Научная статья на тему 'The adventure of our Scriptures'

The adventure of our Scriptures Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

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Ключевые слова
ИСТОРИЯ ПИСЬМА / ИНТЕРНЕТ / ДВА ИННОВАЦИОННЫХ ПОВОРОТА / КОМПЬЮТЕРЫ / СЕМИОТИКА / ЗНАКИ / HISTORY OF WRITING / INTERNET / TWO INNOVATIVE TURN / COMPUTERS / SEMIOTICS / SIGNS / L''HISTOIRE DE L''éCRITURE / DEUX TOUR / ORDINATEURS / SéMIOLOGIE / SIGNES INNOVANTS

Аннотация научной статьи по языкознанию и литературоведению, автор научной работы — Эреншмидт Кларисс

Текст представляет собой интерпретацию истории письменности с момента рождения в Месопотамии около 3300 до н.э. до современного Интернета (2000). История касается Ближнего Востока и древней средиземноморской Европы с ее расширениями. Показывается двойной поворот: письмо было заново в Ионии около 600 г. до н.э. с изобретением чеканки из драгоценного металла, а также, совсем недавно, в связи с появлением компьютеров. Но если методы меняются и становятся все более сложными, техническое воображение одно и то же: мы создаем знаки от представления нашего общего знаков тела машины.

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Приключение нашей письменности

An interpretation of the history of writing is presented here, since its invention in Mesopotamia around 3300B.C. up to the Internet at the turning point of the millenium. Ancient Middle East, Ancient Mediterranean, Europe and its extensions are concerned. This history shows that the first invention of script has been followed by two resumptions: the first one, the invention of coined money on precious metals, took place in Ionia, around 600 B.C.; the second one is our modern sign revolution and concerns computers. But these three semiotic strating points share the same imagination: we create signs and complex semiotic machines as the very image of our common body.

Текст научной работы на тему «The adventure of our Scriptures»

L'aventure de nos écritures1

Clarisse Herrenschmidt

Le texte présente une interprétation de l'histoire des écritures depuis leur naissance en Mésopotamie vers 3300 avant notre ère jusqu'à l'Internet (an 2000); cette histoire concerne le Moyen-Orient et la Méditerranée antiques, l'Europe et ses extensions. Elle démontre un double rebondissement: l'écriture fut réinventée en Ionie vers 600 avant notre ère avec l'invention de la monnaie frappée de métal précieux, puis à nouveau, plus près de nous, avec l'informatique. Mais si les techniques changent et vont se complexifiant, l'imaginaire technique reste le même: nous créons des signes à partir de la représentation de notre corps commun, machine à signes.

Mots-clés: L'histoire de l'écriture, internet, deux tour, ordinateurs, sémiologie, signes innovants.

The adventure of our scriptures

Clarisse Herrenschmidt

An interpretation of the history of writing is presented here, since its invention in Mesopotamia around 3300B.C. up to the Internet at the turning point of the millenium. Ancient Middle East, Ancient Mediterranean, Europe and its extensions are concerned. This history shows that the first invention of script has been followed by two resumptions: the first one, the invention of coined money on precious metals, took place in Ionia, around 600 B.C.; the second one is our modern sign revolution and concerns computers. But these three semiotic strating points share the same imagination: we create signs and complex semiotic machines as the veiy image of our common body. Keywords: The history of writing, internet, two innovative turn, computers, semiotics, signs

1 Ce texte suit en l'augmentant celui qui va être publié dans [4]. Des illustrations du volume de Herrenschmidt se trouvent sur le site:

www.geographie.ens.fr/IMG/file/VAAM/CR_2012_2013/ENS_Herrenschmidt.pd f [30.03.2016].

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Приключение нашей пнсьменностн

Кларисс Эреншмидт

Текст представляет собой интерпретацию истории письменности с момента рождения в Месопотамии около 3300 до н.э. до современного Интернета (2000). История касается Ближнего Востока и древней средиземноморской Европы с ее расширениями. Показывается двойной поворот: письмо было заново в Ионии около 600 г. до н.э. с изобретением чеканки из драгоценного металла, а также, совсем недавно, в связи с появлением компьютеров. Но если методы меняются и становятся все более сложными, техническое воображение одно и то же: мы создаем знаки от представления нашего общего знаков тела машины.

