РЕЦЕНЗИИ
LA CRITIQUE DU LIVRE «LES CONCEPTS SCIENTIFIQUES DU DÉVELOPPEMENT DE LA LÉGISLATION RUSSE»
(monographie. 7 édition complétée et revise / S. Narychkine, T. Khabrieva, A. Abramova et d'autres, sous la direction des professeurs Talia Khabrieva et louri Tikhomirov; l'Institut de législation et de droit comparé près le Gouvernement de la Fédération de Russie. Moscou, 2015. 544 р.)
[РЕЦЕНЗИЯ НА КНИГУ «НАУЧНЫЕ КОНЦЕПЦИИ РАЗВИТИЯ РОССИЙСКОГО ЗАКОНОДАТЕЛЬСТВА»
(монография. 7-е изд., доп. и перераб. / С. Е. Нарышкин, Т. Я. Хабриева, А. И. Абрамова и др.; отв. ред. Т. Я. Хабриева, Ю. А. Тихомиров; Институт законодательства и сравнительного правоведения при Правительстве Российской Федерации. М., 2015. 544 с.)]
МАРКУ Жерар, профессор Университета Париж 1 Пантеон-Сорбонна (Франция), главный научный сотрудник Института законодательства и сравнительного правоведения при Правительстве Российской Федерации, доктор права 117218, Россия, г. Москва, ул. Большая Черемушкинская, 34 E-mail: [email protected]
В рецензии излагается мнение французского правоведа Ж. Марку относительно фундаментального научного исследования, подготовленного коллективом ученых Института законодательства и сравнительного правоведения при Правительстве Российской Федерации. Отмечается, что в монографии не только представлен подробный анализ нормативно-правовой базы и текущих проблем законодательного регулирования и законотворческого процесса, но и сформулированы предложения, направленные на повышение качества всей российской правовой системы, достижение ее эффективности. Издание ориентировано на решение проблем в контексте реформ российского закона и представляет собой доктринальный вклад в обновление российского законодательства. Подчеркивается, что в исследовании отражены перемены, произошедшие в административном праве и процессе в России, которые во многом схожи с событиями в странах Западной Европы. Сделан акцент на российских правовых подходах, которые не используются в западно-европейской правовой традиции, но заслуживают более пристального внимания со стороны зарубежных коллег.
Ключевые слова: Институт законодательства и сравнительного правоведения при Правительстве Российской Федерации, российское законодательство, научные концепции.
REVIEW OF THE BOOK "SCIENTIFIC CONCEPT OF DEVELOPMENT OF THE RUSSIAN LEGISLATION"
(monograph. 7th ed., revised and supplemented. S. E. Naryshkin, T. Y. Khabrieva, A. I. Abramova, etc.; aditors-in-chief T. Y. Khabrieva, Y. A. Tikhomirov; the Institute of Legislation and Comparative Law under the Government of the Russian Federation. Moscow, 2015. 544 p.)
Gérard MARCOU, professor of the University of Paris 1 Panthéon-Sorbonne, doctor of law, chief research fellow of the Institute of Legislation and Comparative Law under the Government of the Russian Federation 34, Bolshaya Cheremushkinskaya st., Moscow, Russia, 117218 E-mail: [email protected]
The review sets out the opinion of a French lawyer with respect to the fundamental research prepared by a team of scientists from the Institute of Legislation and Comparative Law under the Government of Russian Federation. It is noted that the monograph contains not only a detailed analysis of the legal framework but also proposals aimed at improving the quality of the Russian legal system. The publication is also aimed at solving problems in the context of the reform of the Russian law and is a doctrinal
contribution to the renewal of the Russian legislation. It is emphasized that the study reflects changes in the administrative law and process in Russia which are very similar to the events in Western Europe. Emphasis is laid on the Russian legal approaches which are not used in the Western European legal tradition, but deserve more attention on the part of foreign colleagues.
Keywords: Institute of Legislation and Comparative Law under the Government of the Russian Federation, Russian legislation, scientific concept.
DOI: 10.12737/19217
Ala fin de 2015, est parue la septième édition des Научные концепции развития российского законодательства, publiée par l'Institut de législation et de droit comparé près le gouvernement de la Fédération de Russie, sous la direction des professeurs Talia Khabrieva et Iouri Tikhomirov. Le nombre de rééditions suffit à indiquer qu'il s'agit d'un ouvrage de référence, désormais familier aux juristes russes. Mais le regard d'un juriste français pourra, on l'espère, renouveler l'intérêt des lecteurs russes en attirant leur attention sur de nouvelles questions.
