Научная статья на тему 'MAX WEBER ET LES RITES CHINOIS: UNE CRITIQUE MéTHODOLOGIQUE'

MAX WEBER ET LES RITES CHINOIS: UNE CRITIQUE MéTHODOLOGIQUE Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

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Ключевые слова
КИТАЙ / ИСТОРИЯ / РИТУАЛ / МЕТОДОЛОГИЯ / CHINA / HISTORY / RITUALS / METHODOLOGY

Аннотация научной статьи по языкознанию и литературоведению, автор научной работы — Blitstein P. A.

In the 20th century, Max Weber’s sociology of domination has been very influential, and his insights on Chinese society have been greatly appreciated in the scholarly world. My text intends to measure the appropriateness of a weberian notion such as “charisma” to explain the social legitimacy of the literati’s prestige in the first centuries of the Empire. If the knowledge of rites, one of the main sources of literati’s social prestige, was just one element among others to actualize the charisma of the literati, how can we explain the imperial discourses – such as that of the Xunzi – that tend to rationalize the social utility of rites? What sorts of problems does this “ritual rationality” imply for weberian sociology of domination? Without attempting to arrive to a definitive conclusion, my objective is to show an example of the aporias which can be produced by an uncritical application Weber’s ideas to the study of imperial China.

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Текст научной работы на тему «MAX WEBER ET LES RITES CHINOIS: UNE CRITIQUE MéTHODOLOGIQUE»

P.A. BLITSTEIN

INALCO-CEC (Paris, France) UNSAM-CEMECH (Buenos Aires, Argentine)

Max Weber et les rites chinois: une critique methodologique

Des connaissances qui faisaient partie indispensable de la formation du lettre1, les rites constituaient l’une des plus importantes, non seulement pour la place qu’ils occupaient dans les affaires de la cour, mais aussi - et surtout - pour leur fonction d’element organisateur de la vie sociale. Temoignage de cette importance des rites est le Liji ou Memoire des Rites2, qui enregistre aussi bien des rituels de cour que des rituels a accomplir dans la vie quotidienne : reception d’hotes, rencontre entre les deux sexes, etc.3 La connaissance des rites - une connaissance «litteraire» dans le sens ou elle exigeait une comprehension des textes rituels canoniques - etait pour le lettre l’une des sources principales de son prestige : en effet, c’etait aussi dans cet aspect-la qu’il avait un role unique, soit dans la cour, ou il savait comment regler et mettre en pratique l’enorme quantite de rites d’Etat, soit dans le village, ou il pouvait conseiller sur les rites a suivre lors des evenements majeures de la vie des personnes (mariage, deces, etc). La connaissance des rites etait donc une source de legitimite pour la position privile-giee que le lettre occupait dans la Chine imperiale.

Cependant, la legitimite de la position du lettre - c’est-a-dire, dans des termes plus weberiens, la legitimite du type de domination qu’il exergait4 -pose par soi-meme un probleme fondamental : pourquoi la connaissance des rites avait-elle un tel prestige? Quelle etait l’importance des rites pour la societe imperiale, en particulier dans ses premiers siecles de vie, qui faisait que le lettre les considere comme l’accomplissement de sa formation (v. [14, «Quanxue», vol. 1, p. 11]), et qu’il y trouve une source de legitimite sociale? Une des reponses les plus elaborees a cette question a ete sans doute l’analyse que Max Weber a faite de la figure du lettre. C’est a cause de l’importance de cette analyse, surtout dans le plan methodologique, que nous proposons de la reviser dans les paragraphes qui suivent ; mais nous ferons aussi une critique des points de vue de Weber, non seulement du contenu, mais aussi, quoique d’une fagon plus nuancee, de l’application de sa methode d’analyse a la Chine

© Blitstein P.A., 2010

ancienne. Notre critique reprend l’approche d’Arnold Zingerle, qui fait une critique - weberienne elle-meme - des travaux de Weber (v. [9])5.