Ключевые слова: история письма, Интернет, два инновационных поворота, компьютеры, семиотика, знаки.

L'écriture inaugure l'Histoire comme champ de l'expérience humaine, divise les sociétés entre lettrés, peu lettrés et illettrés, nécessite la floraison d'institutions, écoles, Universités, Académies et suscite un intérêt bien mince en comparaison de son importance. Étrange champ de connaissances où des disciplines aussi différentes que l'anthropologie, l'archéologie, l'histoire, l'informatique, la linguistique, la mathématique et la technologie ont leur place sans qu'aucune n'épuise le sujet. Plus grave encore, nos approches sont caduques, car ni la définition courante de l'écriture comme représentation de la parole par des signes graphiques, ni son corollaire: l'inventaire descriptif des écritures qui furent et sont en usage avec un petit chapitre sur la notation des nombres [2] ne peuvent traiter de symboles mathématiques comme: !, |, { }, [ ]. En conséquence, en continuant d'ignorer le rapport au langage qu'incarne toute écriture de la langue, en persistant à ne pas voir le fait que la mathématique est majoritairement un art de l'écriture, nous restons mal capables d'expliquer le pouvoir que, dans de nombreuses sociétés anciennes et vivantes, détiennent les signes et les textes.

Or, nous avons changé de régime sémiologique car nos ordinateurs écrivent à leur façon, entraînant une colossale

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transformation du monde. Ce sont nos vies qui, prises dans un tourbillon, réclament des réflexions renouvelées. Pour les amorcer, il faut prendre du recul et revisiter l'histoire des écritures, en commençant par son tout début et en parcourant certains de ses développements [3].

L'invention de l'écriture se fit dans quatre régions du monde, de façon indépendante. En Égypte et en Mésopotamie vers le dernier tiers du IVe millénaire avant notre ère, plus tard en Chine et plus tard en Amérique centrale. Parmi les étapes menant à l'invention de l'écriture seules les mésopotamiennes sont, pour l'instant, connues; elles enseignent que les signes pour les nombres entraînèrent les signes dédiés aux autres éléments de la langue et que le corps parlant de l'homme figure la matrice de leur création. Nous allons donc visiter, très rapidement, les faits mésopotamiens. Depuis des millénaires, de petits objets, appelés calculi, en forme de bâtonnet, de bille ou de cône, servaient au Moyen-Orient d'aides au dénombrement.Puis, quand au milieu du IV e millénaire avant notre ère eut lieu le rapide développement urbain que l'archéologie démontre à Uruk ou à Suse (en Iran), la conservation des denrées dans des lieux de stockage et leur gestion en vue d'une probable redistribution devinrent nécessaires. Vers -3300 avant notre ère, les gestionnaires créèrent un instrument de commodité: ils enfermèrent des calculi, correspondant à une opération sur une sorte de denrée, dans de petites boules en argile appelées bulles enveloppes;1 sur la surface de celles-ci ils déroulèrent un sceau cylindre de pierre gravée en creux qui, par pression, laissait l'empreinte de son décor: bulle enveloppe, sceau, calculi constituaient un document comptable faisant état d'une quantité de choses entrant dans une opération économique sous la responsabilité d'un agent identifiable par le sceau. Si choses, quantité, opération, agent, nous restent inconnus, l'évidence demeure 1) que l'on désirait conserver la mémoire d'actions et 2) qu'il fallait casser l'objet pour toute vérification. Désirant éviter cette ruine, les Mésopotamiens reproduisirent avec des signes imprimés sur la surface de la bulle-enveloppe les calculi qu'elle enfermait;2 ce n'est pas la forme des calculi que les signes reproduisirent

1 URL: www.academia.edu/.../The_Study_of_Proto-Iiterate_ [30.03.2016].

2 URL: http://en.fmaly.org/index.php/Bullae [30.03.2016].

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systématiquement, mais le nombre de chaque signe reproduisit le nombre de chaque forme de ccdculus. Ce sont là nos plus anciens chiffres.

