Ариан ЛЕ МУЭН / Ariane LE MOING
I La formation interculturelle au Quebec: etat des lieux Intercultural training in Quebec: an analysis!
Ариан ЛЕ МУЭН / Ariane LE MOING
Пуатье, Франция. Университет Пуатье.
Доктор философии, преподаватель факультета английского языка.
Poitiers, France. Poitiers University. PhD, Senior lecturer in Canadian civilization.
Department of English studies.
LA FORMATION INTERCULTURELLE AU QUÉBEC: ÉTAT DES LIEUX INTERCULTURAL TRAINING IN QUEBEC:
AN ANALYSIS
This article aims at analyzing intercultural training offered to clients working in different organizations in Quebec whose goals are to welcome, inform, advise and orient people from different cultures. This work which is mainly based on interviews conducted with trainers, consultants and social workers is divided into three parts : the first one deals with the theoretical framework of the study and describes in particular the different notions of interculturalism tackled with in the field of education. The second one discusses the conception of interculturalism in a broader political context, that of the model of integration promoted by the province of Quebec. The third and last part is dedicated to the results of the study regarding intercultural training : what are its various objectives, its methods, its theoretical approaches and its main themes?
Key words: intercultural training, social interventions with different ethnic groups, interculturality, multiculturalism, interculturalism
Межкультурное образование в Квебеке: анализ
Цель статьи проанализировать состояние межкультурного образования, которое предлагается людям, работающим в различных организациях в Квебеке. Целью данного вида образования - осуществить первичное знакомство, информировать, консультировать и ориентировать людей из разных культур. Это исследование, которое, в основном, базируется на интервью, проведенных с тренерами, консультантами и социальными работниками делится на три части: первая имеет дело с теоретическими основами исследования и описывает, в частности, различные понятия интеркультурализма и проблемы, решаемые с в области образования. Вторая обсуждает концепцию взаимного обогащения культур в более широком политическом контексте, что модели интеграции, продвигаемые в провинции Квебек. Третья и последняя посвящена результатам исследования, касающиеся межкультурного образования: каковы его цели, методы, теоретические подходы и основные темы?
Ключевые слова: межкультурное образование, социальные мероприятия с различными этническими группами, интеркультураль-ность, мультикультурализм, межкультурные отношения
L'immigration et le multiculturalisme dans les sociétés occidentales nourrissent depuis des dizaines d'années la réflexion autour des notions d'identité nationale et d'identités multiples, de citoyenneté et de vivre-ensemble. Au Canada, plus de 40 ans après l'officialisation du multiculturalisme, le débat sur les limites du relativisme culturel et la nécessité de définir des valeurs collectives fortes reste vif, bien qu'en parallèle, la diversité culturelle se pense également autour de projets et d'actions concrètes pour favoriser l'inclusion des individus et des groupes à la collectivité d'accueil. Dans un contexte socio-économique dans lequel l'immigration internationale est promue comme une source de richesse, il n'est pas étonnant que le Canada ait pris des mesures afin de faciliter l'in-
tégration des nouveaux arrivants dans la société d'accueil. La politique multiculturelle se situe au cœur de cette action. La politique de 1971 a été suivie par l'adoption en 1988 de la Loi sur le multiculturalisme canadien, qui offre un support légal afin que les groupes minoritaires conservent leur patrimoine culturel tout en participant de plein droit au développement de la société1. Cette mesure prône ainsi délibérément le dialogue entre les cultures. Mais comment penser cette communication interculturelle et en particulier la culture, cette notion qui a fait émer-
1 Donatille Mujawamariya (ed.), L'éducation multiculturelle dans la formation des enseignants au Canada. Dilemmes et défis. Berne, Suisse, Peter Lang SA, Editions scientifiques internationales, 2006, p.2.
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ger une prolifération de définitions? La catégorie de « culture » et les concepts qui lui sont liés a pris toute son ampleur depuis deux décennies dans les discours « ordinaires » (qu'ils soient politiques, médiatiques et publics) ou de vulgarisation scientifique dans les secteurs de l'éducation, du professionnel, de l'international, de la migration, de l'humanitaire et de l'associatif2. Les tentatives de définition par les chercheurs sont multiples et attestent notamment du souci de ne pas verser dans le cultura-lisme et la réification3. Notons, entre autres, les contributions importantes de Carmel Camilleri ou encore Claude Clanet dans la conceptualisation de la culture. L'interculturel connaît également de nombreuses définitions, parmi lesquelles la reconnaissance du potentiel enrichissant de la diversité, la valorisation des cultures pour assurer le respect égal de leurs porteurs, tout en évitant de les figer dans des appartenances ou encore la mise en perspective des dimensions de l'altérité en général et de l'altérité culturelle en particulier4.
En nous appuyant sur les résultats d'une enquête de terrain menée au Québec au printemps 2014 auprès de 14 formateurs à l'interculturel et d'intervenants accompagnant des populations migrantes et réfugiées, nous souhaiterions aborder ici les notions de la culture et de l'intercultu-rel, mais surtout les grands principes de la formation interculturelle qui vise précisément l'application de l'interculturel par les intervenants travaillant en contexte de diversité culturelle. Là encore les définitions de la formation interculturelle ou formation à l'interculturel sont nombreuses. Selon la Table de Concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), un regroupement d'une centaine d'organismes oeuvrant auprès des personnes réfugiées, immigrantes et sans statut, et proposant des formations aux professionnels depuis 1989, la formation interculturelle peut être définie comme la transmission des savoirs (connaissances théoriques), des savoir-faire (habiletés pratiques et adaptation des approches d'intervention) et des savoir-être (attitudes) ayant été documentés et expérimentés par des pairs travaillant avec des personnes issues de l'immigration5. La formation interculturelle devrait en particulier amener à apprécier et respecter les différences, accepter et intégrer une réflexion sur la complexité des cultures et de chaque être humain, questionner les hypothèses fondamentales des intervenants et leur incidence sur leurs pratiques ; elle devrait par ailleurs éviter la négation de la différence et de la reconnaissance de celle-ci, en tant que richesse inépuisable de l'être humain, ou encore éviter l'approche de l'autre qui exclut l'analyse de soi6.
Si l'importance de préparer les personnes immigrantes à comprendre leur société d'établissement est indéniable, il demeure fondamental de préparer aussi la société d'accueil qui est amenée à vivre des chocs culturels et doit construire des repères en situation interculturelle7. Parmi les professionnels travaillant avec les immigrants, on retrouve notamment
2 Aline Gohard-Radenkovic, « De la diversité à la différence, de la différence à la différenciation » dans Gina Thésée, Nicole Carignan, Paul R.Carr (dir.), Les faces cachées de l'interculturel, L'Harmattan, 2010, p.57.
3 Fasal Kanouté, Janine Hohl, Spyridoula Xenocostas, Laetitia Duong, « Les mots pour le dire et pour intervenir », dans M.Cognet et C.Montgomery, Ethique de l'Altérité. La question de la culture dans le champ de la santé et des services sociaux, Québec, Presses de l'Université Laval, 2007, p.243.
4 Ibid., p.246.
5 Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), La formation continue: Pour réussir ses interventions auprès des personnes réfugiées et immigrantes.
6 Fasal Kanouté et al., op.cit., p.247.
7 TCRI, op.cit., p.1
les personnels des organismes publics, communautaires et des associations dont le principal mandat est d'orienter les nouveaux arrivants vers diverses institutions, faciliter leur intégration socio-économique et les initier aux valeurs culturelles et civiques locales. Afin de mener à bien cette mission, ces intervenants peuvent être formés aux grands thèmes de la diversité culturelle (reconnaître les différents types de parcours migratoires et de statuts d'immigration, reconnaître et définir un certain nombre de concepts en lien avec la diversité culturelle), aux aspects identitaires et aux conséquences psycho-sociales des trajectoires migratoires (choc culturel, processus d'adaptation et d'intégration, mécanismes d'inclusion et d'exclusion, problématiques sociales...), et à la compétence de communication interculturelle selon leur champ d'intervention (accueil, social, scolaire, emploi, médical, etc...) Beaucoup de formateurs déplorent par exemple que les accueillants ne connaissent pas suffisamment les différents statuts et trajectoires migratoires et ne soient pas non plus assez formés aux aspects législatifs régissant les droits et responsabilités des immigrants, des réfugiés et des demandeurs d'asile à l'échelle nationale et provinciale.
