Научная статья на тему 'Vittoria Aganoor, the Dreamed and Unknown Armenia'

Vittoria Aganoor, the Dreamed and Unknown Armenia Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

CC BY
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Ключевые слова
Vittoria Aganoor / Italian poetry / Melkites / Armenia / San Lazzaro degli Armeni / Orientalism

Аннотация научной статьи по языкознанию и литературоведению, автор научной работы — Antonella Mauri

This work concerns the Italian poet Vittoria Aganoor (1855-1910), daughter of Edoardo Aganoor, an aristocrat of Armenian origin. His tutor, Father Zanella, a great poet and pedagogue, detected his poetic talent in his youth. Since the 1870s, she published poems in literary journals. Her first book was released in 1900 and was a great success, but she was already praised by the critics and well-known by the public. Her father refused teaching her Armenian. The frustration linked to this “denied language” will accompany him throughout his life. She will not be able to learn Armenian in her youth because of the inexplicable refusal of her father, and when she was finally free to do so, she was too old. Armenian will forever remain a foreign idiom that does not belong to her: a part of herself has thus been taken away from her and will no longer find her words. Incommunicability and denied language are an integral part of his poetics, and appear in other writings, notably his letters.

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Текст научной работы на тему «Vittoria Aganoor, the Dreamed and Unknown Armenia»

YEREVAN STATE UNIVERSITY

Department of Translation Studies

TRANSLATION STUDIES: THEORY AND

PRACTICE

International Scientific Journal

Special Issue 1

Lectures Croisées des Discours

Hiatus entre Réalités Sociopolitiques, Récits de Mémoire et Approches Interprétatives

Guest Editors

Garik Galstyan, Gayane Sargsyan, Taguhi Blbulyan

YEREVAN 2023

DOI: https://doi.org/10.46991/TSTP/2023.SL1.183

Vittoria Aganoor, the Dreamed and Unknown Armenia

Antonella Mauri* https://orcid.org/0000-0003-2249-8076 UNIVERSITY OF LILLE

Abstract: This work concerns the Italian poet Vittoria Aganoor (1855-1910), daughter of Edoardo Aganoor, an aristocrat of Armenian origin. His tutor, Father Zanella, a great poet and pedagogue, detected his poetic talent in his youth. Since the 1870s, she published poems in literary journals. Her first book was released in 1900 and was a great success, but she was already praised by the critics and well-known by the public. Her father refused teaching her Armenian. The frustration linked to this "denied language" will accompany him throughout his life. She will not be able to learn Armenian in her youth because of the inexplicable refusal of her father, and when she was finally free to do so, she was too old. Armenian will forever remain a foreign idiom that does not belong to her: a part of herself has thus been taken away from her and will no longer find her words. Incommunicability and denied language are an integral part of his poetics, and appear in other writings, notably his letters.

Keywords: Vittoria Aganoor, Italian poetry, Melkites, Armenia, San Lazzaro degli Armeni, Orientalism

Vittoria Aganoor, L'arménie Rêvée et Méconnue

Résumé : Le présent article concerne la poétesse italienne Vittoria Aganoor (1855-1910), fille d'Edoardo Aganoor, aristocrate d'origine arménienne. Son précepteur, le père Zanella, grand poète et pédagogue, a décelé son talent poétique dès sa jeunesse. Dès les années 1870, elle publie des poèmes dans des revues littéraires : son premier livre sort en 1900 et connaît un grand succès, mais elle est déjà saluée par la critique et bien connue du public. Son père a refusé de lui enseigner l'arménien. La frustration liée à ce « langage dénié » l'accompagnera tout au long de sa vie. Elle ne pourra pas apprendre l'arménien dans sa jeunesse à cause du refus inexplicable de son père, et lorsqu'elle est enfin libre de le faire, elle était trop vieille. L'arménien restera à jamais un idiome étranger qui ne lui appartient pas : une partie d'elle-même lui a ainsi été enlevée et ne trouvera plus ses mots. L'incommunicabilité et le langage déni font partie intégrante de sa poétique, et apparaissent dans d'autres écrits, notamment ses lettres.

Mots-clés : Vittoria Aganoor, poésie italienne, melkites, Arménie, San Lazzaro degli Armeni, orientalisme

* antonella.mauri@univ-lille.fr

This work is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial 4.0 International License.

