, toîcl te alloici èXhptumévoi каг сгтф; Тг б^та âSiKeouci oùtoi ста
лapaкomгZovteç;» (VII, 147).
Cet exemple est évidemment bâti sur le modèle de dialogue entre Crésus et le sage en I, 2733, avec l'inversion des rôles: ici le roi prend au piège ses conseillers en leur montrant le point faible de leur raisonnement34.
Le dernier exemple de l'expression que nous allons examiner se trouve dans le neuvième livre d'Hérodote quand les Apolloniates cherchent à expier leur faute devant Euhènios, qu'ils avaient aveuglé: après cet acte ils avaient été accablés par la stérilité de la terre et des
33 Xerxès comme le sage en I, 27 prévoit la réponse des conseillers dans sa première question; et, comme Bias ou Pittacos dans le premier livre, il utilise une série de questions dans sa réplique finale pour démontrer l'incohérence logique de leur conseil. Dans les deux cas le discours introduit par ùnolaprôv ëfh sert à prévenir une action téméraire et inutile. Notons également que dans les deux cas la réplique finale s'appuie dans une très grande mesure sur les mots de la réplique précédente. Aussi, la première phrase du sage fait plusieurs allusions à l'invocation des dieux presque homérique de Crésus: «'W paoïleà, npo0ùmwç |moi faiveai evXao0ai vnoiètaç innevomévovç lapeîv èv °neipro» (I, 27: le verbe ev%o|mai désigne l'intonation générale de ce qu'avait dit Crésus; l'expression vnoiètaç inneuo|évouç reprend les mots de Crésus; sa deuxième phrase qui renverse la situation pour montrer le point de vue des insulaires est strictement bâti sur cette première). Cela est encore plus évident dans le deuxième cas: dans sa courte réplique Xerxès fait allusion deux fois à «oîtov agovteç» de ses conseillers (oitj, oitia) avec le jeu évident sur le sens que les conseillers donnaient à ce fait: à leur avis, il fallait attaquer les navires, car ils transportaient les vivres aux ennemis; Xerxès renverse la situation en leur montrant que les navires transportent le blé plutôt pour les Perses.
34 On peut remarquer également que le sage dans le premier livre est un Grec qui arrête le roi barbare dans son projet peu réfléchi; ici, ce sont des gens de l'entourage perse qui donnent ce conseil imprévoyant, tandis que Xerxès montre un bon sens et absence d'étroitesse de vues presque grecs (rappelons-nous qu'il le fait devant les espions grecs qu'il avait découvert et, au lieu de les tuer, leur a permis de mesurer l'ensemble de son pouvoir, aussi bien que sa magnanimité, pour les laisser rentrer en Grèce ensuite: Oi |év vuv Katâokonoi oûtw 0ehoâmevoi te Kai ànonemf9évteç èvoothoav èj fqv Eùpènhv - VII, 147; cette phrase suit directement l'histoire qu'on a examiné ci-dessus).
animaux, et l'oracle de Dodone leur ordonna de donner à Euhènios quoi qu'il demande. Certains Apolloniates ont, donc, interrogé le berger pour savoir quelle récompense le satisferait, sans lui rien dire de l'oracle: 'O 8é, oùk âKhKomç to eeoppôpiov, eïleto eïpaç eï tlç ol 8olh âypoùç, trâv âctrâv ovomàcaç toîci °plctato eîvai Kalll-ctouç 8ùo Kl»pouç trâv èv ti 'Apollwvlv, Kai oÏKhciv ppoç toùtoici fqv É8ee Kalllcthv èoàcav trâv èv pôli- toùtmv 8e ëfh èp»bo1oç gevômevoç toà loipoà <av> âm»vitoç eîvai, Kai dlkhv ol taùthv âpoxpâv gevomévhv. Kai ô mev taàta ëlege, ol 8e pàpedpoi eîpav 0po1apôvteç- «Eù»vie, taùthv 8lkhv 'Apoliravi^tai tç èKtflècioç èktlvoucl toi Kata eeoppôpia ta gevômeva.» 'O mev 8^ ppoç taàta 8eiva èpoiéeto èveeàtev pueômevoç tov pàvta lôgov, œç èXapath-eelç... (IX, 94).
