Научная статья на тему 'GORKI ET LE THéâTRE D’ART DE MOSCOU: DES AFFINITéS SéLECTIVES'

GORKI ET LE THéâTRE D’ART DE MOSCOU: DES AFFINITéS SéLECTIVES Текст научной статьи по специальности «Искусствоведение»

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МОСКОВСКИЙ ХУДОЖЕСТВЕННЫЙ ТЕАТР / A.П. ЧЕХОВ / K.С. СТАНИСЛАВСКИЙ / B.И. НЕМИРОВИЧ-ДАНЧЕНКО / "MОЯ ЖИЗНЬ В ИСКУССТВЕ" / "ИЗ ПРОШЛОГО" / СОВЕТСКАЯ КУЛЬТУРНАЯ ПОЛИТИКА / ТЕНДЕНЦИОЗНОСТЬ / "НА ДНЕ" / "МЕЩАНЕ" / "ДАЧНИКИ" / "ДЕТИ СОЛНЦА"
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Текст научной работы на тему «GORKI ET LE THéâTRE D’ART DE MOSCOU: DES AFFINITéS SéLECTIVES»

GORKI ET LE THEATRE D'ART DE MOSCOU: DES AFFINITES SELECTIVES

© 2018. M.-Ch. Autant-Mathieu

This is an open access article distributed under the Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)

CNRS, Eur'ORBEM, Paris, France Envoyé le 10 janvier 2018 Publié le 25 mars 2018

DOI: 10.22455/2500-4247-2018-3-1-178-195

Annotation: Gorki a débuté comme dramaturge au Théâtre d'Art pour lequel il écrivit ses premières pièces, se trouvant en concurrence avec Tchekhov qui y était joué durant la même période. Ainsi, les deux directeurs Stanislavski et Nemirovitch-Dantchenko furent-ils confrontés à deux auteurs qui s'appréciaient mais dont les modes d'écriture divergeaient. La communication, qui n'est qu'une partie d'un travail plus global concernant les mises en scène de Gorki au Théâtre d'Art, se concentrera sur la façon dont les deux directeurs du Théâtre d'Art, dans leur biographies écrites en période soviétique, 1926 pour Ma vie dans l'art et 1936 pour Iz proslogo (Extraits du passé), ont réécrit et embelli leur relation avec un écrivain qui leur a donné du fil à retordre, à la fois de par son engagement politique et de par la difficulté que les comédiens éprouvaient à jouer ses personnages. A partir du milieu des années 1920, Gorki est apparu comme un protecteur du Théâtre d'Art qui va porter son nom dès les années 1930. Dès lors, les deux directeurs ont gommé leurs divergences politico-esthétiques et cherché à se concilier Gorki qui, en, effet contribua à faire du MKHAT le phare de tous les théâtres de l'URSS, appuya Stanislavski pour la fondation de son dernier studio lyrico-dramatique et le soutint dans l'écriture et la publication de son Système de formation de l'acteur.

Mots clés: Théâtre d'Art de Moscou, A. Tchekhov, K. Stanislavski, V. Nemirovitch-Dantchenko, Ma vie dans l'art. Iz proslogo, politique culturelle soviétique, écriture tendancieuse, Les Bas-Fonds, Les Petits Bourgeois, Les Estivants, Les Enfants du soleil.

Information sur l'auteur: Marie-Christine Autant-Mathieu, directrice de recherches au

CNRS, directrice adjointe de l'unité CNRS-Paris Sorbonne EUR'ORBEM, 9 rue Michelet, 75006 Paris.

E-mail: autant.mathieu@wanadoo.fr

GORKY AND MOSCOW ART THEATRE: SELECTIVE AFFINITIES

© 2018. M.-Ch. Autant-Mathieu

This is an open access article distributed under the Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)

CNRS, Eur'ORBEM, Paris, France

Received: January 10, 2018 Date of publication: March 25, 2018

Abstract: Gorky started his literary career as a playwright at the Moscow Art Theatre. He wrote his first plays for its troupe in competition with Chekhov whose plays were performed there during the same period. Thus, two Moscow Art Theatre directors, Stanislavsky and Nemirovich-Danchenko dealts with two authors whom they valued but whose approaches differed. My paper that forms part of a study concerning Gorky's collaboration with the Moscow Art Theatre, focuses on the way in which Stanislavsky and Nemirovich-Danchenko revised and embellished the history of their relationship with Gorky in their autobiographies both written in the Soviet period, My Life in Art (1926) and My Life in the Russian theatre (1936) respectively. In real fact, the relationship was problematic due to Gorky's political opinions and the difficulties that the actors encountered playing his characters. Since the middle of the 1920s, Gorky became a defender of the Moscow Art Theatre and consequently, the two directors put their political and aesthetic contradictions aside and sought to reconcile themselves with Gorky who contributed to make the Art Moscow Theatre a model Soviet theatre. Besides, the writer supported Stanislavsky in founding an opera-dramatic studio in 1935 and writing and publishing "The Stanislavsky System."

Keywords: Moscow Art Theatre, Chekhov, Stanislavsky, Nemirovich-Danchenko, My life in Art, My Life in the Russian Theatre, Soviet cultural politics, biased writing, The Lower Depths, Small people, Summerfolk, The Children of the Sun.