Pour Weber, la legitimite du statut superieure du lettre avait sa source dans le charisme que ses connaissances rituelles et litteraires (surtout litteraires) lui conferaient. Weber l’explique de cette fagon-ci : «Dans la tradition la plus ancienne deja, les ecrits anciens passaient pour des objets magiques et les experts en ecriture pour des porteurs de charisme magique. Et, comme nous le verrons, les choses n’ont pas change. Leur prestige ne tenait pas a un charisme de pouvoir magique, mais a la connaissance de l’ecriture et de la litterature comme telle et, peut-etre a l’origine, a des connaissances astrologiques. (...) Outre la connaissance de l’ecriture comme moyen de connaitre la tradition, la connaissance du calendrier et des astres et, surtout, celle des dies fasti et des dies nefasti etait necessaire pour elucider la volonte du Ciel et il semble, dans tous les cas, que la position des lettres se soit developpee aussi a partir de la dignite d’astrologue de cour. Connaitre cet ordre qui est important au plan rituel (et certainement aussi, a l’origine, pour les horoscopes) et, en fonction de cela, conseiller les pouvoirs politiques habilites, tel etait ce que les experts en ecriture et eux seuls etaient en mesure d’accomplir» [7, p. 164]. C’etait donc la solidarite entre ses connaissances litteraires et rituelles qui permettaient au lettre d’acquerir un prestige, non seulement aux yeux de l’empereur, qui avait besoin de ses conseils pour corriger sa conduite rituelle, mais aussi « aux yeux des masses chinoises », pour lesquelles «il etait un porteur eprouve des qualites magiques» [7, p. 187]6

C’est significatif que Weber ait fonde sur le charisme la legitimite du statut social du lettre. Le charisme est, tel qu’il le definie, «la qualite extraordinaire (...) d’un personnage, qui est, pour ainsi dire, doue de forces ou de caracteres surnaturels ou surhumains ou tout au moins en dehors de la vie quotidienne, inaccessible au commun des mortels» [8, vol. 1, p. 320]. Dans le cas du lettre, ses connaissances litteraires et rituelles feraient de lui cet homme extraordinaire, presque surnaturel, qui ne peut que susciter l’admiration et la reverence des hommes ; mais en meme temps, il s’agirait d’une forme de domination «moins rationnelle» par rapport a la forme rationnelle ou legale de domination7. Mis a part sa formation bureaucratique specialisee, ou il y aurait des elements de rationalisation pratique (v. [7, p. 177]), Weber refuse au lettre chinois toute forme de rationalite «legale» dans les fondements de son autorite et prestige social, et reduit donc sa legitimite a une forme moins rationnelle de domination.

Mais cette analyse presente plusieurs problemes, meme - comme le remarque Arnold Zingerle - du point de vu strictement weberien. Bien que Weber ait compris - malgre son manque de sources - l’importance des rites et de la litterature dans la formation du lettre, Arnold Zingerle demontre avec un argument tres clair qu’il n’a pas poursuivi son analyse jusqu’aux dernieres consequences. En effet - dit Zingerle - si l’education du lettre avait comme but, d’apres Weber, d’«eveiller» un charisme (v. [7, p. 177]) (meme si ce n’etait pas toujours possible de l’eveiller) et si ce charisme faisait partie constitutive de la position du lettre-fonctionnaire, il faudrait donc tirer la consequence que le charisme du lettre etait un charisme routinise (veralltaglicht), qui ne pouvait

plus etre considere l’exception mais la regle de sa position (v. [9, p. 91-92]). Apres la routinisation de son charisme, le lettre pouvait etre charismatique face aux «masses chinoises» du fait de sa formation distincte, mais le charisme en tant que tel, en tant que «qualite extraordinaire» de la personne, ne devait plus constituer la legitimite de son «type de domination». Le charisme n’ etait plus «une qualite de la croyance en la legitimite dans laquelle le systeme de domination s’appuie», mais est devenu «une qualite de l’organisation qui garantie le fonctionnement [du systeme]» [9, p. 92]8. En d’autres termes, Zingerle interprete que le charisme du lettre n’est plus a la base de sa legitimite, mais plutot le fondement du fonctionnement du systeme bureaucratique dans lequel le lettre trouve sa legitimite sociale: il s’agirait de la routinisation d’une idee et d’un comportement charismatique qui, avec le temps, aurait fagonne un systeme duquel le lettre en est une partie essentielle9.

La critique de Zingerle va encore plus loin. Comme le charisme du lettre ne pouvait etre qu’un charisme routinise, comme le charisme n’etait plus, en fin de comptes, la source de sa legitimite, il ne reste que deux autres options de legitimite dans le systeme weberien : «Avec la routinisation [du charisme]», dit Zingerle, «le centre de gravite de la legitimite se deplace a la ‘tradition’ ou a la ‘loi’» [9, p. 91]. En effet, c’est Weber meme qui dit que «la domination charismatique, qui n’existe pour ainsi dire, dans la purete du type ideal, que statu nascendi, est amenee, dans son essence, a changer de caractere : elle se traditionalise ou se rationalise (se legalise), ou les deux en meme temps, a des points de vue differents» [8, vol. 1, p. 326].