Ces formations dispensées par des consultants indépendants ou travaillant dans des organismes de santé, des structures d'aide à l'employa-bilité ou dans des organismes communautaires portent sur des aspects diversifiés, généraux ou plus spécifiques du pluralisme ethnoculturel. La réalité pluriethnique a en effet pour conséquence une multiplication des demandes d'aide qui requièrent des interventions ciblées et un ajustement des repères habituels aux différences8. Ces formations ont ainsi pour vocation d'aider les intervenants à mieux s'outiller pour comprendre et travailler avec les personnes des diverses communautés ethnoculturelles tout en développant des compétences interculturelles9. À l'heure de l'intensification des mobilités et des débats liées à la présence accrue de personnes réfugiées et immigrantes au Québec, la formation interculturelle pourrait-elle ainsi se concevoir comme un nouvel outil facilitant la compréhension de « l'autre différent » , ou perçu comme tel?
Dans cet article, nous présenterons premièrement quelques pistes théoriques permettant de comprendre les principes généraux de la formation interculturelle, en nous appuyant en particulier sur les contenus de l'éducation interculturelle. Nous envisagerons ensuite la formation interculturelle dans un cadre conceptuel plus large, celui de l'intégration et de l'interculturalisme au Québec, en utilisant également quelques données de notre enquête. Enfin dans une troisième partie nous présenterons les principaux résultats de cette étude de terrain et en particulier les objectifs, les méthodes, les approches théoriques et les grands thèmes abordés dans la formation interculturelle au Québec.
I-La formation interculturelle: quels principes théoriques?
La formation interculturelle au Québec auprès d'intervenants accompagnant des populations réfugiées et/ou immigrantes n'a pas encore fait l'objet d'études approfondies. Une première enquête menée à Montréal à l'été 2012 qui nous avait permis de prendre contact avec divers acteurs
8 Association canadienne pour la santé mentale, filiale de Montréal, Guide des relations interculturelles en santé mentale, Bibliothèque nationale du Québec -Bibliothèque nationale du Canada, 2010, p.5.
9 Site de l'Institut interculturel de Montréal qui dispense de la formation interculturelle à divers milieux (services de santé et services sociaux, éducation, développement et coopération internationale, immigration, services municipaux, service de sécurité publique, institutions financières, organismes communautaires, etc... http://iim.qc.ca/formation/buts.html
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PRÉOCCUPATIONS /VALEURS DISPOSITIONS /VERTUS CONCEPTS/THÈMES PERTINENTS
-Acceptation de la diversité culturelle -Tolérance -Compréhension interculturelle -Culture, ethnicité et identité dans le contexte de la modernité -Relativisme culturel et nécessité de le dépasser -Obstacles aux relations interculturelles : préjugés, discrimination, racisme -Problèmes de l'antiracisme
-Cohésion sociale (recherche d'un principe d'appartenance collective) -Loyauté à la communauté politique (locale, régionale, nationale) -Modération dans l'affirmation identitaire -Nation, communauté, État : nationalisme, libéralisme, démocratie pluraliste -Modèles d'insertion des immigrants dans une société pluriethnique moderne : assimilation, multiculturalisme, intégration pluraliste ; politiques concernant l'immigration et l'intégration des immigrants dans les pays occidentaux
-Equité et égalité -Solidarité avec la lutte des groupes opprimés pour un bénéfice égal de la loi -Égal bénéfice de la loi ; exclusion et marginalisation ; culpabilisation/victimisation ; l'affirmative action
-Participation critique à la vie et à la délibération démocratique -Délibération sur les accords moraux -Participation aux débats et décisions -Délibération démocratique, citoyenneté ; éducation civique, éducation à la démocratie
du milieu associatif et des chercheurs s'intéressant à l'intégration professionnelle des immigrés avait confirmé l'absence d'étude sur la formation interculturelle au sein d'organismes communautaires en particulier. La participation au Congrès de l'Acfas à Québec, en mai 2013, nous avait aussi permis de rencontrer des professeurs d'université formant non seulement du personnel scolaire mais aussi des intervenants en travail social à la médiation interculturelle, de même que des professionnels indépendants offrant différents services et conseils en gestion de la diversité culturelle dans plusieurs milieux de travail. Ces rencontres nous avaient appris une nouvelle fois qu'il n'y avait pas de recherches menées sur la formation du personnel des organismes communautaires.
Tantôt menées par des experts du milieu communautaire, tantôt menées par des indépendants, ces formations permettant d'outiller les intervenants travaillant avec des nouveaux arrivants manquent encore de transparence, d'autant plus que les institutions publiques se retirent progressivement des divers programmes de services d'accueil aux immigrants.
Les questions qui guident notre recherche sont les suivantes:
Qui sont les intervenants qui bénéficient de ces formations (travailleurs sociaux, éducateurs, assistants sociaux, interprètes, médecins, psychologues, conseillers juridiques, médiateurs, bénévoles, etc...)?
Ont-ils été déjà formés aux questions interculturelles en milieu universitaire?
Quel est le profil des formateurs (intervenants du milieu communautaire, indépendants, enseignants, psychologues...)? Les formateurs sont-ils eux-mêmes issus de la diversité culturelle?
Quels sont les objectifs de ces formations?
Quelles sont les méthodes ou activités pédagogiques utilisées?
Quels sont les thèmes généraux et plus spécifiques abordés?
Quelle(s) approches théoriques orientent ces formations?
Comment sont-elles évaluées?
Quelles sont les perceptions des participants aux formations?
Bien que peu de recherches soient encore menées auprès du personnel des organismes communautaires, des études ont déjà été menées sur la formation interculturelle auprès du personnel des entreprises et des grandes organisations ou auprès des futurs enseignants à l'université. Le point de départ de notre recherche se situe d'ailleurs dans les contenus
de l'éducation interculturelle au Québec. Si les provinces canadiennes se sont dotées de politiques multiculturelles dans le domaine de l'éducation, la province du Québec quant à elle a introduit l'éducation interculturelle comme composante de la réforme du système d'enseignement10. Alors que l'éducation multiculturelle trouve ses origines dans la politique multiculturelle amorcée en 1971 par le premier ministre d'alors, Pierre Eliott Trudeau, et vise la reconnaissance officielle de la diversité culturelle de la société canadienne ainsi que l'égalité pour tous les Canadiens, l'éducation interculturelle implantée au Québec insiste davantage sur les contacts et les échanges entre les cultures. Pour d'autres, elle a pour fondement le rejet de la politique du multiculturalisme. Elle est basée sur les politiques du parti québécois dans ses références au développement culturel, aux minorités culturelles (appelées « communautés culturelles » dans le discours officiel), à l'immigration, à l'intégration des immigrants, enchâssées dans le Loi 101 sur la langue française. C'est la culture française dominante qui sert comme point de convergence pour les autres cultures au Québec11.
Fernand Ouellet, professeur de théologie de l'Université de Sherbrooke et spécialiste en éducation interculturelle, en propose une définition beaucoup plus large. L'éducation interculturelle renvoie premièrement à l'enseignement des cultures différentes, mais elle consiste aussi essentiellement en l'acquisition de la « compétence culturelle ». L'acquisition de cette compétence suppose
que l'on prenne au sérieux la culture des autres, et que l'on soit conceptuellement équipé pour y trouver du sens et pour situer les dimensions culturelles dans l'ensemble de la dynamique économique, sociale, politique dans laquelle s'inscrivent les groupes qui les portent. Mais cela suppose aussi que l'on apprenne à se situer soi-même par rapport à sa propre culture et par rapport à la dynamique dans laquelle elle s'inscrit12.
10 Donatille Mujawamariya, op.cit, p.3.
11 Donatille Mujawamariya et Mirela Moldoveanu, « Qu'apprennent-ils au sujet de la diversité ethnoculturelle pendant leur stage d'enseignement? », » dans Donatille Mujawamariva, op.cit., p.154.
12 Joséphine Mukamurera, France Lacourse et Martin Lambert, « La préparation
de futurs enseignants à l'intervention éducative » dans Donatille Mujawamari-
va, opcit, p.20.
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Depuis plusieurs années, nombre de formations interculturelles, initiales et continues, sont proposées aux futurs enseignants au sein des universités québécoises. Un rapport de recherche quantitatif et qualitatif sur l'offre de cours traitant de la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique dans la formation du personnel scolaire au Québec a été publié en janvier 2013. Ce rapport, réalisé à partir de l'analyse des programmes de 42 cours obligatoires et optionnels traitant de la diversité ethnoculturelle, et d'entrevues réalisées auprès de 35 formateurs universitaires assurant cet enseignement, permet ainsi de présenter plusieurs facettes de cette formation, et fait surtout ressortir l'expansion significative qu'a connue ce champ ces dix dernières années13. Cette étude reflète par ailleurs une grande variété de concepts théoriques, d'informations factuelles sur l'immigration et de savoirs relatifs à l'adaptation du système scolaire à la diversité abordés dans les cours14.