Received: 15.10.2022 Revised: 16.10.2022 Accepted: 25.10.2022 © The Author(s) 2023

1. Introduction

Vittoria Aganoor était une poétesse italienne d'origine arménienne qui a eu un succès aussi grand et foudroyant qu'éphémère entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Célèbre jusqu'au début de la Grande Guerre, elle a depuis été oubliée, et ce n'est que récemment qu'on a commencé à s'intéresser à nouveau à cette écrivaine. Son recueil Leggenda Eterna, publié en 1900, avait reçu des recensions très élogieuses de la part de critiques, hommes de lettres et poètes et, même le critique le plus sévère, Benedetto Croce, avait défini son « canzoniere » comme « assurément le plus beau jamais écrit par une femme italienne » (Croce 1911: 10). Mais après la guerre les goûts changent, on veut du « moderne » et les poètes dont le style était dix-neuvièmiste, comme celui d'Aganoor, sont délaissés et peu republiés. L'arrivée du fascisme n'arrangera rien, et on peut affirmer qu'après la seconde guerre mondiale cette poétesse était non pas méconnue, mais totalement inconnue à la plupart du public mais aussi des italianistes : aucun de ses poèmes n'apparait dans des anthologies, on ne la cite jamais parmi les auteurs, importants ou mineurs, de son époque. Pourtant, ce n'était pas le cas dans la première moitié du siècle, car jusqu'en 1935 au moins on trouvait encore quelques-uns de ses poèmes dans les textes scolaires. Depuis quelques années, on a redécouvert ce personnage hors du commun ainsi que son œuvre, et on a non seulement publié des études sur sa vie et ses poèmes, mais aussi des parties de sa passionnante correspondance avec la famille et avec des protagonistes de la vie mondaine et littéraire italiennes fin de siècle.

Les lettres et les poèmes d'Aganoor citées dans cet article, ainsi que les citations d'autres textes italiens, ont été traduits par mes soins, sauf autre indication. Etant donné les raisons démonstratives des poèmes choisis pour ce travail, ma traduction ne respecte aucune métrique, mon souci n'étant pas de « bien » les traduire, mais d'en respecter et privilégier le sens.

2. Une histoire personnelle et littéraire singulière

La famille Aganoor avait une histoire longue et, comme c'est souvent le cas, compliquée et pleine de changements de lieux de résidence, de professions, d'alliances. Pour ce qui nous intéresse, Vittoria descendait de Maria Theresa Moorat, fille de Samuel Moorat et d'Anna Raphael. Cette alliance va avoir beaucoup d'importance pour son histoire, car les familles de ses arrière-grands-parents avaient fondé les internats Moorat et Raphaël, deux institutions pour les jeunes Arméniens souhaitant poursuivre leurs études en Europe. Après le mariage d'Anna et Samuel, on les unifia dans le collegio Moorat-Raphaël de Venise, géré par les moines mékhitaristes de l'Ile de San Lazzaro. En 1813, Maria Theresa se maria avec l'aristocrate arménien Abraham Aganoor, originaire de Madras, ville indienne où de nombreux Arméniens de Perse s'étaient installés pour développer leurs commerces. Le couple émigra en Europe vers la fin de l'année 1834. Après une courte période à Paris, en 1835, Maria Theresa et Abraham s'installèrent à Venise. Ils achetèrent aussi une résidence à Padoue où ils passaient le plus clair de leur temps, car Maria Theresa supportait mal le climat humide

de Venise. Trois de leurs enfants les suivirent en Europe : Giovanni, Virginia et la cadet Edoardo (né Edward, 1822-1891), le futur père de Vittoria. On ignore s'ils avaient d'autres enfants, décédés en bas âge ou restés sur place. Edoardo, qui avait presque treize ans au moment du départ, ne se consola jamais d'avoir quitté l'Inde et tomba dans un état de mélancolie qui, avec le temps, deviendra pathologique et entraînera un réel problème psychiatrique vers la fin de sa vie. Dans la lettre du 31 mai 1900 à l'ami lettré Domenico Gnoli, Vittoria disait que son « papa adorée » souffrait d'une maladie de nerfs et que « tout en étant très gentil et réellement saint, il suscitait dans nos esprits d'enfants des véritables terreurs quand il était pris d'un accès d'exaltation religieuse ou d'autre genre » (Aganoor-Gnoli 1967: 193). De même, dans la lettre du 6 janvier 1901 adressée à l'homme politique Guido Pompilj (1854-1910), son futur mari, elle affirme que c'est surtout sur les insistances des Mékhitaristes que la famille quitta Madras. Mais il semble qu'elle voulait aussi attribuer une responsabilité à sa grand-mère :

Les Mékhitaristes, congrégation de pères arméniens intelligents et très cultivés, souhaitant fonder en Italie une institution scolaire pour la noblesse arménienne, persuadèrent la famille Aganoor, qui était connue et fortunée, de se rendre en Europe avec eux, en mettant en avant la possibilité d'améliorer les conditions de santé de ma grand-mère, qui n'étaient pas bonnes à cette époque, et parce que (et avant toute autre chose) ils allaient en tirer bénéfice. Ainsi, ils vinrent, d'abord en France et ensuite en Italie, où ils s'installèrent. Le collegio Raphael et le collegio Moorat, jadis à Paris, et qui maintenant ont été fondus avec celui de Venise, ont été créés grâce à des contributions plus que conséquentes de mon grand-père et d'un oncle. Mon père ne put jamais oublier son pays lumineux, sa maison, ses palmiers et la beauté de ses cieux (Ciani 2004: 52).