L'information apparaissant sur la surface rendit le creux de la bulle-enveloppe inutile; on produisit dès lors des tablettes pleines et de petite taillequi ne portèrent d'abord que les chiffres d'une seule opération comptable et l'empreinte du sceau.1 Puis l'instrument comptable nécessita de noter la qualité en plus de la quantité des biens, et des signes pour des mots (grain, champ, chèvre, jarres diverses, etc.) autres que des noms de nombre firent leur apparition; dans le même mouvement, les tablettes se firent mémoire de plusieurs opérations, avec des totaux, 2 l'espace graphique fut ordonné en cases et des signes évoquant des noms de lieu ou de dieu firent leur apparition. Ces plus anciens textes de Mésopotamie et d'Iran sont-ils déchiffrés? Non, au plan des langues: ils ne sont pas lus. Oui, au plan des chiffres, car leurs valeur et base numérale sont connaissables grâce aux totaux et les comptes vérifiables aujourd'hui - ils sont presque tous justes. Tout signe d'écriture signifie un accord social: sa qualité de signe dépend du consensus sur sa valeur: une liste de caractères fut bientôt produite, canonique, qui en assura la stabilité et la transmission.

Les premiers signes écrits furent donc des chiffres; les suivants, sans doute des pictogrammes qui donnent à voir dans le graphisme un portrait schématique de la chose notée (le dessin d'un oiseau pour noter le mot «oiseau»); au plan linguistique, les pictogrammes sont des logogrammes, à savoir des signes phoniques et non pas phonétiques, qui désignent un mot de la langue sans analyser ses composants sonores et rythmiques (*note «étoile»). La notation des mots fut vite suivie de la division des mots en syllabe(s),les caractères notant alors: 1) la voyelle isolée (V), 2) des groupes de consonne et voyelle, (ConsonneVoyelle, VC, CVC) - jamais une consonne isolée, jamais plusieurs voyelles. Les régimes logographique et syllabique d'écriture se combinèrent.

L'invention de l'écriture dépendit de la bulle enveloppe, forme ronde grosse comme un poing, qui figure une bouche contenant ce qui signifie, calculi ou langue. L'ouvrir par la force,

1 URL: http://cdU.ucla.edu/dl/photo/P235757.jpg [30.03.2016].

2 URL: www.louvre.fr/oeuvre-notices/tablettes-archaiques [30.03.2016].

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s'il y avait contestation dans le jeu économique, détruisait la preuve comptable, mais écrire des chiffres sur sa surface signifia faire parler la bouche d'argile sans la briser. Soudain, la langue passa de l'invisible au visible. C'est sa fonction de révélateur d'invisible qui donna à l'écriture une puissance autrement incompréhensible, dans les enjeux de la loi, de la foi et de la pensée; cette fonction discrète mais efficace a régné sans changement pendant quelque cinquante siècles et mute avec l'avènement des ordinateurs, on ne sait comment.

Toute écriture de la langue la rend visible selon l'analyse qu'elle met en œuvre et, ce faisant, instaure en filigrane un certain rapport au langage. Sachant que la syllabe constitue l'unité et de prononciation et de perception de la langue, sa graphie signifie un passage que les écritures traitent ou négligent. Deux systèmes la négligent: le système logographique où la division du mot n'a pas eu lieu (notation phonique globale) et l'alphabétique d'origine grecque qui note consonnes et voyelles sur un même plan (division ultime des composants d'un mot). Dans l'histoire de certaines écritures comme la mésopotamienne et la chinoise (-2000), le pictogramme fut premier qui semble faire parler le dessin: la chose représentée émet son nom propre; puis, la multiplication des logogrammes entraîna l'écriture de la syllabe. La combinaison des systèmes logographique et syllabique acquit le pouvoir de donner à voir dans le graphisme que langue et parole circulent, tout en constituant la perception comme originelle et fondamentale, l'énonciation comme secondaire.