Il s'agit d'un travail collectif de grande ampleur, réunissant des contributions de 70 auteurs, dans toutes les branches du droit. Mais l'ouvrage se distingue aussi par son objectif et sa méthode. Il présente la synthèse d'un ensemble de recherches, y compris empiriques, et de réflexions, souvent liées à des travaux menées dans le cadre de la préparation de projets de loi ou de programmes d'action, réalisés au sein de l'Institut. Comme le rappelle Mme Khabrieva dans son introduction, il s'agit de travaux orientés vers la résolution des problèmes. Les problèmes et les réformes du droit russe sont contextualisés. Dans tous les chapitres il est fait référence aux problèmes économiques, sociaux ou géopolitiques qui ont conduit à trouver des réponses, dont la législation fait partie. Mais celle-ci n'est pas seulement le véhicule de ces réponses; la qualité de législation et son adéquation aux réponses mises en oeuvre en conditionnent l'efficacité. Tout le livre illustre ainsi une réflexion sur la place de la législation (et des mesures juridiques d'application) dans la formulation et la réalisation des politiques publiques, y compris dans la construction juridique de leur objet (cf notamment dans la troisième partie). L'ouvrage représente ainsi une contribution doctrinale sur l'évolution de la législation russe « в контексте реализации принципов «консервативной модернизации» и перехода от экспортно-сырьевой экономики к экономике, основанной на знаниях, к инновационному, социально ориентированному типу развития » (p. 18).
L'ouvrage est organisé en six parties, qui permettent de croiser différentes approches, générales et sectorielles. La première partie est consacrée aux rapports entre la législation et la science juridique. On y rappelle l'interaction entre la dynamique de la législation et les changements socio-économiques que la Russie a connus depuis 1990, et en particulier la périodisation de son évolution législative, la proposition de « modèles », en fait de méthodes d'élaboration de la loi en fonction des objectifs poursuivis et des contraintes, selon des scénarios différents. Un chapitre rappelle le rôle de l'Institut dans les progrès de
la légistique en Russie et que son expérience a été utilisée aussi de nombreux pays issus de l'ancienne URSS. La seconde partie présente des analyses des problèmes actuels de l'évolution de la législation dans grandes branches du droit en Russie (législation constitutionnelle, civile, administrative, financière, du travail et pénale) en fonction du contexte socio-économique. La troisième partie porte sur l'élaboration des problèmes des « branches complexes » de la législation russe, c'est-à-dire des domaines dans lesquels l'Etat doit élaborer un cadre juridique nouveau, faisant appel aux techniques du droit public et à celles du droit privé, en rapport avec les évolutions technologiques et économiques, les besoins sociaux, l'intégration de l'économie russe dans l'économie mondiale. Cette partie regroupe 14 chapitres (11 à 24) portant sur des sujets aussi divers que la formation, les télécommunications, le logement, l'écologie, les migrations... La quatrième partie est consacrée aux réflexions et aux projets de réforme de la procédure dans les différentes branches du droit, et les chapitres reflètent les débats en cours (par exemple sur la réforme de la procédure civile, la récente adoption du code de la procédure administrative contentieuse). La quatrième partie réunit cinq chapitres sur des problèmes de législation dont l'objet intéresse la plupart des politiques publiques ayant donné lieu à des législations sectorielles: la propriété intellectuelle, le droit des sociétés, la législation sur les investissements, la législation sur le sport. Enfin, la sixième partie est consacrée à la dimension internationale de la législation (3 chapitres) : l'influence du droit international sur la législation russe, intégration et législation, les tendances du développement du droit international privé.
Il ne saurait être question de commenter tous les aspects d'un ouvrage aussi riche et couvrant tous les domaines du droit. Mais avant de discuter certaines questions, on relèvera certaines constantes qui paraissent caractériser cette édition. Il s'agit d'approches faisant un état des lieux objectif de la question étudiée, présentant toujours des analyses critiques. Chaque chapitre donne un état des problèmes théoriques ou pratiques auxquels l'évolution de la législation est confrontée, ainsi que des réformes en cours ou en projet. L'ouvrage ainsi offre ainsi au lecteur un véritable panorama transversal des évolutions les plus récentes du droit russe et un agenda des réformes en cours, à entreprendre ou suggérées. On notera ensuite l'importance accordée, dans tous les chapitres, aux processus d'internationalisation et d'intégration, et la volonté de porter la législation russe au niveau des standards internationaux, c'est-à-dire en fait des pays les plus avancés. Mais en ce qui concerne l'intégration et la
coopération internationale, il est frappant que l'accent soit mis sur l'intégration naissante entre les Etats de l'Union économique eurasiatique, sur les organisations régionales et mondiales auxquelles participe la Russie, et que les relations avec l'Union européenne soient quasi absentes de la réflexion. Enfin, la plupart des articles s'inscrivent dans un contexte de crise et affrontent le défi d'une approche réaliste des problèmes sur le plan juridique.
