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ФанниДОБИНЬИ /Fanny DAUBIGNY
I Exilic Selves, Surrogate Identities, Remote Spaces. Is there a Human in this Room!
Фанни ДОБИНЬИ / Fanny DAUBIGNY
Лос-Анжелес, США. Университет Калифорнии Фуллертон.
Доктор наук, доцент. Международный координатор по бизнесу
Los Angeles, USA. California State University Fullerton.
PhD. Associate Professor, International Business Coordinator.
EXILIC SELVES, SURROGATE IDENTITIES, REMOTE SPACES. IS THERE A HUMAN IN THIS ROOM?
This paper proposes to re-assess, in the light of the profound ecological, technological and cultural transformations brought about by the anthropocene, the relevance of traditional philosophies of humanism. With ever-shifting concepts of identities, how long will philosophies of the rational subject still prove to be sustainable?
In the wake of post-humanist philosophers such as Clément Rosset (Loin de Moi, 1999) and Jonathan Crary (24/7, Late forms of Capitalism and Sleep, 2013), this study seeks to examine and interrogate the symptomology of a scopic pulse (a sight-dominated zeitgeist) that has profusely pervaded the contemporary discourse of the hard (and the social sciences). The approach of this paper will be multidisciplinary in its scope and will borrow from various areas (neuro-science, technology, philosophy, literature, cinema, psychiatry, economy etc.) to set into a new context the rhetorical question: Is there a human in this room?
To answer this question, one may choose to ask: has the uber-neuronal science fiction woman character Lucy (Besson, 2014) become our new cultural paradigm?
This is your brain on T. V. Watch out.
Key words: Identity, humanism Subjectivity, Philosophy, Gender, Neuro-science, Capitalism
Плененные Самости, суррогатные тождества, удаленные пространства. Есть ли человек в этой комнате?
В статье предлагается по-новому оценить в свете глубоких экологических, технологических и культурных преобразований актуальность традиционной философии гуманизма. Как долго еще может казаться устойчивой философия субъекта в свете постоянно меняющегося концепта идентичности?
На волне постгуманистических философов, таких как Клеман Россе (Вдалеке от меня, 1999) и Джонатан Крейри (24/7 Поздние формы капитализма и сон, 2013) настоящее исследование стремится под микроскопом изучить симптоматику (в духе времени доминирует визуальное), которая обильно пронизывает дух как точных, так и социальных наук. В статье используется междисциплинарный подход, будут использованы различные методы (нейронаука, технология, философия, литература, кино, психиатрия, экономика...), что позволить выстроить новый контекст понимания. Риторический вопрос: есть ли человек в этой комнате? Чтобы ответить на него, можно задасться вопросом, стала ли Люси, персонаж фантастического фильма Люка Бессона, нашей новой культурной парадигмой? Ваш мозг в телевизоре. Будьте осторожны.
Ключевые слова: Идентичность, гуманизм, субъективность, философия, гендер, нейронаука, капитализм
Je, ce pays lointain.
La connaissance de soi est à la fois inutile et in appétissante. 1 Qui souvent s'examine n'avance guère dans la connaissance de lui-même. Et moins on se connait, mieux on se porte.
Clément Rosset
1900-1906, Bruxelles. Indifférence. Inappétence. Résistance. Inintéressé.
Henri Michaux2
1 Clément Rosset., Loin de Moi, Minuit, 1999.
2 Notice biographique rédigée par Michaux lui-même. Henri Michaux, Oeuvres complètes, «Bibliothèque de la Pléiade», Gallimard, 2004.
Quiconque entreprend de poser ou reposer la question du Moi en philosophie, histoire, science ou littérature doit immanquablement convoquer toutes les philosophies ou pensées du sujet qui, de l'humanisme (Descartes, Montaigne, Heidegger 3) au post-humanisme4 en passant par le trans-humanisme 5, à travers les siècles, ont tenté d'examiner de près ou de loin les affres d'une conscience en train de se faire ou se défaire;
3 Martin Heidegger, Les Lettres sur l'Humanisme, Galliamard, 1946.
4 Jean-Michel Besnier, Demain les posthumains: Le futur a-t-il encore besoin de nous ? Fayard, 2010.
5 P. Sloterdijk, Règles pour le parc humain, Mille et Une Nuits, 2000, traduit par Olivier Mannoni.
61 | # 3(16) 2014 | Международный журнал исследований культуры
International Journal of Cultural Research
© Издательство «Эйдос», 2014. Только для личного использования. www.culturalresearch.ru
© Publishing House EIDOS, 2014. For Private Use Only.