L'alphabet grec, né vers -750, mena la division des mots à son terme et nota les plus petits éléments sonores, consonnes et voyelles, de la langue. Ce faisant, il ancrait le point d'application de certaines lettres dans le corps du sujet, car écrire des consonnes comme p, ph, t, th, k, b, d, g, m, n, qui ne peuvent se prononcer sans appui vocalique et qui, écrites, restent muettes, revient à évoquer une position interne et mécanique de l'appareil phonatoire. En écrivant les voyelles, il donnait à voir le corps parlant puisque la prononciation d'une voyelle transparaît sur le visage. Ainsi la lettre O o-micron notant le son o n'est-elle rien d'autre que l'image d'une bouche arrondie pour dire o. L'alphabet grec, que l'on peut qualifier de vocalo-consonantique,

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note à la fois l'invisible de l'appareil phonatoire et le corps de l'autre que je vois parler, le corps social.

L'alphabet grec avait exploité les façons de son modèle, l'alphabet phénicien consonantique. Or, au titre des syllabaires figure, paradoxalement, l'alphabet consonantique. Né aux marges de l'Egypte vers -1750 pour une langue sémitique et longtemps dédié à ce groupe de langues, il ne note pas les voyelles et constitue un syllabaire réduit. Le scripteur écrit le squelette consonantique d'un mot; le lecteur doit restituer les voyelles et les restituer à bon escient s'identifie à lire. En pratique, le signe note une syllabe virtuelle avec une consonne imprononçable toute seule et une voyelle indéterminée. Si les premières indiquent une position de l'appareil phonatoire du sujet, l'absence des secondes veut que la parole et sa perception soient privées de tout support objectif. L'écriture rend visible comme le principe d'une langue dont la chair phonique et la réalisation semblent exister ailleurs que dans le monde signé des hommes.

Prononcer une voyelle revient à ouvrir la bouche, prononcer une consonne revient à la resserrer ou fermer. Bref, sous la voyelle pointe le féminin et, dans certaines cultures, il n'y n'eut et il n'y a point de signe autonome notant ce genre de son. Il ne s'agit pas là d'un fait culturel isolé. En Egypte la voyelle fut éliminée de l'écriture dès le départ; les grammairiens mésopotamiens jugèrent «vide» tout syllabogramme désignant une voyelle isolée et «plein» tout autre désignant une syllabe avec consonne(s). En Grèce, la Pandore Les Travaux et les Jours d'Hésiode, première femme envoyée par Zeus aux hommes, figure et la femme, et la voyelle - écriture, identifiée l'une à l'autre. Aujourd'hui, l'orthophoniste peut aider un enfant que l'écriture rebute en l'incitant à marier un papa consonne avec une maman voyelle. L'écriture augmente le monde de ses signes, selon l'ordre des hommes qui se disent au-travers d'eux.

Un nombre d'écritures créées au XIXe et XXe siècles pour et parfois par des locuteurs de langues amérindienne, africaine ou océanienne orales, consistent en syllabairespurs - ainsi celles dédiées à l'inuktitut, au woléaien des îles Caroline et l'écriture vaï du Libéria. Chaque signe note soit une voyelle isolée soit un groupe consistant en consonne et voyelle. Leurs créateurs connaissaient l'alphabet vocalo-consonantique utilisé par les

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Blancs et ont vu dans le système syllabique le mode le plus proche de la parole perçue et prononcée, car ils tentaient de conserver leur langue aussi bien que leur vie sociale, symbolique et politique dans la parole.

Avec l'alphabet grec, la division des éléments sonores était parvenue à son terme et l'aventure graphique inaugurée au Moyen Orient connut un virage.

C'est en Ionie, vers -600, qu'apparut la monnaie frappée de métal précieux, invention sémiologique dont les modalités techniques ressemblent à celles de l'invention de l'écriture en Mésopotamie. L'affaire se passe autour d'Éphèse, de Milet et de l'empire lydien qui échut à Crésus. Le premier artefact consista en lingots globulaires d'argent; le deuxième en petites boules, appelées globules, d'électrum, un alliage d'or et d'argent, et au poids calculé parmi les fractions de l'étalon lydo-milésien. La suite appartient à l'empreinte de marques; on frappa le globule avec une ou deux barres de métal plus dur que celui du globule, qui laissaient la marque d'un ou deux poinçons (1 ou 2 carrés, 1 ou 2 rectangles, par ex.); de ce fait, le globule perdit sa forme ronde, s'aplatit et dégagea deux faces. L'une porta un ou plusieurs poinçons, l'autre, moulée sur un sceau de pierre gravé en creux, l'image du sceau qui désignait la cité émettrice. La pièce était née. Vers -550, Crésus, dans le temps où Thalès lui servait d'ingénieur, sépara l'or et l'argent et établit un nouveau rapport entre eux qui passa de 13,33 pour 1, à 10 pour 1. La monnaie grecque d'argent se multiplia, conquit la Méditerranée et bien au-delà.