Quatre thèmes retiendront particulièrement notre attention, compte tenu de notre propre spécialisation académique : l'organisation de l'Etat, les problèmes de la législation, l'évolution du droit administratif, la réforme des procédures et notamment de la procédure administrative contentieuse. On relèvera in fine l'absence de certaines questions.
En ce qui concerne l'organisation de l'Etat, on perçoit la difficulté de concilier des objectifs contradictoires et les hésitations du pouvoir dans la conception des rapports entre la Fédération et les sujets de la Fédération. L'élection des gouverneurs des sujets de la Fédération a été rétablie mais la loi laisse la possibilité de choisir l'élection directe ou l'élection par la douma régionale sur proposition du Président de la Fédération. La législation des sujets de la Fédération perd en importance. Selon les auteurs, il existe « постепенное вытеснение права субъектов Федерации федеральным правом по предметам совместного ведения » (p. 94). C'est pourquoi l'élargissement des compétences des sujets de la Fédération s'accompagne d'une centralisation. Pour les auteurs, le législateur fédéral devrait quelquefois s'abstenir d'intervenir si les mesures adoptées par les sujets suffisent (p. 95). Mais cela se heurte à des difficultés concrètes, et notamment l'hétérogénéité des situations concrètes à l'échelle de l'ensemble de la Russie, à des politiques nationales sectorielles qui peuvent être des facteurs de centralisation, à des politiques fédérales de soutien à certains territoires, qui ont donné lieu à la création de ministères fédéraux pour coordonner les interventions, notamment les régions arctiques, celles du Nord Caucase ou, plus récemment la Crimée. On peut néanmoins penser que cela ne devrait pas faire obstacle à ce que les sujets de la Fédération aient une plus grande liberté en matière législative dans un pays aussi vaste et diversifié que la Russie. Les auteurs suggèrent aussi de renforcer les capacités de contrôle des assemblées parlementaires, non seulement au niveau de l'Assemblée fédérale, mais aussi des doumas des sujets de la Fédération (p. 100). A l'intérieur des sujets de la Fédération, l'autonomie locale connaît des évolutions contradictoires. La loi fédérale a introduit (loi 136 du 27 mai 2014) une nouvelle forme d'organisation intercommunale, qui regroupe un district urbain (городской округ) et les localités environnantes, mais ne règle pas clairement la question de la place des communes (муниципалитетов) dans ces nouveaux ensembles. Le transfert au législateur régional de la compétence pour régler le statut des collectivités locales et la répartition des compétences entre celles-ci et le
sujet de la Fédération représente a priori une mesure de décentralisation bienvenue ; mais il convient d'être prudent. Très souvent les sujets de la Fédération ont adopté une position centralisatrice envers les collectivités locales et il n'est pas certain que le renforcement de la compétence des sujets de la Fédération envers elles favorise la décentralisation au niveau local. Le risque est d'autant plus grand que, comme le relève les auteurs, les relations entre les autorités locales et les citoyens sont « très faibles » (весьма слабы) (p. 102). En outre, les bases matérielles et financières nécessaires à l'exercice de l'autonomie locale ne sont toujours pas assurées (p. 103).
L'évolution de la législation fédérale est, selon les auteurs, un autre sujet de préoccupation. On observe une augmentation continue du nombre des lois fédérales, qui a plus que doublé entre la législature 1996-1999 et la législature actuelle, qui n'est pas encore à son terme (de 738 lois promulguées à 1.601). Le problème n'est pas nouveau en Russie, et il n'est pas propre à la Russie. Sous l'influence de la double tendance à l'intégration et à la différenciation de la législation, pour répondre à des évolutions d'ordre économique, technique ou sociale, ou encore aux engagements internationaux de la Russie, trop de lois particulières sont adoptées sans prendre en compte leur impact sur d'autres secteurs ou sur l'évolution du droit en général et des contradictions ne sont pas toujours évitées. En outre, des lois nouvelles sont adoptées sans nécessité et les modifications aux lois en vigueur sont introduites de manière « chaotique » (p. 37). Par exemple le code des infractions administratives de 2002 a été modifié par plus de 400 lois depuis sa promulgation (p. 138) ! Les auteurs rappellent que des options stratégiques préalablement déterminées doivent conditionner l'adoption de nouvelles lois et ils rappellent les méthodes permettant de discipliner le flot législatif, ce qui est d'autant plus important en temps de crise (pp. 37—41). Un projet de loi en préparation vise à encadrer le processus législatif. Les recommandations formulées dans l'ouvrage ne sont pas sans analogie avec l'introduction dans la constitution française (en 2008) de l'obligation de produire des « études d'impact » avec tout nouveau projet de loi déposé au parlement. Mais le bilan est mitigé. Elaborées par les ministères, elles ne peuvent pas mettre en doute la nécessité politique des projets préparés par le gouvernement.