Information about the author: Marie-Christine Autant-Mathieu, Director of Research

at the CNRS, Associate Director of the Institute Eur'ORBEM (CNRS-Paris Sorbonne), 9 rue Michelet, 75006 Paris.

Е-mail: autant.mathieu@wanadoo.fr

УДК 821.161.1.0

ББК 8з.з(2Рос=Рус)6 +

85.334(2)

ГОРЬКИЙ И МОСКОВСКИЙ ХУДОЖЕСТВЕННЫЙ ТЕАТР: ИЗБИРАТЕЛЬНОЕ СРОДСТВО

© 2018 г. М.-К. Отан-Матье

Национальный Центр научных исследований Франции, Париж, Франция

Дата поступления статьи: 10 января 2018 г. Дата публикации: 25 марта 2018 г. DOI: 10.22455/2500-4247-2018-3-1-178-195

Аннотация: М. Горький дебютировал как драматург в Художественном театре,

для которого он написал первые пьесы, находясь «де факто» в соревновании с А.П. Чеховым, произведения которого там ставились в то же время. Два директора театра — К.С. Станиславский и В.И. Немирович-Данченко — сотрудничали, таким образом, с двумя авторами, творческие подходы которых разнились. Настоящая статья представляет собой фрагмент глобального исследования, касающегося сотрудничества Горького с Художественным театром; она повествует о том, как Станиславский и Немирович-Данченко в своих биографиях, созданных уже в советский период («Моя жизнь в искусстве», 1926; «Из прошлого», 1936), значительно изменили свое отношение к писателю, которые изначально были весьма сложны — как из-за политической ангажированности Горького, так и из-за трудностей (преимущественно в актерской среде), возникавших в процессе постановок пьес. С середины 1920-х гг. Горький оказывается защитником Художественного театра, а оба директора забывают о политических и эстетических разногласиях и стремятся помириться с ним. Горький же способствовал превращению МХАТа в образцовый театр СССР, впоследствии названный его именем, а также поддержал Станиславского в его стремлении основать оперно-драматическую студию (1935) и обнародовать его «систему».

Ключевые слова: Московский Художественный театр, А.П. Чехов, К.С. Станиславский, В.И. Немирович-Данченко, «Моя жизнь в искусстве», «Из прошлого», советская культурная политика, тенденциозность, «На дне», «Мещане», «Дачники», «Дети солнца».

Информация об авторе: Мари-Кристин Отан-Матье — главный научный сотрудник

Национального Центра научных исследований Франции, заместитель директора института EUR'ORBEM при НЦНИ и Пари Сорбонн, 9 рю Мишле, 75006 Париж.

Е-mail: autant.mathieu@wanadoo.fr

Dans le cadre plus vaste d'une relecture des relations entre Gorki et le Théâtre d'Art de Moscou (MKhAT) — une relecture que la célébration du 150e anniversaire de la naissance de l'écrivain en 2018 vient encourager, je me limiterai ici à comparer l'image de Gorki dans les biographies des deux directeurs du Théâtre, parues en 1926 et 1936. Puis je rappellerai le rôle crucial que joua Gorki après 1917 pour faire de la compagnie un phare de l'art théâtral russe.

Il faudrait, pour que cette relecture soit complète, évoquer aussi en détail la correspondance fortement censurée et falsifiée entre l'écrivain et les deux directeurs du MKhAT: Stanislavski et Nemirovitch-Dantchenko1, étudier les répétitions et représentations des pièces de Gorki au Théâtre d'Art. Il faudrait également rappeler un aspect peu étudié mais fondamental: le rôle de Gorki pour créer des compagnies provinciales «accessibles à tous», reliées à la maison mère moscovite, et son soutien au premier studio du MKhAT, notamment pour le travail de création à partir de textes-canevas retravaillés collectivement et par improvisations.

L'histoire des relations entre l'écrivain et le Théâtre d'Art est liée d'une part à la quête d'un répertoire nouveau, actuel, par une compagnie qui depuis la toute fin du XIXe siècle cherche à réformer l'art de la scène, et d'autre part à la politique de soviétisation théâtrale dont Gorki fut le fer de lance. En septembre 1932, trente ans après que la mouette de Tchekhov avait été placée sur le rideau du Théâtre d'Art2, la compagnie était rebaptisée du nom de Gorki comme nombre

1 Dans la suite de l'article, nous utiliserons les abréviations: KS pour Konstantin Stanislavski et

ND pour Vladimir Nemirovitch-Danchenko.

2 En 1902, le théâtre quitta le bâtiment de l'Ermitage pour s'installer rue Kamerguerski. Les

de lieux et d'établissements à ce moment-là : il fallait honorer l'écrivain qui rentra définitivement en URSS en mai 1933 et allait devenir un an plus tard le père du réalisme socialiste.

Gorki figure au répertoire du Théâtre d'Art en parallèle à Tchekhov entre 1902 et 1905: La Mouette, Oncle Vania, Les Trois sœurs, La Cerisaie côtoient Les Petits Bourgeois, Les Bas-Fonds et Les Enfants du soleil3. Puis c'est un grand vide jusqu'en 19334. Entre 1933 et la mort de KS en 1938, se succèdent4 quatre spectacles: l'adaptation de V Ijudjah, Egor Boulitchev, Les Ennemis, Dostigaev et les autres, ainsi que la lecture de VassaJeleznova (la seconde variante). ND monte deux de ces représentations, données en compétition avec d'autres théâtres.