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I Exilic Selves, Surrogate Identities, Remote Spaces. Is there a Human in this Room!
Plus proche de nous et inscrit dans le contexte d'une postmodernité, le post-humanisme postule la posture nouvelle d'un ''Je'' multiple, invisible, anonyme, dystopique, atopique, exilé loin d'un moi pour qui la postiche d'un sujet en parfaite maîtrise ne tiendrait plus.
Explorant ces nouveaux territoires d'un sujet en déflagration, le philosophe français Clément Rosset dans son ouvrage, Loin de Moi (1999), établit la carte insolite d'une philosophie du sujet qui se reconnaîtrait davantage dans la marginalité de ses limites plutôt que dans l'édification de son centre.
C. Rosset articule notamment sa pensée autour de trois grands axes qui repensent les fondations traditionnelles des pensées de l'humanisme et que sont: 1) le moi superficiel et le moi profond 2) la sexualité et l'identité (et avec en corolaire, la question du genre) 3) la possibilité d'une humanité élargie au-delà d'un sujet humain.
Cette étude envisagera l'essai de Clément Rosset comme le point d'ancrage d'une réflexion plus large qui portera sur les politiques et esthétiques de l'identité de la fin du XIXième siècle nos jours. Son champ d'investigation sera par nature multidisciplinaire puisqu'elle investira des champs aussi divers que les neurosciences, l'économie, la psychiatrie ou encore le cinéma et les réseaux sociaux. Le but de cette étude sera notamment de réinterroger et de questionner, au travers des transformations récentes de la notion de Sujet, la tradition ancienne des philosophies de l'humanisme.
En épigraphe de son essai Rosset cite Shakespeare: «Nous sommes faits de l'étoffe des songes.» (9)
D'emblée la question est posée: suis-je bien moi? Suis-je bien ce que je pense que je suis? Y-a-t-il un moi intime (profond) qui serait antérieur a un moi social?
Allant à l' encontre d'une philosophie cartésienne qui fonde la réalité du Moi sur un exercice rationnel de la pensée (le Cogito), Rosset préfère la pensée de l'écossais David Hume , qui postule la possibilité d'un sommeil de la conscience et par conséquent un évanouissement de la notion du moi:
''Je ne peux jamais me saisir, moi, en aucun moment, sans une perception et je ne peux rien observer que la perception. Quand mes perceptions sont écartées pour un temps, comme par un sommeil tranquille, aussi longtemps je n'ai plus conscience de moi et on peut dire vraiment que je n'existe pas. '' (14)
Selon Hume, il n'y aurait, en effet, pas de moi, mais seulement des perceptions de qualités ou de sensations du moi, qui varient selon l'état de conscience de la personne. Le principe d'une croyance du Moi qui vacillerait selon la qualité d'une perception sensorielle trouve, par ailleurs, un profond et mystérieux écho dans le roman de Marcel Proust, A La Recherche du Temps Perdu (1918-1922) publié presque deux cents ans plus tard.
Le récit proustien n'est-il pas en effet le grand roman des songes, qui en plaçant au centre de son dispositif narratif un dormeur éveillé, pose à répétition la lancinante question du qui suis-je?
Comment ne pas garder en mémoire les premières pages du roman qui nous placent d'emblée au cœur de la question du sujet en proie au doute identitaire:
Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n'avais pas le temps de me dire: «Je m'endors.» Et, une demi-heure après, la pensée qu'il était temps de chercher le sommeil m'éveillait ; je voulais poser le volume que
je croyais avoir encore dans les mains et souffler ma lumière ; je n'avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j'étais moi-même ce dont parlait l'ouvrage: une église, un quatuor, la rivalité de François 1er et de Charles-Quint. Cette croyance survivait pendant quelques secondes à mon réveil . 6
Omniprésente dans le roman de la maturité comme dans les textes antérieurs constituant la genèse de la Recherche, la croyance d'une réalité du moi fluctuant sous la lampe des perceptions extérieures, repose avec une acuité nouvelle, la question du qui suis-je intimement? Existe-t-il un moi profond (inébranlable) qui précèderait un Moi social ou extérieur?
