Научная статья на тему 'RAïSSA BLOCH-GORLIN (1898-1943). PARCOURS D’UNE HISTORIENNE DU MOYEN ÂGE à TRAVERS L’EUROPE DES ANNéES NOIRES'

RAïSSA BLOCH-GORLIN (1898-1943). PARCOURS D’UNE HISTORIENNE DU MOYEN ÂGE à TRAVERS L’EUROPE DES ANNéES NOIRES Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

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Ключевые слова
МЕДИЕВИСТИКА / MEDIEVAL HISTORY / НАУЧНЫЕ ПЕРЕДАЧИ / SCIENTIFIC TRANSFER / ЭМИГРАЦИЯ / EMIGRATION / СЛАВИСТИКА / SLAVIC STUDIES / ШОА / SHOAH / ОЛЬГА ДОБИАШ-РОЖДЕСТВЕНСКАЯ / OLGA DOBIACH-ROJDESTVENSKY / ПАРИЖ / PARIS / БЕРЛИН / BERLIN / САНКТ-ПЕТЕРБУРГ / SAINT-PETERSBURG / XX В / 20TH CENTURY

Аннотация научной статьи по языкознанию и литературоведению, автор научной работы — Agnès Graceffa

The life of Raissa Bloch-Gorlin (1898-1943), historian and poet, is not well known. We know that she first studied at the Department of history at Petrograd University, particularly with Professor Olga Dobiach-Rojdestvensky. In 1922 she had to move to Berlin and carried on her studies of medieval manuscripts and medieval Europe history. Graduated in 1928 from Berlin University, she became an assistant to Professor Albert Brackmann at the MGH. Forced to leave Germany in 1933, she settled in Paris and worked with Professor Ferdinand Lot for the «Comité Du Cange». During the WWII, she and her husband, the poet and slavist Michel Gorlin (1909-1942) were successively arrested and both perished in concentration camps. The confrontation of several French, German, American, Swiss and Russian Archival Collections allows going into details regarding her original course. It shows the tragic character of her fate and allows describing her role in the scientific transfers between the Russian, German and French medievalists during the first half of the twentieth century.

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Текст научной работы на тему «RAïSSA BLOCH-GORLIN (1898-1943). PARCOURS D’UNE HISTORIENNE DU MOYEN ÂGE à TRAVERS L’EUROPE DES ANNéES NOIRES»

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Agnès Graceffa

Raïssa Bloch-Gorlin (1898-1943). Parcours d'une historienne du Moyen Âge à travers l'Europe des années noires1

Poète et médiéviste russe de la première moitié du XXe siècle, Raïssa Bloch-Gorlin est peu connue des historiens contemporains. Son parcours scientifique apparaît pourtant tout à fait singulier: elle est l'élève — et l'amie — de la professeure Olga Dobiache-Rojdestvensky (1875-1958)2, puis celle du professeur Albert Brackmann (1871-1952)3 à Berlin, auprès duquel elle soutient une thèse remarquée; elle intègre alors l'équipe berlinoise des Monumenta Germaniae Historica (MGH) et participe à la préparation d'édition des sources, notamment sous la direction de Robert Holtzmann ^ (1873-1946)4; chassée d'Allemagne en 1933, elle trouve refuge en France et

^ devient l'un des plus actifs collaborateurs du Comité Du Cange, sous l'égide

du professeur Ferdinand Lot (1866-1952)5. Dans ces trois pays, elle tra-« vaille ainsi au sein des plus hauts lieux de l'érudition historique. Elle assiste

Ü les plus grands noms de la médiévistique, et tisse avec eux des relations per-

=s --^ s ^

§ 1 Cet article a fait l'objet d'une conférence à l'Institut d'histoire de l'Académie des sciences de <u Saint Petersbourg en avril 2014.

2 Sur cette historienne, la notice nécrologique française de F. Lot, «Olga Dobiache-Rojdestvensky» g (Revue historique. 188. 1940. P. 191-192). La littérature russe est abondante, et nous nous s permettons simplement de renvoyer en la matière aux nombreux travaux de Boris Kaganovitch.

3 Goetting H. Brackmann, Albert Theodor Johann Karl Ferdinand // Neue Deutsche Biographie. S T. 2. Berlin: Duncker & Humblot, 1955. S. 504.

^ 4 Albrecht T. Holtzmann, Robert // Ibid. T. 9. 1972. P. 562.

^ 5 Perrin Ch.-E. Ferdinand Lot // Recueil des travaux historiques de Ferdinand Lot. Paris, 1968. £ I. P. 3-118. C

sonnelles. Elle acquiert une place de médiatrice tout à fait exceptionnelle entre Russie, France et Allemagne. Sa vie même, — et son travail — manifestent la réalité et le dynamisme des transferts scientifiques européens entre les deux guerres mondiales, et permet d'en éclairer la nature. A titre personnel et historique, Raïssa Bloch n'a que peu publié: essentiellement sa thèse, quelques articles, des comptes-rendus6. Elle apparait davantage comme une «ouvrière» de l'histoire, une assistante efficace, que les aléas historiques et les difficultés personnelles empêchèrent d'écrire une grande œuvre. Plusieurs des champs qu'elle a commencés à baliser se sont pourtant révélés extrêmement novateurs.

Son talent poétique, par contre, put davantage s'exprimer: auteure de trois recueils successifs — dont un co-écrit avec Myrrha Lot-Borodine (1882-1954)7, elle a également collaboré à trois ouvrages collectifs8 et plusieurs de ses poèmes furent publiés dans des revues contemporaines. L'essentiel de la littérature qui lui est consacrée concerne donc davantage son œuvre poétique9, et particulièrement sa participation à la vie littéraire de l'émigration à Berlin et à Paris10. Ses liens avec Vladimir Nabokov, Vladimir Korvin-Piotrovsky, Georges Adamovitch, Vladislav Khodasse-vitch ou Sofia Pregel ont ainsi été soulignés par les historiens de la littérature, illustrés par les témoignages de Génia Cannac et de Nina Berberova11. La publication de

6 L'ensemble de ces références est rappelé en annexe.

7 Мой город. Берлин: Книгоиздательство Петрополис, 1928; Тишина. Берлин: Книгоизда-

тельство Петрополис, 1935; en collaboration avec Myrrha Borodine — ЗавЪты. Bruxelles: Petropolis, 1939.

8 Participation aux trois recueils publiés à Berlin par le Club des poètes russes de Berlin (сборник

берлинских поэтов): Новоселье. Берлин: Петрополис, 1931; Роща. Берлинъ: Слово, 1932; Неводъ. Берлинъ: Слово, 1933.

9 En français: Semon M. Michel et Raïssa Gorlin // Un train parmi tant d'autres. Mémoires

du convoi 6, A. Mercier éd. Paris: Le cherche midi, 2008. Р. 164-167: l'article comprend la traduction en français d'une poésie de Raïssa. En Allemande: Poljakov F. Der steinerne Boden des Exils: Materialien zu Leben und Werk des Dichterpaares Michail Gorlin und Raisa Bloch // A. Lauhus & B. Zelinski hg. Slavistische Forschungen. In memoriam Reinhold ^ Olesch. Köln-Weimar-Wien, 2005. Р. 219-234; BurchardA. Klubs der russischen Dichter 2 in Berlin 1920-1941. Institutionen des literarischen Lebens im Exil. München: Verlag Otto § Sagner, 2001; Urban T. Russische Schriftsteller im Berlin der zwanziger Jahre. Berlin: Nicolai- m Verlag, 2003; en anglais: Lapidus R., Jewish Women Writers in the Soviet Union. London: 2 Routledge, 2011. Р. 43-61; en russe: Кельнер В. Здесь шумят чужие города и чужая пле- я щется вода... (О поэтессе Раисе Блох) // Евреи в культуре русского зарубежья. Т. 1. Ие- g русалим, 1992. C. 253-263; Клементьев А. Из непубликовавшихся текстов Раисы Блох ^ и Михаила Горлина в эмигрантских архивах // Русское еврейство в Зарубежье. 1998. S С. 131 и след.; Никитина Н. Поэзия русского Берлина 1920-х гг.: на разломе эпох // СПб: о Научная библиотека диссертаций и авторефератов, 2004. .¡s

10 En français: GousseffC. L'exil russe. La fabrique du réfugié apatride (1920-1939). Paris: ы CNRS, 2008; GorboffM. La Russie fantôme, L'émigration russe 1920-1940. Lausanne: L'Âge Э d'Homme, 1995; Menegaldo H. Les Russes à Paris 1919-1939. Paris: éd. Autrement, 1998; 1» Struve N. Soixante-dix ans d'émigration russe. 1919-1989. Paris: Fayard, 1996. -g

11 Каннак Е. Верность: воспоминания, рассказы, очерки / ^ст., подготовка текста и коммен- ^

тарий А. Клементьева и С. Клементьевой. Paris: YMCA Press, 1992. Une version abrégée de -S

recueils posthumes confirme cet intérêt12. Raïssa Bloch fut en outre traductrice de poésie, auteur de livres pour enfants et de méthode linguistique13.

L'objet de cet article est donc de revenir sur le parcours de Raïssa Bloch en tant qu'historienne du Moyen Âge. Un objectif rendu possible par la confrontation de plusieurs fonds d'archives, spécifiquement des correspondances entretenues avec ses maîtres:

— ses lettres à Olga Dobiache-Rojdestvensky, conservées au Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de Russie à Saint-Petersbourg14;

— sa correspondance avec Ferdinand Lot, conservée à la Bibliothèque de l'Institut à Paris, et qui constitue, en complément des échanges entre Olga Dobiache-Ro-jdestvensky et Ferdinand Lot, un éclairage important pour la période 1933—194115;

— les lettres de Raïssa et Michel Gorlin à André Mazon (1881-1967)16, professeur au Collège de France et slavisant, qui fut le directeur de thèse de Michel Gorlin (1909-1942), l'époux de Raïssa17;

ces mémoires a en outre été donnée par А. Клементьев. Памяти ушедших (Воспоминания Евгении Каннак о поэтах Михаиле Горлине и Раисе Блох) // Евреи в культуре русского зарубежья. Вып. 1. 1919-1939 гг. / Сост. М. Пархомовский. Иерусалим, 1992. С. 242-252; Berberova N. C'est moi qui souligne, Paris: Actes Sud, 1989. Notamment Р. 388 et 346.