Les relations entre Gorki et les directeurs du Théâtre d'Art seront complexes et par moments exécrables (en 1904, ulcéré par la réaction très négative de ND à la lecture des Estivants, Gorki rompt avec le Théâtre ce qui amène sa compagne Maria Andreeva, une des premières actrices du Théâtre, à quitter la troupe).

Tout change, non pas après 1917 (on sait que Gorki, en désaccord avec la politique des Bolcheviks, sera expulsé en 1921) mais lorsque le MkhAT devient le théâtre officiel de l'URSS. Le rapprochement à la toute fin des années 1920, très officiel et médiatisé, manqua de cordialité. KS qui avait renoncé à jouer les rôles principaux dans Les Petits Bourgeois et Les Enfants du soleil, abandonna aussi la mise en scène de Dostigaev au début des années trente. Gorki ne vint pas assister aux répétitions de ses spectacles et préféra souvent les mises en scène d'autres théâtres. Les contacts restèrent protocolaires et souvent épistolaires. Mais le rôle de protecteur de Gorki fut crucial, non seulement pour sauver le Théâtre des attaques prolétariennes mais aussi pour en faire un modèle national. Gorki contribua également à la promotion du système de formation

travaux d'aménagement (plateau tournant, dispositif électrique moderne, salle équipée en sièges rabattables, magasins en sous-sol, loges spacieuses, rideau orné d'une mouette) furent financés par le riche industriel Morozov.

3 Liste des premières: Les Petits-Bourgeois, 26/03/1902, mise en scène de Stanislavski et Loujski, décors de Simov (création à Saint-Pétersbourg). Les Bas-Fonds, 18/12/1902, mise en scène de Stanislavski et Nemirovitch-Dantchenko, décors de Simov. Les Enfants du soleil, 24/10/1905, mise en scène de Stanislavski et Nemirovitch-Dantchenko, décors de Simov. V ljudjah, adaptation de Soukhotine, 25/09/1933, mise en scène de Kedrov, décors d'Ivanov. Egor Boulitchev et les autres, 06/02/1934, mise en scène de Nemirovitch-Dantchenko et Sakhnovski, décors de Iouon. Les Ennemis, 10/10/1935, mise en scène de Nemirovitch-Dantchenko et Kedrov, décors de Dmitriev. Dostigaev et les autres, 31/10/1938, mise en scène de Leonidov et Raevski, décors de Ryndine.

4 Seuls Les Bas-Fonds continueront de figurer au répertoire après Octobre 1917.

de l'acteur, mis au point par KS, et qui allait devenir à la mort de son créateur en 1938, un catéchisme obligatoire. En période de terreur, cet embaumement permit la conservation du vieux théâtre célèbre pour son professionnalisme et son réalisme mais il accéléra sa sclérose au fil des années et le figea dans un académisme pompeux.

L'Image retouchée de Gorki dans les biographies des directeurs

du ^éâtre d'Art

La troupe du Théâtre d'Art a fait la connaissance de Gorki et Tchekhov à Yalta en 1900, à l'occasion de sa tournée en Crimée5. En 1900, Gorki est déjà un écrivain très connu, il a été remarqué par Tolstoï, Tchekhov l'apprécie et c'est lors de ces rencontres en Crimée qu'il se laisse convaincre d'écrire des pièces pour la compagnie moscovite à laquelle il propose un milieu, des personnages totalement nouveaux. Ses petits bourgeois, ses va nu pieds des bas-fonds contrastent avec les personnages historiques (TsarFiodor, Jules César) ou les intellectuels désenchantés présentés jusqu'alors par KS et ND6.

Il est intéressant de comparer l'image que les deux directeurs du Théâtre ont donné de Gorki dans leurs mémoires, parues à dix ans d'intervalle.

Dans Ma vie dans l'art (1926), KS intitule le chapitre consacré à Gorki: «Общественно-политическая линия». Il y inscrit Ibsen: Un ennemi du peuple mais fait de Gorki son «главным начинателем и создателем» [12, т. 1, с. 324].

Que met-il en avant dans ce chapitre?

Il insiste sur la période politiquement et socialement instable que sont les années 1902-1905, cequi modifie les attentes du public, le détourne des questions esthétiques et le pousse à des applaudissements tendancieux. Or, écrit KS cinq ans après la révolution d'Octobre, «Лишь только к искусству подходят с тенденциозными, утилитарными и другими нехудожественными помыслами — оно вянет, как цветок в руке Зибеля» [12, т. 1, с. 324].7 KS exprime donc très nettement son aversion pour les spectacles politiquement engagés.

Lorsqu'il évoque Les Petits Bourgeois, la première pièce proposée par Gorki dès l'automne 1900 pour la toute première version [5, с. 61, 67, 248; 11,

5 Tournée à Sébastopol (10-15 avril) et Yalta (16-21 avril) 1900. Le Théâtre présenta La

Mouette, Oncle Vania, et aussi Les Âmes solitaires de Hauptmann et Edda Gabier de Ibsen.

6 La même année que Les Bas-Fonds, les acteurs du Théâtre sont amenés à interpréter aussi des

rôles nouveaux pour eux: les paysans de la pièce de L. Tolstoï La Puissance des ténèbres.

