Научная статья на тему 'Practice as the basis for and the subject matter of theory'

Practice as the basis for and the subject matter of theory Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

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Текст научной работы на тему «Practice as the basis for and the subject matter of theory»

Вестник Московского университета. Сер. 22. Теория перевода. 2016. № 3

Michel Ballard,

Université d'Artois, unité de recherche: Textes & Cultures: EA 4028

LA PRATIQUE, BASE ET OBJET DE LA THEORISATION

Il existe chez certains un préjugé qui consiste à opposer théorie et pratique comme appartenant presque à deux domaines différents: la théorie, prenant de la hauteur et de la distance avec la réalité dont elle voudrait rendre compte, ou sur laquelle elle voudrait réfléchir, semble parfois finir par décoller de cette réalité et perdre contact avec elle au point de paraître tourner sur elle-même et ne pas servir à grand chose sur le plan pratique. C'est un peu la question de ce hiatus plus ou moins apparent dont il s'agit de traiter aujourd'hui. Quel lien y a-t-il entre la théorie et la pratique? Ou peut-être faut-il dire, comme semble l'indiquer le titre que j'ai proposé: quel lien établir entre théorie et pratique?

1. Une déductibilité historique

Un regard sur l'histoire de la traduction nous montre que la naissance de la réflexion sur cette activité est intimement liée à sa pratique, et surtout à la comparaison du texte origine avec sa traduction et que, de plus, cette réflexion est comme attisée ou motivée par le désir de justifier sa traduction.

C'est sans doute chez Cicéron que perce le moins d'inquiétude et que l'on trouve aussi le moins de théorie. Son pseudo-texte théorique1 est celui qui a été le plus cité ou invoqué au cours de l'histoire de la traduction précisément parce qu'il se dégage des contingences linguistiques et ouvre la porte à la liberté du traducteur en matière d'action.

Antérieure à Cicéron mais moins souvent évoquée, il y a la fameuse Lettre d'Aristée, que l'on peut considérer comme étant le premier paratexte de l'histoire de la traduction et de la traductologie. On voit d'ailleurs très bien à quel point, via ce texte, théorie et pratique sont liées dès l'Antiquité pour défendre la qualité d'une traduction par un exposé de sa méthode. Il s'agit en fait d'un paratexte complexe puisqu'il existe sous plusieurs formes qui révèlent des conceptions très différentes.

Dans une des versions les plus récentes, celle remaniée par Philon d'Alexandrie, la traduction des septante est validée comme étant l'œuvre de Dieu lui-même puisque tous les traducteurs, placés dans des cellules séparées, ont produit le même texte, comme travaillant sous la

1 Cf. la critique que j'en fais dans De Cicéron à Benjamin, pp. 40-41.

dictée d'un invisible souffleur; Dieu s'autotraduit et ce faisant souligne l'impureté de la traduction humaine qui ne peut être que discordance. L'autre version de la lettre n'est pas moins intéressante car elle représente une avancée sur le plan théorique, c'est-à-dire de la conceptualisation de la théorisation: la traduction est bonne parce qu'elle est une traduction aboutie par accord entre les traducteurs, mais encore une fois par un écrasement des individualités: la bonne traduction est un travail de groupe, grégaire, social.

La perversion de l'élément humain réapparaît fortement dans l'épisode de traduction de la Bible gravitant autour de saint Jérôme. L'examen de son entreprise révèle, aujourd'hui, grâce à la traductologie, une configuration beaucoup plus complexe que celle que les acteurs impliqués ne pouvaient avoir. Lorsque le pape Damase 1er confie à Jérôme une traduction-révision de la Bible en latin, il y a le désir d'uniformiser et de vérifier un ensemble de textes connus sous le nom de Vetus Latina, avec à l'arrière-plan une certaine méfiance quant aux risques de déviations dogmatiques possibles.

L'étude des textes, la comparaison de la Septante avec les textes hébreux, amène Jérôme à porter un jugement sur cette traduction et à décider d'en entreprendre une nouvelle; le comportement de Jérôme est celui d'un humaniste en quête d'une éthique de la traduction. Il va se heurter à l'opinion publique, à la tradition; Augustin l'informe que les fidèles sont troublés par sa nouvelle traduction et lui conseille fortement de ne pas s'écarter de la Septante.

Les attaques dont Jérôme avait été l'objet à propos d'une autre traduction (assez rapide) l'amènent à s'exprimer plus longuement sur la traduction et à produire la fameuse Lettre à Pammaque, qui est fondatrice en matière de traductologie. Il estime tout d'abord qu'il existe des manières de traduire différentes selon les types de textes. Il y a très nettement chez Jérôme la conscience de la nécessité de passer du mythe de l'identité formelle que l'on tente de préserver pour les textes sacrés à une conception de l'équivalence dans la différence: "Il est malaisé quand on suit les lignes tracées par une autre, de ne pas s'en écarter en quelque endroit; [...]" [Jérôme in Ballard, 2007: 48]. Il situe sa manière et ses arguments par rapport à des prédécesseurs: Cicéron, Horace, Térence, Ménandre, et même Hilaire le confesseur; et surtout, il donne des exemples abondants et précis qui révèlent sa culture dans ce domaine, et constituent les premiers commentaires de traduction sur un corpus.