L'écriture monétaire arithmétique se situe du côté des poinçons. Se distinguant par leur forme et leur nombre, ceux-ci indiquaient l'étalon pondéral — il en existait plusieurs, différents d'une cité à l'autre — dans lequel avait été calculé le poids de la pièce: ils renseignaient sur la valeur de l'objet, sachant que sa dénomination n'était pas explicitement écrite. Ces poinçons furent remplacés soit par des images associées à celle de la face, ainsi Athéna sur la face et sa chouette sur le revers, soit, plus rarement, par des figures énigmatiques. Ces dernières étaient laissées par un sceau dont certains espaces creusés et d'autres laissés plans imprimaient une figure que l'on peut interpréter comme géométrique: dans la marque carrée du sceau apparaissent des formes rectilignes représentant les

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médianes, ou les diagonales, ou médianes et diagonalesdudit carré, ailleurs se laisse reconnaître un gnomon; dans le rond du sceau, se trouvent un grand carré contenant un plus petit, problème du Ménon de Platon. Des pièces d'Argos1 sont plus explicites: dans le carré creux se déploie une lettre Alpha, première lettre du nom de la cité et compas que l'on tient par sa pointe. C'est que le compas désigne le géomètre, le géomètre désigne le mathématicien de la Grèce; en bref, ces figures donnent à voir quelques de leurs problèmes comme la quadrature du cercle et quelques de leurs acquis comme la similitude et l'égalité des angles opposés. Ces images géométriques typifïent l'écriture monétaire arithmétique en son départ, écriture dédiée aux nombres et à leurs rapports sur support monétaire. On appelle gnomon une équerre formée de deux rectangles ajustés à angle droit, qui permet de passer du nombre carré 4 au nombre carré 9 [l];2 cette forme ouvre la voie d'un possible déchiffrement: si les Pythagoriciens ont figuré des nombres avec des points, invisibles sur des monnaies, d'autres ont pu le faire avec des segments de droite. Déchiffrer les figures (carré divisé par ses médianes déterminant 4 petits carrés, par ex.) sur la base des proportions pythagoriciennes, où le nombre de segments de droite constituant les diverses formes écriraient des nombres et la série de ces nombres ainsi écrits indiquerait une proportion et donc un rapport entre les nombres, n'a pas abouti à un résultat satisfaisant. La question de l'écriture impose les risques du déchiffrement.

Il brille, le globule d'électrum. Dans l'optique grecque archaïque, ce qui brille voit, ce qui voit brilleet l'objet représenta un œil qui lance dans l'air les droites du fluide visuel. L'œil, matrice métaphorique de la monnaie frappée, constitue l'organe de l'estimation des grandeurs, lesquelles peuvent s'exprimer en nombres, ces nombres en figures, ces figures se montrer sur les pièces, et on reconnaîtra le cheminement technique qui a mené, vingt sept siècles avant, à l'invention de l'écriture. En Mésopotamie comme en Ionie, les hommes créèrent un nouvel

1 URL: http://www.cgb.fr/navigation.htmI, monnaies grecques, vl9_0088 [30.03.2016].

2 URL:

http://www.perseus.tufts.edu/hopper/artifact?name=Dewing+16878sobject=coi n [30.03.2016].

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univers sémiologique en s'appuyant sur la représentation de l'organe responsable d'une fonction, là la parole, ici l'estimation des grandeurs, dont ils allaient écrire les unités, à savoir là des nombres avec des chiffres, ici des nombres et leurs rapports avce des figures arithmo-géométriques.