Selon Ouellet, il existe plusieurs grands axes théoriques dont les enseignants doivent avoir une compréhension minimale pour être en mesure de situer les défis du pluralisme ethnoculturel dans le cadre des sociétés modernes. Ces orientations théoriques se rattachent à des préoccupations ou des valeurs, mais également à des dispositions ou vertus qui sont au centre de tout projet d'éducation interculturelle et, plus largement, de tout programme de formation interculturelle. Voici, résumé dans le tableau suivant, ce cadre conceptuel15:
Ce dispositif conceptuel complexe permet, selon Ouellet, d'équiper intellectuellement les personnes qui suivent la formation interculturelle afin de comprendre les enjeux que soulève l'ouverture au pluralisme ethnoculturel dans la société québécoise et ailleurs dans le monde.16 Il apparaît bien que les éléments de l'éducation interculturelle peuvent également relever d'autres approches telles que l'éducation aux droits humains, l'éducation à la citoyenneté ou l'éducation antiraciste, ce qui correspond par ailleurs aux compétences privilégiées par le ministère pour la mise en place des programmes de formation des futurs enseignants17.
Le rapport de recherche sur l'offre de cours traitant de la diversité ethnoculturelle fait quant à lui apparaître une récurrence de 30 concepts théoriques. Dans une grande majorité de cours axés sur l'intervention en milieu pluriethnique, les concepts d'intégration, de préjugés, de discrimination et de racisme sont étudiés, soit des notions en lien avec les principes de cohésion sociale et d'acceptation de la diversité culturelle. Parmi les concepts les moins étudiés, on retrouve ceux relatifs aux valeurs d'égalité et d'équité ou bien encore le concept de décentration18, une notion pourtant centrale dans la formation interculturelle et où il demeure fondamental d'interroger l'identité de soi par rapport à autrui19, de connaître sa propre culture et les biais perceptifs qui peuvent se ma-
13 Julie Larochelle-Audet, Corina Borri-Anadon, Marie McAndrew, Maryse Pot-vin, La formation initiale du personnel scolaire sur la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique dans les universités québécoises: portrait quantitatif et qualitatif. Rapport de recherche, CEETUM/Chaire de recherche du Canada sur l'Éducation et les rapports ethniques, Janvier 2013, p.83.
14 Ibid., pp.83-84.
15 Fernand Ouellet, Les défis du pluralisme en éducation. Essais sur la formation interculturelle. Sainte-Foy, Presses de l'université Laval-Paris, L'Harmattan, 2002, p32.
16 Ibid., p.34.
17 Julie Larochelle-Audet et al, op.cit, p.1.
18 Ibid., p.58.
19 Fasal Kanouté et al., op.cit, p.246.
nifester dans une rencontre interculturelle20 est soulignée. Notons également que ce rapport de recherche recense les principales informations factuelles transmises dans les cours, telles que l'histoire de l'immigration (principales vagues migratoires, histoire des rapports inter-groupes, histoire de l'immigration régionale, histoire de l'immigration sous un angle linguistique), les statistiques relatives à la diversité, les modèles d'intégration, les catégories d'intégration et les politiques d'intégration21.
C'est à partir de ces différentes orientations théoriques développées en éducation interculturelle que l'on peut dégager quelques pistes pour définir les orientations de la formation interculturelle dans différents milieux, parmi lesquels le milieu communautaire et associatif. Si les différents concepts identifiés plus haut ont été également souvent relevés lors de notre enquête, la majorité de nos répondants proposant des formations interculturelles ont souligné par ailleurs les contributions importantes de deux grands théoriciens français de l'interculturel, Margalit Cohen-Eme-rique et Claude Clanet, à l'élaboration de programmes structurés de formation interculturelle. Pour Cohen-Emerique, l'approche interculturelle dans le processus d'aide doit se fonder sur le respect de la personne, sa vision du monde, son système de valeurs et ses besoins22. Cette approche est constituée de trois démarches qui s'entrecroisent en un processus dynamique: la décentration, la découverte du cadre de référence de l'autre ainsi que la négociation et la médiation23. Cette approche est également développée par Clanet qui considère que dans une situation interculturelle peuvent premièrement s'observer la réduction de l'autre à son propre code (position ethnocentrée), puis l'entrée dans le code culturel de l'autre (implication), ensuite la décentration par rapport aux codes culturels du sujet et de l'autre (prise de conscience de leur caractère culturellement relatif) et enfin la recherche ou la création de médiations (instauration d'un espace intermédiaire devenant point d'ancrage)24.
La formation interculturelle doit donc non seulement comporter une approche centrée sur le développement de compétences spécifiques en communication interculturelle (qui consiste notamment à confronter les univers de sens culturellement marqués de l'intervenant et du client, pour aboutir à une intelligibilité coconstruite25), mais doit par ailleurs fournir des outils conceptuels variés pour analyser les grandes transformations qui traversent les sociétés contemporaines26.
Le Québec fait résolument partie de ces sociétés contemporaines caractérisées par le pluralisme ethnoculturel. Si, comme nous l'avons affirmé plus haut, le Canada a fait le choix d'une politique multiculturelle où aucune culture particulière n'a préséance sur les autres cultures, le Québec s'est doté quant à lui d'une politique d'interculturalisme où la langue française est définie comme une valeur convergente et où les immigrants sont invités, en français, à contribuer au dynamisme culturel, écono-
20 Joséphine Mukamurera, France Lacourse et Martin Lambert, op.cit, pp.24-34.
21 Julie Larochelle-Audet et al, op.cit, p.60.
22 Margalit Cohen-Emerique, « L 'approche interculturelle dans le processus d'aide », Santé mentale au Québec, vol. XVIII, n°1, pp.71-91 dans Guide des relations interculturelles en santé mentale, op.cit., p.46.
23 Ibid.
24 Claude Clanet, L'interculturel: Introduction aux approches interculturelles en éducation et en sciences humaines, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1990, p.123.
25 Fasal Kanouté et al., op.cit, p.246.
26 Fernand Ouellet., op.cit, p.45.
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mique et politique de la société québécoise27. D'ailleurs au Québec, le multiculturalisme canadien est généralement perçu comme un outil de nivellement des communautés en présence, et où la spécificité culturelle et historique de la majorité francophone n'est pas officiellement reconnue. Certes le bilinguisme officiel consacre le français comme l'une des deux langues officielles du Canada, mais le multiculturalisme implique par ailleurs une tentative d'assimilation de la majorité francophone québécoise dans une mosaïque culturelle canadienne28 où l'anglais prédomine.
Quelle est finalement la place de la formation interculturelle dans le cadre d'intégration tel que défini par le Québec? L'interculturalisme comme norme d'intégration choisie pour les nouveaux arrivants au Québec soulève quelques questions, notamment parce qu'elle implique un recentrage sur une culture publique commune qui peut être perçu comme allant à l'encontre de l'ouverture aux différences culturelles, mais surtout parce que la notion même de culture publique commune est source d'incompréhension. Au cours de notre enquête, nombre de répondants ont ainsi souhaité situer les enjeux de la formation interculturelle dans le débat plus large de l'intégration au Québec qui ne cesse de faire débat, notamment depuis l'épisode des accommodements raisonnables et plus récemment le projet de charte des valeurs québécoises déposé par le gouvernement péquiste.
II-La formation interculturelle et le modèle d'intégration québécois
Afin de bien comprendre les enjeux de la formation interculturelle, il nous semble important de situer celle-ci dans un cadre théorique plus large, celui du modèle d'intégration choisi par la province québécoise. Ce modèle s'articule notamment autour de la notion de culture publique commune de la société d'accueil qui demeure complexe à définir. Selon certains auteurs, cette notion renvoie à une composition nébuleuse de principes de base et de croyances fondamentales qui organisent le vivre-ensemble, mais il demeure difficile pour le nouvel arrivant d'établir précisément la nature de cette culture publique commune et surtout de déterminer s'il peut s'en satisfaire29. Or aujourd'hui c'est cette culture publique commune qui est le point de départ des négociations entre la société d'accueil et les nouveaux arrivants. Il s'agit véritablement du point d'ancrage du dialogue interculturel. La majorité des Québécois s'accorde pour affirmer que leur culture publique commune renvoie à la fois à la défense de valeurs convergentes (comme la promotion du français bien sûr mais aussi l'égalité des sexes et la laïcité) et l'instauration d'un cadre structurel à l'intérieur duquel peuvent s'épanouir les groupes culturels et où leur accès à l'égalité dans tous les domaines publics est garanti30. Dans cette perspective, ce sont les valeurs démocratiques et pluralistes qui l'emportent et qui peuvent être relayées par la formation interculturelle.