7 Zibel' un personnage de Faust.

с. 8-9]8 (elle sera représentée au printemps 1902), il ne parle pas de l'élaboration du spectacle dont il a écrit pourtant le «режиссерский экземпляр», mais du contexte de sa réception: la censure est sur les dents, le théâtre, temple de l'art, devient brusquement une arène politique. Il ne mentionne pas ses essais dans le rôle de Nil, sur le conseil de Gorki et de Tchekhov, et met l'accent sur le succès fou remporté par un vrai choriste pour jouer le chantre Teteriev: par son naturel très primitif, cet amateur a charmé le public, en particulier les dames du monde... car la première eut lieu à Saint-Pétersbourg où la réputation sulfureuse de Gorki, alors sous étroite surveillance policière, suscita la curiosité des aristocrates, des ministres et du Grand duc Constantin.

KS ne dit pas un mot des Estivants, refusés par le Théâtre et s'attarde sur les Bas-Fonds. Il développe là le pittoresque de leur excursion dans un asile de nuit afin de saisir sur le vif le cadre et les personnages que les acteurs devront incarner. Il évoque l'autre difficulté de ce spectacle : trouver «новый тон и манера игры, новый быт, новый своеобразный романтизм, пафос, с одной стороны, граничащий с театральностью, а с другой — с проповедью» [12, т. 1, с. 328]9. Distribué dans le rôle de Satine, KS a travaillé la manière de dire les monologues édifiants de manière simple, «с естественным внутренним подъемом» [12, т. 1, с. 329].

A l'en croire, il aurait réussi à faire coïncider la dramaturgie de Gorki avec ses principes de jeu, le «переживание». Or, les historiens du théâtre relèveront un évident anachronisme. En 1902, le Système de KS n'existait pas (les premières traces d'écriture datent de 1906 et le terme apparait en 1909). Le jeu ressenti n'était ni théorisé ni pratiqué et les comédiens furent justement confrontés, après Tchekhov qu'il fallait ressentir (переживать), à Gorki qu'il fallait «dire» (докладывать).

Lorsqu'en 1924-1926, date de l'écriture de Ma vie dans l'art, KS affirme que l'on peut jouer ce théâtre sans pathos, sans théâtralité romantique, et que, si l'on trouve la «потайной ключ к душе автора», тогда «эффектные слова босяцких афоризмов и витиеватых фраз проповеди наполнятся духовной сущностью самого поэта, и артист заволнуется вместе с ним» [12, т. 1, с. 329], cette assertion se trouve en contradiction avec ses lettres écrites entre 1902-1905,

8 Ce premier jet fut détruit. Après une lecture de sa pièce à ND qui lui fit plusieurs remarques,

Gorki réécrivit son texte et le trouva très amélioré.

9 KS ne dit pas que ce nouveau ton lui a été soufflé par ND.

au moment où il travaille sur les premières pièces de Gorki. KS «oublie» les difficultés éprouvées sur le moment pour trouver le bon «ton» et gomme l'autre handicap: l'engagement de l'auteur.

KS consacre une simple demi-page aux Enfants du soleil à la fin du chapitre sur le studio de la rue Povarskaïa. Là encore, il se focalise sur l'atmosphère qui entoure le spectacle en octobre 1905 (le public, survolté par les tensions politiques, prend un groupe de figurants pour un vrai escadron de Cent-Noirs) [12, т. i, с. 363]. Il évoque les énormes coupures imposées par la censure, mais ne dit rien de sa conception de la mise en scène à l'acte II, qu'il a dû remanier en raison des réserves de Gorki qui écrit le 25 septembre à sa femme E. Pechkova: «Поставлено отвратительно. Играют пакостно. Пьеса вся искажена и, вероятно, со скандалом провалится» [4, т. 28, с. 389; 15, с. 518]10. La mise en scène provoqua bien un scandale, mais il ne fut pas d'ordre artistique. L'auteur, comme les artistes du Théâtre, oublièrent ce spectacle balayé par l'actualité politique et qui ne donna pas lieu à d'abondantes analyses détaillées [13, с. 157-161]11.

Dans Ma vie dans l'art, KS dissocie l'homme Gorki de la figure politique et militante. En 1924-1926, il a oublié l'aversion que lui ont procurée Les Estivants, puis Les Enfants du soleil et ne dit mot des attaques de Gorki en 1913 contre les mises en scène de Dostoïevski. KS ne garde en mémoire que l'être séduisant, chaleureux, au cœur pur dont il a fait connaissance à Yalta. «Горь-ковское обаяние было сильно. В нем была своя красота и пластика, свобода и непринужденность. В моей зрительной памяти запечатлевалась его красивая поза, когда он, стоя на молу Ялты, провожал меня и ожидал отхода парохода <...> Он задумчиво смотрел вдаль, и казалось, еще немного — и вот отделится от мола и полетит куда-то далеко, за своей мечтой» [12, т. 1, с. 333].

Pour sa part ND, dans sa biographie parue en i936, dix ans après celle de KS: Extraits du passé (Iz prochlogo) [8, т. 4]12 articule l'histoire du Théâtre d'Art autour des écrivains qui ont fait sa célébrité: Tchekhov, Tolstoï et Gorki, présenté

10 Les coupures imposées furent respectées à la première, puis progressivement rétablies au fil des représentations.

11 Pour analyser l'œuvre, Marianna Stroeva s'appuie sur le cahier de mise en scène des Enfants du soleil et s'attarde peu sur le spectacle lui-même.