Comme dans le cas précédent, ce récit est complètement bâti, jusqu'aux plus petits détails, sur l'histoire des Athéniens et des Pélasges (VI, 139)3 ; et comme dans le cas précédent, il y a un renversement de la situation (Euhènios est fâché en se sentant trompé, mais en outre de ce qu'il avait demandé, il obtient de la part des dieux le don de providence pour lui et pour ses descendants36). L'utilisation de la formule
35 La demande d' Euhènios est donnée au discours indirect, bien qu'ici elle puisse apparaître comme une véritable réplique, mais Hérodote préfère garder le parallèle avec la demande des Athéniens en VI, 139 qui, étant à moitié visuelle, à moitié verbale, était pour des raisons évidentes mise en discours indirect; le fait que les deux demandes contiennent le mot Kalliotoj (Klivrv otpèoavt£j œç £i%ov Kâlliota - VI, 139; Kalliotouc Sûo Kl»pouj et Kalliotrv oÏKroiv - IX, 94); la reprise par la partie coupable des mots de la partie offensée (rcapaSiS6vai ... t6t£ napaSèoo|£v - VI, 139; Sikrv oi taùtrv àrco%pâv ... taûtrv Sikrv 'Arcollrovvqtai èktivouoi toi - IX, 94). Si l'on regarde les deux histoires en entier, les échos sont encore plus nombreux (e.g., ovt£ yn Kapnov ëf£p£ ovt£ yuvaÎKéç t£ Kai rcoî|vai ô|oiwç etiKtov - VI, 139, et ovt£ np6patâ ofi etiKt£ ovt£ yfl ef£p£ ô|oiroç Kaprc6v - IX, 94, etc.). Les commentaires ne notent pas ces parallèles assez évidents, peut être parce que l'histoire du berger aveuglé est beaucoup moins importante que celle de la mainmise des Athéniens sur Lemnos.
36 Cf. la remarque pertinente de Macan dans son commentaire (ad locum): "The trick is indicative of a relatively low standard of morality, which keeps pledge in the letter, and breaks it in the spirit, and is characteristic of a certain type of culture, or education, which unites a scrupulous conscience with a good deal of essential dishonesty <...> In this case, however, there was a difficulty: had Euenios been told the whole story, he might have been sorely tempted into extravagant demands. The gods plainly condoned the trick and consoled the
0po1apôvteç eîpav dans ce cas s'explique par ce parallélisme entre les deux récits (il n'y pas de véritable opposition dans la réplique des Apolloniates, au contraire, ils accordent à Euhènios ce qu'il a demandé, mais l'aspect de ruse et de fraude y reste, aussi bien que l'irrévocabilité de la décision prise).
On a vu, donc, l'usage subtil que Hérodote fait de la formule d'introduction de discours direct ^pola^mv efh / 0po1abmv eîpe. Il semble que 0po1abmv efh soit l'expression originale, et que c'est à partir d'elle que 0po1abmv eîpe a été créé. On rencontre les deux presque uniquement dans des contextes de conduite indue, quand il s'agit de résoudre la situation créée par cette violation des règles établies ou implicites37. Tandis que dans les deux cas le participe 0po1abmv sert à montrer la personne qu'il désigne comme la partie forte de la conversation (souvent avec la notion d'une ruse ou d'un piège intellectuel qu'elle dresse pour son interlocuteur), la différence d'aspect des deux verbes explique les nuances du sens entre les deux expressions: 0po1abmv efh est utilisé sans référence au moment concret et introduit une réplique qui sera décisive pour le déroulement des événements dans l'avenir; 0poîapàv eîpe est directement attaché au moment de la prise de parole et introduit une réplique décisive pour le déroulement du dialogue, celle qui le conclut (et, en revanche, les événements suivants la dévalorisent dans une grande mesure). Cette différence est étroitement liée au fait que la première expression est utilisée dans les dialogues tripartites, et la deuxième - dans les dialogues bipartites. L'exemple le plus intéressant se trouve dans la conversation de Xerxès et Démarate (VII, 101), où l'on voit ces deux variants se rapprocher jusqu'au point de se confondre presque, malgré toutes leurs différences. Comme on a essayé de montrer, l'expression 0po1abmv efh (eîpe), telle qu'on la voit chez Hérodote, introduit des détails psychologiques très particuliers et très fins qu'il semble dommage d'omettre, en le traduisant tout simplement comme «répondre».