Pour Michel de Montaigne, dont Proust fut l'un des héritiers, il ne fait aucun doute que la possibilité d'un moi profond et intime et ne tient pas: «notre fait, dit Montaigne dans Les Essais, ce ne sont que pièces rapportées.»7
Quelles soient pièces d'identité, pièces a conviction, rapports, évaluations, comptes rendus ou statistiques, sur ce vaste théâtre qu'est le monde, la pièce rapportée de notre existence, semble être une portion bien congrue: libre ensuite à chacun de vivre cette dépossession d'être comme un enfer (Jean-Paul Sartre) ou un paradis (Clément Rosset).
Rosset poursuit son analyse en affirmant que «dans le terrible bras de fer qui s'engage entre identité personnelle (qui est et qui se croit intégré) et une identité sociale (que tous tiennent pour altérée), c'est naturellement l'identité personnelle qui est la première à craqueler et chez laquelle le doute s'installe d'abord.» (23)
Pour illustrer son argument, Rosset fait référence en particulier à une scène d'un film de Alfred Hitchock, Une Femme Disparaît (Lady Vanishes, 1938). Dans cette scène qui se passe dans la cabine d'un train, une jeune femme, après s'être assoupie se réveille et est persuadée que la femme avec qui elle parlait et qui était assise en face d'elle a disparu. Une enquête alors commence mais sa rationalité va se trouver rapidement mise à épreuve par les autres passagers de la cabine qui affirment n'avoir jamais aperçu cette femme. Indifférence sociale ou intermittence de la conscience? Rosset tranche en posant que l'identité de l'individu cède plus volontiers sous la pression de l'identité du groupe. La thèse de Rosset pourrait d'ailleurs être élargie à tout un pan du cinéma classique américain des années 20-30-40, le genre noir en particulier, dans lequel l'archétype du héros masculin se trouve menacé dans son individualité la plus intime par la force destructrice (sociétale) de la femme fatale. 8
Plus proche de nous, le procès en cours du champion para-olympique Sud-Africain Oscar Pistorius, accusé du meurtre de sa petite amie Reeva Steenkamp, offre une nouvelle illustration de ce bras de fer entre personnalité sociale et personnalité intime; comment la personnalité intime de l'athlète (qui se croit intègre) se craquèle peu-a-peu sous l'œil avide des médias et sous la charge accablante d'une série de pièces conviction.
Le cas O. Pistorius révèle de surcroît un bras de fer supplémentaire entre non seulement personnalité intime vs. sociale mais aussi entre identité mythique (l'athlète occupant dans l'imaginaire collectif le même statut que le personnage de fiction 'Blade Runner' occupe dans le film de Ridley Scott) et identité scientifique établie par les experts. 9
6 Marcel Proust, A La Recherche du Temps Perdu, Gallimard (1987), T. I. p. 3.
7 Rappelons en effet le ton parlementaire du registre emprunté par Montaigne dans les Essais: «Ici n'est qu'un registre des essais de ma vie.» (III, 13).
8 James Maxfield, The fatal woman : sources of male anxiety in American film noir, 1941-1991, Fairleigh Dickinson University Press, 1996.
9 http://www.theguardian.com/world/2014/sep/11/oscar-pistorius-not-
guilty-murder-reeva-steenkamp
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A l'heure de son verdict, le procès Pistorius renforce l'argument établi par Rosset selon lequel l'identité personnelle, prise dans les multiples plis des réseaux d'identités collectives, tout à coup flotte, incertaine et se transforme en une présence «quasi fantomale, une présence qui hante ma personne réelle et sociale, qui rode a proximité mais jamais tangible ni attingible, et qui constitue ce que Mallarmé, dans le premier de ses Contes Indiens, appelle joliment sa «hantise.» (28)
(.. .)L'identité personnelle, poursuit Rosset, est un hôte familier, mais un hôte invisible, ou visible d'un point de vue qui m'interdit de le regarder en face et de pouvoir l'identifier de manière certaine.» (33)
Ce double ou fantôme du Moi,10 par ce qu'il nous échappe, doit par nécessité et par commodité, se transformer pour exister en un objet de représentation, littéraire, cinématographique, scientifique et technique. Bref, plus le moi nous fuit et plus nous sommes dans l'obligation de le représenter et de le donner à soi et aux autres en pâture dans une pure logique de consommation narcissique.