Mais au Québec, le modèle d'intégration proposé aux nouveaux arrivants ne cesse d'être débattu et décrié, en particulier depuis la « crise »
27 Gérard Bouchard et Charles Taylor, Rapportfinal de la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles, Gouvernement du Québec, 2008, p.40.
28 Martin Geoffroy, « La crise des accommodements raisonnables au Québec: de la jurisprudence à l'ingérence », Etudes canadiennes/Canadian Studies, n°65, 2008, p.61.
29 Gilles Paquet. Moderato Cantabile: Toward principled governance for Canada's immigration regime. Invenire, 2012, p.97.
30 Ariane Cyr. Pluralisme et citoyenneté: le discours de la première génération
d'immigrants haïtiens de Montréal. Collection des Thèses du Centre d'Études
Canadiennes de l'Université Paris III, n°10, 2004, p.72.
des accommodements raisonnables en 2006 et 2007 où les membres de certaines minorités avaient déposé des requêtes, religieuses notamment, en s'appuyant sur la politique multiculturelle canadienne et sur la liberté de religion garantie par la Charte des Droits et Libertés. Ces demandes d'accommodement raisonnables ont été considérées par une partie des médias et de l'opinion publique comme étant excessives, voire contraires aux valeurs québécoises. À la suite de ces tensions, beaucoup de citoyens québécois ont insisté sur la nécessité de démontrer une attitude collective plus ferme dans laquelle la majorité francophone devait cesser de se renier et affirmer ses valeurs. À l'automne 2008, le gouvernement québécois adoptait ainsi des « Mesures pour renforcer l'action du Québec en matière d'intégration des immigrants », dont l'une d'entre elles consistait à faire signer aux immigrants « une déclaration portant sur les valeurs communes de la société québécoise... En apposant leur signature, ils attestaient avoir pris connaissance de ces valeurs et déclaraient vouloir vivre dans le cadre et le respect de celles-ci et vouloir apprendre le français, s'ils ne le parlent pas déjà31. »
Plus récemment, en septembre 2013, le Parti québécois alors au pouvoir a proposé un projet de charte des valeurs québécoises visant à établir des valeurs faisant consensus au Québec, et proposant ainsi une réponse à la controverse liée aux accommodements raisonnables. Cette charte comportait 5 propositions32:
Modifier la charte québécoise des droits et libertés de la personne, Énoncer un devoir de réserve et de neutralité pour le personnel de l'État,
Encadrer le port des signes religieux ostentatoires Rendre obligatoire le visage à découvert lorsqu'on donne ou reçoit un service de l'État,
Établir une politique de mise en œuvre pour les organismes de l'État. Les propositions relatives au port des signes religieux ostentatoires et au visage à découvert pour les employés de l'État a en particulier soulevé d'intenses débats sur le modèle d'intégration et plus fondamentalement sur la nature de l'identité nationale à laquelle devrait se référer les nouveaux arrivants. Si la charte a été saluée par une partie de la population pour mettre notamment en avant le principe de laïcité de l'État et celui d'égalité entre hommes et femmes, elle a été également très controversée parmi les communautés culturelles religieuses qui se disaient gravement désavantagées par la proposition de réglementer le port des signes religieux. Dans certains milieux communautaires, cette charte venait même révéler le caractère raciste du Québec: elle propageait et renforçait le stéréotype du Québécois xénophobe, et plus généralement, venait obscurcir la définition du vivre ensemble.
Bien que ce projet ait finalement été rejeté par le nouveau gouvernement libéral suite à son élection au pouvoir en avril 2014, la charte des valeurs québécoises a un peu plus obscurci la définition du modèle d'intégration québécois. Parce qu'il préconise notamment une convergence vers la langue française, ce modèle est très souvent promu comme un outil de préservation de la culture majoritaire et peut engendrer une attitude de repli et/ou de stigmatisation à l'égard de la diversité ethnocul-turelle. À l'inverse, ce courant de pensée peut être vivement critiqué et
31 Michel Fournier. « Les résistances à la diversité culturelle: l'argumentaire antipluraliste et autres objections courantes » dans Accommodements institutionnels et citoyens: cadres juridiques et politiques pour interagir dans des sociétés plurielles. Éditions du Conseil de l'Europe, n°21, 2009, p.207.
32 La charte des valeurs québécoises : Cinq propositions, http://www. nosvaleurs. gouv.qc.ca, Gouvernement du Québec, 2013
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mener entre autres à la promotion du relativisme culturel, voire à l'institution d'actions militantes en solidarité avec les groupes minorés et/ou opprimés, notamment religieux, dans la société québécoise. Au cours de notre enquête, nous avons par exemple rencontré une formatrice se déclarant ouvertement « dissidente ». Selon elle, le postulat de départ était que le modèle majorité-minorités tel que mis en place par l'État demeurait un obstacle à une dynamique interculturelle car seul était poursuivi l'objectif d'intégration des nouveaux arrivants à la société québécoise, sans prise en compte de leurs spécificités. Une formation à l'interculturel adéquate devait donc se détourner des directives institutionnelles et être fondée sur un modèle pluraliste.
Quoi qu'il en soit, les accommodements raisonnables puis par la charte des valeurs québécoises ont ravivé le débat au sein de la société québécoise et ont surtout démontré la nécessité, en formation interculturelle, de créer des espaces d'échanges sur les perceptions et les pratiques des intervenants accompagnant les populations immigrantes et réfugiées. Nombre de formateurs ont ainsi insisté sur la nécessité de modifier les représentations, les attitudes et les comportements pour une meilleure compréhension de l'« autre ».
Ouellet insiste par exemple sur la nécessité de privilégier l'approche de la citoyenneté pluraliste dans toute formation interculturelle. Cette approche permettrait ainsi de
moins investir dans la défense des particularismes ethnoculturels et de travailler plutôt à créer de multiples espaces d'interaction et de délibération où chaque citoyen pourra intervenir sur un pied d'égalité, sans devoir renier ce qu'il est. Cela suppose que chacun est préparé à voir son identité et son rapport à son groupe d'appartenance se transformer dans ce processus ouvert d'interaction et de délibération démocratique, ce qui n'est pas incompatible avec la possibilité pour ceux qui le souhaitent d'accorder une importance primordiale à leur participation à leur groupe d'appartenance33.
Cette voie de la citoyenneté pluraliste permet ainsi d'échapper à la confrontation stérile entre deux positions extrêmes, celles de la promotion du relativisme culturel et celles de la fermeture au pluralisme. Dans cette perspective, la communication interculturelle devrait donc surtout se concentrer sur le fait que la prise de conscience du rejet et de l'acceptation de l'autre passent avant tout par des processus de déconstruction et de construction identitaire34, des étapes nécessaires de décentration et de créations d'espaces intermédiaires telles que décrites par Clanet.
Les entretiens que nous avons menés auprès de formateurs et d'intervenants en milieu communautaire nous ont permis de comprendre les objectifs, les méthodes, les approches pratiques et théoriques de la formation interculturelle au Québec, mais aussi de réaliser que cette approche de la citoyenneté pluraliste était fortement privilégiée dans le cadre des programmes de formation proposés aux professionnels.
III-La formation interculturelle au Québec: analyse qualitative
Au cours de notre séjour de recherche, nous avons mené des entretiens semi-directifs auprès de formateurs en interculturel et des person-
33 Fernand Ouellet, op.cit, p.42.
34 Ibid., p.47.
nels d'organismes communautaires ou d'accueil de première ligne (directeurs, coordonnateurs de formation, superviseur, juriste, intervenants) ayant bénéficié de formations ou dispensant également des formations interculturelles. Notre échantillonnage a principalement été constitué grâce au Répertoire des formations en interculturel et en diversité cultu-relle35 qui recense toutes les formations en interculturel et en gestion de la diversité culturelle dans la province du Québec.