Edoardo Aganoor se maria en 1847 avec Giuseppina Pacini (1818-1899), qui venait d'une noble famille milanaise ruinée et était l'institutrice de sa sœur Virginia. Elle était plus âgée que son mari et avait un caractère bien trempé, ce qui s'avéra nécessaire pour gérer la famille, notamment quand les crises et les délires mystiques d'Edoardo devinrent de plus en plus fréquents. Le couple a cinq filles : Angelica (1849-1913), Maria (1850-1926), Elena (1852-1912), Virginia (1853-1911) et Vittoria (1855-1910), toutes intelligentes et douées, mais Maria et Elena, comme leur père, souffraient d'une maladie nerveuse. Elena, jugée un peu bizarre et souvent mélancolique, n'avait pas des problèmes aussi graves que Maria, qui à l'adolescence eut des crises si sérieuses qu'en 1876 toute la famille déménagea à Naples afin de la soigner, car on pensait que le climat chaud avait des effets bénéfiques sur les nerfs. Ils passèrent plusieurs années dans cette ville, que Vittoria aima beaucoup et où elle garda toujours des amis, puis ils rentrèrent à Padoue car Maria semblait guérie. Mais les crises, bien qu'espacées, continuèrent toute sa vie, et elle mourut dans un asile après une dizaine d'années d'internement.

Vittoria, tout comme ses sœurs, reçut une excellente éducation, qui comprenait l'étude des langues. En plus de l'italien, elle maîtrisait l'anglais, le français, le grec ancien et le latin, mais Edoardo ne lui apprit pas l'arménien, en dépit du fait que c'était la langue qu'il utilisait pour parler avec ses parents, et que ceux-ci communiquaient

entre eux exclusivement en arménien. Apparemment, il estimait que cela n'avait aucun intérêt car ses filles, étant des femmes, n'allaient pas perpétuer son nom : l'ascendance arménienne ne passait que par les garçons. Il est fort possible que le fait de n'avoir pas eu d'héritier l'ait déçu et perturbé davantage. Cependant, il ne négligea pas leur éducation et il se montra toujours très proche d'elles, et notamment de Vittoria. Aucune ne fut envoyée en internat, elles avaient des enseignants particuliers et des précepteurs de haut niveau, d'autant plus que beaucoup d'hommes de lettres fréquentaient le salon des Aganoor, à Padoue comme à Venise. Les deux cadettes eurent la chance d'être suivies par l'abbé Zanella (1820-1888) qui était professeur de littérature italienne à l'université de Padoue et écrivain de renom : il est considéré comme l'un des plus grands poètes lyriques vénitiens du XIXe siècle. C'est lui qui encouragea ses élèves à écrire. Virginia n'avait pas de talent poétique, elle publia des petits contes et quelques chroniques dans des revues littéraires avant son mariage, mais elle ne poursuivit pas cette activité. Vittoria, en revanche, commença très tôt à écrire des poèmes et continua jusqu'à sa mort : dans son cas, l'écriture n'était pas un loisir de demoiselle en attente de mariage, mais une vraie exigence de l'esprit. Zanella, même après le départ de la famille pour Naples, correspondait avec son élève, suivait attentivement sa production poétique, lui suggérant des changements ou des corrections quand elle lui envoyait ses poèmes. Tout en appréciant son travail, il la sermonnait souvent, lui déconseillant, par exemple, d'utiliser le vers libre, pour lequel il ne la jugeait pas encore mûre. Vittoria prenait très au sérieux ces propos, et n'osa écrire des poèmes non rimés ou structurés qu'à la fin de sa vie. Ses poèmes étaient effectivement de qualité en dépit de son jeune âge, et ils étaient publiés par plusieurs revues littéraires prestigieuses - Nuova Antologia, La Favilla, Il Fanfulla della Domenica, Il Marzocco, Quaderni Veneti, Roma Letteraria - ou aussi par des revues populaires comme Corriere del Mattino de Naples ou Gazzetta della Domenica de Florence, avec laquelle elle collaborait régulièrement.