12 Nécrologie: Mazon A. Michel GORLIN (1909-1942) & Raïssa GORLIN (1899-1943) // Revue des études slaves. T. 22. 1946. Fasc. 1-4. Р. 287-289; GuitardE.-H. Mmes Gorlin et Hugounenc // Revue d'histoire de la pharmacie. 34e année. N. 116. 1946. Р. 92-93. A l'initiative d'A. Mazon, en 1957, un recueil d'article (Etudes littéraires et historiques) fut publié par l'Institut d'études slaves avec une introduction biographique, et en 1959 un recueil de poésie (Избранные стихотворения), tous deux en association avec Michel Gorlin; en 1996 une anthologie de son œuvre poétique publiée à Moscou sous le nom Здесь шумят чужие города.

13 1000 Wörte französisch. Berlin, 1931, rédaction évoquée dans sa correspondance dont l'édition est anonyme.

^ 14 Bibliothèque Nationale de Russie, Saint Pétersbourg, Fonds O. Dobiache-Rojdestvensky: ОР £ РНБ. Ф. 254. Д. 343-345: 64 lettres de Raïssa datées de 1928 à 1936. Ce fonds a fait l'objet d'un article approfondi: Воронова Т. Н. Раиса Блох — русская поэтесса и историк западного ^ Средневековья (из переписки с О. А. Добиаш-Рождественской) // Проблемы источнико-^ ведческого изучения истории русской и советской литературы. СПб., 1989. g 15 Bibliothèque de l'Institut, Fonds Ferdinand Lot, Ms 7306, 11 lettres de Raïssa Bloch-Gorline; ^ Ms 7307, 20 lettres d'Olga Dobiache-Rojdestvensky. Notons que la Bibliothèque Nationale ^ de Russie de Saint-Petersbourg conserve également les lettres de F. Lot à O. Dobiache-sg Rojdestvensky et que cet ensemble a fait l'objet d'une analyse approfondie par le professeur Бо-Èj рис Каганович, 1) Между Петербургом и Парижем. Из переписки М. И. Лот-Бородиной F и И. И. Любименко // С.-Петербург и Франция: Наука, культура, политика. СПб., 2010;

2) Первая мировая война и русская революция 1917 г. в переписке О. А. Добиаш-Рожде-н ственской и Ф. Лота // Исторические записки. 2009. Т. 12 (130).

* 16 Vaillant A. André Mazon (1881-1967) // Revue des études slaves. T. 48. Fc 1-4. 1969. Р. 6-10.

§ 17 Bibliothèque de l'Institut. Fonds A. Mazon. Ms 6778 et 6779 (désormais noté «fonds Mazon A»);

^ Institut d'Etudes slaves. Fonds A. Mazon, non classé (désormais noté «fonds Mazon B»): les

^ lettres de Raïssa sont conservées d'une part dans un carton nommé «Michel Gorlin», de l'autre

^ au sein de la correspondance d'André Mazon (ordonnée chronologiquement). Je remercie

Ö vivement M. Serge Aslanov pour son autorisation à consulter ces archives, et son aide précieuse.

— quelques lettres adressées à des professeurs allemands, notamment Albert Brackmann18;

— un dernier ensemble remarquable se trouve enfin au Centre d'étude slave de l'université de Brême19, constitué par les lettres de Raïssa Bloch à son ami Grigori Lozinski (1889-1942).

Cette correspondance est complétée, de manière ponctuelle, par quelques lettres adressées à des écrivains et conservées en Russie et aux Etats Unis20. Certains éléments ont également pu être trouvés dans les archives administratives: Institut d'histoire à Saint-Pétersbourg, Académie des sciences de Russie, Archives des MGH, du Comité du Cange, Archives d'Etat de Genève, Yad Vashem, International Tracing Service (ITS), Archives de l'Organisation de secours aux enfants (OSE) et de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), Archives départementales du Loiret, Centre d'étude et de recherche sur les camps d'internement du Loiret (CERCIL), chacune référencée ci-dessous. Cette recherche a enfin bénéficié de témoignages oraux de la part de proches de Raïssa Bloch, que nous remercions vivement: son ancienne amie, Madame la professeur Edith Yapou; Madame Viviane Cogan-Hermelin, fille adoptive de son frère Jacques Bloch (1892-1968), ainsi que son frère, Monsieur Philippe Cogan; Madame Frédérique Chaimovicz-Epstein et M. Roger Bonhoure, rencontrés tous deux lors de son séjour à Vic-sur-Cère21. L'ensemble de ces éléments permet d'éclairer de manière

18 Lettres à Albert Brackmann: Geheime Staatsarchiv Preussischer Kulturbesitz. VI HA Nachlass

Brackmann. Nr. 3. Hf 1. F. 33-39 et VI. HA. Nachlass Kehr. A1 Nr. 2; Lettres à Karl Brandi: Niedersächsische Staats- und Universitätsbibliothek Göttingen Ms Brandi 61 198-250. Le Ф Zentrum moderne Orient de Berlin conserve également des archives diverses concernant le 201 parcours universitaire de Raïssa Bloch et Michel Gorlin. ^3

19 Forschungsstelle Osteuropa, Universität Bremen, Fonds Lozinskij, FSO 01-045: fonds 2 composé de 58 lettres et 11 cartes postales de Raïssa et Michel Gorlin à Grigori Lozinski, я

datés de 1922 à 1939. Э

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20 Université de Yale, Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Vladimir Korvin-Piotrov- ^ skii Papers, GEN MSS 598; Université de Columbia, Mikhail Karpovitch Papers, lettres de .У R. Bloch à V. Khodasevitch; Hoover Institution Archives, Gleb Struve Collection, box 93, ° folder 12, correspondance à Mikhail L'vovich Kantor; Archives de l'art et de la littérature de g Russie, ЦГАЛИ СПб. Ф. 97. Оп. 1. Д. 129, 204. Quelques lettres de V. Khodasevitch aux Gor- ^ lin sont publiées et annotées sur le site http://az.lib.ru/h/hodasewich_w_f/text_1030.shtml. J3

21 Je remercie chaleureusement l'ensemble de ces personnes pour leur témoignage et leur dispo- £

nibilité, et adresse également un grand merci à Katy Hazan, directrice des Archives de l'OSE ti France, et à Catherine Thion (Cercil) pour leurs conseils, ainsi qu'à Sylvie Bisseliches, Ionna ^ Yapou et Claude Doyennel pour leur aide précieuse. -S

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nouvelle et précise la vie et l'œuvre de Raïssa Bloch: celles d'une médiéviste au cœur des transferts scientifiques européens de la première moitié du XXe siècle, et de préciser son apport à la médiévistique.

Raïssa Bloch (Раиса Ноевна Блох) est née à Saint Petersbourg d'une famille juive peu pratiquante de la classe moyenne, le 30 septembre 1898. Cette date est confirmée par plusieurs documents administratifs, issus de l'auteure elle-même: la notice autobiographique qui précède sa thèse22, son dossier déposé à l'Ofpra23, le procès-verbal de son arrestation24, son enregistrement sur la liste de déportation pour Auschwitz25. La mention d'une naissance le 17 septembre 1899, très présente dans l'historiographie, tient probablement d'une méprise de son amie Genia Cannac (née Zalkind)26, mais est également dû au décalage entre calendriers Julien et Grégorien. La maison familiale est située sur la perspective Liteiny, au numéro 16. Son père, Noé Bloch exerce la profession d'«avocat et avoué assermenté»27, et après le décès de celui-ci en 1912, elle vit avec sa mère, Dora Jakovlevny Malkiel, et son frère Jacques, professeur de pédagogie puis de littérature anglaise et traducteur de théâtre, notamment de Goldoni28. Après une solide formation au lycée pour jeunes filles de Tagant-sev, Raïssa commence des études universitaires d'histoire. Elle suit ainsi les cours de Lev Karsavin (1882-1952), de Sergei Platonov (1860-1933) et d'Olga Dobiache-Rojdestvensky, et obtient sa licence29. Elle intègre alors le département des Arts de la Bibliothèque nationale, pour travailler sur les manuscrits médiévaux sous la direction d'Olga Dobiache-Rojdestvensky30. Parallèlement à ses études, elle pratique l'écriture poétique, et participe dans ce cadre à l'Atelier de traduction de Michaïl Lo-zinski, et tout particulièrement à une traduction collective de José Maria de Heredia.

22 Bloch R. Lebenslauf. Die Klosterpolitik Papst Leos IX. in Deutschland, Burgund und Italien //

Archiv für Urkundenforschung. Bx. XI. Heft 2.

23 Ofpra, OR 138-0409.

^ 24 Archives de Genève, AEG Justice et Police Ef/2-044 n° 5297, Procès-verbal d'arrestation о du 19X1943. Les mêmes informations sont notées sur le Relevé d'écrou de la prison Pax G à Annemasse et le Registre du camp de Drancy.

^ 25 ITS Archives, Bad Arolsen, Abschubliste Nr. 62: Transport v. 20.11.43 v. Drancy n. Auschwitz. « 26 Каииак. 1992. Р. 150.

cl 27 Игнатов Н.И. (ред.) Весь Петербург: Адресная и справочная книга г. Санкт-Петербурга % на 1909 г. СПб., А. С. Суворин.

sg 28 Тимофеев А.Г. Михаил Кузмин и издательство «Петрополис»: Новые материалы по исто-u рии «Русского Берлина» // Русская литература. 1991. № 1. С. 189-209. Une partie de F ces lettres sont issues du fonds Blokh, Yakov Noyevich conservé aux Archives d'Etats de la littérature et de l'art: РГАЛИ. Ф 2853. Egalement sur le début des éditions Petropolis et le h parcours de Jacques Bloch: Лозинский Г. Л. Petropolis' rééd. d'un article de 1928 // Книга: s Исследования н материалы. CM., 1989. C. 159 etc.; Рейтблат А.Я.. Н. Блох и издательство «Петрополис» // Евреи в культуре Русского Зарубежья. Иерусалим, 1994.