Ces 14 entretiens individuels d'une durée de 60 à 120 minutes, ont été réalisés à partir d'un questionnaire comportant une vingtaine de questions. Ces questions portaient premièrement sur la formation scolaire et professionnelle des répondants, et sur leur éventuelle formation aux questions interculturelles, puis sur la structure dans laquelle ils intervenaient (date de création, type de structure, financement, mandat, etc...). Des questions plus précises portaient ensuite sur la nature et l'organisation des formations proposées (origine, nombre de formateurs, durée de la/des formation(s), clientèle visée, méthodes privilégiées, outils utilisés...), et sur les objectifs, les thèmes et les approches théoriques développées. Enfin des questions étaient posées sur l'évaluation de la formation (par les formateurs et la clientèle), avant de conclure l'entretien par une question plus ouverte et générale: « Comment définiriez-vous l'interculturalité »? qui avait pour but de traduire la diversité des définitions et perceptions de l'interculturel au Québec.
Toutes les données ont ensuite été analysées de manière qualitative afin d'appréhender la variété des objectifs, de méthodes et d'approches théoriques et de contenus dans la formation interculturelle. C'est principalement autour de ces trois grands axes thématiques que cette étude qualitative a été conduite.
-1Quels formateurs et quelle clientèle?
Les formateurs interrogés sont formateurs et/ou consultants indépendants ou qui exercent dans des organismes de santé (à Montréal), des structures d'aide à l'employabilité ou dans des organismes communautaires (à Montréal et à Québec). La clientèle visée est majoritairement constituée de professionnels intervenant en contexte de diversité culturelle et dont la tâche cruciale est d'accompagner des « usagers »36 différents sur les plans culturel, linguistique ou religieux, afin de faciliter leur intégration à la société d'accueil québécoise. Il arrive cependant que les balises professionnelles et les convictions personnelles de l'intervenant travaillant en contexte pluriethnique soient ébranlées lors de la rencontre avec un usager dont le cadre de référence diffère sur le plan culturel. Cet intervenant doit non seulement répondre à la demande de l'usager et le comprendre, mais doit également essayer de gérer un éventuel dépha-
35 Ce répertoire a été publié par le CAMO-PI (Comité d'adaptation de la main d'oeuvre - Personnes immigrantes), un organisme qui travaille à la préparation, l'intégration et le maintien en emploi des immigrants au Québec, et qui considère notamment que ces trois composantes doivent également prendre en compte l'amélioration des relations interculturelles. C'est la raison pour laquelle l'organisme met à la disposition des acteurs sociaux interagissant avec les personnes immigrantes ce recueil de formations en interculturel, classées par structure (consultants et entreprises privées, associations et organisations sans but lucratif, organisations publiques, parapubliques et syndicales, et institutions d'enseignement) . Répertoire en ligne : http://www. camo-pi .qc.ca/pdf/ pdf site/Repertoire%20des%20formations%20en%20interculturel%20et%20 en%20diversite%20culturelle.pdf le à ce que l'intégration de la main-d'œuvre immigrante au marché du t
36 Il s'agit du terme communément utilisé dans le cadre de l'intervention en
contexte pluriethnique.
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sage des cadres de référence37. La formation interculturelle est donc très souvent recherchée par ces professionnels, qui souhaiteraient d'ailleurs obtenir en premier lieu des informations précises sur la ou les communautés ethnoculturelles avec la(es)quelle(s) ils travaillent. Les formations proposées visent plutôt une compréhension des communautés dans leur ensemble, et ont pour vocation de fournir les connaissances et habiletés nécessaires pour toute intervention auprès d'une clientèle immigrante, réfugiée ou issue de l'immigration. Notons d'ailleurs que cette clientèle peut également être constituée de communautés autochtones, minorités considérées comme non immigrantes mais ayant connu de violents processus de déculturation et d'acculturation qui se traduisent aujourd'hui par différents types de problèmes psychosociaux38.
Les organismes communautaires dans lesquels interviennent les répondants offrent des services divers : accueil de première ligne des réfugiés et des immigrants (écoute, soutien, orientation, hébergement, intégration scolaire...), informations générales et plus ciblées, programmes de francisation aux réfugiés et nouveaux arrivants, services de consultation, programmes d'informations et de préparation à l'emploi pour les nouveaux arrivants (stages-formations, mise à jour, perfectionnement...), programmes de service d'aide à l'emploi qui s'adressent à des immigrants plus scolarisés (informations sur les reconnaissances et validations des diplômes et des expériences, sur les professions et métiers réglementés...). Ces organismes peuvent également proposer des formations en relations interculturelles aux employeurs afin de les sensibiliser à la réalité de l'immigration et de la diversité culturelle, aux obstacles structuraux et systémiques rencontrés par les immigrants à la recherche d'un emploi ainsi qu'aux chocs culturels, aux difficultés et aux conflits qui peuvent survenir en entreprise au sein d'équipes multiculturelles.
Les formateurs ou intervenants que nous avons rencontrés ont des expériences académiques diverses mais sont pour la très grande majorité titulaires d'une maîtrise (en ethnologie, anthropologie médicale, communication, sciences politiques, finance, psychologie) ou ont suivi une formation en psychologie. La plupart reconnait ne pas avoir bénéficié de formations initiales sur les questions interculturelles, seuls quelques répondants ont suivi au moins un cours lié à la la diversité culturelle au cours de leur formation universitaire (un cours sur l'intervention en milieu multiethnique, un cours en médiation interculturelle). Les parcours professionnels sont également variés mais convergent pour la grande majorité vers des premiers postes d'élaboration et de coordination de programmes de formation en matière de diversité culturelle et de relations interculturelles auprès d'entreprises ou d'organismes communautaires, ou des postes d'intervenants auprès de personnes immigrantes.
Sur les 14 personnes rencontrées, 7 sont issues de l'immigration (France, Haïti, Inde, Allemagne, Burundi, Afghanistan). Les répondants reconnaissent à ce sujet que le parcours migratoire et l'expérience de vie des formateurs constituent un véritable atout dans la formation interculturelle en termes de sensibilité à la diversité culturelle, d'empathie (qui peut être définie comme une proximité authentique39), de compréhension des problématiques linguistiques et de mises en place de stratégies spécifiques pour répondre aux besoins d'une clientèle culturellement diversifiée. En s'établissant au Québec, ces formateurs issus de l'immigration ont pour la plupart connu un choc culturel (réaction à la diffé-
37 Fasal Kanouté et al, op.cit, p.242.
38 Guide des relations interculturelles en santé mentale, op.cit., p.37.
39 Emmanuel Jovelin, « L'interculturalité dans l'intervention sociale: du choc culturel à l'accompagnement intra-ethnique » dans Gina Thésée et al., op.cit., p.103
rence de l'autre) ayant pu se transformer en choc identitaire (relation de tension vis-à-vis de sa propre identité)40, et comprennent bien la nécessité d'aborder en formation cette question de la déstabilisation et de la menace identitaires très souvent ressenties chez les intervenants québécois au contact d'immigrants. En effet selon Cohen-Emerique qui a largement contribué à conceptualiser la notion de « choc culturel » dans ses travaux,
le choc culturel déstabilise la capacité de l'individu à maintenir des identités cohérentes qui soient objet de reconnaissance par autrui, alors que la situation professionnelle exige de lui qu'il les affirme. Se créée alors une double contrainte, source d'anxiété à l'origine de comportements défensifs pour protéger son identité personnelle et professionnelle 41.
Il s'agit là de l'un des objectifs de la formation interculturelle mentionnée par des répondants: que l'intervenant qui œuvre auprès des communautés ethnoculturelles, sache identifier les éléments constitutifs de son identité mais aussi la nature des éléments qui menacent cette identité, afin d'éviter des réactions de défense, notamment en ayant recours aux préjugés ou aux stéréotypes.
-2Quels objectifs?
Le premier thème d'analyse de nos données était celui des objectifs de la formation interculturelle. Ces objectifs sont variés mais peuvent s'organiser autour de deux grands axes:
-L'axe immigration et informations législatives: sensibiliser les participants aux grandes questions soulevées par l'immigration, identifier les politiques d'immigration du Canada et du Québec, les différents contextes migratoires et les statuts d'immigration (sensibiliser notamment au cadre législatif régissant les droits et responsabilités des immigrants indépendants, des immigrants parrainés, des réfugiés qui deviennent de jure résidents permanents du Canada, et des demandeurs d'asile). C'est notamment dans ce volet que l'on juge souvent nécessaire d'aborder la question d'accommodement raisonnable, notion juridique qui repose sur les Chartes canadienne et québécoise des droits et libertés et qui repose sur les concepts d'égalité et de discrimination42. Il est également fondamental de viser une bonne connaissance des ressources juridiques et services divers auxquels donne droit chaque type de statut migratoire.