L'exploration de la différence dans l'équivalence mettra longtemps à se faire de façon systématique. Ce que les préfaces du Moyen Age et de la Renaissance nous apportent ce sont des remarques d'ordre ponctuel concernant quelques difficultés ou le rappel de mots d'ordres souvent dérivés des déclarations de Cicéron ou d'Horace. Le soi-disant traité

d'Etienne Dolet semble bien mince et général; il apparaît tout au plus comme une charte ou une esquisse.

Il faut attendre le XVIIe siècle pour voir se préciser en France la théo-risation et ce à partir du comparatisme; j'en donnerai deux exemples.

Le premier est le discours (De la traduction) de Bachet de Méziriac prononcé en 1635 devant l'Académie française et dans lequel il s'en prend à la traduction des Vies des hommes illustres de Plutarque par Amyot, qui était alors considérée comme un chef-d'oeuvre en la matière. De Méziriac l'attaque au nom de l'inexactitude et présente sa critique d'Amyot avec une rigueur qui fait de son travail la première analyse d'erreur scientifiquement présentée. Son discours offre une classification rigoureuse des erreurs d'interprétation ou de manipulation des formes qui vont créer une déformation du sens, chaque catégorie est clairement présentée et illustrée d'exemples. Le discours de Méziriac vient à un moment où la France va opter pour un mode de traduction qui ne se soucie guère de la comparaison avec l'original. Les belles infidèles sont le triomphe de la traduction naturalisation et n'ont que faire du rappel ou de la présence de l'original. Elles visent à le supplanter sous une autre forme, pour une autre époque.

Dans ces conditions, c'est à la périphérie des milieux littéraires, dans le domaine de la didactique que s'élabore plutôt une théorisation fondée sur le comparatisme. C'est en 1660 que Gaspard de Tende publie les Règles de la Traduction. Il s'agit d'un tournant dans le domaine de la réflexion sur la traduction et de son rapport à la pratique. Jusque-là les traducteurs se tournent vers une autorité prestigieuse telle que Cicéron ou saint Jérôme; à partir de Gaspard de Tende, on se tourne, comme pour la grammaire, vers l'usage. Le caractère révolutionnaire de son traité réside dans sa démarche, qui est éminemment scientifique: il a choisi des extraits des meilleures traductions de l'époque, il les observe et en dégage des règles de traduction fondées sur la récurrence. Il ajoute même à cela des traductions moins réussies qui lui permettent de présenter par comparaison ce qu'il ne faut pas faire.

On retrouve un état d'esprit analogue chez Tytler qui estime que la critique de traduction peut servir de base solide à une théorie susceptible d'être utile à la pratique; et qu'il convient d'utiliser les traductions défectueuses comme repoussoir de ce qu'il ne faut pas faire et pour permettre de mieux apprécier les réussites.

Au siècle suivant l'utilisation de la critique de traduction comme base d'une action future devient même la motivation essentielle d'un auteur comme Matthew Arnold qui estime qu'il est possible de rendre service aux traducteurs, de leur épargner des pertes de temps, en leur indiquant les écueils auxquels se sont heurtés leurs prédécesseurs ainsi

que les véritables objectifs qu'un traducteur d'Homère doit se fixer. [Arnold in: Ballard, 2007: 241].

Plus près de nous, un traductologue comme Nida, qui a consacré sa vie à former les traducteurs bibliques en élaborant une théorisation à visée didactique, estime que l'un des moyens les plus sûrs d'améliorer les compétences du traducteur, outre la pratique, est: "de faire le commentaire critique de bonnes et de mauvaises traductions d'un même texte et d'aider les stagiaires à identifier les réussites et les insuffisances de leurs propres traductions" [Nida, 1996: 113].

C'est avec la seconde guerre mondiale que l'on voit se poser de façon plus aiguë le problème de la formation des traducteurs et interprètes à une plus grande échelle en raison du développement des relations et des institutions internationales. Le développement de la traductologie n'y est pas étranger dans la mesure où il a relancé le problème de l'analyse scientifique du phénomène de traduction et par là même de l'utilisation des découvertes de la théorie à des fins didactiques. Mais c'est aussi là que les choses se sont corsées; on s'aperçoit que s'est vite posé un problème de droit et de compétence, en même temps que de méthode. Les linguistes ont voulu intégrer la traductologie dans leur giron et les professionnels, en particulier en France au niveau de l'ESIT, ont voulu s'en dégager.

2. Les contemporains développent une traductologie

qui s'éloigne de l'empirisme

Pour certains, la traductologie serait née dans les années 70 avec la création du terme par le Canadien Brian Harris et le développement des études en tous genres sur la traduction. La création d'un néologisme tel que 'traductologie' donne le sentiment de nommer une réalité neuve et de participer à la naissance ou à la mise en place d'un domaine d'étude nouveau et donc d'une démarche inédite.

Ce sentiment, un traductologue comme Mounin l'avait eu au début des années soixante lorsque, élaborant sa thèse et la plaçant sous l'égide de la linguistique, il déclarait que: "Jusqu'à ces dernières années [...] la traduction restait un secteur inexploré, voire ignoré" [Mounin, 1963: 10].