Si le ressort a maintenant été depuis longtemps éculé par les techniques du langage publicitaire, la nouvelle sémantique des réseaux sociaux, et des neurosciences (l'imagerie médicale) nécessite que l'on s'interroge sur les symptômes d'une nouvelle hystérie collective lancée à la recherche nostalgique de son moi.
Les réseaux sociaux
La prolifération exponentielle des réseaux sociaux (Facebook, twitter, linkend, instagram etc) dans nos vies quotidiennes a eu récemment pour but, sinon de prouver leur utilité, de révéler un bien étrange paradoxe: plus le moi se délite et plus nous cherchons à le mettre en scène.
Si Facebook flatte «l'écolier ou l'écolière» en chacun de nous, Instagram pour sa part nous persuade que nous sommes tous devenus artistes quand Twitter nous donne l'illusion de la dissidence politique. Quelle que soit leur fonction, outils de divertissement ou d'information, les réseaux sociaux se présentent comme des espaces hybrides alternant entre information, marketing individuelle, thérapie de groupe, confession privée ou défouloir.bref un véritable dégueuloir11 qui interpellerait sans doute un Gustave Flaubert.
Dans un article récent du NYTMagazine (3 juin 2014)12, le journaliste Tim Wu voit dans l'hyperinflation des représentations du moi sur les réseaux sociaux un signe de déliquescence du lien social sur lesquels on trouverait des identités déballées sur la place publique en perpétuelle négociation.
En poussant l'adage libéral de l'économiste Arthur Laffer, Trop d'impôt tue l'impôt, on s'interroge finalement en se demandant si trop de moi ne tue pas le moi! En effet, il semble que plus le moi s'offre en pâture et plus sa valeur se déprécie, selon les lois mêmes du marché capitaliste qui l'engendre.
Pour exister sur le réseau social, point de salut en effet, si l'on ne possède pas une «identité- logo» aisément identifiable, monnayable et recyclable. On partage, on tweet et re-tweet pour s'assurer une popularité dans le pure style Warhol.de quelques minutes. Aujourd'hui en 2014, l'identité ne se trouve plus dans la poésie des inventaires à la Prévert13 mais se produit en flux tendu, flexible, sans provisions ni stocks pour
10 Antonin Artaud, Le Théâtre et son Double, Gallimard, 1964.
11 Flaubert utilisait la technique du «gueuloir»: il passait toutes ses phrases à l'épreuve du gueuloir pour vérifier la justesse de leur style.
12 http://tmagazine. blogs. nytimes. com/2014/06/03/oversharing-facebook-ins-tagram-whisper-secret/
13 Jacques Prévert, Paroles, Gallimard, 1946.
s'adapter au plus vite aux contraintes d'un marche toujours plus concurrentiel.
Les neurosciences et l'imagerie médicale
A l'instar des réseaux sociaux, une même pulsion scopique semble avoir phagocyté le domaine des sciences ces dernières années; on citera en particulier le domaine des neurosciences et avec elle l'extraordinaire sophistication technique et visuelle de l'imagerie médicale.
Qu'ils soient américains (Brain inititative)14 ou européens (Human Brain Project)15, les grands laboratoires de recherche scientifiques contemporains se sont lancés dans une course effrénée à la poursuite du nouveau graal: le «génome» du cerveau humain. Dans tous les cas ou presque, le nouveau mot d'ordre est devenu le suivant: faire parler le cerveau par l'image. Voir le cerveau penser, disent même certains, comme si notre identité (la souffrance, le désir, la moralité) pouvaient soudainement être réduits à une simple fonction neuronale. La pulsion scopique des laboratoires scientifiques aujourd'hui n'est pas sans rappeler, et non sans ironie, la ferveur des salons de spiritisme de Victor Hugo à la fin du XIXième siècle. 16
Allant à l'encontre de ces théories, la pyschiatre américaine Sally Satel, dans un dernier ouvrage paru en 2013, Brainwashed: the Seductive Appeal of Mindless Neuroscience, s'insurge contre une neuroscience qui aurait littéralement et figurativement perdu son âme. En dénonçant l'étroitesse intellectuelle d'une communauté scientifique (trop politiquement correcte) qui réduirait le complexe du vivant a une simple fonction cérébrale, Pattel réhabilite l'importance des sciences sociales et des humanités dans cette vaste entreprise de compréhension de l'humain.