^ 29 Каганович Б. С. Русские медиевисты первой половины ХХ века. CM.: Гиперион, 2007; Sur

^ le cas précis de R. Bloch, p. 110-111. \o

^ 30 L'ensemble de ces informations sont bien connues. Elles ont été clairement exposées par Воронова, 1989.

Elle est intronisée en 1920 dans la section de Petrograd de l'Union des poètes, sous la présidence d'Alexandre Blok. Selon les sources familiales, elle est emprisonnée brièvement en 1921/22 ainsi que sa belle-sœur, Elena/Hélène Grinberg-Bloch31. Par son entremise, et dans le contexte de raréfaction des livres, son frère Jacques ouvre avec Abram Kagan et Grigori Lozinski (frère de Michaïl) un magasin de bouquiniste qui se transforme bientôt en maison d'édition: Petropolis. Les événements de l'année 1922 les engagent à transférer cette entreprise à l'étranger. Abram Kagan rejoint Berlin par le 'bateau des philosophes' et Grigori Lozinski émigre à Paris32. Raïssa, quant à elle, réussit à obtenir de l'Institut d'histoire de l'Université soviétique de Petrograd une mission à Berlin, en tant que chercheur de second degré, grâce à l'entremise de sa professeure Olga Dobiache-Rojdestvensky33. Cette mission, qui vise à établir un accord de publication de manuscrits russes par des organismes de recherche allemands, est votée en juin 1922 et renouvelée en février 1923. Raïssa doit établir un inventaire des manuscrits médiévaux russes conservés dans les archives allemandes, récolter la bibliographie et faire une étude paléographique comparative. Cette mission lui permet surtout d'émigrer légalement en Allemagne, accompagnée de son frère, de sa belle-sœur et de sa mère, et de se présenter officiellement aux médiévistes allemands. C'est ainsi qu'elle s'inscrit en thèse d'histoire médiévale auprès du professeur Albert Brackmann à l'Université de Berlin en 1923. Celui-ci exerce en parallèle aux Archives d'Etat prussiennes, dont il devient directeur en 1929, et intègre alors la direction des MGH. Spécialiste de l'histoire impériale et papale du Moyen Âge central, il propose à Raïssa un sujet de choix sur la politique monastique du pape Léon IX en Allemagne, Bourgogne et Italie, sujet qui s'inscrit à la fois dans les compétences de la jeune chercheuse (qui avait travaillé sur les bulles papales du XIe siècle dans le cadre du séminaire d'Olga Dobiache-Rojdestvensky), et dans ses propres centres d'intérêt, puisqu'il prépare une édition pour les MGH.

Les années 1923 à 1927 sont ainsi consacrées à ses recherches historiques et à l'écriture de sa thèse. Quelques lettres à Albert Brackmann et à Karl Brandi témoignent de l'intensité de son travail et de son investissement dans le milieu étudiant et doctoral berlinois. Elle tisse des liens d'amitié avec d'autres chercheurs, parmi lesquels ï Carl Wehmer34 et conserve des relations privilégiées avec ses compatriotes, dont té- -Ci moigne sa correspondance avec son ami Grigori Lozinski d'une part, de l'autre avec ^

13

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31 Témoignage de Mme Cogan-Hermelin. g

32 Le témoignage d'A. Kagan a été édité par John Glad, Conversations in Exile: Russian Writers ^ Abroad. Durham: Duke University Press, 1993. P. 52. Dépôt d'archives à la Columbia University S Librairie: archives littéraires et éditoriales: http://clio.columbia.edu/catalog/4077638 dans o lesquelles se trouvent des lettres d'auteurs célèbres, des livres dont celui de Michel Gorlin, mais .¡s également des mémoires, l'interview de Marc Raeff et le manuscrit de son fils Anatole Kagan «In ^ Exile from St. Petersburg: Life of Abram Saulovich Kagan, Book Publisher» (boite 7). ig

33 Archives de l'Institut d'histoire de l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg. O. 193. On. 3. £

fl. 3. .H. 25 — 25 06.; fl. 5. .H. 73.

34 Carl Wehmer (1903-1978), était également élève de Brackmann; il soutient sa thèse en 1932 et ^ fait carrière comme bibliothécaire, notamment à l'Université d'Heidelberg. -S

sa professeur Olga Dobiache-Rojdestvensky. Raïssa apparaît alors comme une intermédiaire essentielle entre les communautés scientifiques allemande et russe: dans un contexte politique difficile, notamment en ce qui concerne les échanges internationaux, elle transmet des informations bibliographiques et paléographiques, soit sous forme de liste, soit par un compte-rendu critique et référencé, donnant ainsi à sa professeur un accès direct à l'actualité de la médiévistique allemande, tant dans sa méthode que dans ses résultats et ses problématiques les plus contemporaines35. Elle inventorie les manuscrits et consigne leur description. Elle n'hésite pas à photocopier ou retranscrire des passages d'articles allemands afin de les envoyer, en plus des publications expressément demandées par Olga Dobiache-Rojdestvensky. Elle relaie les questions de détails posées par sa professeure à ses maîtres allemands et lui retourne leurs réponses. Elle intercède auprès des comités éditoriaux pour organiser la publication d'articles dans des revues allemandes, traduisant une partie des textes en allemand comme elle le fera ensuite en français36. Elle organise, d'un point de vue pratique et scientifique, le séjour de sa professeure à Berlin en 1926. Ainsi c'est elle qui l'introduit auprès d'Albert Brackmann et lui arrange un rendez-vous37. De même elle facilite ses recherches en bibliothèque, et il en sera de même lors du second séjour de sa professeure, en 1929. Ces efforts apparaissent performants et significatifs pour la production et la carrière d'Olga Dobiache-Rojdestvensky: ils permettent d'une part une prise en compte extrêmement fine de l'historiographie allemande dans la production de l'historienne russe, et de l'autre une très bonne réception de ses travaux par la médiévistique allemande. Ainsi la direction des MGH tente-t-elle de contacter Olga Dobiache-Rojdestvensky en 1940 pour lui demander une contribution aux Festschrift Karls Strecker38. Raïssa apporte également à sa professeure une aide précieuse pour la relecture et la correction de ses manuscrits.

Sa thèse est achevée en 1927, elle entreprend immédiatement de la faire publier avec l'aide d'Albert Brackmann39. Et réalise aussi son vœu le plus cher, celui d'un ^ voyage en Italie40: ce sera un long périple durant les mois d'août et septembre 1927,

^ 35 Lettres à Olga Dobiache-Rojdestvensky, par exemple la lettre du 14 avril 1928 qui contient un

« point bibliographique et paléographique de plusieurs pages (N°343, f°1-3).

« 36 Fonds Lot, f. 175-177, lettre du 26 XII 1933.

^ 37 NL Brackmann, f° 38, Lettre du 08 V 1926: «Frau Prof. Roschdestwenskaya steht an der Spitze =s der Handschriftenabteilung der Staatsbibliothek zu Petersburg. Sie möchte sich mit Ihnen g über eine Reihe neuer Arbeiten, die auf dem Gebiet der mittelalterlichen Forschung in Russin land vorgenommen sich unterhalten».

f! 38 La correspondance concernant cette démarche est conservée aux MGH-Archiv: cote B 565,

h Bl. 300: autorisation de collaboration; cote B 561/2: échange de lettres avec les Schriften du

s Reichsinstituts für ältere deutsche Geschichtskunde pour obtenir cette autorisation, puis demande au Consulat général allemand de Leningrad et enfin annonce du décès d'Olga Dobiach-

u Rojdestvenskaya.

^ 39 NL Brandi, lettres du 11 V 1928 et du 7 XII 1928.

^ 40 NL Brackmann, f 37, Lettre du 31 VIII 1927 «Mein größter Wunsch ist in Erfüllung gekommen:

£ wir sind doch nach Italien gefahren». Suit une description de son séjour.

de Florence jusqu'à Rome, en passant par San Gimigniano, Pise, Perouse, Assise, Orvieto et Parme, en compagnie de son frère et de sa belle-sœur. Elle y retourne en

1932 seule, à Florence pour des recherches et des vacances41. Son frère de son côté, y séjourne régulièrement.

L'écriture de sa thèse ne l'a pas pour autant détourné de la poésie: elle poursuit sa production ainsi que ses travaux de traduction (notamment de Paul Valéry). Elle publie d'ailleurs, en 1928, aux éditions Petropolis, un premier recueil salué par la critique, qu'elle transmet à ses professeurs russes. Elle habite toujours avec son frère, au 12 de la rue Joachimstheater à Berlin, et collabore ponctuellement à son travail d'édition. Mais elle souffre de dépendre financièrement de son aide, et s'en ouvre à Brackmann: celui-ci lui propose alors de l'engager comme vacataire aux MGH pour rédiger des notices42. Il a effectivement pu constater le sérieux de son élève, sa maîtrise de la paléographie et du latin. Les MGH connaissent alors de graves difficultés financières et structurelles qui empêchent le recrutement d'assistants (Mitarbeiter) permanents. Les archives administratives et financières témoignent par contre de la présence de nombreux collaborateurs, notamment féminins. De 1928 à 1933, Raïssa travaille donc de manière partielle à la bibliothèque des MGH à Berlin, et aux archives43. Elle complète ce revenu modeste en donnant des cours de langue à des particuliers. En parallèle à ses travaux sur les lettres papales, ainsi qu'à des recherches sur le traité dit du Géographe de Bavière44, elle s'implique dans deux nouveaux champs de recherche très porteurs:

— D'une part une nouvelle édition critique de la Chronique de Thietmar de Mer-sebourg, sous la direction de Robert Holtzmann, dans le cadre des MGH. Elle rassemble les documents et pratique une analyse très fine des réseaux de parenté à partir de ce matériel; une partie de cette analyse est d'ailleurs présentée dans un article de 1931 intitulé Verwandschaftliche Beziehungen des sächsischen Adels zum russischen Fürstenhause im 11. Jahrhundert. Il faut souligner, en la matière, la pertinence de ses observations sur la conception de la parentalité et sur le fonctionnement des réseaux aristocratiques, les interactions entre ces relations et les dynamiques de pouvoir. En

1933 elle se voit contrainte d'abandonner ce travail d'édition alors qu'il est pratique- ï ment terminé. Il donne lieu à deux articles dans la revue des MGH en 1933 et 1935, -Ci puis à une édition finale, sous la signature de Robert Holtzmann45, sans que le travail ^

de la Mitarbeiterin Raïssa y soit évoqué. 'g

^

3

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41 Zentrum Moderne Orient, cote 02.04.005, «Dokumente zu und von Raissa Bloch sowie Dokumente zum Deutschen Evangelischen Hospiz in Florenz».