Cette déclaration peut surprendre de la part d'un auteur, qui cinq ans auparavant avait publié, avec Les Belles Infidèles, un ouvrage qui était nourri de nombreuses références à des écrits tirés de l'histoire de la traduction. Dans le constat de prétendu vide traductologique qu'il établit dans Les Problèmes théoriques, tout au plus évoque-t-il, comme une longue palinodie, la liste d'auteurs anciens tels que Cicéron, saint Jérôme, Etienne Dolet, pour mieux les rejeter dans les ténèbres de l'empirisme:

[...] dans le meilleur des cas, ils proposent ou codifient des impressions générales, des intuitions personnelles, des inventaires d'expériences et des recettes artisanales. En rassemblant, chacun selon son gré, toute cette matière, on obtient un empirisme de la traduction, jamais négligeable, certes, mais un empirisme [Mounin, 1963: 12], (c'est moi qui souligne).

Cette rupture avec le passé, cette thèse quasi-négationniste de la tra-ductologie, est dommageable à plus d'un titre: elle tend à occulter les sources d'une réflexion qui n'est pas née par miracle sous l'effet d'une science moderne telle que la linguistique et elle nous prive de repères et de points de comparaison.

En fait, les déclarations de Mounin en tête de sa thèse comportent plusieurs dangers:

- la négation du passé de la traduction et de la réflexion qui n'a cessé de s'en dégager sous des formes diverses, que j'ai évoquées dans ma première partie avec de Méziriac, Gaspar de Tende, Tytler, Arnold, et les préfaces des traducteurs;

- un risque de rupture avec le monde des professionnels;

- une mise à l'index de l'empirisme.

Ce terme est polysémique et possède pour l'une de ses acceptions des connotations négatives telles que l'approximation, l'absence de hauteur, de hauteur et de rationalité. Je prends pour ma part l'empirisme au sens de méthode, réflexion qui s'appuie sur l'expérience; la compétence possède une part d'innéité, elle se construit aussi et de manière en partie structurée à partir de l'expérience; l'investigation de la compétence ne peut se faire que sur pièces, a posteriori.

La rupture avec les professionnels a été consommée avec la création des écoles de traducteurs et la génération de théories se démarquant de la linguistique et même de la prise en compte des langues pour une théori-sation de la traduction: il n'est que de voir le tour qu'a pris la théorisa-tion à l'ESIT en France. Marianne Lederer dans son ouvrage sur La Traduction aujourd'hui, paru en 1994, déclare: "Pour étudier le processus de la traduction sur le plan théorique, il est important d'écarter les problèmes d'ordre linguistique et de postuler une connaissance des deux langues telle que la traduction n'accuse pas d'erreurs sur ce plan» [Lederer, 1994: 33] (c'est moi qui souligne); son objet, exposé dans son avant-propos est de produire: "un ouvrage consacré au processus de la traduction et à son caractère universel indépendant de la paire de langues concernées ou de l'oeuvre d'un auteur particulier. Il s'agit de montrer que la démarche du bon traducteur est fondamentalement la même, quelles que soient les langues, quel que soit le texte en cause. La recherche du sens et sa réexpression sont le dénominateur commun à toutes les traductions" [ibid: 9].

Cette désaffection pour la prise en compte des textes traduits comme base d'étude de la traduction est perceptible également à des degrés divers dans les autres théories de la traduction contemporaines: théorie du Skopos, qui fait la part belle à la réception; théorie du polysystème, qui donne la priorité aux luttes entre systèmes. Ce que je voudrais faire dans la suite de cet exposé c'est proposer une démarche qui réconcilie la théorisation avec l'action du traducteur, combler ce hiatus qui semble exister par exemple entre la linguistique et les autres théorisations évoquées: théorie interprétative, skopos, polysystème.

Le problème avec la traductologie c'est que, pendant des siècles, on s'est tourné vers des figures mythiques (Cicéron, Jérôme) pour recevoir des ordres (ou trouver des justifications) concernant la manière de traduire et non pas la manière de réfléchir sur la traduction et de la comprendre. Le statut second de la traduction a longtemps empêché son étude aux dépens de la défense d'une manière de traduire: défense des belles infidèles au nom de la langue et du style; défense du littéralisme au nom de la fidélité; défense du littéralisme au nom de la fidélité et de la préservation de l'étranger; rejet du littéralisme au nom de la communication et de la lisibilité; prise en compte des formes et de leur importation au nom de la création. Nous avons ainsi une succession de modes (en apparence contradictoires) qui sont plus des prises de position sur la manière de traduire que des investigations de l'opération elle-même. La force centrifuge de la traductologie a même généré un autre corps de doctrines (la théorie des polysystèmes) qui se détachent des textes et des opérations pour ne pratiquement plus s'intéresser qu'aux conditions d'apparition ou de réception de la traduction et nous faire perdre de vue que la traduction est une opération motivée par l'existence de langues différentes.

Les théories de la réception, et en particulier les théories du Skopos, estiment que l'essentiel n'est plus la fidélité au texte de départ mais la relation au public d'arrivée et la fonction du texte. Outre le fait que cette théorisation revient à proposer sous un autre habillage les principes des 'belles infidèles', position que l'on a le droit de défendre mais que l'on ne saurait ériger en canon suprême, il est assez totalitaire de jeter le discrédit sur la notion d'équivalence et le désir, légitime, de comparer le texte traduit à l'original. La notion d'équivalence, que certains ont tenté d'évacuer, est un élément fondamental de la traduction aussi bien au niveau de la production que de l'évaluation : comment juger de la qualité d'une traduction sans faire intervenir sa relation à l'original tout autant que sa relation à la culture d'arrivée ou au public?