L'ouvrage rend compte d'évolutions intéressantes du droit administratif et de la procédure administrative en Russie, très convergentes avec les évolutions et les débats qui existent dans divers pays d'Europe occidentale. Il s'opère, selon les auteurs, un profond renouvellement de la législation en matière administrative, et de fait du droit administratif lui-même. Ils observent une interpénétration croissante du droit public et du droit privé, l'action publique faisant de plus appel à des institutions de droit privé tandis que les normes impératives pénètrent de plus en plus les rapports de droit privé (p. 121). Nous n'en tirerons cependant pas la conséquence que les frontières s'estompent entre droit public et droit privé, car certains
pouvoirs, certaines garanties, certaines procédures n'ont de sens qu'en vue de l'exercice de la puissance publique ou de l'accomplissement de certaines missions de service public. En réalité, il nous semble que l'on doit raisonner en termes de «régimes juridiques», lesquels associent de manière variable, selon les objectifs poursuivis, institutions de droit privé et institutions de droit public. Les auteurs s'inscrivent d'ailleurs dans cette perspective lorsqu'ils écrivent à propos de la réglementation de divers secteurs d'activité que « формируются не особенные части административного права, а система особенных комплексных отраслей со значительным акцентом на управление » (p. 122). Ce renouvellement du droit administratif répond aux besoins de la transformation du rôle économique de l'Etat dans la Russie d'aujourd'hui, et cette transformation soutient également son ouverture aux influences extérieures, celles des organisations internationales et des conventions internationales engageant la Russie et les expériences d'autres Etats.
Le droit administratif prend une place croissante dans la vie économique, et en particulier pour la protection du marché: « на защиту рынка направлено и все антимонопольное законодательство, являющееся по своей природе публичным » (p. 122). C'est une position qui n'est pas celle de la majorité de la doctrine en Europe occidentale, car les spécialistes du droit de la concurrence sont issus de la discipline du droit commercial. Mais c'est à notre avis une conception erronée, car le respect d'une concurrence loyale est bien devenue une exigence d'ordre public et pas seulement le prolongement de la liberté du commerce et de l'industrie, et c'est aussi la position que nous défendons.
Le régime des autorisations administratives est réexaminé en vue de minimiser les coûts pour l'économie sans sacrifier les intérêts protégés par les autorisations; ajoutons que cela pourrait comporter la suppression d'autorisations devenues inutiles et leur remplacement par d'autres formes de contrôle. Le manque d'unité de cette partie du droit administratif attire l'attention sur la nécessité de poursuivre la codification de la procédure administrative. Depuis le décret 304 du Président de la Fédération de Russie de 2004 et surtout depuis la loi du 27 juillet 2010, tous les ministères ont dû introduire des règlements de procédure qui visent notamment la prise de décision et le traitement des recours. La réforme des autorisations administratives devrait appeler de nouveaux progrès dans ce domaine. La normalisation techniques devient un nouveau domaine de développement du droit administratif. Les procédures du contrôle d'Etat (надзор) font l'objet de vives critiques ; selon les auteurs, il est perçu comme « одна из самых коррупционно емких областей управленческой деятельности, как серьезный административный барьер на пути экономического развития страны » (p. 131). Les auteurs proposent différentes méthodes pour améliorer les contrôles, en mettant en œuvre une analyse de risques et en assurant une
meilleure délimitation du contrôle d'Etat et de surveillance exercée par les procureurs.
Le renouvellement, et l'élargissement du champ du droit administratif se reflètent aussi dans la multiplication des infractions administratives donnant lieu à des sanctions régies par le code des infractions administratives de 2002, par exemple en matière de concurrence ou d'atteintes à l'environnement. Cette évolution renforce l'institution de la « responsabilité administrative », typique du droit russe, mais elle l'affaiblit aussi par l'instabilité chronique de cette législation. Plus que jamais se pose le problème de la coordination entre responsabilité administrative et responsabilité pénale, alors qu'un projet de loi prévoit d'introduire la responsabilité pénale des personnes morales, dont la responsabilité administrative est déjà susceptible d'être mise en cause. Selon les auteurs, cela rend nécessaire une nouvelle codification des infractions administrative (p. 141).