42 NL Brackmann, f 35, Lettre du 17 VIII 1928. f

43 Archives des MGH, compte rendus financiers de 1931 et 1932 (338/25 et 338/27). Sa corres- ^ pondance évoque également ces divers travaux. ig

44 Ces travaux sont notamment évoqués dans sa correspondance à sa professeure: Fonds Dobia- £ che-Rojdestvensky, n° 344, Lettre du 22 X 1931, f°42-43.

45 Holtzmann R. éd. Chronik / Thietmar von Merseburg, Nachdruck der Ausgabe von 1957. Berlin: ^

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MGH, 1962. -S

— Deuxième champ de recherche novateur, celui de la poétesse Hrosvita de Gandersheim, qu'elle ouvre en 1931. Rapidement, elle conçoit une véritable passion pour cette 'sœur' du Moyen Âge, femme lettrée et poète comme elle: elle traduit en russe une partie de ses poésies46 et une comédie Avraam et Marie, écrit un article de vulgarisation puis une introduction à une édition des traductions de ces œuvres47. Le contexte du millénaire de sa mort apparaît tout à fait porteur. Cet intérêt rejoint aussi les travaux contemporains d'Olga Dobiache-Rojdestvensky sur la poésie médiévale, travaux que Raïssa continue à suivre et aider avec le plus grand soin, et qui sont publiés en français en 1931 sous le titre La Poésie des Goliards48. Elle donne ainsi deux conférences qui allient histoire médiévale et poésie: l'une au Klub Achduth de Berlin, le 12 mai 1931, consacrée au caractère spirituel de la culture médiévale (Der geistige Chrarakter der mitteltalterlichen Kultur), l'autre le 16 janvier 1933 aux poètes femmes russes (Russische Dichterinnen)49. Dans ces deux champs, le travail mené par Raïssa apparaît véritablement novateur, y compris en regard des recherches actuelles50.

Ce second temps de ses années berlinoises (de 1928 à 1933) est marqué par une activité tout aussi intense, mais plus éparse. Raïssa rencontre, peut-être par l'intermédiaire d'Irina Karsavin (fille de Lev Karsavin)51, peut-être par celui de Vladimir Nabokov52, un jeune homme né à Saint-Petersbourg comme elle, mais qui a la nationalité polonaise: Michel Gorlin. Polyglotte et passionné de poésie russe, il débute alors des études à l'Université de Berlin en slavistique auprès du professeur Max Vasmer (1886-1962)53. Ensemble ils créent en 1928 le club des poètes (Klub poetov) de Berlin54 qui rassemble à la fois des trentenaires qui, à l'image de Raïssa, ont déjà publié, tel Vladimir Nabokov55, Vladimir Korvin-Piotrovski,

46 Fonds Dobiache-Rojdestvensky, n° 345, Lettre du 16 III 1932, f°12-13 avec traduction en allemand de poèmes.

_ 47 Ibid., Lettre du 23 IV 1932, f°15-16.

Ïï 48 Dobiache-Rojdestvensky O. La Poésie des Goliards. Paris: Rieder, 1931, préface p. 17 remercie Raïssa Bloch «qui a fait pour ce petit livre nombre de recherches dans les Bibliothèques de m Berlin». Leur correspondance mentionne également à plusieurs reprises ces travaux.

49 SchlögelK. e.a. éd. Chronik russischen Lebens in Deutschland 1918-1941. Berlin: Akademie

g Verlag, 1999. Р. 438 et 452.

^ 50 Nous renvoyons ici notamment aux travaux de Régine Le Jan sur les parentés aristocratiques du

^ haut Moyen Âge, à ceux de Monique Goullet (Hrosvita de Gandersheim) et de Laurence Leleu

s (Thietmar de Mersebourg).

<u 51 Dans The Life and Thought of Lev Karsavin (p. 171), Dominique Rubin fait référence à son amie

s Raïsa Blokh et au fait que Petropolis n'a plus les moyens de payer à Karsavin l'avance promise cT pour l'édition de son prochain livre en 1924 (On firstPrinciples, Petropolis, 1924).

s 52 Michel Gorlin participait déjà en 1927, aux côtés de Nabokov, aux soirées littéraires du club « На Чердаке: Schlögel 1999. Р. 331.

S 53 Zeil W. Slawistik in Deutschland. Köln-Weimar-Wien: Bölhau Verlag, 1994, p. 469 et s. ^ 54 Burchard 2001, p. 239 et s. Cet ouvrage, issu d'une thèse consacrée au même sujet, revient sur le ^ contexte de création de ce club et démontre le rôle moteur joué par Raïssa Bloch.

Ö 55 BoydB. Vladimir Nabokov — The Russian Years. London: Vintage, 1993. P. 277; les rapports de

Sophia Pregel, Eugénia Zalkind, Yuri Ofrosimov; mais également de jeunes gens d'une vingtaine d'année, jeunes émigrés fascinés par cet héritage poétique russe, comme Nicolas Eliatchev56 et Boris Vildé57. Une revue est lancée (Tarantas), trois recueils sont publiés, alors que Michel Gorlin publie parallèlement un recueil en russe et en allemand58. Ils organisent des soirées littéraires régulières avec des lectures et des conférences, soirées que relayent les revues Rul' et Nas Vek59. Leur écriture reçoit un accueil très positif de la part de la communauté littéraire russe, comme en témoignent les lettres de Gaito Gasdanoff ou de Vladislav Khodase-vitch60. Michel continue ses études et débute des recherches qui confortent son intérêt pour l'histoire de la littérature et la question du passé médiéval dans la littérature russe du XIXe siècle61. Les deux poètes et historiens intensifient donc leur collaboration: sous le pseudonyme de Miraev (condensé de leurs deux prénoms), ils traduisent et écrivent une quinzaine de livres et contes pour enfants en allemand et en russe, notamment une suite du célèbre Max und Moritz62. Ils participent également à la création de l'.Arbeitsgemeinschaft der Slawisten an der Berliner Universität63, puis, en son sein, au groupe de la Deutsche Gesellschaft zum Studium Osteuropas64. C'est dans ce cadre que sont initiés plusieurs projets: d'une part une publication collective d'envergure qui se veut une bibliographie raison-née sur la jeune Union soviétique. Elle est dirigée par Klaus Mehnert et rassemble de nombreux chercheurs, dont Michel Gorlin et Raïssa Bloch, qui utilise là encore

Nabokov avec Raïssa Bloch ont fait l'objet de plusieurs analyses depuis Andrew Field, Nabokov, his life in art, London: Hodder & Stougthon, 1978. Р. 29.

56 Yapou, Mémoires inédites, évoque Eliashev, qui cosigne également certains recueils du Club des

poètes et dont on retrouve des mentions dans les archives de Michel conservées à l'IES. Lituanien d'origine, il exerce divers métiers, notamment comme figurant au cinéma. Edith Yapou le qualifie de «bohemian».

57 Sur ces rencontres, le témoignage de Boris Vildé: lettres du 05IX1931 et du 06X1931, Письма

Бориса Вильде к матери, Вступительная статья и публикация Б. Плюханова, Комментарии Л. Киселевой, http://www.ruthenia.ru/document/523493.html. Soulignons que Boris Vildé deviendra ensuite le gendre de Ferdinand Lot avant de s'illustrer dans la Résistance ф (sur sa vie, plusieurs ouvrages, notamment: Hogenhuis A. Des savants dans la Résistance. Boris о Vildé et le réseau du Musée de l'Homme. Paris: CNRS Éditions, 2009). ^

58 Gorlin M. Märchen und Städte (Gedichte). 1930, rééd. Siegen, 1985, avec une postface d'H. Kreuzer. ^

59 Schlögel. 1999. Р. 405, 409, 411, 445, 448, 452, 453: la dernière rencontre a lieu le 23 févier 1933. с

60 Fonds Mazon B, cartes de G. Gasdanoff à M. Gorlin datées du 30 IV 1930 et du 5 V 1930. Д

61 Il écrit un article sur la réception de Goethe en Russie (Zeitschrift für slavistische Philologie, "g t. IX-X, 1932-33) et termine sa thèse consacrée à N. V. Gogol und E. Th. A. Hoffmann. Leipzig, 'g 1933 (Diss. Teildruck Berlin 1933). £

62 Fonds Dobiache-Rojdestvensky, n° 344, Lettre du 04 IX 1931, f°37-38. ®

63 Article de présentation du groupe et de ses projets: Raissa Bloch, Michel Gorlin «Die Berliner Э

Slavistische Arbeitsgemeinschaft» // Slavische Rundschau. 1932. N 5. Р. 410-413. £

eu

64 Archives conservées au Zentrum moderne Orient sous la cote 02.04.2012. Sur l'un des membres de ce ti

groupe, R. Brandon «Politische Einstellung: Jude, Wolfgang Johannes Leppmann (1902-1943)», ^ Spiegel der Zeit 1925-2005 Osteuropa: Traditionen, Brüche. Perspektiven. Berlin, 12/2005. Р. 87-100. -S

son réseau en faisant appel à Grigori Lozinski pour lui fournir les références fran-çaises65. D'autre part un projet d'anthologie littéraire russe contemporaine en allemand, sous la direction de Friz Lieb, qui rassemble des traductions de poésies russes contemporaines, notamment de Sergej Jessenin, Alexander Bloch et Ni-kolay Belotsvetov. La publication ne pourra malheureusement pas aboutir, malgré une première livraison dans le Cahier russe du Lloyd-Journal en 193366.