La traduction est plurielle et il est normal qu'une certaine dose de pluralisme apparaisse dans les études traductologiques, mais il convient de ne pas perdre de vue que la traduction est une opération sui generis

et qu'en tant que telle elle requiert, ou devrait générer une démarche sui generis pour son étude: au cœur de la traduction il y a le travail du traducteur et celui-ci porte sur des langues, des textes. C'est ce travail du traducteur, rattaché aux paramètres sociolinguistiques qui le génèrent ou l'enserrent, qui me semble de façon naturelle être un objet d'étude central pour la traductologie.

3. Sphères

La traduction a besoin d'être décrite par rapport à des sphères d'existence, la notion de sphère reflétant une occupation plus généreuse de l'espace que le cercle, bidimensionnel et plat. Ces sphères sont emboîtées les unes dans les autres avec des zones de contact, d'influence et de réaction. C'est pourquoi je présenterai ces sphères en allant de l'extérieur vers l'intérieur, au centre se trouvant l'agent de la traduction: le traducteur.

La sphère externe

La sphère externe est contextualisante, c'est là que se situent les pouvoirs politiques, économiques et intellectuels; c'est de là que vient la décision de traduire. L'idée que la décision de traduire puisse venir du traducteur est un leurre car en fin de compte sa décision ne pourra aboutir que s'il a l'aval des autorités qui lui permettront de publier sa traduction. Le contexte de naissance d'une traduction est celui d'un champ où il y a un besoin reconnu et attesté par une autorité. La traduction est un service que demande une entreprise, un individu social, le plus souvent en tant que représentant d'un groupe.

La sphère externe ne contient pas que le pouvoir de décision, elle contient la mémoire collective, les normes concernant l'écriture et éventuellement les normes de traduction. Le passé fonctionne, selon les individus et les sociétés, comme autorité ou comme repoussoir: les traducteurs ne cessent au cours de l'histoire de se référer à Cicéron; les belles infidèles serviront de repoussoir au XVIIIe et XIXe siècles pour promouvoir des traductions plus littérales dont on voit les avatars aujourd'hui avec la traduction éthique de Berman.

Le traducteur, lorsqu'il aborde un texte, est pris au moins dans deux contextes croisés: le type de texte auquel appartient l'objet de sa traduction (roman, théâtre, etc.) et l'œuvre de l'auteur. Le traducteur, de façon consciente ou non (mais sa formation doit aiguiser sa conscience) reçoit des signaux, des informations, qui vont guider sa démarche et ses choix.

La sphère médiane

La sphère médiane est d'ordre phénoménologique, elle est celle où se situent les langues et les textes.

Les langues constituent un donné, la matière dont sont faits les textes. Le traducteur doit connaître les langues sur lesquelles il travaille. Elles représentent un potentiel de dire que la théorisation peut explorer via la linguistique contrastive. La linguistique contrastive ne va pas donner des solutions toutes prêtes mais des bases de travail. La langue figure dans les textes sous forme actualisée en parole d'un point de vue scriptural, comme écriture, comme style. Là aussi la théorisation peut constituer une préparation à l'identification des styles et à leur reproduction.

Les textes figurent dans cette sphère à des degrés divers selon le moment de réalisation de la traduction. Le texte de départ, l'original, figure là (comme donnée) avec une valeur forte puisqu'il est la référence; l'autre texte selon le moment est en devenir ou achevé. C'est là qu'on se rend compte à quel point la terminologie est importante et que mal conçue elle peut provoquer une mauvaise description du phénomène. On a vu se développer depuis quelques années une terminologie qui parle de "texte cible", or cette appellation risquerait de faire croire que l'on vise un texte préexistant. Le texte traduit est un aboutissement, et un aboutissement provisoire car susceptible de retouches et de retraduction dans le cas des textes littéraires, religieux, philosophique.

C'est dans cette sphère que se situent les textes: l'original auquel a accès le traducteur et sur lequel il va travailler; la traduction produite que le lecteur va lire. Le traductologue réunit ou non ces textes selon son option de traductologie; la traductologie réaliste réunit et confronte les textes dans la mesure où l'un des textes est dérivé de l'autre, la traduction est en relation d'hypertextualité avec son original, ne pas envisager la nature de cette relation constitue une occultation de l'une des caractéristiques fondamentales de la traduction.

La sphère nodale

La sphère nodale est celle où se situent les réseaux de capacités humaines (émotions, raisonnements, mémoire, instincts, sensations) qui président à l'exécution de l'acte de traduction (comme de tout acte, d'ailleurs, à cette différence près que la description de l'acte de traduction fait intervenir la sphère externe où se situent les langues et les textes).

Cette sphère est constituée par des savoirs dormants dépendant de la mémoire et de leur convocation par le désir d'agir du traducteur.

Le comportement du traducteur est régi par la volonté, la conscience et l'instinct. La rapidité d'action dépend de la réactivité et de la capacité

à mettre en œuvre une compétence, qui est un savoir-faire intériorisé. L'intériorisation de ce savoir-faire dépend d'une expérience qui est forcément limitée. La capacité à faire face à des situations nouvelles dépend d'une faculté d'adaptation spécifique qui est celle de trouver des solutions. Il est évident qu'un individu ne peut faire dans sa vie professionnelle l'expérience de toutes les situations: la formation professionnelle via la théorie peut permettre d'intégrer des expériences diverses et surtout elle peut permettre de le faire dans un cadre global de description et d'explication où des liens sont établis entre les expériences et les procédures. Une part de la formation professionnelle se nourrit des comptes rendus d'expériences que sont les articles ou les préfaces des traducteurs; elle se nourrit des analyses produites par les 'théoriciens' positionnés dans des champs de réflexion différents. Ce sont la formation théorique générale et la connaissance de l'histoire de la traduction qui permettent à l'étudiant de porter un regard critique et d'intégrer ces comptes rendus dans un schéma réflexif global.