-L'axe identité et situation interculturelle: sensibiliser les participants à différents concepts nécessairement soulevés dans un contexte interculturel (identité, culture, ethnicité, adaptation, intégration, ethno-centrisme, stéréotypes, préjugés, racisme, etc...), connaître les différentes étapes - négatives ou positives - par lesquelles passent les immigrants dans leur processus d'installation et d'intégration (choc culturel, pertes de repères, ruptures, dépression, anxiété, étonnement, fascination..), identifier les facteurs qui facilitent ou fragilisent le processus d'adaptation à la société d'accueil43 et connaître les ressources et les services adéquats pour accompagner les nouveaux arrivants et les aider à surmonter les séquelles découlant du vécu migratoire. La nécessité de prendre conscience
40 Ibid., p.98.
41 Ibid,, pp.98-99.
42 Guide des relations interculturelles en santé mentale, opcit, p.75.
43 Association canadienne pour la santé mentale - Filiale de Montréal, Formation
sur les relations interculturelles en santé mentale: Guide du participant, p.4.
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du choc culturel que vit l'intervenant lui-même face aux usagers d'origine étrangère, de bien connaître sa propre identité et ses acquis culturels (décentration) figurent également parmi ces objectifs spécifiques souvent mentionnés par les formateurs rencontrés. En partant de la méthode des « incidents critiques » développée par Cohen-Emerique, certains formateurs visent en effet une prise de conscience chez leurs clients que les situations interculturelles permettent d'accéder à leur propre cadre de référence, peuvent causer une forte réaction émotive et interférer ainsi dans l'intervention (préjugés, présupposés, etc...)44.
Notons que nous avons dégagé dans une moindre mesure un troisième axe, celui de la communication interculturelle, qui relève davantage des stratégies de communication à développer auprès des professionnels travaillant avec les personnes immigrantes. La prise en compte de facteurs d'ordre culturel (tels que le langage corporel, la prosodie, la conception de l'espace et du temps) manifestés dans des contextes variés (emploi, école, santé...) est en effet nécessaire dans toute intervention impliquant des personnes de cultures différentes. En formation interculturelle, l'objectif est donc de fournir aux participants des outils variés afin de favoriser une communication verbale (langue, vocabulaire, intonation), ainsi qu'une communication non-verbale (contact visuel, silence, langage corporel, rapport à l'espace et au temps...) adéquates45. Il demeure en effet essentiel de savoir identifier et mettre en place des stratégies de communication adaptées à chaque type de clientèle, selon les contextes. La diversité culturelle en entreprise appellera par exemple des compétences interculturelles ciblées, en adéquation avec les exigences du milieu de travail québécois et de la culture organisationnelle (comment aborder la relation hiérarchique, comment se comporter dans le cadre d'une interaction professionnelle, etc...), alors que l'approche de la diversité culturelle en milieu communautaire et associatif fera intervenir d'autres types de compétences communicationnelles selon la clientèle à accompagner.
Ces trois axes regroupent finalement des objectifs relevant de savoirs (connaissances de nature factuelle ou théorique), de savoir-faire (action ou intervention à entreprendre) et de savoir-être (développement des attitudes, des compétences relationnelles et des capacités réflexives et critiques)46 dans le cadre de l'approche interculturelle.
Nous avons enfin relevé un dernier type d'objectif, plus large et plus marginal, qui consiste à offrir aux participants des pratiques interculturelles alternatives, en opposition notamment avec les orientations institutionnelles qui visent principalement l'intégration des nouveaux arrivants à la société d'accueil québécoise. La formation proposée a en effet pour objectif de défaire les préjugés sur les pratiques culturelles diverses (religion, santé, éducation, intervention sociale, etc...) et proposer un cadre d'analyse beaucoup plus global où seraient pris en compte la multiplicité et la richesse des cultures afin d'échapper à la logique domi-nants-dominés inhérente au système économique mondial néo-libéral. La formation et les pratiques interculturelles dans leur ensemble ne peuvent en effet se concevoir sans cette approche critique de la mondialisation et de l'État.
3-Quelles méthodes? Quelles approches théoriques?
44 Guide des relations interculturelles en santé mentale, op.cit, pp.46-47.
45 Ibid,, p.55.
46 Julie Larochelle-Audet et al., op.cit., pp.49-50.
Les données recueillies au cours de notre enquête ont été analysées autour d'un second axes thématique, celui de la méthodologie et des approches théoriques.
Les méthodes utilisées dans le cadre de la formation interculturelle sont là encore variées mais demeurent toutes fondées sur une même logique : les savoirs et les approches interculturelles doivent être complémentaires et relever à la fois du domaine professionnel et théorique. Des outils pédagogiques sont donc exploités au cours de la formation : projection de vidéos47, exposés de cas pratiques qui relèvent de secteurs divers (école, santé, travail social, etc...). Le postulat étant que les participants ont tous une expertise dans leur domaine d'intervention, leur contribution est également vivement sollicitée, sous la forme de jeux de rôle et de simulations, d'échanges et de partage d'expériences, d'exercices individuels et en groupe, de réflexions personnelles à donner par écrit, etc... Des exposés théoriques, des éléments intégrant les données récentes de la recherche et des fiches-synthèse sur des modèles conceptuels sont par ailleurs présentés au cours des formations, de même que des informations plus générales ou relevant du ministère de l'immigration, par exemple sous la forme d'hyperliens.
Mention a également été faite d'une formation à l'interculturel sous un format e-learning (cours à distance) à l'intention du personnel infirmier faisant des interventions téléphoniques au sein de centres de crise et d'organismes communautaires48, via une plateforme pédagogique.
Les approches théoriques privilégiées dans les formations relèvent de disciplines différentes (histoire, sociologie, anthropologie culturelle et médicale, psychologie, ethnologie, gestion) et s'organisent comme suit :
a-Une approche théorique centrée sur la vaste question identitaire : quelles sont les déclinaisons de l'identité? Que sont les identités personnelle, sociale, culturelle, ethnique, civique, locale, collective49? Notons ici que quelques formations sont dispensées sur l'identité québécoise et l'influence que sa situation à la fois majoritaire (au Québec) et minoritaire (au Canada) exerce sur son ouverture à l'immigration et à la diversité culturelle, en s'appuyant notamment sur des approches historiques et sociologiques. Quelles sont plus spécifiquement les différentes stratégies identitaires mises en place par les nouveaux arrivants (identité affirmée, dissimulée) ou les identités assignées, stigmatisantes ou non, par la société d'accueil? Pourquoi l'interaction culturelle mène t-elle à la menace de sa propre identité, et donc à des attitudes et des comportements de
47 La TCRI a par exemple documenté des pratiques d'intervention auprès de nouveaux arrivants, notamment des réfugiés, et développé en 2013 des outils vidéo destinés aux acteurs scolaires et communautaires qui doivent composer quotidiennement avec les défis de la diversité culturelle. De son côté, le CSSS (Centre de santé et de services sociaux) de la Montagne à Montréal qui est un centre d'accueil de première ligne propose des formations aux intervenants, gestionnaires et bénévoles du réseau de la santé et du milieu communautaire. Dans cette formation, un guide d'animation et de courtes vidéos sur les récits de pratique des intervenants communautaires sont proposés aux participants afin de les faire réfléchir aux enjeux d'intervention auprès d'une clientèle immigrante: http://www.sherpa-recherche.com/recherche-pratiques/famille-commu-naute-identite/recits-pratique/
48 Ce dispositif de formation contenant lui aussi des connaissances disciplinaires et multidisciplinaires, des cas cliniques issus de la pratique de santé, des exercices et des outils concrets s'appuie sur les principes de la personnalisation de l'apprentissage, à travers une plateforme pédagogique, et est également disponible en format texte et en format audio, accessible aux personnes malvoyantes («L'interculturel au bout du fil» dans Entrevues Metiss, Volume 5, numéro 4, avril 2014.)
49 Fasal Kanouté et al., op.cit., p.252.
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fermeture à la diversité culturelle tels que les préjugés, l'ethnocentrisme, la discrimination ou le racisme? Comment le travail de décentation ou encore s'interroger sur son identité sociale, professionnelle et ethnocul-turelle peut-il permettre d'accueillir d'autres points de vue et réduire le biais ethnocentrique50? Comme mentionné plus haut, Cohen-Emerique et ses modèles conceptuels du choc culturel et des incidents critiques (l'autre différent jouant un rôle de révélateur à soi-même) a été mentionnée par les répondants à de nombreuses reprises.