Or, si ce n’est pas le charismatique, quel est donc le type de domination qui correspond au lettre? Est-ce le type «legal» - la seule forme de domination qui a un caractere vraiment rationnel - ou le «traditionnel»? On serait tente de penser que c’est la tradition, c’est-a-dire, la «croyance en la saintete de traditions valables de tout temps» [8, vol. 1, p. 289], qui donne au lettre sa legitimite, en particulier en ce qui concerne ses connaissances sur des formes «vides»10 comme le sont les formes rituelles. Le lettre serait convoque a un poste, admire, etc., a cause de sa maitrise de formes inveterees qui remontent aux anciens sages : voila ce qui garantirait son prestige. Mais cette interpretation porte un defaut fondamental: elle part des apparences exterieures de l’histoire chinoise, sans faire attention, comme l’exigeait Weber, au sens vise de l’activite sociale. Car en effet, la pratique rituelle, surtout a la fin des Royaumes Combattants (453-221) et plus particulierement avec la consolidation de l’empire des Han (206a.C. - 220 d.C.), a ete soumise a un processus de rationalisation tres sophistique qui ne peut pas etre deduit du poids de la «tradition». Ce sens donne par le sujet a sa propre ac-tivite sociale doit etre etudie dans un cas particuliers, historiquement defini. Pour cette raison, nous proposons de reprendre un texte fondamental dans la formation du discours imperial sur les rites, le Xunzi11, qui dans deux de ses chapitres - la «Discussion sur les rites» et «Enrichir le pays» - expose une theorie rationnelle sur la fonction des rites. Et on verra d’ailleurs que, a moins qu’on prenne le terme «legal» dans un sens large, le caractere rationnel de l’existence et de la connaissance des rites etait la base du type de domination exerce par le lettre, sans que cette domination ait pour autant un caractere «legal».

Voici quelques passages significatifs:

«D’ou proviennent les rites? Je dis: des qu’il nait, l’homme a des desirs, et si ses desirs n’ont pas de satisfaction, il ne peut qu’en exiger. Mais si ses exigences n’ont pas de mesure ni de limite, l’homme se trouve forcement dans la lutte: la lutte produit le desordre, et le desordre la pauvrete. Comme les rois de l’antiquite haissaient le desordre, ils instituerent les rites et le sens du juste pour separer les hommes, nourrir leurs desirs et leur offrir ce qu’ils exigeaient» [14, «Lilun», vol. 2, p. 346].

«Qu’il y a des rites, cela veut dire qu’il y a une difference de rang entre le noble et le meprisable, qu’il y a une distinction entre l’aine et le puine, que le pauvre et le riche et le negligeable et l’important ont ce qui est approprie [selon leur statut]. Pour cette raison, le fils du Ciel s’habille avec une robe rouge avec des dessins de dragon et un bonnet mian; les feudataires s’habillent avec une robe noir avec des dessins de dragon et un bonnet mian; les daifu, avec une robe de deuxieme rang et le bonnet mian; et les shi, avec un uniforme et un bonnet bian de fourrure. La vertu doit etre appropriee a la place assignee, la place assignee doit etre appropriee aux emoluments, les emoluments doivent etre appropries a la fonction. Tous les rangs superieurs a partir du shi doivent etre regules avec les rites et la musique, et le masses controlees avec la loi et les regles» [14, «Fuguo», vol. 1, p. 178].

A^4, fll, llf^o

A£*^te; W^#, ^T£**№; MAS#,

«Toute vie humaine se passe en communaute. Mais si la communaute n’a pas de distinctions [entre ses membres], surviennent les luttes, le desordre et la pauvrete. Ainsi, s’il n’y a pas de distinctions, c’est un grand dommage pour l’homme, et s’il y en a, c’est le benefice essentiel sous le Ciel. Le souverain est le centre de la regulation de ces distinctions» [14, «Fuguo», vol. 1, p. 179].