Les événements politiques de l'année 1933 et la montée de l'antisémitisme contrecarrent finalement ce premier début de carrière littéraire et scientifique: ses lettres à Olga Dobiache-Rojdestvensky témoignent de la dégradation économique et intellectuelle du milieu berlinois dès 1932, et de la propagation des théories raciales67. Malgré les soutiens de Robert Holtzmann, d'Albert Brackmann et de Karl Strecker, elle perd ses vacations aux MGH. Michel décide de partir à Paris, alors que ses parents rejoignent Vilnius68. Raïssa le suit au premier trimestre 1933, et est d'abord hébergée à la cité universitaire internationale de Paris, boulevard Jourdan, puis séjourne ensuite à l'hôtel Raganaud dans le deuxième arrondissement avant de s'installer avec Michel dans le 16è arrondissement, au 12 de la rue Claude Lorrain. Elle se présente à l'historien Ferdinand Lot, doublement recommandée (par Robert Holtzmann et par Olga Dobiache-Rojdestvensky)69. De ce médiéviste reconnu, membre de l'Institut, elle reçoit une aide précieuse: il s'efforce en effet de lui trouver au mieux des moyens de subsistance, d'abord en la faisant travailler pour un Américain70, ensuite en l'embauchant comme collaboratrice pour le Comité Du Cange (dont il est responsable pour la France), enfin en la recommandant à la Société d'histoire de la Pharmacie, pour laquelle elle devient assistante71. En parallèle, elle donne à nouveau quelques cours de russe et d'allemand à des particuliers. Le travail au Comité français du dictionnaire de latin médiéval (nouveau Du Cange) constitue une tâche importante, pour laquelle

65 MehnertK. hg. Die Soviet-Union 1917-1932: systematische, mit Kommentaren versehene Bi-

^ bliographie der 1917-1932 in deutscher Sprache ausserhalb der Soviet-Union veröffentlich-

o ten 1900 wichtigsten Bücher und Aufsätze über den Bolschewismus und die Soviet-Union.

G Königsberg, Pr.: Ost-Europa-Verlag, 1933.

^ 66 Poljakov F. Zur Ubersetzungstätigkeit von Michail Gorlin und Raisa Bloch ins Deutsche:

« Materialien im Nachlass Fritz Lieb // Wiener Slavistisches Jahrbuch / Vienna Slavic

g Yearbook. 2013. 1. P. 276-289.

Üy 67 Fonds Dobiache-Rojdestvensky. N 345. Lettre du 6 V 1932 et du 7 XI 1932, f°18 et 32-33.

=s 68 Selon son dossier conservé à l'Ofpra, il semble d'abord habiter chez son ami Glafird Schriek,

g 6 rue Emile Augier, avant de s'installer au 12 de la rue Claude Lorrain: OR 073-0150. Michel

££ a également une jeune sœur, Lalla Gorlin, qui aurait émigré aux Etats Unis en 1939 (Yapou, ^ mémoires; Kreuzer 1985, p. 22-24).

h 69 Lettre de Robert Holtzmann, Fonds Lot, Ms 7308; Lot connait également Raïssa par le biais de

s son amie Olga Dobiache-Rojdestvensky (voir leur correspondance, op. cit.).

s 70 Fonds F. Lot, Lettre à Lot du 12 VIII 1933. Il s'agit d'un certain M. Lacombe pour lequel Raïssa

^ explore des manuscrits d'Aristote.

^ 71 Les comptes de la Société d'histoire de la Pharmacie mentionnent la rémunération de Raïssa

^ Bloch-Gorlin à partir de 1934 et jusqu'en 1943 (Porcher J. Comptes rendus annuels de la

£ Société // Revue d'histoire de la Pharmacie).

Lot la missionne particulièrement. Elle y retrouve son compatriote et cousin, le médiéviste Vladimir Lossky (19031958). Le travail consiste à dépouiller les textes et documents latins écrits au Moyen Âge sur le territoire de la France, ainsi qu'à mettre les matériaux ainsi réunis à la disposition du Comité de rédaction du nouveau Du Cange en établissant de nombreuses fiches. Les collaborateurs sont principalement des archivistes paléographes, rémunérés à la tâche (au prix très modique de 25 centimes la fiche)72, auxquels s'adjoignent Raïssa et Vladimir Lossky, tous deux proches de Lot73. Les deux médiévistes russes trouvent là une occasion de mettre à profit leurs connaissances en matière de paléographie et de latin médiéval et accumulent ainsi un travail de très grande ampleur74.

De son côté, Michel s'est présenté auprès d'André Mazon, directeur de l'Institut d'Etudes slaves, ami de Ferdinand Lot, chef de file des études françaises en slavistique: lui non plus n'arrive pas en inconnu, puisque Mazon connait bien son directeur de thèse Max Vasmer, auprès duquel Michel s'est distingué, et que d'autre part le proche collaborateur de Mazon n'est autre que Grigori Lozinski, l'ami intime des Bloch. Michel dépose donc un sujet de thèse en littérature slave en septembre 1934, et il est bientôt embauché comme bibliothécaire de l'Institut d'études slaves en remplacement de leur compatriote Boris Unbegaun (1898-1973). Raïssa et Michel se marient en 1935 et leur fille Dora naît en 1936. ^

Se plaisent-ils réellement à Paris? Ainsi qu'elle s'en ouvre à Brackmann en 1933, «ich G habe doch Sehnsucht nach Hause wenn ich auch nicht gut sagen kann, wo sich mein ^ Haus befindet»75. Sa correspondance russe présente des critiques envers les habitudes "g

o

72 Archives du Comité Du Cange, Ferdinand Lot. Principes généraux sur la méthode de dépouil- "g lement 1930 et id. Instruction du Comité national français du Dictionnaire du latin médiéval "g à l'intention des collaborateurs éventuels. 1930. «

73 Ce travail permet à Lossky de survivre jusqu'en 1945. Voir à ce titre sa correspondance à F. Lot, ®

Fonds Lot, Ms. 7308. g

74 Fonds Lot, Lettre du 19 XII 1937, f 365: elle indique qu'elle collabore avec Lossky et qu'il

y a déjà «plus d'une cinquantaine de boites classées». Les archives françaises du Comité -g confirme la masse exceptionnelle de ces fiches signées R.B. puis R.G. et V.L. ^

75 NL Brackmann, f 34 Lettre du 23 XII 1933. |

7 CV

françaises, tout comme, auparavant, envers les Allemands, mais ces remarques restent marginales et l'ensemble montre plutôt un relatif bien être76. Dans une lettre contemporaine à Olga Dobiache-Rojdestvensky, Ferdinand Lot évoque «notre petite Raïssa» et note qu'elle semble plutôt heureuse77. Comparée à d'autres écrivains russes émigrés, son intégration semble facilitée par la reconnaissance du monde scientifique qui lui permet de côtoyer des Français, d'être reçue chez eux. Elle ne subit pas, à l'instar de Nina Berberova, le cantonnement dans le petit milieu littéraire émigré brisé par la pauvreté et aigri par le destin78. Il n'en reste pas moins que sa situation financière demeure extrêmement précaire, et notamment après son mariage, le couple souffre de la pauvreté. Edith Yapou, qui leur rend visite alors, se souvient de leur dénuement79.

La naissance de Dora les comble visiblement. L'annonce de leur mariage avait déjà étonné le microcosme littéraire russe exilé (Raïssa a onze ans de plus que Michel), celle de la naissance d'une fille, le 9 septembre 1936, alors que Raïssa a déjà 38 ans, apparaît comme une sorte de petit miracle de très bon augure. Les lettres qu'ils envoient à leurs proches respirent le bonheur, et pour Michel, une certaine fierté de cette fillette blonde aux yeux bleus qui n'est pourtant «pas tout à fait arienne» comme il l'écrit avec humour80. Eternel adolescent rêveur81, il semble ravi par cet enfant qu'il nomme ensuite du petit nom tendre de «Mourlych»82.

Raïssa continue son activité littéraire, et participe aux soirées parisiennes de littérature russe83. En 1935, son second recueil de poésie parait chez Petropolis. Il est salué par Jules Legras dans la Revue du Monde slave84, et un troisième est en préparation, cette fois en collaboration avec Myrrha Borodine, l'épouse de Ferdinand Lot, également spécialiste de littérature médiévale et de théologie85. Raïssa publie également articles et poésies dans la revue Встречи86. Mais devant la pluralité de ses

76 En témoigne leur lettre commune à V. Khodasevitch datée du 10 VIII 1935, durant un séjour dans l'Eure (Université de Columbia, M. Karpovitch Papers).

77 Fonds O. Dobiache-Rojdestvensky, 254, N° 309, Lettre du 26XII1933 f 59-60.

78 Livak L. Nina Berberova et la mythologie culturelle de l'émigration russe en France // Cahiers

du monde russe. 2002. 43/2-3. (http://monderusse.revues.org/76). fk 79 Yapou. Mémoires, à propos de leur vie à Paris: «They lived in great poverty — I was really shoc-

§ ked when I visited them, the way they lived then, and I don't know on what they lived». H 80 Fonds Mazon A, Ms 6779, f°184, Lettre du 12 IX 1936. X 81 Selon le portrait dressé par Génia Canac: KaHHaK 1992, p. 194.