Il est à noter que si la question identitaire appelle nécessairement une réflexion sur le concept de culture (la culture de soi, la culture de l'autre, la culture synonyme de savoir transmis par les institutions, la culture au sens anthropologique et désignant les productions spécifiquement humaines51), les formateurs affirment unanimement ne pas vouloir privilégier d'approche culturaliste dans leur programme. Il y a en effet une volonté générale de ne pas tomber dans le piège de la formation «exotique» et nécessairement dangeureuse qui traiterait des différences et des particularismes culturels (bien qu'une grande partie des participants aux programmes de formation souhaiteraient souvent obtenir des informations sur des communautés ciblées), mais bien des enjeux liés à l'immigration et la diversité culturelle dans son ensemble. Certaines formations proposent même des approches nuancées et critiques de la culture afin de faire prendre conscience au participant de la complexité de ce concept et de sa variabilité en termes de compréhension et d'influence.
Seule une répondante assure vouloir intégrer dans ses programmes de formation une réflexion intensive sur la notion de culture qui devrait être perçue comme tout à la fois un savoir, un savoir-être et un savoir-faire. Selon cette formatrice en effet, les sociétés occidentales ont tendance à classifier et ainsi figer les cultures, alors que la culture devrait être avant tout perçue comme une vision du monde déterminant nos savoirs et pratiques (au cours de notre entretien, cette formatrice a ainsi évoqué l'exemple des sociétés traditionnelles comme celles des Autochtones ayant une vision circulaire et cosmogonique de la nature, contrairement à la vision linéaire et anthropocentrique qu'en ont les Occidentaux). Cette conception dynamique de la culture selon laquelle l'individu, corps-esprit, est une entité indissociable en interaction avec l'environnement, est souvent occultée dans la perspective occidentale sur l'individu, et l'est donc dans la formation interculturelle, mises à part quelques formations portant plus spécifiquement sur les diverses approches de la santé et de la maladie mentale52.
b-Une seconde approche théorique est liée plus spécifiquement aux notions inhérentes à la culture d'entreprise : c'est en particulier la notion de proxémie développée par l'anthropologue américain Edward T.Hall qui a été plusieurs fois citée au cours de nos entretiens. Selon Hall, la distance physique qui s'établit entre des individus au cours d'une interaction varie selon les cultures. La culture organisationnelle québécoise, comme celle d'autres pays occidentaux et nordiques en particulier, est reconnue pour générer des interactions distantes, où les contacts physiques entre les individus sont rares. Nombre de formateurs spécialisés dans le domaine de l'employabilité des immigrants ont ainsi évoqué des décalages de comportements et de codes culturels importants au sein d'équipes multiculturelles en entreprise, où la proxémie mais également d'autres éléments comme la distance hiérarchique, la relation au temps ou la prise
50 Ibid., p.255.
51 Claude Clanet, op.cit, , pp.14-15.
52 Guide des relations interculturelles en santé mentale, op.cit., p.62.
d'initiatives ne sont pas appréhendés de la même façon par les employés issus de cultures différentes, et pouvant mener à des conflits divers. L'accomplissement de soi comme étant au centre des motivations personnelles et professionnelles des Québécois a également été cité à plusieurs reprises au cours de notre enquête. Une formatrice s'appuie ainsi sur le modèle de la pyramide des besoins développé par le psychologue américain Abraham Maslow et souvent utilisé dans le domaine du marketing et du management, afin de soutenir l'argumentation selon laquelle l'estime et l'accomplissement de soi sont les besoins les plus recherchés par les employés au sein des entreprises occidentales. Ces aspirations peuvent là encore entrer en conflit avec les besoins des nouveaux arrivants situés aus bas de cette pyramide conceptuelle : les besoins physiologiques (se nourrir pour survivre par exemple) et les besoins de sécurité (recherche d'un environnement stable).
Si cette seconde approche théorique relève principalement de la culture organisationnelle, elle reste néanmoins applicable aux formations plus générales sur la gestion de la diversité culturelle et l'interculturalité.
c-Une troisième et dernière orientation théorique mentionnée quelques rares fois relève davantage d'une approche philosophique. Celle-ci concerne les notions d'individualisme et de collectivisme, d'humanisme et de globalisation et de façon beaucoup plus marginale de féminisme (notion développée en formation auprès des intervenants accompagnant des femmes immigrantes victimes de violence conjugale).
Notons que cette dernière approche s'accompagne d'une vision plus critique des sociétés occidentales dans leur ensemble et des rapports iné-galitaires qui les caractérisent.
-4Quelles thématiques?
Les thématiques abordées en formation interculturelle sont nécessairement liées aux objectifs énumérés plus haut et regroupés en deux principaux axes, celui de l'immigration et des questions législatives, et celui de l'identité et des situations interculturelles.
a-L'axe immigration et questions législatives
Parmi les nombreuses formations proposées, la thématique systématiquement abordée est celle de l'histoire de l'immigration au Canada et au Québec. La connaissance des grandes vagues migratoires qui ont formé la population québécoise et canadienne, de même que celle associée aux politiques migratoire et linguistique fédérale et québécoise sont primordiales pour aborder ensuite la question du contact et de la rencontre avec d'autres cultures. D'autres informations factuelles relatives à la diversité culturelle sont essentielles, telles que les catégories et statuts d'immigration qui demeurent généralement méconnues des intervenants accompagnant des personnes d'origine étrangère (selon la législation fédérale, plusieurs statuts en effet distinguent les personnes se trouvant au Canada : le citoyen canadien, le résident permanent, l'immigrant indépendant, l'immigrant parrainé, le réfugié, le résident temporaire, le ressortissant en attente de statut ou sans statut légal53). Dans un contexte de fonctionnement juridique et administratif complexe, l'intervenant joue en effet un rôle important dans l'explication des statuts, des règlements, des diverses démarches et des ressources disponibles selon le statut d'immigrant54.
53 Ibid., pp.17-19.
54 Fasal Kanouté et al., op.cit, p.257.
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C'est à l'intérieur de cet axe thématique que des thèmes variés et plus ciblés sont abordés : la demande permanente, le parrainage, itinéraire du demandeur d'asile, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et génocides, droits et égalités des femmes des minorités ethniques et exercice des recours, demandes de dispense de visas pour motifs humanitaires, accomodement raisonnable55, etc...
b-L'axe identité et interculturalité
Cet axe thématique recoupe de nombreuses formations consacrées à la problématique de l'identité et de l'altérité et qui s'appuient, comme nous l'avons vu plus haut, sur des approches théoriques variées selon le cadre d'intervention des participants. Une formation décide ainsi d'aborder dans l'ordre les questions d'identité, de culture, d'ethnicité, de préjugé, d'ethnocentrisme, de racisme et de décentration, dans un souci didactique et pédagogique, afin d'aider les participants à appréhender la complexité de ces termes mais aussi, de manière plus générale, afin de leur permettre de clarifier et faciliter leur intervention56. D'autres formations préfèrent traiter de ces notions dans un cadre thématique plus large, celui du processus d'accueil et de la création de nouvelles interrelations57. Les périodes migratoires, post-migratoires et d'adaptation du nouvel arrivant ont en effet de multiples conséquences sur son identité d'origine et son identité d»immigrant» façonnée par le regard de l'autre, les nouvelles normes culturelles et des rapports sociaux différents. Dans ce second axe thématique peuvent être plus spécifiquement abordées les questions suivantes : les deuils de la migration, la charge traumatique chez les réfugiés, la relation d'aide auprès d'adolescents migrants, le choc culturel, la menace identitaire en situation d'intervention interculturelle, les pistes pour contrer la discrimination et l'islamophobie, les relations entre les familles issues de l'immigration58, etc...
Nous avons également relevé, dans une moindre mesure, des thématiques spécifiques liées à l'intégration économique des immigrants. Ces thématiques peuvent être abordées dans des formations spécifiques s'adressant aux employeurs ou dans le cadre de formations plus larges s'adressant à divers intervenants : orientation, transfert de compétences, approche interculturelle adaptée à l'employabilité59, culture d'entreprise québécoise, discrimination socio-économique, etc...
-5Quelle définition de l'interculturalité?
Afin de comprendre la définition de l'interculturalité qu'en donnaient les formateurs et intervenants rencontrés au cours de notre enquête, nous avons conclu chaque entretien par la question ouverte suivante : «Comment définiriez-vous l'interculturalité?». Cette question plus générale avait pour objectif de comprendre les représentations de l'interculturel au Québec, notamment au regard des orientations politiques provinciale et fédérale en matière de reconnaissance de la diversité culturelle.