Son nom et ses travaux étaient désormais connus dans le milieu littéraire, d'autant plus qu'elle était en correspondance amicale - et souvent, elle les fréquentait - avec plusieurs grands noms de la littérature et de l'édition italienne, mais elle ne décida de publier un recueil que très tard, en 1900, sur les insistances de sa mère, qui décéda peu de mois avant la sortie de son premier ouvrage, Leggenda eterna. Vittoria avait quarante-cinq ans et restait seule avec Maria : Angelica et Virginia s'étaient mariées et vivaient loin de Padoue ; Elena, à la mort d'Edoardo, avait exigé qu'on lui donne sa part d'héritage et était partie vivre au Frioul, où elle avait acheté des terres et un petit château. À cette époque, c'était très inhabituel qu'une femme si jolie et si fortunée soit toujours célibataire à un âge que l'on considérait comme largement canonique. Dans sa jeunesse Vittoria avait été fiancée à un aristocrate vénitien qu'elle avait quitté après avoir compris qu'il visait son patrimoine ; par la suite on lui a attribué plusieurs liaisons, mais aucune n'avait abouti, pour une raison ou pour une autre. Lors d'une réception à Naples, des amis communs lui présentent Guido Pompilj : ils s'apprécient et commencent à s'écrire. Leur correspondance, d'abord amicale, devient vite amoureuse : c'est Vittoria qui parle, elle la première, de ses sentiments à Guido. Il se marient en 1901 et s'installent entre Pérouse et le lac Trasimène, en Ombrie, où Vittoria fut très heureuse, poursuivant son œuvre littéraire et sa correspondance avec

ses amis et ceux qui l'estimaient pendant une dizaine d'années, jusqu'à la maladie qui la tua en peu de mois. Il s'agissait d'un cancer déjà opéré une première fois en février 1910, à Rome : Vittoria décéda quelques heures après une deuxième intervention, le 7 mai 1910. Guido, avec lequel elle avait fait un pacte « à la vie, à la mort » lors de leur mariage, tint parole : il se suicida d'une balle dans la tête. D'après certaines sources d'époque, il mit fin à ses jours dans sa chambre d'hôtel à Rome ; d'après d'autres, il se tua à côté de la dépouille de sa femme. Après leurs funérailles communes, ils furent enterrés dans la tombe de famille des Pompilj à Pérouse. Ce fait fit la une des journaux, on en parla longtemps et non seulement dans le milieu littéraire : Vittoria, on l'a dit, était célèbre, en dépit du fait qu'elle n'avait publié que deux ouvrages : Leggenda eterna, qui eut plusieurs rééditions avant son décès (à partir de la deuxième, le nom de

la poétesse y figure comme « Aganoor Pompilj ») et Nuove liriche. f

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3. Arménienne, mais pas trop

Vittoria a été souvent définie « poétesse arménienne » d'expression italienne. On insiste beaucoup sur son origine surtout dans le recueil Poesie complete, publié deux ans après sa disparition et incluant les deux ouvrages déjà publiés et un certain nombre de poèmes inédits ou parus uniquement dans des revues. Luigi Grilli, dans l'introduction, revient à plusieurs reprises sur ce détail et sur le fait que cela avait eu beaucoup d'importance aussi bien dans la poétique que dans la vie de la poétesse : « Vittoria était donc de véritable [en italien, le terme utilisé est "pur"] sang arménien et elle n'était pas Indienne ou Perse comme certains l'affirmaient. Et elle y tenait énormément, à son origine ! » (Grilli 1912: II). Toutefois, arménienne elle ne l'était qu'à moitié, sa mère étant de « pur » sang italien et, nous l'avons vu, ni son éducation, ni sa langue, ni ses traditions n'étaient arméniennes. D'ailleurs, l'une des premières questions qui viennent à l'esprit à ce sujet concerne sa méconnaissance de la langue de ses ancêtres : détail sans véritable importance ou obstacle insurmontable vis-à-vis de son « arménité » ? La question est très sérieuse. Sur quoi se base-t-il le sentiment d'appartenance à une certaine communauté - nationale ou ethnique - si l'on ne parle pas sa langue et, pire, si on ne la comprend même pas ? Vittoria semblait effectivement