12 La première édition parut chez «Academia» en 1936. L'ouvrage parut en anglais sous le titre My Life in The Russian Theatre, Boston, Little Brown and co, 1936. Une seconde édition corrigée sortit en 1938: c'est cette version qui est reprise dans la réédition de 2003.

comme le marqueur du courant «gorkovien» (горьковское). L'art tendancieux, rejeté sous l'ancien régime, a été promu par les œuvres de Gorki qui ont rendu évidente la formule selon laquelle «Искусство не может быть аполитично, даже по своей природе» [8, т. 4, с. 405].

ND décrit lui aussi l'atmosphère surchauffée qui entoure la première des Petits Bourgeois à Petersbourg, insiste sur son rôle pour faire autoriser la pièce dans un cercle limité, pour convaincre les étudiants installés au poulailler de ne pas créer de provocation [8, т. 4, с. 381-382]. Il évoque également le succès du chantre amateur Baranov qui fascina les élégantes parfumées par son primitivisme d'enfant de la nature.

Dans son portrait de Gorki, au centre de l'attention en 1902, ND souligne le caractère entier du personnage («если вы "свой", сейчас же полюбит вас») et la grande confiance en lui du dramaturge débutant: «на репетициях был прост, искренен, доверчив, но, где надо, и безобидно настойчив». Gorki, assure ND, ne doute jamais, ni dans ses actes, ni ses paroles [8, т. 4, с. 384, 401].

Le co-directeur du Théâtre d'Art insiste sur l'énorme succès des Bas-Fonds encore à l'affiche lorsqu'il écrit son livre [8, т. 3, с. 411; i, с. 201-204]13 et conclut que l'année 1902-1903 fut placée «под знаком Горького» [8, т. 4, с. 386], ce qui est une drôle de manière de réécrire l'histoire, en oubliant Les Trois Sœurs et en assurant que le public préféra la pièce de Gorki à La Cerisaie14.

ND ne dit rien de sa rupture avec Gorki durant l'été i904, s'attarde lui aussi sur les événements politiques d'octobre-décembre 1905 qui eurent de fâcheuses incidences sur la première des Enfants du soleil. Il décrit le final de l'acte IV imaginé par Gorki: le professeur Protassov agite son mouchoir face à un groupe de gens en colère qui l'accusent d'avoir propagé le choléra. Ses agresseurs le cernent, le font tomber. Il s'évanouit. Alors, la femme de Protassov, armée d'un révolver, sort sur le perron et tire sur les assaillants que le gardien de la maison frappe à coup de planche. La scène est tragicomique. ND mentionne les rires qui fusent à la générale et assure que Gorki ne s'en soucia pas, ce qui contredit le

13 En 1934, il y avait eu 800 représentations des Bas-Fonds. La gloire phénoménale de Gorki est venue d'un coup, avec ce spectacle, même si, auparavant, il bénéficiait déjà d'une grande popularité: Bounine dira que les intellectuels russes étaient fous de lui et que chacune de ses nouvelles œuvres faisait événement.

14 ND se vante aussi du succès de sa mise en scène de Jules César, qui fut en réalité un cuisant échec. Trop coûteuse et difficile à jouer (elle impliquait 200 figurants), il la vendit au bout de deux ans à un théâtre de Kiev.

récit que KS fait de cette scène à son amie l'actrice Vera Kotliarevskaïa (sa lettre du 3 novembre 1905 parut pour la première fois en 1995, elle manquait dans la première édition des lettres en i960).

«Какой ужас играть и репетировать в такое время эту галиматью и бездарность: "Дети солнца". Но еще ужаснее видеть то, что было на первом представлении. Надо сказать, что я с Горьким разругался и видеть его больше не могу. Это образец самонадеянности и безвкусия. Он изломал всю постановку, задуманную нами, и теперь пьеса идет так, как режиссируют в Царевококшайске. Это ужас! ... по банальности. Увы, именно оно-то и имеет успех у публики. Дошли до 4-ого акта. На репетиции мы катались по полу от хохота, когда врывались на сцену черносотенцы и дворник колотил толпу по головам картонной доской. Конечно, поехали без меня просить Горького убрать эту петрушечью деталь — они рассердились и не допустили» [12, т. 7, с. 6i0].

ND assure aussi qu'il a signé seul le spectacle, alors qu'en réalité il a suivi le cahier de mise en scène composé par KS (qu'il a, il est vrai, dû modifier au fil des répétitions).

On notera que dans l'édition américaine de ses mémoires (My Life in The Russian Theatre, 1936), ND évoque le départ en émigration de Gorki accompagné de Maria Andreeva juste après l'échec de la révolution de 1905 et indique à tort: «Связь между ним и театром была прервана. Горький написал после этого несколько пьес; но ни мы их не ставили, ни он не предлагал нам» [8, т. 4, с. 499].