Loin d’ etre des formes qui tirent leur prestige de la tradition, les rites se montrent ici, dans le cadre d’une anthropologie pourrait-on dire «hobbesienne», comme la consequence necessaire de la vie en communaute. Face au danger de la guerre de tous contre tous pour la satisfaction des besoins, les rois de l’antiquite auraient cree les rites pour marquer les differences entre les membres de la communaute: des differences non seulement de titre, mais aussi d’emoluments, de fonction et de quantite d’articles somptuaires a montrer en public. Il s’agit d’une notion des rites completement differente de celle, par exemple, de l’eglise catholique: les rites, comme on l’a dit, se ressemblent plus a l’idee de «norme de conduite» qu’a l’idee religieuse de communion avec la divinite (bien que ce sens se trouve compris dans le mot chinois que nous traduisons par «rites», le mot li }i). Quant a ceux qui ne participent pas a ce systeme rituel, les «masses», ils «doivent etre controles par la loi et les regles».

Ce discours sur les rites et sur leur fonction va a l’encontre de tout caractere «charismatique» de la legitimite sociale du lettre. Si dans la dynastie des Han le lettre tirait une partie de sa legitimite sociale de sa connaissance des rites, ce n’ etait pas a cause du «charisme» que lui conferait cette connaissance, mais plutot parce qu’il pouvait justifier avec un discours rationnel, fonde sur des arguments aussi bien pratiques que speculatifs12, les conduites rituelles convenables a chaque position sociale. Le caractere rationnel de ce discours a une explication historique. A l’epoque dans laquelle ce texte a du etre ecrit - la periode des Royaumes Combattants - le systeme rituel de Zhou (1046a.C.? -221a.C.) etait en declin Ce declin accompagnait la decomposition plus vaste de la forme «feodal» d’organisation socio-politique, qui commengait a etre remplacee par une forme bureaucratique centralisee et eloignee de plus en plus du ritualisme. Dans ce contexte, les defenseurs d’un systeme rituel comme Xunzi (et comme les ru en general) ont du fonder rationnellement - et non par reference a une tradition en voie d’extinction - la necessite des rites. En d’autres mots, si la connaissance des rites est devenue une partie essentielle de la legitimite sociale du lettre dans la Chine imperiale, c’est a cause de la rationalite dans laquelle cette connaissance s’est fondee depuis les Royaumes Combattants13.

Ce discours est d’autant plus «rationnel» qu’il se rapproche des deux formes de rationalite propres du type de domination legal: la rationalite en valeur et la rationalite en finalite. En effet, bien que l’attribution de privileges entre les difer-ents rangs dans le texte du Xunzi soit basee sur une hierarchie arbitraire de titres, et bien que la difference de systeme etablie entre ceux qui sont au-dessous et ceux qui sont au-dessus du shi ait un limite egalement arbitraire, il faut dire qu’il s’agit d’une hierarchie fondee sur des valeurs. C’est a partir de la consideration qui correspond a tel ou tel dignitaire selon son rang que les biens symboliques et materiels sont attribues: il s’agit d’une organisation rationnelle de la distribution de ces biens en suivant des valeurs determinees sur le merite de chacun. Mais si cette distribution est faite selon une rationalite en valeur, les rites en soi memes sont congus comme des activites rationnelles en finalite: ils ont le but d’eviter la guerre de tous contre tous. Et si la reference aux rois de l’antiquite semble justi-fier les rites avec une reference a la tradition, cette reference n’est pas le fonde-ment de l’argumentation (comme le serait dans le cas d’une legitimation par tradition), mais est au contraire un appui supplementaire de l’argumentation (les rois de l’antiquite auraient compris rationnellement l’utilite des rites). Ce qui implique que la reproduction de l’activite rituelle telle qu’elle a ete creee n’est pas une repetition aveugle des commandements du passe, mais plutot la reproduction constante du but rationnel - deja present dans la creation - d’eviter les conflits14.