La sphère nodale où se situe la compétence du traducteur est un lieu de coexistence de qualités de nature presque contradictoire qui donnent à la traduction son caractère paradoxal: l'individualisme et le conformisme. Les sphères d'existence de la traduction ont des points de contact: la sphère externe impose des directives de façon claire et ouverte (conditions économiques, ordres du commanditaire), elle imprime aussi des manières de penser ou de faire la traduction selon la doxa, les normes, cet ensemble de pratiques constitue l'habitus du traducteur; il en est plus ou moins conscient. Par ailleurs, la personnalité du traducteur se manifestera de façon plus ou moins forte au niveau de choix d'expression (et parfois d'interprétation) par rapport à la norme ou à un autre individu. Il convient d'intégrer tous ces éléments pour avoir une vision réaliste de la traduction et donc une théorisation (réaliste) panoramique et ouverte.

Proposition de démarche théorique réaliste

Une démarche théorique réaliste se doit d'intégrer tous ces éléments au risque de produire une vision déformée de l'objet d'étude. Les perspectives herméneutiques, communicatives et linguistiques proposent une vision essentiellement "interne" du processus de traduction (saisie, interprétation et reformulation du sens), alors que les perspectives culturelles et socio-sémiotiques se cantonnent à une perspective "externe" (c'est-à-dire, de la traduction-processus en tant que médiation socioculturelle, et de la traduction-produit en tant qu'insertion dans une culture).

Perdre de vue le cadre général des sphères d'existence de la traduction pour la décrire à des fins scientifiques, didactiques ou profession-

nelles, c'est s'exposer au risque de produire une vision déformée de l'objet d'étude. Dans ce schéma global, la sphère nodale et la sphère d'influences et de patrons, sont des sphères communes à d'autres activités que la traduction; c'est dans la sphère phénoménologique que se manifeste la spécificité de la traduction avec ses realia, c'est donc elle qu'il faut prendre pour base d'étude du phénomène en sachant qu'il va falloir faire intervenir les autres sphères dans l'étude du phénomène, mais comme éléments constituants et non comme éléments centraux.

Il est nécessaire de prendre en compte la matière servant de support à la traduction, parce que la traduction, comme l'écriture (comme la sculpture avec ses modelages préparatoires) est un travail sur un matériau spécifique: les langues dans leur contribution à l'écriture d'un texte. Cela ne signifie pas que la traduction est simplement une opération sur les langues en tant que telles; elle concerne le discours produit à l'aide des langues; la traduction est un phénomène portant sur les textes et c'est la nature du texte, sa lecture, son écriture, qu'il faut faire intervenir dans l'analyse, or l'analyse ne peut s'effectuer qu'à partir des instruments que sont les langues et des réalisations que sont les textes. Cette finalité textuelle de la traduction pose, entre autres, les limites de l'approche linguistique et c'est en partie ce dont je traiterai dans la dernière séquence de mon exposé.

Démarche et instrument

La traductologie que je pratique est fondée sur l'observation des textes traduits et de leurs originaux, parce que je suis persuadé qu'une science (et une science n'est pas forcément exacte: elle doit intégrer des marges d'incertitude ou admettre des limites) doit reposer sur l'observation du réel. Ce cadrage 'matérialiste' ne signifie pas bien entendu l'oubli ou l'occultation des paramètres de production des textes de départ et d'arrivée, bien au contraire. Et surtout cette étude, est en fait une interrogation menée sur l'action du traducteur.

L'étude de la traduction sur corpus part d'un résultat: le texte traduit juxtaposé à l'original. Le texte traduit, qui, d'extérieur et pour le lecteur moyen, se donne comme un texte à lire, au même titre qu'un texte rédigé dans sa langue est en réalité un texte stratifié qui renferme, pour le chercheur (et pour certains lecteurs critiques), les traces du travail du traducteur. Ce travail est fait d'une série d'opérations qui commence par la lecture et l'interprétation d'un texte origine et qui se poursuit avec des opérations de transfert linguistique et culturel auxquelles se mêlent ou se succèdent des opérations de négociations et d'aménagement; il convient enfin d'y adjoindre des opérations d'écriture et de créativité plus ou moins poussées.

Ce sont les traces de ce travail que le traductologue va devoir identifier et interpréter; il se pose en effet un problème d'identification car ces traces sont un observable qui se donne de façon plus ou moins directe: les différentes opérations ne sont pas identifiables forcément dans l'ordre où elles ont été effectuées et requièrent un travail d'observation et d'analyse qui vise à les reconstituer par déduction. Le travail du traducteur peut se décomposer en unités de travail qui constituent des unités de traduction mais en surface (dans les textes) l'observable en traduction est constitué d'une mosaïque de ressemblances et de différences dont les composantes, les faces signifiantes, s'organisent en schémas d'équivalence, qui sont la base d'observation du traductologue "réaliste".

4. Exemple d'application de la méthodologie réaliste

à la recherche

J'ai mené cette exploration sous la forme d'une série de séances de travail avec un groupe d'étudiants de master2. L'objet d'étude fixé a été "la proposition relative" comme base de traduction de l'anglais au français.