Finissons par une brève esquisse de l'usage de 0po1abmv efh (eîpe) après Hérodote. On a continué d'utiliser cette expression jusqu'à
diviner with a gift which brought him honour, and doubtless proved extremely profitable to him and his descendants".
37 La femme de Candaule cherche à se venger du manque de respect que les deux hommes ont montré envers elle et son aiSèç; le sage dissuade Crésus d'enfreindre la règle implicite que les Lydiens doivent rester sur le continent avec leur cavalerie, et laisser la mer aux insulaires; la conduite incorrecte d'Hippocleidès est évidente, et Hérodote renforce l'impression de sa perversité par l'oxymoron toîoi okéleoi %eipovom»oavta; etc.
l'antiquité tardive, mais, bien entendu, son sens a évolué par rapport à ce qu'on a vu chez notre historien: l'usage fréquent a effacé la plupart des nuances stylistiques et psychologiques, l'expression elle-même est devenue beaucoup moins riche et remarquable. Le dictionnaire de Liddell - Scott - Jones attribue deux sens au verbe ùpolambâveiv dans le contexte d'un dialogue: «rejoin, retort» et «take up, interrupt»38, mais surtout vers la fin de l'antiquité l'expression perd peu à peu son sens original et ne désigne que l'alternance des répliques dans un dialogue.
Tout d'abord, le participe aoriste molapóv perd complètement la valeur d'antériorité au verbe fh (eipe) qui était faible déjà chez Hérodote, et n'exprime la simultanéité dans le passé39. De même, notre formule ne dénote plus ni la distribution des forces dans le dialogue, ni la nuance de ruse ou de piège dans la réplique qu'elle introduit, et sa signification rapproche effectivement le latin suscipere, ou «prendre la parole» dans les langues modernes.
Déjà chez Platon on trouve molapóv fh dans les phrases qui introduisent une réplique, utilisé d'une manière neutre40; en outre, la position de l'expression change par rapport à la réplique du personnage, comme il y a assez beaucoup d'exemples où le participe et le verbe sont séparés: ce premier précède le discours direct, tandis que ce dernier l'entame:
návu |mèv oâv, fh, ® SmKpateç, úpola^mv ó nolémapxoç, eïpep yé ti SimmvtSv ft£Î0£o0ai.
(Plat., Resp., 331 d 4).
38 De même, Passow: «in die Rede eingreifen um sie zu unterbrechen oder weiter zu führen; das Wort nehmen und antworten, erwiedern, entgegnen» (Passow 1857: II, 2, 2137). On ne trouve ces significations que chez des auteurs postérieurs à Hérodote. L'autre sens dans lequel notre verbe apparaît souvent, par exemple, chez Platon, celui de «comprendre» et «concevoir», a déjà été brièvement ébauché dans la note 16.
39 Gildersleeve formule la règle ainsi: «The action of the aoristic participle is ordinarily prior, but it may be coincident, so especially when the leading verb is aorist or future» (Gildersleeve 1980: 140, § 339); de même, Humbert qui explique ce phénomène par «le jeu des aspects» (Humbert 1954: 128, § 217). Ce fait est noté à propos de ùrcolaprôv fh par Burnet dans son commentaire (1911: 15).
0 Même si on trouve ùrcolaprôv fh parfois dans le contexte d'un «piège» au cours du dialogue: 'Yimeîç Sé, fh, poùleoëe gevéoëai aùtov oofôv, àmaBfl Sè mù eîvai; - 'Dmologoùiev. - Oùkoùv Öj |èv oùk eotiv, poùleoëe aùtov gevéoBai, Öj S' eoti vàv, mhkéti eîvai. - Kai ègà àkoùoaç è0opup»0hv- o Sé mou Bopupoumévou ùnolapèv, "Allo ti oâv, fh, ™pei poùleoëe aùtov Öj vàv èstiv mhkéti eîvai, poùleoëe aùtov, œj eoiKev, ànolwlévai; (Euthyd. 283 d 4).