Si la connaissance des rites devait se trouver au fondement de la legitimite sociale du lettre, ce n’etait pas a cause du «charisme» qu’il l’en tirait, mais plutot du caractere rationnel que cette connaissance avait aux yeux des Chinois du debut de l’ere imperiale. Les ressemblances entre la conception chinoise des «rites» et notre conception de «loi» est frappante, surtout du fait que les rites sont aussi des normes et des regles de conduite. Mais la difference entre le contenu «plein» des dispositions legales et le «vide» des formes rituelles (telles que les explique Leon Vandermeersch15) suffit pour ecarter la rationalite rituelle

de la rationalite legale. Ainsi, le type «rationnel - legal» de domination de Weber ne saurait pas rendre compte de la rationalite specifique des rites, dont la legitimite n’est ni legale, ni traditionnelle, ni un melange des deux16. C’est vrai que Weber insiste sur le fait que les types ideaux sont des constructions methodologiques qui n’existent pas d’une fagon «pure» dans la realite17; mais meme du point de vu strictement methodologique, aucun des trois types ideaux de domination - le charismatique, le rationnel - legal et le traditionnel - servirait a decrire la specificite de la rationalite des rites; le plus proche, le rationnel-legal, ne sert pas non plus a rendre compte de cette specificite.

Faudrait-t-il donc abolir la methodologie weberienne ou creer un nouveau type ideal specifique pour le processus de rationalite qui a donne origine au systeme chinois des rites? Une solution - weberienne - possible a ce probleme serait de ne pas construire le type ideal de domination rationnelle a partir du concept de «loi». Cela permettrait d’inclure d’autres formes de rationalites non-legales qui s’appuient neanmoins sur des activites rationnelles en valeur et en finalite.

Notes

1 Je parle ici du «lettre» de la meme fagon que Yu Yingshi parle du shi ±

dans son livre Shiyu Zhongguo wenhua (Le shi et la culture chinoise) (v. [15]), c’est-a-dire, comme un «type ideal» weberien qui, bien qu’il corresponde a l’auto-representation de cette couche sociale, a pris des formes historiques concretes tres diverses, plus ou moins eloignees du «type ideal» (voir, par exemple [15, p. 99]).

2 Selon le recit traditionnel (v. [13, juan 32, p. 925]), le premier compilateur serait Liu Xiang SiJ[h| (77-6 a.C.), qui aurait repris des textes ecrits par les disciples de Confucius. Ensuite le texte aurait ete remanie par Dai De et puis par Dai Sheng

Pour une discussion plus precise sur les questions de compilation et datation de ce texte, v. [5, «Li chi», p. 294 et ss.] .

3 Voir, par exemple, le chapitre «Quli» (Petits Rites) pour les rituels quotidiens et le chapitre «Yue ling» (Commandements mensuels) pour les rituels mensuels a accomplir par la cour. Sur le lettre et les rites, voir [15, p. 118-119] ; pour une synthese de la position sociale et les activites du ru M dans differents cadres politiques et sociales (le village, la cour, etc.) avant la dynastie des Han et dans les Han anterieurs, voir [1, p. 50-51].

4 Lorsque je parlerai de la «position» et du «prestige» social du lettre, je ne ferai pas forcement reference a sa Herrschaft («domination» ou «autorite»), que Weber definie comme «la chance, pour des ordres specifiques (ou pour tous les autres) de trouver obeissance de la part d’un groupe determine d’individus» [8, vol 1, p. 285]. Mais en meme temps, la position et le prestige s’appuient sur une legitimite, et c’est le caractere de cette legitimite ce qui determine en meme temps la forme de Herrschaft du lettre (v. [8, vol. 1, p. 289]). C’est pour cette raison que la question sur la legitimite du prestige et de la position sociale sera en meme temps une question sur le type de domination qui lui correspond.

5 Un ouvrage plus general sur le charisme, avec des contributions diverses, est [2].

6 Nous nous limiterons dans ce travail a discuter la theorie du caractere charismatique du type de domination du lettre, en particulier en ce qui concerne ses connaissances rituelles. Pour cette raison, toute autre problematique (comme l’acquisition du charisme a travers la formation litteraire, beaucoup plus importante pour Weber que les rites) ou toute erreur ponctuelle dans les affirmations de Weber ne seront pas traitees ici.