La base intersystémique: cours de grammaire et linguistique

Je suis parti de ce que l'on trouve dans les livres de grammaire et les ouvrages de linguistique: une description interne du système de la relative anglaise et les propositions d'équivalences pour le français. Ce qui ressort de ce genre de cours c'est qu'il y a des équivalents dans les deux sens et que la traduction d'une langue vers l'autre, si on analyse correctement les éléments impliqués, donne lieu à des équivalences intersys-témiques qui sont de l'ordre de la traduction littérale, ou presque: à une relative correspond une relative.

L'observation de la réalité de la traduction

En réalité, la pratique de la traduction amène déjà les étudiants à constater ce dont il va être question ci-après, mais de façon sporadique, désordonnée. L'étudiant qui traduit se rend compte (ou parfois ne se rend pas compte) qu'il ne peut se contenter d'appliquer ses connaissances grammaticales et que des relatives du texte anglais ne correspondent pas forcément à des relatives dans le texte français. Mais la traduction, qui demande un certain rythme et une concentration sur la production, n'encourage pas la collecte immédiate de données de cette

2 Une description plus détaillée de cette expérience sera publiée en Italie, à Milan, dans le cadre des travaux du Do.Ri.F., sous le titre: "Des langues aux texte: entre système(s) et écriture(s)".

sorte; c'est pourquoi il faut pratiquer le commentaire de traduction pour prendre conscience des équivalences indirectes que l'on est amené à établir et remonter aux opérations de traduction qui les ont générées, autrement dit il s'agit d'intellectualiser ses propres actes instinctifs ou ceux de professionnels dont on observe les productions.

J'ai donc proposé aux étudiants l'observation de la traduction des relatives introduites par un pronom relatif courant comme which dans les quatre premiers chapitres du roman d'Orwell, Animal Farm (traduction de Jean Quéval, édition Folio).

Tout d'abord il a fallu établir des statistiques dans le texte anglais et dans la traduction, ce qui a donné les résultats suivants:

Occurrences de relatives introduites par which: 42

Traductions par relative: 17

Traductions obliques: 25

Ce qui signifie que plus de la moitié des relatives du texte anglais n'est pas traduite par des relatives. Par ailleurs, l'analyse de ces résultats pose des problèmes de terminologie et de méthode: on notera que je n'ai pas utilisé l'appellation de traduction littérale pour désigner l'ensemble des relatives traduites par des relatives; pourquoi? Parce qu'elle se révèle inadéquate pour rendre compte véritablement du phénomène observé: certaines sont vraiment littérales parce qu'elles ont la même syntaxe, alors que d'autres ont une syntaxe interne modifiée, j'utilise donc le terme de "traduction mimétique» pour désigner la traduction d'une relative par relative; à l'intérieur de cette catégorie, il y en a de littérale et d'autres qui ont une syntaxe aménagée. Par exemple:

- traduction mimétique aménagée a minima, pour des raisons qui tiennent aux spécificités des langues, dans la phrase suivante le passage du passif à l'actif à l'intérieur de la relative:

He took them up into a loft which could only be reached by a ladder [Orwell: 32].

Il les remisa dans un grenier où l'on n'accédait que par une échelle [Quéval: 41]

- traduction mimétique aménagée pour des raisons stylistiques diverses, elle s'éloigne davantage du littéralisme et fait intervenir la créativité:

You cows that I see before me, how many thousands of gallons of milk have you given during this last year? And what has happened to that milk which should have been breeding up sturdy calves? [Orwell: 9]. // Vous, les vaches là devant moi, combien de centaines d'hectolitres de lait n'avez-vous pas produit l'année dernière? Et qu'est-il advenu de ce lait qui vous aurait permis d'élever vos petits, de leur donner force et vigueur? [Quéval: 13].

La traduction littérale (pratiquée par rapport à une traduction aménagée ou oblique) est un auxiliaire d'évaluation en traductologie réaliste, elle permet d'évaluer la nécessité des 'écarts' de la traduction réalisée; voici une proposition de traduction littérale:

Et qu'est-il advenu de ce lait qui aurait dû produire des veaux vigoureux?

Le choix du traducteur, ici, a été de modifier l'écriture de la relative en lui donnant un tour moins impersonnel qu'en anglais où le procès ("élever") est envisagé uniquement par rapport au "lait", qui est le sujet: en introduisant le pronom "vous" et le possessif "vos", Jean Quéval accentue la fonction incitative de la question posée par Old Major, en favorisant le point de vue des vaches comme mères.

On notera qu'à ce stade je fais intervenir une notion étrangère à la linguistique, à savoir la notion d'écriture, qui est à la langue dans l'écrit ce que la parole est à langue dans l'oral. L'écriture est l'action de produire du discours écrit en vue de constituer un texte et en la matière (qui est l'agencement des éléments de la langue), les choix personnels sont aussi importants que les règles de la langue et du discours.

Observation des unités à reformulation non-mimétique

Si l'on observe les traductions obliques, on constate qu'elles ont des formes assez diverses: participe passé (1), participe présent (2), segmentation (3):

(1) At one end of the big barn, on a sort of raised platform, Major was already ensconced on his bed of straw, under a lantern which hung from a beam [Orwell: 5]

Lui-même était déjà confortablement installé à l'une des extrémités de la grange, sur une sorte d'estrade (cette estrade était son lit de paille éclairé par une lanterne suspendue à une poutre) [Queval: 8]

(2) The two horses had just lain down when a brood of ducklings, which had lost their mother, filed into the barn (7) // A peine les deux chevaux s'étaient-ils étendus sur la paille qu'une couvée de canetons, ayant perdu leur mère, fit irruption dans la grange (9)

(3) His answer to every problem, every setback, was "I will work harder! " — which he had adopted as his personal motto (27). // A tout problème et à tout revers, il opposait sa conviction: "Je vais travailler plus dur". Ce fut là sa devise (35).