le déplorer et, à ce propos, Grilli cite une lettre qu'elle avait écrit au père Arsen Gazikian : « Ô combien je regrette de ne pas connaitre l'arménien ! Ne m'en parlez pas, j'en pleurerais, surtout si je songe qu'il n'aurait rien coûté à mon cher papa de me l'apprendre quand j'étais petite ! » (Grilli 1912: VII). D'après les pères de San Lazzaro, Vittoria se plaignit souvent de ne pas connaître cette langue, mais elle ne leur demanda jamais de la lui apprendre. D'un côté, on comprend que cela n'allait pas changer sa situation : elle aurait peut-être appris l'arménien, mais il ne pouvait pas devenir magiquement une langue maternelle. Il n'avait pas imprégné son imaginaire et forgé son esprit comme le font les langues que l'on pratique depuis l'enfance, notamment dans un contexte familial. L'arménien lui serait resté à jamais étranger, qu'elle le connaisse ou non. C'est probablement pour cette raison qu'elle n'essaya même pas de s'y mettre ; à moins que l'attitude d'Edoardo ne l'ait tellement affectée qu'elle n'osait pas, même après sa disparition, aller à l'encontre des souhaits de son père, qui n'avait pas voulu lui apprendre sa langue maternelle. Ce refus est d'autant plus difficile à comprendre que le problème ne s'était jamais posé pour l'anglais, l'autre langue maternelle d'Edoardo. Toutes les sœurs Aganoor l'avaient appris avec des instituteurs et le parlaient couramment. Et ce n'était pas par manque d'enseignants, car la famille Aganoor entretenait des relations très suivies avec la communauté des moines de San Lazzaro, non seulement à cause du collegio Moorat-Raphael, mais aussi pour d'autres raisons : les grands-parents étaient très pratiquants, et Edoardo aussi, et même plus que cela. Il avait un penchant mystique, il était en correspondance avec plusieurs des pères mékhitaristes et il leur rendait régulièrement visite quand sa famille séjournait à Venise. Vittoria l'accompagnait souvent, et elle était restée en correspondance avec deux d'entre eux : d'abord, le père Arsen Ghazikian (Uputfr ^mq^hmfr, 1870-1932), grand traducteur vers l'arménien d'écrivains et poètes occidentaux classiques, modernes et contemporains (entre autres, Homère, Virgile, Dante, Leopardi, Byron, John Milton, Arrigo Boito, Ada Negri), et qui avait aussi œuvré, en collaboration avec des auteurs de son époque, pour la renaissance de la littérature arménienne. Il y avait ensuite Ghevont Alishan (^mjp ^bm&q 1820-1901), le vicaire général des

Mekhitaristes de San Lazzaro, poète, historien et botaniste, qui avait naguère (de 1859 à 1861) été le directeur de l'école Moorat de Paris, et qui avait aussi traduit en arménien et diffusé parmi ses élèves et anciens élèves quelques poèmes de Vittoria. Dans la lettre du 27 février 1901 à Guido Pompilj, elle le décrit ainsi :

Un adorable petit vieux d'une extraordinaire intelligence et culture qui maintenant est, malheureusement, très malade. M. Tezza, qui a traduit certains de ses admirables poèmes en langue anglaise, le définit "le plus cultivé des Arméniens vivants". Il jouit d'une grande réputation en tant qu'historien et poète, et ses ouvrages sont traduits en plusieurs langues. À mon insu, il a, semble-t-il, envoyé mes vers, à certains de ses élèves arméniens, et même mon portrait, ce que je ne lui pardonnerai pas car il s'agit sans aucun doute d'un portrait que je lui avais personnellement offert. Mais maintenant il est si souffrant et si âgé ; il est normal qu'il pense à envoyer quelques souvenirs de lui aux amis lointains, pauvre cher petit vieux ! [...] Il m'aimait tant [...] Il m'a aussi offert une exquise petite image de la Vierge Marie, en y écrivant sur le bord : "Ora pro Vittoria Aganoor", me sachant dans le chagrin. Et il va bientôt disparaitre... Oh, il n'y a plus personne qui puisse me raconter une

légende longue, longue, si belle et si lumineuse qu'elle puisse arracher de mon esprit toute la tristesse qui y est accumulée ? (Ciani 2004: 71-72).

On pourrait se demander de quelle Arménie parlait et rêvait Vittoria, car elle vécut à une époque où celle actuelle faisait encore partie de l'Empire ottoman. La diaspora arménienne, commencée bien avant le XIXe siècle, avait conduit sa famille paternelle de la Perse à l'Inde, donc dans l'Empire britannique. Elle n'évoque d'ailleurs pas une nation, mais revendique plutôt une appartenance communautaire et, en même temps, une ascendance « orientale » dont elle semblait très fière. Dans l'une de ses premières lettres à Guido Pompilj, le 6 janvier 1901, elle parle de cette famille et de ses pays d'origine :

Sous l'arbre généalogique des Aganoor on lit (traduit littéralement de l'arménien) : « Généalogie de la famille Aganoor que Sciahpass Premier, le Grand, a transplanté de l'Arménie à la province de Nakhcivan, en Perse, et l'installa dans la belle et Magnifique Giulfa la Nouvelle ».

[...] Je sais que parmi les Aganoor il y eut nombre d'hommes de lettres et d'hauts dignitaires, que mon pauvre père tenait beaucoup à ses origines, davantage perses qu'arméniennes, et il ne se souciait guère de son titre de prince (auquel, par contre, mon grand-père attachait énormément d'importance) (Noor étant notre véritable nom de famille, et Agà signifiant duce, capitaine, duc ou prince, et assumant le caractère de titre de noblesse quand il est uni au nom, etc.) et il se laissait appeler comte à cause d'une terre appartenant aux Aganoor et de certains cousins vivant au Royaume-Uni et auxquels on avait attribué ce titre. Nous étions sujets britanniques et nous toutes (les non mariées) le sommes toujours » (Ciani 2004: 51).