En 1913, une nouvelle divergence de fond opposera l'écrivain exilé et le Théâtre: elle concerne les adaptations de Dostoievski. ND est le seul à en parler dans ses mémoires, car il est le responsable du choix des Karamazov et des Démons, ainsi que l'auteur des adaptations et le co-metteur en scène (avec Loujski) des deux spectacles donnés en octobre 1910 et 1913. Dans Extraits du passé, ND reprend les arguments qu'il avait donnés à son biographe en 1918 [10, с. 78-79]. Seule la littérature nationale fournit un vrai terrain de création pour l'acteur russe: or Dostoievski offre un matériau très riche dans le domaine de la psychologie et du jeu car il est «бесконечно театрален, <...> пластичен и выразителен» [8, т. 4, с. 402]. Ainsi ND justifie-t-il qu'après Gorki et son militantisme, il ait choisi en 1910 Les Karamazov transformés en un «спектакль-мистерия» [8, т. 4, с. 403] et trois ans plus tard, la satire féroce contre les révolutionnaires que sont Les Démons (l'adaptation fut jouée sous le titre Nikolaï Stavroguine).

ND referme la parenthèse dostoievskienne et achève son chapitre en évoquant les rencontres avec Gorki des années trente mais sans donner de détail sur les cinq pièces ou adaptations de l'écrivain qui ont été montées en l'espace de six années (1933-1938) et dont il a assumé à deux reprises la direction artistique. Seule sa correspondance, et la presse des années trente, gardent la trace de son travail.

Quelles conclusions tirer de ces deux récits biographiques, le premier écrit par KS à 63 ans, à la veille du «Grand tournant», le second par ND à 78 ans durant la campagne contre le cosmopolitisme.

Ils s'accordent sur trois points:

*Gorki n'est pas un auteur comme Tchekhov et ses contemporains: Naïdionov, Tchirikov, Iouchkevitch, Sourgoutchov, Andreev. Il a manifesté lors du dimanche sanglant dans une colonne d'ouvriers avec un groupe de Bolcheviks appelant à renverser le tsar, il a travaillé dans la presse illégale, il a achevé Les Enfants du soleil dans la prison de Petropavlovsk en février i905. Pour lui, la littérature et le théâtre sont des chaires légitimes pour s'adresser au peuple.

*Dans ses premières pièces, Gorki met en accusation l'intelligentsia, il la rend responsable de l'aveuglement, de l'arriération du peuple. Et dans Les Enfants du soleil, c'est l'actrice Maria Andreeva, sa compagne révolutionnaire qui, dans le rôle de Liza, condamne l'idéalisme de Protassov, à l'origine interprété par KS15. «Вы, опьяненные красивыми словами и мыслями, не видите это, а я видела, как вырвалась на улицу ненависть <...>. Однажды их злоба обратиться на вас...» [3]. Gorki amène donc le Théâtre d'Art à polémiquer avec Tchekhov et à se trouver en contradiction avec son credo: cultiver «la vie de l'esprit humain», croire à la «солнечную силу красоты»16.

*Enfin, il semble que ni KS ni ND n'aient été vraiment enthousiasmés par l'écriture de Gorki entre 1902 et 1905, une écriture de dramaturge débutant qui utilise une langue très littéraire sur le plateau. Gorki montre avec les mots, par la description [15, с. 382]. La critique de l'époque n'a pas manqué de le relever. A propos des Petits Bourgeois, S. Iablonski écrit: «Горький — огромный бел-

15 Melania fut interprétée par Olga Knipper; Elena, par Maria Guermanova, Liza, par Maria

Andreeva, Protassov par Vassili Katchalov, Antonina par Elena Mouratova, Fima par Nina

Litovtseva.

16 Cette aspiration au Beau à l'acte II des Enfants du Soleil est exprimée par Elena, la femme de

Protassov.

летристический талант — как драматург (по крайнем мере, судя по первому дебюту) стоит не особенно высоко, и «Мещане» гораздо более яркое и цельное впечатление производят в чтении, чем на сцене». Ju. Ajkhenvald confirme: «Сцены в доме Бессеменовых, как характерно и умно они ни написаны, для театрального воплощения не годятся. <...> Это скорее ряд афоризмов и сентенций, иногда остроумных и метких <...>». Même les Bas-Fonds passent aux yeux de certains critiques pour une pièce artificielle. Pour Kougel, Gorki y est «больше демонстратор, стоящий позади экрана и объясняющий картины волшебного фонаря, чем художник» [6, т. i, с. 282, 290, 333].

Gоrki devient un protecteur

Après 1917, ND qui a d'abord pris parti pour le gouvernement provisoire, soutenu Kerenski et été pressenti pour diriger les ex-théâtres impériaux de Moscou, se rapproche de Lounatcharski et voit très vite en Gorki un protecteur du Théâtre d'Art.

Il s'accommode désormais de la «gorkiade» [8, т. i, с. 432-433]17, dont KS donnait cette définition en 1908: «реализм стал временами мешать, а художественная сторона — страдать», ustupaja «ходячим теориям» i «проповедям» [9, с. 414]. ND s'adresse à l'écrivain lorsque la situation matérielle de la compagnie et de ses studios devient alarmante [8, т. 2, с. 631-632]18. KS lui aussi sollicite l'intervention de Gorki pour faire libérer la sœur d'un ami aristocrate, rédactrice des œuvres de Tolstoï, en juin 1920 [15, с. 118].