Le moi en quelque sorte court toujours plus vite que le nous et perpétuellement nous échappe. Plus il s'amplifie et plus nous échappe, et plus nous essayons invariablement, au travers de la science, des techniques, par l'image de le saisir, le plaquer mais aussi l'emprisonner. Depuis la naissance de l'anthropologie Foucaldienne17, le rapport étroit entre pulsion scopique et société de surveillance semble être devenu aujourd'hui le paradigme inévitable de l'étude de toutes les pratiques individuelles et sociales. De très récentes études ont, par exemple, établi un lien étroit entre pratiques individuelles du sommeil et logiques collectives de surveillance capitalistique. 18
La multiplicité du moi
et la question d'une humanité élargie
Que reste-t'il de l'humain? Peut-on encore penser la possibilité d'une identité humaine hors de toute catégorisation ou objectivisation technique et scientifique? Selon le philosophe Jean-Michel Besnier19, l'hypothèse d'une forme élargie de l'humanité, d'une humanité élargie aux animaux, aux clones, cyborgs voire même aux énergies reste, malgré tout, envisageable.
Les récents débats sur la question du genre relancent, par exemple, de manière intéressante la question d'une identité sexuelle au-delà des catégorisations physiologiques traditionnelles.
14 http://www.nih.gov/science/brain/
15 https://www.humanbrainproject.eu/
16 Jean de Mutigny, Victor Hugo et le spiritisme, Nathan, 1981.
17 Michel Foucauld, Surveiller et Punir, Gallimard, 1975.
18 Jonathan Crary, 24/7: Late Capitalism and the Ends of Sleep, Verso, 2013.
19 Notice 4.
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Selon la théorie du genre, l'identité ne se fonderait, en effet, plus sur la détermination physique d'un sexe (male ou femelle) mais à partir d'une pratique culturelle sexuelle qui peut ou pourrait changer tout au cours de la vie. Alors que la détermination sexuelle traditionnelle s'articule autour d'une structuration binaire (féminin vs. masculin), le genre ouvrirait lui la question de l'identité le champ des possibles: hétérosexuel, bisexuel, transsexuel, ubersexuel, metro sexuel etc.
Une multiplicité des genres qui renforcerait en quelque sorte l'argument de Clément Rosset, pour qui:
Toute forme d'homosexualite est toujours plus au moins aux portes de l'hétérosexualité, comme toute forme d'hétérosexualité est toujours plus au moins aux portes de l'homosexualité, — et la vieille guerre, non pas entre les deux sexes, mais entre les deux principales dispositions sexuelles, est une guerre sans objet, ou plutôt sans différend réel." (60)
Dans un autre genre mais illustrant de manière aussi pertinente la possibilité d'une humanité élargie à d'autres formes, le dernier film du réalisateur américain Spike Jonze, Her, met en scène une histoire d'amour originale entre un ghost writer (Joaquin Phoenix) et la voix d'un système informatique (Scarlett Johansson).
Pour la critique, le film de Jonze conforte la thèse qu'il existerait une "surrogate identity", entendons par la "une identite par emprunt ", que l'on louerait pour une heure, quelques mois ou toute une vie; et avec elle en corrolaire, la difficulté non seulement à être mais aussi la difficulté à envisager une relation intime et de confiance avec un être qui, litérale-ment (et non plus seulement figurativement) n'est pas ce qu'il est.
Parmi les nombreuses autres expressions contemporaines de ce que Besnier appelle "humanité élargie ", et peut-être parmi les plus radicales, figurent les formes nouvelles de subjectivité mises en réseau par les services de téléphonie mobile Android.
Conçue à l'origine pour lutter contre le harcèlement virtuel (cyber bullying), l'application telephonique WHISPER permet à son utilisateur de garder l'anonymat (le secret) et de s'exprimer librement sur tous les sujets. A tel point que certains commentateurs parlent d'un nouveau phénomène qui envahirait le net, à savoir le "trolling", (baver littéralement, ce qui en pyschanalyse correspondrait au ça ).