La possibilité de séparer le participe du verbe montre bien que l'expression était à ce moment perçu comme unité phraséologique tellement stable, que même la séparation de ses éléments ne pouvait pas lui nuire. Pour certains passages on a voulu préciser la nuance de sens de 0po1amPàvEiv (e.g., pour Phédon, 60 c
841)
, mais Verdenius note à juste titre: «the dilemma "to rejoin" - "to interrupt" is not a real one: the real meaning is to take up something that has been said, and it depends on the context whether this will be an answer or an interruption, or neither of these, as in the present case, where Cebes simply takes up the mention of Aesop» (Verdenius 1958: 195; de même, Loriaux dans son commentaire - Loriaux 1969: I, 33). Ce nivelage du sens est rendu encore plus évident quand 0po1abrnv Efh est accompagné d'un adverbe: on le trouve, par exemple, à maintes reprises dans l'Euthydème quand l'un des deux sophistes se hâte à intervenir et prendre la parole, en voyant l'autre en danger:
'Alla co, -v 8' èyè, prnç léyeiç, ra E-oGodhm-E; où 8okeî coi ôpGrnç âdelfôç léyeiv ô pàvt' eidèç; - 'Adelfôç yàp, Efh, ™Y® eimi Eù6u8»mou, molabrnv ô
Aiovucodwpoç;
(Plat., Euthyd., 297 a 9) Kai aâ0iç ta%ù ùpolabrnv ô Aiovucodwpoç, ïva m-'H ppôtepôv ti eïpoi ô Kt»cippoç, Kai Eti yé moi miKpôv, Efh, âpÔKpivai- topteiç tôv Kova toàtov;
(Plat., Euthyd, 298 e 6).
Vers la fin de l'antiquité molabrnv efh (eîpe) devient une expression de plus en plus figée; apparemment, elle était beaucoup utilisée dans la langue parlée, sans différer beaucoup d'un simple «répondre» ou «prendre la parole». Ainsi, dans la traduction du livre de Job (Septante), le livre dont la plus grande partie consiste en discours de Job et ses amis, on la trouve 24 fois, marquant à chaque fois d'une manière tout à fait formulaire, le changement de la personne qui parle. De même, ùpolabrnv efh (eîpe) apparaît régulièrement dans les fables d'Esope42, dont une, notamment, la fable № 251 (I), nous montre par ses variae lectiones qu'à cette époque ùpolabrnv efh était tout à fait interchangeable avec une autre expression semblable, 0potu%mv Efh'
41 Dans ce passage la réplique de Cébès est introduite de la manière suivante: 'O oâv KéphÇ "ùnolaprov, N-q tov Àia, ro Sèkpatej, ëfh, eâ g' èrcovqoaç àvamv»oaç me... Burnet attribue le sens de «répliquer» au verbe ùnolam-pâveiv: et le compare au latin suscipere (Burnet 1911: 15), tandis que Hackforth propose le sens d' «interrompre» (Hackforth 1952: 33, note 3).
42 Notre expression est utilisée dans 22 fables, parfois dans plusieurs versions à la fois.
ùç Kai KÙwv pepi eùtokiaç ^pi^ov. tç 8è Kuvoç eipoùcqç, oti movh trâv tetpapô8wv ta%éwç âpokùei, ^ ùç ùpofD%oùoa ( vpolaßovsaCF) efh' âll' otav toàto léyvç, yivwoKe, oti tfla tÎKteiç." — ô lôyoç S^loî, oti oùk èv trâ tà%ei ta ppàymata, àll' èv tfl teleiôthti Kplvetai. Cet exemple témoigne du fait que la forme interne du verbe 0po1amߣveiv ne jouait plus aucun rôle, et ne contribuait aucune nuance spécifique. Aussi, n'est-il pas étonnant, en vue de ce nivelage du sens, que le lexique de Suda substitue ùpotuxèv à 0po1aßrnv hérodotéen, quand il raconte de la danse malencontreuse d'Hippocleidès:
OÙ fpovtiç 'IppoKleiSv: papoipAa, ÂÇ mé^v^tai "Epmippoç èv AhM-ôtaiç. 'IppoKletS^ç ô Ticàv8pou méllwv yameîv Ayapiofqv fqv KleicGévouç toà SiKumvtou ôuyatépa toà tupàvvou èv aùtfl ti trâv yàmwv imépa èpwp%»oato pepittrâç. metaßouleuca-mévou 8è toà KleicGévouç Kai Meyakleî trâ AlKmaiwvoç fqv ôuyatépa 8ôvtoç, ppoç 8è tov 'IppoKletS^v faveprnç eipôvtoç, oti apmpcqtai tov yàmov tov 'Ayaplcthç, ùpotu%rnv èfh' où fpovtiç 'IppoKleiSv. (Suda, o 978).
Bibliographie
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