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Dans les années 1920, lorsque les premiers récits officiels se constituent sur la dramaturgie du Théâtre d'Art et qu'un ouvrage est consacré aux Bas-Fonds de Gorki [2]19, tandis que les pièces de Tchekhov sont conspuées par la gauche révolutionnaire, ND commence à forger la légende de ses liens privilégiés avec Gorki. Il insiste sur son rôle pour sortir le Théâtre d'Art du naturalisme et trouver un nouveau ton. «Подтвердят и Вишневский с Качаловым, каких усилий стоило мне вести Конст. Серг. на «горьковский» или «босяцкий» романтизм, как я тогда окрестил» [8, т. 2, с. 650]20.

17 Lettre de ND à KS du 28 juillet 1902.

18 Lettre du 28 septembre 1921.

19 L'ouvrage est préfacé par ND qui dressera aussi un bilan de la dramaturgie du Théâtre d'Art

dans la revue Teatr, le 31 octobre 1922, pour le trentième anniversaire de l'activité littéraire de Gorki.

20 Lettre de ND à N. Efros, été 1922.

Heureux de pouvoir tirer la couverture à lui, à un moment où KS brille à l'étranger (à l'occasion de la tournée internationale du Théâtre d'Art qu'il dirige entre 1922 et 1924), ND assure que sans lui, KS aurait été incapable de comprendre le nouveau théâtre proposé par Gorki [8, т. 2, с. 650].

Les relations directes avec Gorki reprennent en i928, lors du trentième anniversaire du Théâtre d'Art, célébré en grande pompe. Puis, en i932, lorsque la compagnie prend le nom de Gorki, c'est sous son patronage que la vie artistique s'organise. C'est aussi sous son autorité, et sans doute sur son instigation, qu'est lancé un projet d'Académie théâtrale dont le MKhAT serait le cœur (concrétisé en septembre 1933, le projet avortera quelques mois plus tard pour des raisons qui resteront obscures à KS lui-même [12, т. 9, с. 548]21).

Dès le début des années trente, le rôle d'intercesseur et de protecteur de Gorki se confirme. Pour maintenir Boulgakov au répertoire, pour essayer de faire autoriser Le Suicidé de Erdman. Ou pour des difficultés d'ordre personnel. Par exemple, ND qui s'est endetté dans les casinos italiens en i933 eta besoin de devises pour pouvoir rentrer à Moscou, demandera et obtiendra l'appui de Gorki22.

L'heure n'est plus aux critiques ou aux réserves. «Ровно 30 лет прошло с постановки «Мещан» и «На дне». Тогда я испытывал к Вам чувство самого искреннего восхищения», — assure ND [8, т. 3, с. 361]23. A la réception de la pièce Egor Boulitchev, le 22 décembre 1932, il admire cette pièce «пленительная». En août 1933, il trouve Dostigaev magnifique: «Именно вот как поколения должны ощущать человеко-звериную растерянность в самый приход Октября» [8, т. 3, с. 393].

La saison 1933-1934 est célébrée officiellement comme «gorkovienne», avec cinq autres mises en scène de l'écrivain dans la capitale. O. Litovski, le président du Glavrepertkom, déclare que la dramaturgie de Gorki, quels que soient ses défauts scéniques, correspond parfaitement aux exigences du théâtre soviétique [6, т. 3, ч. 2, с. 112]. Bien plus, il invite les théâtres à reprendre les anciennes mises en scène de Gorki: dans les Bas-Fonds, les acteurs doivent désormais dénoncer le personnage du grand consolateur et conciliateur Luka, et dans Les Enfants du Soleil, le savant idéaliste Protassov doit être «démasqué» [16,

21 Lettre de KS du 8 décembre 1933 à Z. Sokolova et V. Alexeev.

22 Gorki appuiera la demande de 1500 dollars.

23 Lettre à Gorki, 23 oct. 1932.

с. 149-150]24. Le MKhAT est placé sous haute surveillance car il doit donner des objectifs de classe à sa «vieille méthode»: le réalisme psychologique [6, т. 3, ч. 2, с. i33].

La censure du répertoire durant cette saison-là25 oblige le Théâtre à se tourner vers un dramaturge sûr: malgré les difficultés des acteurs à composer les personnages gorkoviens selon les nouveaux critères idéologiques26; malgré aussi le temps limité des répétitions imposé par la planification qui régit aussi la vie culturelle. A la première de Egor Boulitchev, le 10 février 1934, tous les officiels, Staline en tête, sont là [8, т. 3, с. 403]27. Monter Gorki relève d'un acte politique.

En mars 1934, à l'occasion de la 800e représentation des Bas-Fonds, ND écrit à Gorki que l'œuvre, favorite du prolétariat, est un modèle de vraie pièce populaire. «МХАТ глубоко счастлив, что связь его с Вами с каждым днем растет и укрепляется, и с нетерпением ждет встречи с Вами в своих стенах» [8, т. 3, с. 411, 402-403]28.

La lecture de la presse révèle le carcan qui se resserre de plus en plus sur le MKhAT transformé, entre 1933 et 1938 en vitrine de l'art théâtral soviétique. Il n'est plus question désormais de représenter les personnages de Gorki en leur donnant des allures de marchands ostrovskiens ou d'intellectuels tchekhoviens, ce que les comédiens de la première génération savaient faire. Il faut insister non pas sur l'appartenance à un milieu, mais sur les contradictions entre les classes sociales et dénoncer ce qui appartient à l'ancien monde.