7 Weber explique de cette fagon la rationalite specifique du charisme, opposee a celle de la domination bureaucratique (type pur de la domination legale - rationnelle): «La domination bureaucratique est specifiquement rationnelle en ce sens qu’elle est liee a des regles analysables de fagon discursive, la domination charismatique est specifiquement rationnelle en ce sens qu’elle est affranchie de ces regles» [8, vol. 1, p. 323]. Mais cette rationalite de la domination charismatique est toujours inferieure a la rationalite de la domination legale (appelee aussi, et non par hasard, «rationnelle»): «L’administration purement bureaucratique (...) est, de toute experience, la forme de pratique de la domination la plus rationnelle du point de vu formel» [8, p. 297-298]. Ce n’est pas ici le lieu d’exposer les idees de Weber sur le developpement de cette forme de domination en Chine. Il faut seulement dire que, du fait que le charisme aurait occupe une place importante dans la selection des candidats pour l’administration, Weber ne voit pas un developpement completement rationnel de la bureaucratie chinoise. Or, comme on verra plus bas, le probleme de Weber etait qu’il ne pouvait pas concevoir dans le type de domination bureaucratique une rationalite differente de la «legale». Cette rationalite differente est precisement celle qui se trouve a la base des connaissances rituelles du lettre.

8 Cfr. [8, vol. 1, p. 326].

9 Cette interpretation du charisme des idees ou de pratiques comme source d’un developpement historique, implicite chez Weber, se trouve aussi chez, par exemple, Stefan Breuer, qui utilise le concept de «charisme de la raison» pour expliquer le developpement historique du monde moderne. Voir le chapitre «Der Charisma der Vernunft» dans [2, p. 159-181].

10 Voir Leon Vandermeersch, «Ritualisme et Juridisme», dans [6, p.143, p. 209220]. Le rituel quotidien de la salutation, par exemple, est une forme «vide», parce qu’elle n’a pas de contenu (c’est en soi un acte de «pure forme»). La figure legale du «contrat», par contre, est une forme «pleine», parce qu’elle a un contenu saisissable et transposable a des actions qui ont des formes differentes (mais qui ont le sens de «contrat»).

11 Le Xunzi est un ouvrage compile par Liu Xiang (77-6 a.C.) qui rassemble les ecrits de Xunzi (ou Xun Kuang, 310-238 a.C.). Pour une etude sur le texte et une traduction en anglais, v. [3].

12A la difference de ce que dit Weber (voir [7, p. 186-187]), la rationalite chinoise n’ etait pas seulement de caractere pratique, mais aussi speculatif. Cette erreur de Weber doit etre attribuee a son manque de sources.

13 Les textes cites du Xunzi representent un moment fondamental dans la formation de ce discours sur les rites. Et comme preuve de la prolongation de ce discours dans la dynastie des Han, on pourrait citer la monographie sur les rites du Shiji, qui reproduit presque litteralement des passages du chapitre «Discussions sur les Rites» du Xunzi (cfr. [12, juan 23, p. 1161]). Et - ce qui est encore plus important -cette conception peut etre retrouvee partout dans le Liji (Memoire sur les Rites).

14 C’est vrai que les rites, comme le dit Leon Vandermeersch (v. [6, p. 143]), privilegient la forme sur la finalite. Mais cette affirmation peut etre precisee. Dans le passage cite du Xunzi, la creation des rites est congue comme une activite rationnelle en finalite : ils ont ete crees et sont reproduits pour eviter la guerre. Tres peu reste donc d’une legitimation des rites par la tradition: s’il y reste des arguments avec une allure de tradition («les rois de l’antiquite les ont institues»), ce n’est que comme

appui a la rationalite en finalite de l’activite rituelle. En effet, dans une epoque ou les traditions s’ecroulaient, ou les references legitimes se multipliaient et dispersaient selon la region et le souverain et ou le legisme s’imposait, seul un discours fonde dans une telle rationalite pouvait etre persuasif (surtout dans le cas de Xun Kuang, un «lettre itinerant» (youshi ^±) a la recherche d’un souverain qui veuille mettre en pratique ses idees). Or, la creation mythique des rites par les rois de l’antiquite doit etre consideree une activite rationnelle en finalite plus pure que la mise en acte de ces memes rites. En effet, la mise en acte des rites a comme but la mise en acte par soi meme (du fait qu’elle reproduit des formes plus ou moins videes de sens) et a aussi comme but, en meme temps, la conservation de l’harmonie sociale. «Privilegier la forme sur la finalite» voudrait dire, dans le cas du Xunzi, que les formes deviennent une finalite en soi, et qu’elles ont aussi une finalite exterieure. Telle rationalisation du formalisme rituel n’implique pas la perte ni de la finalite de l’activite sociale ni de sa rationalite.