En réalité Edoardo n'était pas prince mais comte, et il tenait non seulement à son titre mais aussi à ses origines indiennes : il n'avait jamais été en Perse et la ville qu'il regretta toute sa vie était Madras. Vittoria semble très fière de sa famille paternelle, mais pas de celle maternelle, dont elle ne parlait jamais, ou très peu, dans sa correspondance. En dépit du fait qu'elle avait sacrifiée sa vie personnelle pour s'occuper de sa mère, elle n'en parle que brièvement, même à Guido, se bornant à un lapidaire : « Maman (milanaise), femme brillante, a toujours été affectueuse mais aussi très sévère avec nous » (Ciani 2004: 53). Le lien avec sa mère était évidemment d'ordre moins idéal que celui qu'elle avait entretenu avec son père et sur lequel on va bientôt revenir.

Le rêve orientaliste, l'arménité et la poétique d'Aganoor semblent avoir été liés dès ses débuts, bien que cela ne se remarque pas toujours dans ses poèmes. Son précepteur, l'abbé Zanella, insistait sur ce côté oriental, et dans un poème (Zanella: 1872) il décrit une Vittoria adolescente, rêveuse, dont les origines « exotiques » seraient la source de sa poétique :

Vittoria, a te, quando cadean le nevi Vitoria, quand la neige tombait E tu pensosa al davanzal sedevi, Et, pensive, tu t'asseyais à la fenêtre,

L'aurora diede un bacio, e l'Oriente, L'aube t'embrassa, et l'Orient

Culla de' tuoi, t'irradiô la mente. Sogni le palme; il suono odi del Gange

Che de' pagodi alle scale si frange;

Sogni il deserto; e dell'ardente clima ardente

Pregna intanto dal cor t'esce la rima.

Berceau des tiens, éblouit ton esprit. Tu rêves de palmiers ; tu entends les vagues du Gange

Qui se brisent sur les escaliers des pagodes ;

Tu rêves du désert ; et, de sa chaleur remplie, la rime jaillit de ton cœur.

Zanella semblait donc attribuer une grande importance, du point de vue littéraire, à l'ascendance « orientale » de Vittoria, mais il n'est pas le seul : John Butcher aussi, dans la biographie qu'il lui a consacrée en 2007, affirme que « la jeune fille, imprégnée de rêves orientalisants et de fantaisies, fascinée par la beauté du monde, aspirait à donner une forme à chaque chose, à traduire en mots son foisonnant univers intérieur » (Butcher 2007: 36). Butcher utilise le terme lussureggiante, luxuriant, pour parler de l'univers intérieur de Vittoria, comme s'il s'agissait d'une jungle indienne. De même, Grilli cite une présentation biographique de Vittoria qui avait eu lieu avant une lecture de ses vers par le comte G. L. Passerini à l'Association Leonardo de Florence le 10 avril 1905, à la présence de la poétesse, et où l'on parle d'une enfance et d'une jeunesse (Grilli 1912: VIII) :

s'épanouissant dans un rêve oriental, comme elle l'écrivait, écoutant des heures durant, muette, avec un regard attentif, les descriptions nostalgiques de son père, venu d'Asie quand il était adolescent, et qui se souvenait parfaitement de sa fabuleuse demeure de Rayapatà (villa du Roi), de ses colonnades dignes d'un temple, du parc immense et superbe, où les palmiers s'élevaient, sublimes, au-dessus du topaze des vêpres et les aigles tourbillonnaient haut dans la transparence des cieux. Et il parlait avec ardeur de l'air cristallin et pur comme un diamant, des forêts séculaires et inviolées, du rugissement et de la beauté sauvage de l'océan Indien, s'illuminant, s'exaltant peu à peu dans la vision merveilleuse. Tout me semble si sombre et si petit ici, répétait-il souvent...