§ 82 Lettres de Michel à Raïssa durant sa captivité (mai 1941 — juillet 1942) conservées dans le

fonds Mazon B.

83 Plusieurs mentions de sa participation aux soirées des écrivains et poètes russes en 1936 et 1938: g L. Mnouchkine dir. L'Emigration russe. Chronique de la vie scientifique, culturelle et sociale en g France 1920-1940. Moscou—Paris. Paris: YMCA, 1996. T. P. 156, 407, 508. 'g 84 Legras J. Le Monde slave. 1935. T. IV (octobre). P. 159.

^ 85 Mahn-LotM. Mamère, MyrrhaLot-Borodine(1882-1954)//Revuedessciencesphilosophiques

Çp

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S

et théologiques. 2004. 4. Р. 745-754.

86 Notamment une poésie dans le numéro d'avril 1934 (p. 168) et un petit article dans le numéro de juin («Страсти Господни во французскомъ искусствъ», p. 281-283). Les lettres conservées,

tâches, souvent alimentaires, elle peine à trouver du temps pour réaliser «sa propre œuvre de médiéviste», ainsi que s'en inquiète Olga Dobiache-Rojdestvensky87. Elle écrit quelques comptes-rendus pour le Bulletin Du Cange, ainsi qu'un article pour la Revue d'histoire de la Pharmacie, accompagné d'une traduction88. Elle seconde Michel, en histoire et en traduction, afin qu'il termine au plus tôt sa thèse, et ce dernier également l'aide ponctuellement dans ses classements et ses dépouillements pour le Du Cange89. Cette collaboration s'illustre encore par la présentation, en 1936 d'une conférence de Raïssa sur les poétesses russes du XIXe (Elisabeth Borisovna Koul-man et Anna Petrovna Bounina) à la Société des slavisants. Elle effectue également des comptes-rendus de thèses pour le compte de Ferdinand Lot, et sa correspondance évoque la préparation d'un ou plusieurs travaux sur la renaissance carolingienne90.

Jacques et Elena Bloch les rejoignent à Paris en mai 1938, ayant enfin obtenu le passeport soviétique qu'ils demandaient à l'ambassade depuis 1933 (les services allemands leur refusaient l'octroi d'un passeport Nansen)91. La maison Petropolis se maintient à Bruxelles, ayant dû quitter Berlin en 1935 sous le coup des lois antisémites. A Paris, Jacques Bloch s'emploie à divers travaux, et grâce à son amie la docteure Valentine Crémer, intègre le réseau d'entraide juif de l'OSE. En 1940, il est nommé, avec sa femme, directeurs de la maison d'enfants du Masgelier dans la Creuse. Leurs amis, Elisé Cogan et son épouse Gilberte Marteau-Cogan les y rejoignent92.

La déclaration de guerre a en effet plongé les Gorlin dans un profond désarroi. Le couple, alors en vacances en Charente-Maritime, hésite à regagner Paris. La nationalité polonaise de Michel semble une menace supplémentaire93. Dans un premier temps, ils multiplient les efforts pour conserver leur travail respectif. Elle continue à travailler pour le Du Cange, lui achève sa «petite thèse»94. André Mazon réussit

adressées à G. Adamovitch (Hoover institution archives), témoignent de son projet d'un article sur la poésie médiévale.

87 Fonds Lot, Ms 7307, f 196-197, lettre non datée (1937?).

88 Cités en annexe.

89 Fonds Lot, Lettre du 19 XII 1937, f 365. 2

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90 Fonds Lot, Lettre du 18 VII 1939, f 366 «je ferai pendant les vacances le compte-rendu de la ^ thèse que vous m'avez envoyée en même temps que le travail préliminaire pour le chapitre sur la jj littérature carolingienne»; de même, sa lettre du 25 VIII 1939 évoque la rédaction d'un article ^ sur la renaissance carolingienne et de deux comtes rendus. S

91 Ofpra, OR 122-0625 à 0634: dossier de renseignements de Jacob et Hélène Bloch concernant  leur transfert depuis Berlin; leur identité est attestée par Félix Chevrier, Valentine Cremer et ^ Gregoire Lozinski. 'g

92 Témoignage de V. Hermelin et P. Cogan. Sur le Masgelier, S. Zeitoun, Histoire de l'OSE. De la .¡s Russie tsariste à l'Occupation en France (1912-1944), seconde édition, Paris: L'Harmattan, ^ 2012. P. 332. ig

93 Fonds Lot, Lettre du 25 VIII 1939, f°367. La lettre suivante précise: «la misère qui nous menace»

(Lettre du 7 IX 1939, f°368). Michel était né à Saint-Petersbourg de parents russes, mais ces -g deniers lui avaient fait obtenir la nationalité polonaise durant leur exil par sécurité.

94 Fonds Mazon B, Lettre du 6 V 1941. |

CO

à négocier l'octroi d'une bourse à Michel afin qu'il continue ses recherches95. Il cherche parallèlement à lui obtenir un poste, soit une promotion à l'Institut comme bibliothécaire principal, soit comme enseignant à l'étranger, à Bruxelles ou éventuellement aux Etats-Unis, avec l'aide de Boris Unbegaun96. Durant l'été 1940, Raïssa rejoint pour quelques semaines son amie Génia Cannac, à Saint-Malo97. Les revenus liés au Du Cange s'amenuisent et Ferdinand Lot, sur la proposition de Raïssa, tente d'obtenir une subvention exceptionnelle d'un mécène américain, Charles Liebman98. Mais le 14 mai 1941, Michel est convoqué par la police99. Malgré la mise en garde expresse d'un policier français qui les connaît et les prévient du danger, il se rend à la convocation et y est arrêté: c'est la 'rafle du billet vert', qui concerne principalement les Juifs étrangers hommes domiciliés à Paris. Michel est emprisonné au camp d'internement de Pithiviers100. Raïssa échoue à le faire libérer malgré de multiples tentatives. Elle mobilise pourtant tout son réseau de professeurs parisiens, en premier lieu André Mazon, Ferdinand Lot, mais également Léon Beaulieu, Pierre Pascal et André Vaillant. Une action collective est initiée auprès des autorités parisiennes d'une part, de l'autre auprès du préfet du Loiret, avec le soutien de Jérôme Carcopino, secrétaire d'Etat à l'Education nationale. André Mazon et Léon Beaulieu n'hésitent pas à multiplier les courriers accompagnés de pièces biographiques et médicales, se déplacent auprès des autorités et rendent visite au prisonnier101. Les démarches officielles échouent à obtenir sa libération. Suivant la réponse de Xavier Vallat, commissaire général aux questions juives, «le passé de cet étranger polonais, ses longues attaches avec l'Allemagne, ne me paraissent pas justifier une intervention de ma part qui d'ailleurs serait certainement sans effet étant donné l'attitude des autorités occupantes

95 Fonds Mazon B, Lettres de Michel Gorlin. Les deux époux font la demande de bourse, mais Raïssa

dit expressément qu'il serait préférable qu'elle aille à son mari (lettre à Mazon du 31 X 1939). La «bourse de recherche» est accordée le 30 IX 1939.

96 Fonds Mazon B, Lettres de Boris Unbegaun des 5 V 1939 et 17 X 1939. En mai 1939, il est pro-o fesseur invité à l'Université de Columbia (New York) et à la demande de Mazon, se renseigne

des opportunités existantes pour Gorlin.

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S 97 Fonds Lot, Lettre du 21 V 1940, f 370.

S 98 Fonds Lot, Lettre du 6 IV 1940, f 369. Charles Liebmann avait déjà financé une bourse pour le H Du Cange en 1934.

^ 99 YagilL. Chrétiens et Juifs sous Vichy (1940-1944). Sauvetage et désobéissance civile. Paris: Cerf, 2005. P. 54.

100 Fonds Mazon B, Lettre du 25 V 1941. Dossier Michel Gorlin, conservé au CERCIL. Fiche n°38384.

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O 101 Fonds Mazon A, Ms. 6778, Dossier Michel Gorlin: f°93-94, Demande de libération du 7 VI 1941

g adressée au Commissariat général des questions juives; f°95-100, Dossier d'intervention pour

=s Henri Moysset, secrétaire d'Etat à la vice-présidence du Conseil (lettre du 12 VII 1941) avec

§ un cv, une bibliographie et un dossier médical qui atteste de «ses mérites scientifiques et de sa

^ débilité physique»; f°101, Lettre du 7 VIII 1941 de Girard et Lettre du Ministre de l'Instruction

^ publique au préfet du Loiret à la demande de Mazon pour une libération; f°101-106, Lettre de

^ Beaulieu au préfet du Loiret, datée du 21 VIII 1941; f°107-108, Note pour Monsieur Ingrand,

£ délégué du Ministre de l'Intérieur à Paris, accompagné d'une notice individuelle (non datée).

vis-à-vis des juifs polonais»102. Durant l'été, avec d'autres prisonniers, Michel est placé chez un agriculteur pour aider aux travaux des champs103. Les quelques lettres échangées témoignent de son angoisse, mais également de ses soucis de santé104. En septembre 1941, grâce à l'intervention de l'infirmière de la Croix rouge, Michel réussit à obtenir un détachement comme bibliothécaire à la mairie de Pithiviers105. Il s'y rend tous les jours pour travailler, et retourne chaque soir dans le camp. Raïssa peut également lui rendre régulièrement visite, dans une semi-clandestinité (Michel lui conseille par exemple de descendre à la station ferroviaire précédente et de ne pas prendre de paquets). Le couple réussit ainsi à s'échanger des livres, articles et informations scientifiques, Michel reprend ses travaux de recherche et trouve là une raison d'espérer106. Néanmoins, le danger demeure et les menaces de déportation se multiplient. De nombreux prisonniers profitent du laxisme du camp pour s'échapper. André Mazon a reçu fin août d'Alvin S. Johnson, président de la New School for social research de New York, une proposition de poste de professeur associé pour Michel107. Il engage des demandes de visas pour la famille Gorlin, et, faute de libération, il semble qu'un projet d'évasion se précise, éventuellement par l'Espagne, avec l'aide de Jacques Bloch, début 1942108. Mais la tentative échoue, et Michel perd alors sa condition privilégiée de bibliothécaire. André Mazon tente encore d'intervenir, en mai, alors qu'une partie des prisonniers subit la déportation109. Mais au lieu de libération, Michel est déplacé dans une ferme isolée en Sologne, La Matelotte110. Il ne peut

102 CDJC, Cote MFM/CCXXXIX-108, Lettre du 14 VI 1941; la correspondance avec le préfet du Loiret est parallèlement conservée sous la cote AD 45, Ms 20760 dossier Gorlin.