C'est seulement avec Les Ennemis en 1935 que le MKhAT réussira pleinement sa conversion idéologique29. La mise en scène est imposée au Théâtre d'Art par Staline qui a vu la pièce trois fois au Maly30. Il est difficile dans ces conditions

24 V. Katchalov —l'interprète de Protassov, eut beaucoup de mal à reprendre son personnage.

25 Le Mensonge d'Afinoguénov, les pièces de Erdman et Boulgakov, et même la reprise de L'Oiseau bleu sont interdits.

26 Leonidov, mal à l'aise dans le rôle de Boulitchev, sera doublé par Katchakov.

27 Lettre de ND à KS entre le 11 et 22 février 1934. Gorki ne s'empressa pas d'aller voir la mise en scène du Théâtre d'Art et préféra celle du Théâtre Vakhtangov.

28 ND regrettait le relatif échec de Leonidov dans le rôle principal de Boulitchev. Il se vantait d'avoir trouvé le moyen d'introduire des détails du quotidien sans que cela ne détourne l'attention du public.

29 Le premier pas dans cette direction avait été accompli en 1927 avec la mise en scène de Train blindé 14-69 de V. Ivanov.

30 Staline l'ayant beaucoup appréciée, les responsables politiques pressent la direction artistique de monter la pièce. Staline imposera au MKhAT aussi Lioubov Iarovaja de Trenev qu'il aurait vue 28 fois...

d'apprécier à sa juste valeur le réel impact de la pièce à l'intérieur du Théâtre et sur le public31. ND qualifia le spectacle de meilleur de la saison [8, т. 3, с. 450] et il semble, selon Olga Knipper, que les interprètes aient essayé de lutter contre les clichés de leur jeu (le sentimentalisme, la lenteur, la fausse simplicité) et qu'il en ait résulté un spectacle simple, plein de fraicheur [8, т. 3, с. 660]. La critique loua «органическое свойство нового советского актера, чье профессиональное мастерство обогатилось передовыми идеями социалистической эпохи» [6, т. 3, ч. 2, с. 205]. Katchalov (Bardine) ou Knipper (Polina) auraient enraciné leur personnage dans un terreau familier avant de s'en détacher: la critique apprécie leur «début tchekhovien» qui «закономерно и последовательно привело к горьковскому концу: внутреннему доказательству гнилости и пусто-порожности в этой женской вариации либеральствовавшей интеллигенции» [6, т. 3, ч. 2, с. 215].

Le Théâtre reçut un satisfecit sans réserve:

«"Враги" во МХАТе — политический спектакль в лучшем, полнейшем значении этого слова, и именно потому он подлинно горьковский спектакль, что театр Горького всегда был, есть и будет политическим театром. Для МХАТа спектакль "Враги" явился поворотным спектаклем, определившим значительный шаг вперед этого великолепного театра по дороге социалистического реализма» [6, т. 3, ч. 2, с. 337].

Ce qu'il reprochait aux Estivants, ND l'apprécie désormais. Montrer, à travers l'affrontement des personnages, un parti pris politique très marqué est cette fois une qualité artistique et une marque d'objectivité [8, т. 3, с. 478]32. ND voit en Gorki le père d'un nouveau réalisme simple, vrai, servi par une langue magnifique, et porté par des idées pathétiques. Et il conclut «Такой материал сейчас наиболее отвечает моим сценическим задачам <...> формулой которого является синтез трех восприятий: жизненного (не житейского), театрального и социального» [8, т. 3, с. 478].

Le vieux directeur du MKhAT tente de se mettre sur un pied d'égalité artistique avec l'écrivain devenu un intouchable. Peut-être espère-t-il sa protection une fois encore, lors de la nouvelle vague de répression du début 1936. Le Théâtre d'Art joue gros: il présente, après sept ans de répétitions et d'interdictions, la

31 Les Ennemis furent joués le 15 juin 1935 au Théâtre MOSPS, et le 10 octobre au Maly. La

pièce figura au répertoire de tous les théâtres de l'URSS.

32 Lettre du 4 février 1936, à propos de Vassa Jeleznova, seconde version.

pièce de Boulgakov La Cabale des dévots/Molière. Mais Gorki ne sauvera pas le spectacle, créé le 6 février et retiré au bout de sept représentations. L'écrivain disparaîtra cet été-là, peut-être assassiné par les hommes de main de Staline [14,

p. 388-412].

***

Face à un ND qui se plie aux impératifs et abandonne en privé et en public tout sens critique à l'égard de la dramaturgie de Gorki, KS lui, s'en détourne résolument. Mais dès que Gorki devient l'artiste clé de la politique culturelle en 1933, chargé d'homogénéiser les arts par un style unique et de trouver des modèles à imiter, KS n'a de cesse de le convaincre de l'importance du MKhAT pour maintenir la vie théâtrale à un niveau d'excellence. KS voit en Gorki un artiste de sa génération qui rejette la productivité, la rentabilité en art, et qui est capable d'apprécier le travail en profondeur, le sérieux du travail collectif.

Gorki devint l'ange gardien du MKhAT. De 1900 à 1938, avec des hauts et des bas, les liens qui l'ont uni au Théâtre ont été cruciaux. Mais en s'efforçant de gommer les différends qui ont marqué ce long et houleux compagnonnage, les historiens du théâtre soviétique ont simplifié un tableau d'une riche complexité qu'il faudrait aujourd'hui essayer de reconstituer avec toute la documentation disponible et en toute objectivité.

References

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