Beaucoup de répondants s'accordent tout d'abord à distinguer deux approches concernant le dialogue interculturel : le multiculturalisme canadien est unanimement cité comme une manière de reconnaître et promouvoir la diversité culturelle, sans jamais pour autant favoriser d'in-
55 La formation continue (TCRI), opcit., p.6.
56 Fasal Kanouté et al., op.cit., p.252.
57 Formation sur les relations interculturelles en santé mentale: Guide du participant, opcit., p.7.
58 La formation continue (TCRI), opcit., p.10.
59 Ibid,, p.13.
teractions entre les cultures. Montréal, bien que située au Québec, reste souvent citée comme relevant davantage de ce modèle multiculturel où les groupes d'origines très diverses se côtoient mais ne se rencontrent pas. À l'inverse, l'interculturel est envisagé de façon beaucoup plus dynamique, comme un processus de rencontres et d'échanges entre les cultures. Pour la majorité des répondants, la ville de Québec et ses divers organismes d'accueil, ainsi que la province dans son ensemble, relèvent de ce modèle. Des exemples concrets d'interactions entre les communautés culturelles ont été mentionnés, comme la semaine des relations interculturelles, le mois de l'histoire des Noirs en février et la semaine d'action contre le racisme en mars. Au-delà du respect des valeurs et des différences culturelles dans un espace commun, l'interculturalité implique en effet non seulement une ouverture et une sensibilité à l'autre mais aussi une notion de réciprocité dans les échanges. Jovelin définit ainsi l'interculturalité comme une "liaison" et une "réciprocité" et que "les contacts de culture sont fait d'interpénétrations et d'interactions"60. Notons que deux répondantes ont également souligné la définition politique de l'interculturalité et l'importance du contrat moral d'intégration dans la province du Québec, en particulier suite aux multiples débats suscités par les accommodements raisonnables et la charte des valeurs québécoises.
Un seconde définition de l'interculturalité concerne la négociation, la transaction avec l'autre, dans une rencontre donnée. La dimension complexe de l'interculturalité a en effet été soulignée par quelques répondants qui considèrent que les relations peuvent souvent mener à des réactions de surprise, voire de méfiance. Jovelin définit en effet la rencontre interculturelle comme "celle de l'imaginaire, du désir, de l'attente" où l'autre est un double qui séduit, qui attire de par son altérité ou celle qu'on lui attribue. Or il existe toujours un écart entre l'autre espéré, attendu, et l'autre trouvé. C'est à partir de cette situation conflictuelle où l'on se confronte à l'altérité que l'on peut progressivement modifier sa représentation de l'autre qui, de menaçante, va être perçue comme neutre ou positive61. Les répondants évoquent ainsi un apprentissage réciproque, voire une construction commune où l'interculturel s'inscrit finalement dans une dimension transformative, sans pour autant que sa propre identité ne soit altérée. Il s'agit là du modèle du choc culturel décrit par Cohen-Emerique et de la conception plus large de l'interculturalité proposée par Clanet :
L'interculturalité peut être vue comme l'ensemble des processus -psychiques, relationnels, groupaux, institutionnels... - générés par les interactions de cultures, dans un rapport d'échanges réciproques et dans une perspective de sauvegarde d'une relative identité culturelle des partenaires en relation.62
Une troisième et dernière définition, plus marginale, concerne la portée socio-politique de l'interculturel. Selon une formatrice, l'inter-culturel doit aussi être envisagé comme une action sociale qui doit bousculer les codes et éviter le centralisme (normes, valeurs consensuelles, perspectives habituelles) lorsqu'il s'agit d'appréhender les rapports entre cultures. Outre le caractère déstabilisant et l'impact transformatif de la rencontre interculturelle décrits plus haut, la prise en compte de toutes les réalités culturelles, quelles qu'elles soient, sans attitude de normativité,
60 Jovelin dans Gina Thésée et al, opcit, p.108.
61 Opcit, p.109.
62 Claude Clanet, opcit., p.21.
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I La formation interculturelle au Québec: état des lieux Intercultural training in Quebec: an analysis!
voire de supériorité, est fondamentale pour pleinement vivre l'interaction culturelle. Cette formatrice cite ainsi l'exemple du point de vue auto-chone qui n'est pas toujours suffisamment exploité par les intervenants en contact avec un individu ou un groupe autochtone : comment en effet appréhender la relation sans tenir compte de leur système de pensées et croyances, de leur conception de l'individu, de la collectivité et de la terre? Comment se détacher ainsi de son propre système de valeurs et croyances et mieux comprendre les chocs culturels et les incompréhensions qui peuvent survenir au cours des interventions? Cet exemple illustre de nouveau le besoin de redéfinir l'approche occidentale de l'al-térité ainsi que la relativité des visions du monde. Certains chercheurs ont d'ailleurs souhaité mettre en exergue cette position en élaborant des shémas afin de comprendre les différences culturelles dans plusieurs domaines de la vie sociale63. Les éléments essentiels de l'interculturel sont finalement de valoriser suffisamment les cultures pour assurer le respect égal de leurs porteurs, tout en évitant de les figer dans des appartenances, et favoriser l'existence de rapports ethnoculturels non fondés sur la do-mination64.
Conclusion
Dans cet article, nous avons souhaité explorer quelques conceptions de l'interculturel, en nous intéressant en particulier aux grands principes de la formation interculturelle qui vise précisément l'application de l'interculturel par les professionnels travaillant en contexte de diversité culturelle. Après avoir présenté plusieurs pistes théoriques permettant de comprendre les principes généraux de la formation interculturelle, en nous appuyant notamment sur les contenus de l'éducation interculturelle, nous avons envisagé ensuite la formation interculturelle dans un cadre
63 Legault, Bourque et Roy ont par exemple développé une grille de recherche qui sert à cerner la diversité et la relativité des valeurs lors d'interventions en milieu interculturel, et étudier l'autre sans le figer dans une identité prédéterminée. Le « Profil d'orientation des valeurs et des croyances » est constitué de six tableaux où l'on retrouve le système de valeurs pour soi, la famille et la société, ainsi que les croyances liées à la conception de la nature humaine, au rapport au surnaturel et au rapport de l'être avec la nature: G.Legault et L.Rachédi (dir.), L'intervention interculturelle, 2e édition, Gaëtan Morin Éditeur, Chenelière Éducation, 2008, pp.2013-206.
64 Fasal Kanouté et al., op,cit., p.246.
conceptuel plus large, celui du modèle d'intégration québécois. Nous avons enfin présenté les principaux résultats de notre enquête de terrain en délimitant les objectifs, les méthodes, les approches théoriques et thématiques abordés dans la formation interculturelle au Québec.
Cette étude révèle que les formations à l'interculturel proposées aux intervenants des organismes communautaires et associatifs offrent un solide éventail conceptuel qui ne s'appuie pas uniquement sur des savoirs ou des savoir-faire en communication interculturelle. Les approches théoriques privilégiées relèvent d'un champ multidisciplinaire et sont majoritairement centrées sur la question identitaire, dans le but de sensibiliser le public à la diversité culturelle et à l'immigration, mais aussi afin de transformer les représentations, les attitudes et les comportements individuels. L'intérêt de la formation interculturelle est également d'explorer plusieurs stratégies de construction et de déconstruction identitaires des acteurs en présence, en permettant à la fois la reconnaissance identitaire de l' « autre » et celle de l'intervenant lui-même.
La formation interculturelle semble offrir une voie alternative aux discours officiels qui réactualisent sans cesse l'opposition entre l'ouverture et la fermeture au pluralisme ethnoculturel. Peut-on finalement considérer ces formations comme moteurs d'un changement social, comme nouvelle approche de la diversité culturelle? C'est en tous les cas le discours qui émerge des formations interculturelles mises sur pied à l'heure actuelle et qui s'adressent à un public extrêmement varié. Les intervenants au sein des organismes communautaires et associatifs, dans diverses structures ou institutions de l'État et de la société civile, dans les entreprises, etc... qui sont aux prises avec les défis du pluralisme souhaitent pour la plupart obtenir des réponses concrètes ou plus explicites aux problèmes rencontrés sur le terrain. Il semble en effet que seule une formation interculturelle structurée puisse permettre de modifier les perceptions étayées et encouragées par les discours officiels, par les débats publics, par les médias ou par les expériences personnelles qui ont tendance à mener aux stéréotypes et qui finalement divisent plus qu'ils ne rassemblent les citoyens de diverses origines. Une formation interculturelle, inscrite dans une éthique de l'altérité, pourrait ainsi viser la promotion d'une société pluriethnique inclusive65.
65 Ibid,, p.258.
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I # 3(16) 2014 I