103 Fonds Mazon B, Lettre à Raïssa du 3 IX 1941.

104 Fonds Mazon A, Ms 6778, f°13, Lettre du 25 VIII 1941; la lettre suivante précise que M. Gorlin souffre d'une insuffisance de la glande surrénale.

105 Fonds Mazon A, Ms 6778, f°16-17, Lettre du 21 IX 1941.

106 Fonds Mazon A, Ms 6778, f°1-3, Lettre du 7 I 1942.

107 Fonds Mazon B, Lettre de Boris Unbegaun datée du 4 IX 1941. Le fonds Mazon A conserve également sa correspondance avec A. Johnson et les documents pour l'obtention des visas: Ms ^ 6778, f°118-136: dossier d'invitation de la New School for social Research et dossiers de visa g pour la famille Gorlin avec le 28 VIII 1941, la lettre d'engagement de Gorlin pour 2500 $ par an ^ comme associate professor of comparative slavonic literature pour deux ans. Une allocation de Z; 1000 $ supplémentaire lui est accordée pour les frais de voyage et de visas (f°131). L'offre dure "g jusqu'au 29 VIII 1941, et l'autorisation de délivrance des visas pour l'ensemble de la famille est g finalement donnée le 5 IX 1942 (f°132). £

108 KaHHaK.1992. P. 166, note 19. 1

109 Fonds Mazon A, Ms 6778, f°115: en réponse à l'inquiétude de Mazon, qui lui rend visite le 9 mai, ° le préfet du Loiret précise que «les 150 prisonniers déportés le 8 mai étaient des récidivistes g de droit commun ou des évadés repris. Des indésirables, suivant le mot du préfet. Rien à ^ redouter pour Gorlin en ce moment. Le camp, loin de se liquider, voit augmenter son effectif d de prisonniers. Pas de détachement possible pour le moment». Parallèlement, Mazon négocie £ l'attribution de deux «secours» de 3000 frs à Raïssa (le second en mai 1942, f°139). -g

110 Fonds Mazon B, Lettre non datée «vendredi soir». Les archives conservées par le Cercil ^

confirment ces changements d'affectation. -S

presque plus écrire, mais garde le moral puisqu'il s'amuse, dans ce désert intellectuel, de tomber par le plus grand des hasards sur un des derniers numéros de la Revue des Etudes slavesm.

Pour les autorités allemandes et françaises, pourtant, il s'agit maintenant de vider l'ensemble des camps de prisonniers en déportant ceux-ci, dans l'optique de la grande rafle de juillet 1942 (Rafle du Vel d'hiv). Il est déporté à Auschwitz par le convoi numéro 6 du 17 juillet 1942112. Le 16 juillet, alors qu'elle ignore le sort imminent de son époux, Raïssa est prévenue du déclenchement de la rafle. Elle quitte alors son domicile et confie la petite Dora, qui a alors cinq ans, accompagnée de sa nourrice, à André Mazon113. Suivant les conseils de son frère, elle abandonne son identité: elle prend d'abord le nom de Guitard, puis celui de Marteau, enfin de Michèle Miraille. Après être passée à la Bibliothèque nationale avertir de son départ son ami, l'archiviste Jean Porcher, elle gagne Toulouse afin d'y récupérer les derniers salaires que lui doit le directeur de la Revue d'histoire de la Pharmacie. Malgré de multiples tentatives, ni elle, ni Mazon ne réussiront à obtenir des nouvelles de Michel114.

Raïssa se réfugie auprès de son frère au Masgelier115. Grâce à son réseau, elle obtient un poste d'éducatrice à la maison pour enfants de Vic-sur-Cère, dans le Cantal116. Il s'agit d'un home, d'un fonctionnement similaire à celui du Masgelier, qui vient d'ouvrir au printemps 1942 dans l'hôtel Touring Club, désaffecté depuis le début de la guerre. Il relève du réseau de l'Amitié chrétienne, œuvre de secours interconfessionnelle patronnée par le cardinal Gerlier et le pasteur Boegner, dirigée par le père Chaillet et l'abbé Glasberg, qui fonctionne en liaison avec l'O.S.E. Son rôle est de recueillir, protéger et héberger des familles traquées et notamment les enfants isolés117. Les premiers réfugiés qui arrivent à Vic au début de l'été 1942 sont des jeunes filles polonaises juives, et la plupart n'ont qu'une connaissance rudimen-

^ 111 Fonds Mazon A, Lettre non datée f 4.

o 112 Pithiviers-Auschwitz, 17 juillet 1942, 6h15: convoi 6, camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande, Témoignages recueillis par M. Novodorsqui-Deniau; préface de S. Veil; édition présentée et ^ annotée par K. Hazan, B. Verny, N. Fresco, Orléans: Editions Cercil, 2006. Son certificat de « décès porte la date du 16 IX 1942, et la mention pneumonie: ITS Archives, Bad Arolsen, Sterne bezweitbuch des Standesamtes Auschwitz.

113 Fonds Mazon A, Ms 6778, f°18-19, Lettre du 16 VII 1942.

« 114 AD 45 109W20760: Lettre de Mazon datée du 20 VIII 1942 demandant l'adresse de «la nou-

g velle résidence» de Michel Gorlin depuis son départ du camp de Pithiviers, et réponse du Pré-

££ fet délégué: «Je n'ai aucun renseignement me permettant de préciser le lieu, ou même la région, vers lequel les internés ont été dirigés» (25 VIII 1942). Fonds Mazon A, Ms 6778, f 118, Lettre

g du Comité international de la Croix-Rouge du 3 III 1943 en réponse à sa demande d'informa-

s tion au sujet de Michel Gorlin.

H 115 Fonds Mazon A, Ms 6778, f°23, Lettre du 23 VII 1942.

£ 116 Fonds Mazon A, Ms 6778, f 26, Lettre du 26 VIII 1942.

^ 117 Zeitoun S. L'Œuvre de secours aux enfants (O.S.E.) sous l'Occupation en France. Paris:

^ L'Harmattan, 1990; Hazan K. Le sauvetage des enfants juifs par l'OSE. Paris: OSE/Somogy,

£ 2008. P. 155. C

taire de la langue française118. Sous la direction d'Isa Malkin, Raïssa leur donne des cours119. Elle obtient du jeune secrétaire de Mairie, Roger Bonhoure, qu'il lui fournisse une fausse carte d'identité française au nom de Michèle Miraille120. Mais elle a hâte de retrouver sa fille Dora, toujours cachée chez André Mazon. Par l'entremise d'une amie, avec l'aide de son frère, ce dernier réussit à transférer la petite en octobre 1942 auprès de sa mère.

Quelques jours après les retrouvailles, Dora tombe malade et décède le 27 octobre 1942, brutalement, du Croup (infection virale du système respiratoire). Le docteur Malkin, époux de la directrice du centre, qui aurait pu sauver l'enfant par une rapide intervention chirurgicale, se trouve malheureusement en déplacement121. Accablée, Raïssa n'a d'autres choix que de rester à Vic-sur-Cère où elle continue son rôle d'éducatrice. Elle continue à correspondre régulièrement avec ses amis historiens et slavisants: très isolée intellectuellement dans cette montagne auvergnate, parmi de petits enfants face auxquels elle n'est pas très à l'aise, elle apparaît très sensible au maintien de cette relation épistolaire. La correspondance se double de l'envoi de colis alimentaires, notamment des pommes, car on vit mieux dans le Cantal qu'à Paris et le personnel de l'Institut se réjouit de ces livraisons de produits frais122. L'arrivée d'une nouvelle directrice à Vic-sur-Cère, qui remplace Mme Malkin, et avec laquelle elle ne s'entend pas, rend son séjour plus difficile123. Elle tente alors de trouver un poste d'enseignant à Clermont Ferrand, ce qui limiterait son isolement. Début 1943, elle est déchargée de ses charges annexes d'éducatrice et peut se consacrer uniquement à l'enseignement. Elle parvient à s'inscrire à la Bibliothèque de Strasbourg (repliée à Clermont) et y emprunter des livres124: c'est l'occasion pour elle d'y voir régulièrement Boris Unbegaun, et de lui apporter son aide pour la rédaction de son cours consacré à la versification russe125. Elle reçoit également la visite d'André Mazon

118 Masour-Ratner J. Mes vingt ans à l'OSE: 1941-1961. Paris: Le Manuscrit, 2006. P. 50. C'est le cas de Frédérique et Suzanne Chaimovicz, confiées par leur mère à l'Amitié chrétienne le 16 VII 1942 après l'arrestation de leur sœur, Christine (témoignage de F. Chaimovicz-Epstein).

119 Fonds Mazon A, f°28, Lettre du 12 VIII 1942; f° 32, Lettre du 25 VIII 1942 «Je me fais de ^ graves reproches de ne pas savoir bien les élever, car il ne s'agit pas seulement de leur enseigner ° les langues, mais de choses très diverses et très simples que je ne sais pas faire». m

120 Témoignage de Roger Bonhoure, qui a d'ailleurs reçu le titre de Juste pour l'ensemble de son action ^ (dossier n° 9784): CabanelP. Histoire des Justes en France. Paris: Armand Colin, 2012. P. 138. c

121 Témoignage de Frédérique Chaimovicz-Epstein, confirmé par la correspondance multiple de ^o ce mois d'octobre, notamment la lettre de Gilberte Marteau à ses parents datée du 31 X 1942: «Comme vous pouvez le croire c'est la chose la plus affreuse qui pouvait arriver» (archives personnelles P. Cogan). +2

122 Les références à ces colis sont presque systématiques, dans chaque lettre. Il semble donc qu'il ffi s'agissait d'une pratique régulière.