De même que les traductions littérales, elles admettent des variantes, que l'on peut pratiquer dans le sens de la littéralité pour voir dans quelle mesure la traduction oblique se justifiait. L'observation analytique amène à dégager trois cas de figure:

- la traduction littérale est plus lourde, ce qui signifie que la traduction oblique (par participe) a été pratiquée pour des raisons stylistiques, c'est le cas de l'exemple 1: "une lanterne qui était suspendue à une poutre"

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- la traduction littérale est tout aussi acceptable, l'utilisation de la traduction oblique est donc un choix (optionnel) du traducteur:

Muriel, the goat, could read somewhat better than the dogs, and sometimes used to read to the others in the evening from scraps of newspaper which she found on the rubbish heap (30). // Edmée, la chèvre, s'en tirait mieux qu'eux. Le soir, il lui arrivait de faire aux autres la lecture de fragments de journaux découverts aux ordures (39). [trad. litt.: qu'elle avait trouvés sur le tas d'ordures]

- la traduction littérale est acceptable, mais la traduction oblique est prise dans un travail de réécriture plus vaste qui dénote un choix marqué de la part du traducteur:

On Sundays there was no work. Breakfast was an hour later than usual and after breakfast, there was a ceremony which was observed every week without fail (28)

Le dimanche, jour férié, on prenait le petit déjeuner une heure plus tard que d'habitude. Puis, c'était une cérémonie renouvelée sans faute chaque semaine (36)

Voici une traduction plus littérale:

Le dimanche, on ne travaillait pas. On prenait le petit déjeuner une heure plus tard que d'habitude et après le petit déjeuner il y avait/ se déroulait une cérémonie qui revenait invariablement chaque semaine.

Si on compare ces deux traductions, on constate que le traducteur resserre le texte:

- il supprime des répétitions lexicales (le petit déjeuner) et grammaticales (there was/on)

- il enchâsse la proposition (there was no work) sous forme d'apposition créative sur le plan lexical ("jour férié")

- il enchâsse les deux premières propositions: On Sundays there was no work. Breakfast was an hour later than usual.

L'étape suivante consiste à s'interroger sur la nature de la génération des traductions obliques, s'effectue-t-elle au hasard? Existe-t-il un rapport, et de quelle nature entre les relatives et leurs traductions obliques.

Structuration du champ de la reformulation non-mimétique

Si l'on observe plusieurs corpus on constate que les traductions obliques de la relative anglaise en français sont récurrentes: participes,

adjectifs, apposition, autres propositions. Cette récurrence est l'indice de l'existence d'une motivation, d'une déductibilité, que nous pouvons rattacher à un principe général qui est celui de paraphrase.

Pour moi, en traduction, la paraphrase est une variété de reformulation visant à reproduire le sens d'un énoncé sous une forme différente plus ou moins déduite de l'original sur le plan formel. La distance formelle entre les énoncés en relation de paraphrase constitue, en partie, un indice de la créativité du traducteur. La traduction oblique analytique est une forme de paraphrase déductible sur le plan formel.

L'observation de la traduction oblique analytique des relatives permet de constater qu'elle s'opère selon deux grandes catégories de schémas de paraphrase: une partie des transformations est paradigmatique l'autre syntagmatique, par exemple ci-dessus le cas de la segmentation3 ([cf. Versus 2, Ballard, 2004], chapitre 18 pour une présentation plus détaillée des schémas de transformation paradigmatique et syntagma-tique et de leur fonctionnement).

Le schéma transformationnel paradigmatique est le schéma de traduction oblique le plus fréquent pour les relatives adnominales (déter-minatives et descriptives); il est l'application à la traduction d'un schéma de paraphrase observable au niveau intralinguistique, celui de l'expansion du SN.

L'expansion du SN peut prendre la forme d'une relative, qui est la forme longue, la forme d'insertion des formes plus courtes telle que l'apposition, le syntagme adjectival ou un nom adjectivé; les autres formes de l'expansion sont le syntagme prépositionnel, la proposition conjonctive, le génitif; l'ensemble de ces formes constitue le paradigme de l'expansion.

La particularité des éléments d'information investis dans une expansion est leur capacité à passer dans une autre des formes constituant le paradigme ; cette transformation, en principe, préserve le sens mais produit des éléments n'ayant pas la même valeur ou le même effet stylistique: par exemple, en français une relative pourra être perçue comme longue ou lourde alors qu'une forme adjectivale pourra alléger le style.

Conclusions concernant l'application méthodologique

Les langues sont un donné et j'ai pris la relative comme base de départ pour l'étude. Cette forme existe dans les deux langues et j'ai montré que les descriptions données par les ouvrages de linguistique et les

3 His answer to every problem, every setback, was "I will work harder! " — which he had adopted as his personal motto [Animal Farm: 27] // A tout problème et à tout revers, il opposait sa conviction: "Je vais travailler plus dur". Ce fut là sa devise [Trad. Quéval: 35].

grammaires sont axées sur les systèmes et que le type d'étude qui y est menée fait apparaître des différences systémiques utiles pour l'apprentissage des langues mais insuffisantes (et même inadéquates) pour rendre compte de la traduction.