A la mise en scène des identites surfaites et surveillées sur les réseaux sociaux traditionnels, Whisper substituerait une identité bavarde, liquide voire baveuse. Bref, l'identité se figure davantage ici comme une pure énergie dans une totale logique de spontanéité, d'immédiateté non construite. 20 On objectera, cependant, le fait que la nouveauté de ces sites n'est peut-être qu'une vaste entreprise marketing de recyclage de
l'écriture automatique des poètes surréalistes du début du siècle dernier.
***
Quel humanisme nous reste-t-il aujourd'hui? En guise de conclusion, j'aimerais faire deux remarques à propos de l'observation de deux phé-nomèmes culturels récents en Europe et aux U. S. A: le transexuel autrichien Conchita Wurtz et la célébration d'un marriage gay à New York aux U. S. A.
Que l'on soit fan ou non du concours Eurovision, chaque saison du festival semble apporter son lot de surprises. Cette année ce fut le(la)
20 http://tmagazine.blogs.nytimes.com/2014/06/03/oversharing-face-book-instagram-whisper-secret/
drag queen Conchita Wurtz qui fut l'heureux gagnant. Interrogé par la presse, Conchita Wurtz (dans l'état civil Mr. Tom Nurwitz) aime se définir non comme transexuel mais comme homosexuel. Propos relayés par son styliste Yohai Mevorach de Conchita qui, quant à lui, affirme que ce n'est ni le sexe ni le genre qui définit l'identité de Conchita mais en fait un détail capillaire, ''sa barbe'': «La barba es la sena de identidad de Conchita.»21
Surnommé «la femme à barbe» dans la presse française, le drag queen autrichien malgré l'inventivité de la posture --de la postiche, me semble paradoxalement plutôt que déconstruire, réactualiser les stéréotypes classiques d'identification identitaire par le sexe: conchita (petite vulve) réactualisant le mythe de la femme passive et wurtz (saucisse) le mythe du mâle libidineux. Si la barbe peut un instant troubler les esprits et les genres, l'imaginaire de la femme barbue réactive quant à lui, le mythe du 'freak of nature', (caprices de la nature exhibés sur les places publiques au Moyen-Age en Europe) qui exclurait toute normalité en dehors d'une normativité prescrite par le binarisme féminin/masculin.
Le mariage homosexuel
La question homosexuelle aux Etats-Unis, au sein des communautés homosexuelles elles-mêmes, semble chercher ces dernières années, (après les crispations identitaires des années 80-90 et la revendication du même (entendons par la, désir du «même», same-sex)), à s'émanciper de la question du genre et paradoxalement retourner, elle aussi, au clivage traditionnel du féminin et masculin. Si certains pourront voir dans ce retour aux valeurs traditionnelles, la dernière version d'un néo-puritanisme, il est intéressant de noter que la revendication du même, d'une même identité, y compris au sein d'un couple homosexuel, s'est affaiblie. Qu'il soit en fait homosexuel ou hétérosexuel, l'union de deux individus exige la nécessité d'une différenciation sexuelle:
La publication dans le New York Times du faire-part de mariage d'un couple homosexuel semble venir parfaitement illustrer cette thèse:
They call it same-sex marriage, but I'm with someone who's completely different to me, different in a way that fits me perfectly. I finally actually understand what the good bit about straight marriage is, the good bit about how a man and woman bring different things to the table. 22
A la suite de ces observations, on pourra donc affirmer sans hésitation que la question de l'humanisme reste pour les chercheurs, philosophes, artistes ou homes de science, un vaste terrain en friche, riche en nouvelles experimentations et découvertes.
Osons seulement espérer que le monde de demain nous permettra de continuer à cultiver le champ de nos identités à l'ombre du tout économique et de ses logiques trop souvent réductrices et homogénéisantes.
Osons, enfin et surtout, anticiper la possibilité d'une Eve Future23 dont le vaste territoire de facultés et émotions humaines persistera à venir troubler la perfection technique de cartes neuronales rendues trop pratiques et trop lisses. 24
21 http://www.efe.com/efe/noticias/espana/gente/barba-sena-identi-dad-conchita-wurst-dice-peluquero/1/29/2317087
22 http://www.nytimes.com/2014/06/08/fashion/weddings/two-paths-to-the-same-destination.html
23 Auguste De Villiers De L'isle-Adam, l'Eve Future, Gallimard, 1993.
24 Lucy comme doyenne du futur et héroïne du dernier film de Luc Besson (2014).
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