Mais c'est aussi l'accent mis sur les missions de l'Etat « de service », qui conduit à donner à la recherche de l'efficacité une place importante dans le droit administratif. Cette dimension n'est pas nouvelle en elle-même ; ce qui est nouveau ce sont les attentes du public, des citoyens en ce qui concerne les services offerts par l'Etat et en général par les personnes publiques ; elle deviennent un facteur de jugement et de légitimité de l'Etat et de ses institutions. Mais ajoutons qu'il faut s'entendre sur les critères d'efficacité : ils ne peuvent se réduire à des critères d'économie, ni à la satisfaction individuelle du consommateur ; c'est ce qu'enseigne la doctrine française du service public, à laquelle la doctrine russe d'aujourd'hui fait parfois écho. Le service public suppose la détermination d'un niveau de satisfaction garanti de besoins reconnus comme essentiels et une exigence de solidarité, sociale et territoriale. Cette doctrine reste, à notre avis, tout à fait actuelle.
La transformation de l'Etat en Russie sur la base de la Constitution de 1993 conduit aussi le droit administratif dans des domaines nouveaux, comme celui de la fonction publique. Autrefois, la règle était, en URSS, la soumission de tous les agents des organes de l'Etat au droit du travail. Le changement de régime a donné à la distinction public/ privé une portée qu'elle n'avait pas auparavant et pose en particulier la question du régime d'emploi dans les organes de l'Etat et des collectivités locales, et de la distinction des règles propres aux fonctionnaires et de celles qui sont communes à tous les rapports de travail. Sur ce sujet, les Etats européens ont connu des évolutions différentes et parfois contradictoires. L'expérience française a été de soumettre les fonctionnaire à un régime statutaire et à un régime de carrière ; cela concerne environ 80% des agents, incluant le personnel des services publics non économiques (par exemples les infirmières des hôpitaux publics ou les personnels enseignants). Cependant dans les pays, plus nombreux, où le régime d'emploi des personnels des administrations a été banalisé, il demeure des règles particulières liées aux fonctions exercées. En particulier,
il est essentiel d'assurer la qualité et l'impartialité des procédures de recrutement et de promotion.
Ces développements nouveaux de la législation administrative appellent un renforcement des garanties judiciaires. C'est ce que doit permettre la publication du code de la procédure administrative contentieuse (loi n°21 du 8 mars 2015), qui spécialise la justice administrative au sein de la juridiction ordinaire (p. 382). Cependant, cette loi n'abroge que les dispositions du code de procédure civile relative aux affaires administratives, mais non celles du code de la procédure d'arbitrage, relatives à ce type d'affaires, qui demeurent en vigueur. Or, les tribunaux d'arbitrage sont devenus dans une large mesure des tribunaux administratifs : en 2008, selon Абсалямов, А. В., la part des affaires administratives représentait environ 60% des affaires examinées, contre 2% en 1992 (Административное судопроизводство в арбитражном суде: теоретико-методологические аспекты, thèse, Moscou, 2009). Des discussions sont en cours pour une unification de l'ensemble de la procédure civile (p. 367), mais si ce projet aboutit il devrait logiquement s'accompagner également d'une unification de la procédure administrative contentieuse, et donc du
transfert à ce dernier code des dispositions aujourd'hui applicables aux affaires administratives jugées par les tribunaux d'arbitrage, même si elles continuent d'être jugées par des formations administratives des tribunaux d'arbitrage.
Enfin, on peut regretter que certaines questions ne soient pas traitées. Elles concernent essentiellement la Prokuratura. Institution centrale du système juridique russe depuis trois siècles, elle ne trouve place que dans un paragraphe de quelques lignes dans le chapitre sur la législation administrative à propos de ses rapports avec le contrôle d'Etat. Mais on ne trouve pas de réflexion sur ses missions et l'étendue de ses moyens d'action. Dans le chapitre sur la procédure pénale (p. 398), les auteurs dressent un diagnostic très critique de l'état actuel de la procédure pénale en Russie ; ils estiment qu'elle n'assure pas à la défense des droits égaux à ceux de l'accusation et ils recommandent l'introduction de juges d'instruction. Cependant, on ne trouve pas d'analyse du rôle des procureurs dans la procédure pénale, ni du partage des compétences entre la Prokuratura et le Comité des poursuites institué en 2013. Attendons, alors, la 8ème édition pour trouver un diagnostic sur ces questions...
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