Vittoria partageait l'enthousiasme paternel, elle rêvait de ces paysages et aurait aimé voir ces pays (Perse, Inde, Turquie) qu'elle considérait comme les siens, confondant une Arménie géographiquement précise avec celle des communautés dont avaient fait partie ses ancêtres. Le très long poème qu'elle consacra à son père, A mio padre, revient sur cet Orient rêvé, qu'elle imagine comme une contrée de lumière, de douceur et de paix :

Vivo nella memoria, o amato, sempre Vivant dans ma mémoire, ô bien-

aimé, à jamais

mi stai. Cercare ti rivedo, inchino tu demeures. Je te revois, penché

sur le clavecin,

sul cembalo, dei dolci anni tuoi primi les chansons naïves de ton âge

tendre,

le semplici canzoni, udite all'ombra écoutées à l'ombre des palmiers,

delle palme, e nei bei vesperi d'oro;

or le feste, le preci, il luminoso sogno non mai dimenticato, io t'odo dell'infanzia narrar, fiorita al sole

dell'Asia, lá, tra i bianchi intercolonni'

della superba tua dimora, al vento del tuo selvaggio mar, dentro le intatte selve, o t'ascolto con solenni acccenti

parlar di Dio... Quanto t'ho amato, e quanto

t'amo, e quanto t'invoco!

et pendant les doux crépuscules dorés ;

je t'entends parler des fêtes, des prières, de l'éclatant rêve jamais oublié de ton enfance, éclose au soleil

d'Asie, là, entre les blanches colonnes

de ta superbe demeure, au vent de ta mer sauvage, dans les vierges forêts ; ou je t'entends parler, d'une voix solennelle, de Dieu ... Combien je t'aimais, et combien

je t'aime, et combien je t'invoque !

Être arménienne lui semblait donc rimer avec « être orientale », et nous avons vu au début de ce paragraphe que Grilli tenait à souligner qu'elle n'était ni d'origine indienne, ni perse, même si sa famille venait de ces pays. C'est assez tard qu'elle prend conscience de certaines carences, comme la méconnaissance de la langue de ses ancêtres, et qu'elle les regrette. En reproduisant la lettre que lui avait envoyé Ohannes Sakisian, « Ministre de la Liste Civile » de Constantinople, qui la félicite pour ses poèmes et l'invite à lui rendre visite « en Orient ». Ce mystérieux personnage dirigeait effectivement le ministère de la Liste Civile avant la première guerre mondiale et son nom figure dans des contrats entre ce ministère et les Chemins de fer ottomans, mais on n'a trouvé aucune autre donnée biographique ou d'autre genre à son sujet. Elle la commente ainsi à Guido Pompilj dans sa lettre du 27 février 1901 :

Elle n'est pas jolie, cette lettre ? Moi, j'aimerais déjà être capable d'écrire en arménien comme cet Arménien inconnu m'écrit en italien, bien qu'avec quelques fautes. De toute manière, ce bonjour qui me vient de l'Orient m'a fait plaisir. Pourquoi ne visiterais-je pas, un jour ou l'autre, le pays de mon père ? Et trouver là-bas quelques amitiés qui me seraient si agréables, comme quelque chose qui me venait de cet homme que j'ai tellement et si tendrement aimé, mon pauvre papa ! (Ciani 2004: 71).

Encore une fois, elle confond tout : Empire ottoman et Empire britannique, Asie et Orient, Indes et Turquie. Même si les contacts avec pères mekhitaristes, surtout après la mort de son père, avaient contribué à une vision plus concrète et moins fantasmée de ses origines et de la culture arménienne, elle avait du mal à se détacher de ce mélange orientaliste et des rêves de son enfance. Ce sera donc avec les moines qu'elle travaillera à son côté arménien, et notamment avec le père Gazikian qui traduisit son premier recueil (Hawitenakan zroyts, Intermezzo; Risveglio, 1905) ainsi que des poèmes parus dans des revues. Toutefois, il faut encore une fois souligner que l'arménien restera à jamais un idiome étranger qui ne lui appartient pas : une partie d'elle-même lui a ainsi été volée, et ne trouvera plus ses mots.

4. Conclusion

En conclusion, si l'on parle de Vittoria Aganoor comme d'une poétesse italienne, mais aussi arménienne, ce n'est pas uniquement à cause d'un nom de famille et d'une ascendance qui, somme toute, avait une importance relative dans la construction de son identité d'enfant et d'adolescente. C'est avec l'âge qu'elle commence à s'interroger et à comprendre qu'il y avait quelque chose dans son histoire qui ne la quittait pas. L'image d'elle qui circulait en France et en Europe, et que nous montrons ici, prouve qu'elle tenait réellement à ce que l'on sache quelle était son origine : arménienne, pas italienne. Et pourtant, elle était née en Italie et sa mère était italienne.

Même si finalement elle n'évoque que très peu l'Arménie et l'arménité dans son œuvre poétique, et son vécu en était assez éloigné, son imaginaire était imprégné de quelque chose qui allait au-delà de ce qu'on lui avait appris. L'écrivain et philosophe milanais Carlo Dossi (1849-1910), son contemporain, affirmait, peut-être avec quelque raison, que « l'enfant nait avec les idées déjà méditées par ses ancêtres. Le bébé à déjà en lui la vie de tous les passés » (Dossi 1964: 9). Pareillement, Sakisian lui avait écrit que « même si nous sommes séparés par des montagnes et des mers, un lien invisible mais indestructible nous unit, à savoir celui de notre origine commune. Et c'est bien cela qui me pousse à saluer tous ceux qui, comme Vous, honorent de leur talent notre malheureuse patrie » (Ciani 2004: 70-71). Ce lien demeure toujours, donc, en dépit de tout.