15 Voir le chapitre «Ritualisme et Juridisme» de [6, p. 209 a 220, et supra, note 19].

16 On pourrait penser que la legitimite des rites a un caractere legal et traditionnel a la fois: l’element traditionnel apporterait les formes, l’element legal sa rationalisation en finalite. Sans doute, ces deux elements sont presents dans la legitimite des rites; mais leur combinaison n’arrive pas a expliquer les mecanismes specifiques de la rationalite rituelle. D’abord, l’element traditionnel est bouleverse pour le simple fait que les formes sont rationalisees en soi memes: il y a des formes plus «appropriees» que d’autres a telle ou telle situation; cela est evident, par exemple, dans la reforme rituelle entreprise par Shusun Tong MWsM- au tout debut des Han Anterieurs, qui «coupe» consciemment avec la tradition en essayant de recuperer l’essentiel (v. [10, juan 43, p. 2127]). Et l’element legal, present dans le fait que les rites sont aussi des regles a suivre, trouve ses limites dans le manque de contenu des formes rituelles (voir supra, note 14). Ni la «tradition» ni la «loi» sont deja visibles dans les mecanismes de la rationalite rituelle qu’on a vue dans les passages du Xunzi. Or on pourrait dire aussi, pour soutenir l’idee d’une combinaison entre legitimite legale et legitimite traditionnelle, qu’il s’agit dans l’activite rituelle d’une «legalisation» de la tradition (les formes rituelles deviennent des regles) et, en meme temps, d’une «traditionalisation» de la loi (les regles rituelles sont adoptees parce qu’elles sont anciennes). Mais si on admet la validite de ce raisonnement, ne serait-ce egalement valable de changer de perspective et de dire qu’une figure legale comme le contrat est la «ritualisation» d’un compromis entre deux parties, c’est-a-dire, la ritualisation de l’acceptation d’une obligation mutuelle entre deux parties ? Pourquoi choisir une perspective et pas l’autre ? Si ces exercices de combinaison peuvent etre tres riches, ils risquent aussi d’aneantir la specificite des processus de rationalisation.

17 Pour la construction des types ideaux chez Weber, voir [6, §1, A. «Fondements methodologiques», surtout pp. 28-32].

Bibliographie

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2. Gebhardt W., Zingerle A., Ebertz M. Charisma : Theorie - Religion - Politik. Berlin, New York, 1993.3.

3. Knoblock J. Xunzi: A Translation and study of the Complete Works. Stanford University Press, 1988-1994. 3 vols.

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5. LoeweM. (ed.). Early Chinese Texts: a Bibliographical Guide. Berkeley, 1993.

6. Vandermeersch L. Etudes Sinologiques. Paris, 1994.

7. Weber M. Confucianisme et taoisme. Paris, 2000.

8. WeberM. Economie et Societe. Paris, 1995.

9. Zingerle A. Max Weber und China. Herrschafts- und religionssoziologische Grundlagen zum Wandel der chinesischen Gesellschaft. Berlin, 1972.

10. Ban Gu. Hanshu. Dans: Ershisi shi (Les vingt-quatre histoires dynastiques). Beijing, 1997.

11. Liji zhengyi. Dans: Shisanjing zhushu (Edition annotee des Treize Classiques), Ruan Yuan (comp.). Shanghai, 1997.

12. Sima Qian. Shiji. Dans: Ershisi shi (Les vingt-quatre histoires dynastiques). Beijing, 1997.

13. Suishu. Dans: Ershisi shi (Les vingt-quatre histoires dynastiques). Beijing, 1997.

14. Xunzi iiiie (Compilation d’explications du Xunzi), edite par Wang Xianqian. Beijing, 1988. 2 vols.

15. Yu Yingshi. Shi yu zhongguo wenhua (Le shi et la culture chinoise). Shanghai, 1996.

Summary

In the 20th century, Max Weber’s sociology of domination has been very influential, and his insights on Chinese society have been greatly appreciated in the scholarly world. My text intends to measure the appropriateness of a weberian notion such as “charisma” to explain the social legitimacy of the literati’s prestige in the first centuries of the Empire. If the knowledge of rites, one of the main sources of literati’s social prestige, was just one element among others to actualize the charisma of the literati, how can we explain the imperial discourses - such as that of the Xunzi - that tend to rationalize the social utility of rites? What sorts of problems does this “ritual rationality” imply for weberian sociology of domination? Without attempting to arrive to a definitive conclusion, my objective is to show an example of the aporias which can be produced by an uncritical application Weber’s ideas to the study of imperial China.

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