L'observation de la traduction d'un corpus témoin fait apparaître que le traducteur ne suit pas des schémas de reformulation mimétique à 100 %, pour des raisons personnelles parfois (qui révèlent la subjectivité du travail de traduction) mais aussi pour des raisons stylistiques qui tiennent à l'écriture d'un texte et aux normes, plus ou moins claires, de constitution du discours d'arrivée.

L'observation des solutions adoptées fait apparaître que même lorsqu'elles ne sont pas mimétiques elles ne s'effectuent pas au hasard. Chaque solution fait partie d'une unité de traduction au cœur de laquelle il y a des schémas de paraphrase fonctionnant selon divers principes: celui de la définition et de la génération onomasiologique pour les relatives à fonction nominale, celui de la commutation fonctionnelle pour les relatives à fonction d'expansion nominale et enfin celui du désen-châssement pour les relatives à fonction de commentaire phrastique (cf. note 2) pour ne citer que les principaux schémas.

On voit ainsi se confirmer que la traduction est un travail de réécriture à visée identitaire mais forcément décalée sur le plan formel par les exigences des langues, les exigences des commanditaires ou des cercles générateurs de normes et de comportements, les nécessités de la réécriture ainsi que les choix, les options et la créativité (plus ou moins forte) du traducteur.

Conclusion générale

La théorie est nécessaire en tant qu'activité humaine de retour sur soi et d'intellectualisation de l'acquis. Elle revêt des formes diverses qui vont du simple au complexe et dont la relation à la pratique est plus ou moins étroite.

Ses formes immédiates sont la justification et l'évocation de problèmes spécifiques liés à une traduction particulière; elle est d'abord, de façon naturelle, le fait des traducteurs en liaison avec leur travail. Cette démarche réactive débouche sur la conscience de problèmes liés au rendu du texte original et à la mise en évidence de manières de traduire et de principes de traduction.

La théorie franchit un palier lorsqu'elle prend de la hauteur et s'efforce de donner une vue large des problèmes spécifiques. La théorie, comme la pratique, est dépendante de l'état des connaissances, de la réflexion sur le langage, les langues, les productions orales et écrites selon leur genre; elle est donc évolutive car portée par une époque.

L'utilisation de la théorie à des fins pratiques se pose dans le domaine de la didactique et de la formation des traducteurs. Elle suppose l'élaboration d'un cadre théorique, d'une terminologie et d'une transmission de savoir tout autant historique que pratique via une traductolo-gie appliquée.

La théorie est nécessaire dans et pour la formation du traducteur afin de lui donner une vue large des champs de l'activité qu'il va exercer. Un individu ne va pas refaire le parcours de l'humanité, pas plus qu'il ne fera toute l'expérience des autres. L'échange d'expérience peut se faire dans les colloques et les tables rondes; c'est aussi la raison d'être des revues de traduction où les individus font part de leurs expériences et de leurs découvertes lorsqu'ils sont chercheurs.

Le besoin d'une réflexion théorique globalisante, en phase avec la réalité et les grands problèmes de la traduction n'apparaît véritablement qu'au XVIIe siècle; auparavant les traités sont plus partiels. La nécessité de la théorie est apparue avec plus de force encore après la seconde guerre mondiale avec le souci de former les traducteurs et le développement conjoint de la traductologie. L'intérêt pour la traduction a généré une croissance exponentielle de la réflexion et de la théorisation, certaines théories étant plutôt exogènes et d'autres endogènes. Cette prolifération est parfois source de perplexité et le formateur, tout autant que le futur traducteur, a besoin de se former le jugement pour s'y reconnaître.

La pierre angulaire de la théorisation tout comme de l'évaluation de la traduction est le commentaire de traduction appliqué aux textes ou à l'exploration d'un problème dans le cadre plus vaste de corpus de textes traduits; ce n'est que de cette manière, par un processus d'observation et de généralisation que l'on peut prétendre aboutir à des constats qui ne sont pas forcément des théorèmes mais des protocoles d'action étayés par des preuves et ouverts à l'évolution.

La formation du jugement est un objectif aussi important que la formation en langues ou dans un domaine de spécialité, et c'est ce qui doit ressortir et rester d'une formation théorique tout autant qu'une culture de la traduction. Même si la formation du traducteur va faire intervenir l'expérience des autres, la mémoire de solutions trouvées et analysées, l'application qu'il en fera ne sera pas mimétique mais dialogique, en fonction des problèmes auxquels il est confronté. L'acte de traduire s'effectue d'instinct, s'il ne veut pas être gauche ou empêtré dans des algorithmes contraignants, mais avec un instinct affiné, éclairé par une expérience qui a été transmise de façon intelligente pour l'aider à faire face aux difficultés; c'est alors, dans les difficultés, dans les moments de ralentissement du débit de production que le contact se rétablira de

lui-même avec la formation reçue ou bien encore dans ces moments où

il faut justifier ce que l'on a fait par rapport à un donneur d'ordre ou à

ses collègues.

Bibliographie références

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Ballard, Michel. Versus (vol. 1). Repérages et Paramètres, Paris: Ophrys, 2003, 283 p.

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Corpus

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Orwell, George. La ferme des animaux, traduit de l'anglais par Jean Quéval (1981), Paris: Folio, 1983.

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