On peut conclure avec un poème paru dans Nuove Liriche, Pasqua armena, qui peut facilement sembler visionnaire, comme s'il anticipait les massacres d'Adana (1909) et le génocide de 1915. En réalité il faisait probablement allusion aux massacres hamidiens qui, entre 1894 et 1898, firent presque 300.000 victimes, et qui avaient peut-être réveillé quelque chose en elle : les siens étaient martyrisés sans que personne ne s'en soucie, d'où l'importance d'un témoignage, d'une voix qui chante la douleur et les souffrances d'un peuple opprimé :

9

Non fu di fiele abbeverato? Il petto

Non gli squarcid l'ignobile scherano?

Non fu percosso, irriso, e

un 'empia mano

Non lo inchiodd sul legno

maledetto?

Pur, quale mai piú glorioso e forte

Risorgere, se ancor tuona la voce

Dell'Osanna, e dovunque

Didn't they have him drink gall? Wasn't his chest pierced by a vile assassin? Wasn't he beaten, mocked, and nailed to

the accursed wood by an unholy hand?

What is more glorious and strong then

to rise again; and if the voice

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of the Hosanna still tons, and everywhere arms open like a cross,_

N'a-t-il pas été abreuvé de fiel ? Sa poitrine N'a-t-elle pas été déchirée par l'ignoble sicaire ?

N'a-t-il pas été battu, brimé, et une main impie Ne l'a-t-il pas cloué au bois funeste ? Pourtant, quoi de plus glorieux et fort Que de ressusciter, si la voix de l'Hosanna Retentit encore, et

apre una croce

Le braccia, dall'idea vinta è

la morte?

Armenia, ed anche a te squarciato il seno Vedo dai nuovi farisei. Raccolto

Hanno il fango a scagliartelo sul volto; Per dissetarti apprestano il veleno.

Ma se l'insazïata orda ferina

Sulle tue membra flagellate e grame

Oggi rinnova la tortura infame

Del Golgota, la tua Pasqua

hasn't the idea of death been defeated?

Armenia, I see that your chest too has been pierced by new Pharisees, who collected

mud to throw at your face, who prepared poison to quench your thirst.1 But if on your flagellated and dolorous body the insatiable wild horde renews today the infamous torture

of Golgotha, your Easter, too, is near.

partout où une croix ouvre

Ses bras, la mort est vaincue par l'idéal ? Arménie, toi aussi éventrée

Je te vois, par les nouveaux pharisiens. Ramassé

Ils ont la boue pour la jeter à ton visage ; Pour étancher ta soif ils préparent du poison. Mais si l'insatiable horde sauvage

Sur ton corps flagellé et chétif

Aujourd'hui renouvelle l'infâme torture Du Golgotha, tes Pâques approchent._

è vicina.

Références bibliographiques :

Aganoor, Vittoria, Leggenda eterna. Intermezzo - Risveglio, Treves, Milano, 1900.

Aganoor, Vittoria, Nuove liriche, Nuova Antologia, Roma, 1908.

Aganoor, Vittoria, Poesie complete di Vittoria Aganoor, avec notes et introduction de

Luigi Grilli, Le Monnier, Firenze, 1912. Aganoor, Vittoria, Lettere a Domenico Gnoli (1898-1901), Salvatore Sciascia, Caltanissetta, 1967.

Butcher, John, Una leggenda eterna. Vita e poesia di Vittoria Aganoor Pompilj, Casa

Editrice Nuova S1, Bologna, 2007. Ciani, Lucia, La brezza e il vento. Corrispondenza di Vittoria Aganoor e Guido

Pompilj, Casa Editrice Nuova S1, Bologna, 2004. Croce, Benedetto, « Note sulla letteratura italiana nella seconda metà del secolo XI. XXXIII. Alinda Bonacci, Vittoria Aganoor, Enrichetta Capecelatro », La Critica, 1911, volume IX. Dossi, Carlo, Note azzurre, Adelphi, Milano, 1964. Zanella, Giacomo, Profili, Stabilimento Prosperini, Padova, 1872.

1 La traduction anglaise vient du blog https://anahitoferebuni.wordpress.com/ et elle est accompagnée par ce commentaire : « Her Armenian origins were important to her and she would lament the fact that she couldn't speak Armenian in a letter she wrote to a Mekhitarist priest from San Lazzaro degli Armeni. But this wasn't an impediment for her to write about Armenia ».

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