123 Fonds Mazon A, Ms 6778, f°45, Lettre du 28 XII 1942.

124 Fonds Mazon A, Ms 6778, f 46, Lettre du 23 II 1943. |

125 Ce cours de faculté sera publié plusieurs années plus tard: Unbegaun B. La Versification russe. ^ Paris: Librairie des cinq continents, 1958. -S

00

à Vic-sur-Cère, et l'assiste pour la correction des épreuves de sa Grammaire de la langue russe (Paris, 1943)126. Une fois encore, elle lui demande de l'aide, cette fois pour récupérer des livres et des manuscrits laissés, dans la précipitation du départ, dans son appartement parisien de la rue Claude-Lorrain, et qui est en proie aux pil-lages127. Le soutien de leurs amis slavisants s'exprime également par la publication d'un article de Michel Gorlin dans la Revue des études slaves, pour laquelle Raïssa reçoit une petite rémunération128. Elle-même reprend des recherches historiques, et transmets de premiers résultats en mai et juin à l'Institut d'études slaves et à Ferdinand Lot, à l'Institut129. Elle continue également sa production poétique130. Parallèlement à ces travaux et à son activité d'enseignante131, elle prend ponctuellement en charge des transferts clandestins d'enfants jusqu'à la frontière suisse132.

Le 18 décembre 1942, le Commissariat général aux questions juives décrète l'obligation, pour l'UGIF, de licencier tous ses employés juifs étrangers avant le 28 février 1943: en application de cette nouvelle discrimination, Jacques et Hélène Bloch doivent se résoudre à quitter le Masgelier et, en mars 1943, rejoignent la Direction générale de l'OSE à Chambéry. Devant la multiplication des arrestations, ils passent la frontière suisse en septembre 1943133. Raïssa souhaite les rejoindre, mais à l'automne, la politique d'immigration suisse en direction des Juifs se durcit. Elle engage des démarches pour obtenir un faux certificat de nationalité du Salvador qui doit lui permettre d'immigrer Outre-Atlantique134. La direction de l'OSE transmet aux autorités la liste de ses personnels, considérés comme «non refoulables» par les Suisses: forte de cette protection, Raïssa franchit donc la frontière, venant de Chambéry et Annemasse, à La Renfile, borne 121, le 18 octobre 1943 dans un groupe de six personnes. Arrêtée par la douane suisse, elle est amenée aux Cropettes, puis à Certoux le 21 octobre. Suite à une confusion sur son identité (le registre de police porte le nom

126 Fonds Mazon B, Lettre du 20 III 1943. Mazon remercie d'ailleurs dans son introduction (p. 2)

«Mme Michel Gorlin» pour son aide. ^ 127 Fonds Mazon A, Ms 6778, f 65, Lettre du 23 VII 1943. ^ 128 Fonds Mazon A, Ms 6778, f 56, Lettre du 28 V 1943.

g 129 Fonds Mazon A, Ms 6778, f°57, Lettre du 28 V 1943 et f°58, Lettre du 2 VI 1943.

îP

130 Une partie de ces poèmes, transmis à André Mazon, sera publiée de manière posthume en 1959. =s 131 Elle en donne un descriptif en juillet 1943 (fonds Mazon A, Ms 6778, f 64): «Aujourd'hui par g exemple, je vous écris à 11 heures du soir, j'ai donné 7 leçons, j'ai enseigné 4 langues (y inclus celle ££ de Pouchkine et le latin), j'ai surveillé des enfants qui voulaient faire des cabrioles pendant les heures de repos, j'ai causé de la Weltanschauung avec des jeunes filles, et j'en ai un peu le vertige».

h 132 Fonds Mazon A, Ms 6778, f 47, Lettre du 10 III 1943, fonds Mazon B, Lettre du 17 III 1943;

s fonds Mazon A, Ms 6778, f 56, Lettre du 28 V 1943.

s 133 Fonds Mazon A, Ms 6778, f 52, Lettre du 28 IV 1943; f 68, Lettre du 29 IX 1943. ^ 134 Ce faux a été rédigé et conserve: Unauthorized Salvadoran citizenship certificate issued to

^ Raissa (Bloch) Gorlin (b. 09/17/1899 at St. Petersburg) by George Mandel-Mantello, First

^ Secretary of the Salvadoran Consulate in Switzerland. Signé du 8 février 1944 à Genève:

£ http://collections.ushmm.org/search/catalog/pa1168598.

de «Basia Gorlain»), elle est refoulée et emprisonnée à la prison Pax d'Annemasse135. Ce refoulement, illégal, entraîne une protestation écrite du pasteur Freudenberg, le 24 novembre 1943136. Mais il est trop tard. Durant son transfert à Drancy, elle réussit à prévenir les professeurs de l'Institut slave, par l'intermédiaire de son amie Valentine Crémer et de Boris Unbegaun, afin qu'on lui procure des affaires chaudes et quelques vivres137. Au camp de Drancy, elle signe un reçu doté du matricule 7102 et mentionnant les deux noms: «Reçu de Gorlain Raissa, Mme Michèle Miraille, Vic-sur-Cère, Cantal, la somme de 500 Frs et une chaînette or», le 26 octobre 1943138. Elle est déportée à Auschwitz par le convoi numéro 62 du 20 novembre 1943 où elle décède dès l'arrivée139. Une dernière lettre d'elle, griffonnée et adressée à Léon Beaulieu, a été jetée du train, réceptionnée et transmise à l'Institut d'études slaves: elle y remercie ses amis professeurs pour leur soutien et leur adresse un salut encore plein d'espoir140.

Ceux-ci se souviendront de ses capacités intellectuelles et de ses compétences linguistiques étonnantes, de son talent de poète salué, dès les années berlinoises, par Alexandre Vertinski141, de sa très grande culture historique et littéraire: dans une lettre à Vladislav Khodassevitch de 1935, elle évoque avec finesse son voyage de noces avec Michel à Lyons-la-Forêt et la figure d'Isaac de Benserade, dramaturge et poète du XVIIe siècle qui y avait effectivement résidé... s'amusant de ne pas trouver ses livres chez les libraires ou bouquinistes de la région142.

André Mazon et Ferdinand Lot n'auront de cesse de tenter d'obtenir des nouvelles de Michel et de Raïssa, notamment par le biais de la Croix Rouge interna-tionale143. En 1945, leurs décès sont confirmés. Ils honoreront leur mémoire par la rédaction de notices nécrologiques, puis par la publication de recueils posthumes, afin qu'on ne les oublie pas.

135 L'ensemble de ces pièces sont conservées par les Archives de Genève sous la cote «AEG Justice et Police Ef/2-044 n° 5297. Le cas tragique de Raïssa Bloch-Gorlin est évoqué par O. Munos-du Peloux, Passer en Suisse: Les passages clandestins entre la Haute-Savoie. Grenoble: Presses universitaires de Grenoble, 2002. Р. 74. ^

136 Archives du Conseil Œcuménique des Eglises, copie transmise par les Archives d'Etat de о Genève. ^

137 Fonds Mazon B, Lettre non datée. ^

138 Document numérisé, transmis par le centre des archives de Yad Vashem. с

139 Elle très probablement gazée dès l'arrivée comme l'ensemble du convoi, dans la mesure où elle д n'apparaît ni sur les registres d'Auschwitz ni dans les maigres archives

conservées sur place. ^

Sur le devenir de son convoi, D. Czech. Kalendarium der Ereignisse im Konzentrationslager -д

Auschwitz-Birkenau 1939-1945. Reinbeck bei Hamburg, Rowohlt-Verlag GmbH, 1989. +3

140 Fonds Mazon B, Lettre du 17 XI 1943 non datée. Cette lettre a été publiée en fac-similé dans Д le recueil posthume de poésies Избранные стихотворения.

141 Il avait mis en musique et chanté son poème Чужие города en 1936. Hi

142 Mikhail Karpovitch Papers, Lettre du 10 VIII 1935. |

143 Lettres de Paul E. Martin, membre du CICR, à F. Lot, datées des 25 III 1945 et 10 VII 1945. ^ Fonds F. Lot, op. cit., Ms 7309 f. 338-342.

Annexe. Publications de Raïssa Bloch-Gorlin historienne

Thèse sous la direction d'Albert Brackmann soutenue à l'Université de Berlin en 1928 et publiée ensuite: «Die Klosterpolitik Leos IX. in Deutschland, Burgund und Italien», Archiv für Urkundenforschung. 1930. 11. P. 176-257.

«Verwandtschaftliche Beziehungen des sächsischen Adels zum russischen Fürstenhause im IX. Jahrhundert» / Festschrift für A. Brackmann. Weimar, 1931; rééd. in Etudes littéraires et historiques, Paris, 1957. P. 219-240.

«Une pharmacie sous Charles le Chauve», Revue d'histoire de la Pharmacie, juin 1940, rééd. in ibib., p. 241-243.

Mehnert K. éd., avec la collaboration de Raïssa Bloch, Die Soviet-Union 19171932: systematische, mit Kommentaren versehene Bibliographie der 1917-1932 in deutscher Sprache ausserhalb der Soviet-Union veröffentlichten 1900 wichtigsten Bücher und Aufsätze über den Bolschewismus und die Soviet-Union, Königsberg: Im Ost-Europa Verlag, 1933.

Comptes-rendus

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Id., p. 108-109: James Francis O' Donnel, The vocabulary of the letters of Saint Gregory the Great, a study in late latin lexicography, Diss (The Catholic University of America. Studies in medieval and renaissance latin vol. II). Washington, 1934.

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