La monnaie est une affaire de (séries de) nombres: étalons, multiples et sous-multiples des étalons, rapports des métaux précieux, poids de métal et valeur nominale, quantité de pièces. Frappée par la cité, elle établit par la loi un rapport entre des grandeurs qui n'en ont pas,des chaussures et une maison, comme l'écrivit Aristote dans L'Éthique à Nicomacjue. Si la pièce porte des figures montrant des rapports entre des nombres, dans l'idée grecque, la monnaie sert de mesure à des choses autrement sans mesure commune. De plus, cette mesure est juste: la monnaie (grec nomisma) est fille de la loi (grec nomos): la loi civique s'appuie sur la mathématique. Pourquoi au cours du IV e siècle les figures géométriquesdisparurent-ellesdes pièces? Peut-être parce que fut connu le caractère irrationnel de V2: s'il existait un nombre n'entretenant pas de rapport avec les autres nombres, alors la loi mathématique, étrangère aux querelles des hommes, ne pouvait pas servir de symbole à la loi sociale de justice monétaire. Si les figures disparurent des pièces, la monnaie frappée gagna la vie sociale et rendit possible un langage de pièces capables d'aller d'Afghanistan en Bretagne.

L'écriture monétaire arithmétique spécifiquement grecque dépendit, en son démarrage, de nombreuses connaissances: recherches des mathématiciens sur d'autres supports, alpha-bet(Thalès savait lire et écrire!), travail du métal et cémentation de l'électrum, etc.

Son renouvellement advint avec l'emploi des chiffres indoarabes par les marchands banquiers italiens; bridés dans leur développement et par le transfert matériel de pièces, et par l'interdit papal de l'usure, ils mirent en circulation, au XlVe siècle, une monnaie graphique et professionnelle, la lettre de change; écrite sur papier, elle contournait l'interdit en masquant un prêt à intérêt sous un transfert de monnaies locales de valeurs différentes, et se déplaçait sans danger. C'est l'ancêtre des chèques, des actifs bancaires et de la monnaie papier.

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Monnaie frappée et monnaie papier se déployèrent en Europe, dégageant le concept d'économie nationale, et imposèrent une certaine idée du nombre, où l'aspect ordinal, exprimant l'ordre de succession, est estompé au profit de l'aspect cardinal exprimant la mesure. Pour les mathématiciens tout nombre a deux aspects, le cardinal et l'ordinal, pour les acteurs de la vie économique la cardinalité seule compte, dans la vie sociale 1 cessa d'être l'expression ordinale de la primauté du roi et de la hiérarchie de nature pour dire que chacun est un 1 parmi (des masses) d'autres. Parallèlement, à partir du XVIe siècle, la mathématique se développa de façon inouïe. Si le langage des pièces devint national, celui des chiffres et des figures gagna la physique et la logique, et envisagea description et intellection totales du monde.

À commencer par l'autonomisation de la mathématique. C'est à elle que Hilbert rêva, qui, entre 1900 et 1928, posa des questions à ses collègues sur la complétude, la consistanceet la décidabilité, sur le fondement même de leur discipline. Des réponses positives eussent constitué le langage mathématique en une langue, en un régime de signes qui peut se dire lui-même — puisque toute langue est réflexive, produisant des messages grammaticalement corrects dont le contenu est le moyen de comprendre le message. Mais Gôdel, Church et Turing répondirent «non». Développant sa réponse parue en 1936, Turing imagina l'artefact d'invention de l'informatique, appelé depuis «machine de Turing»: une machine automatique, composée d'une bande de papier infinie, d'une tête de lecture-écriture et d'une table d'instructions, machine théorique, de papier, qui calcule-écrit un nombre.

Turing lui-même compara son automate à un cerveau qui pense, calcule, écrit des nombres, peut jouer aux échecs, distinguer une homme d'une femme, et même une homme d'une machine, sans compter que l'ordinateur et le cerveau sont l'un et l'autre mus par le fluide électrique. La série des artefacts d'inventions graphiques gagne ici son troisième terme: la bulle enveloppe typifiait une bouche et les Mésopotamiens allaient écrire ce qu'elle porte en elle de nombres et de langue, le globule d'électrum ressemblait à un œil et les Ioniens allaient écrire les grandeurs exprimées en nombres qu'il estime à vue, la machine de papier qui calcule-écrit un nombre figure un cerveau et les

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modernes allaient écrire ce qui se passe dans l'organe sur la base de nombres binaires incarnés en signaux électriques. Tout ce qui se passe dans le cerveau? On ne sait si l'écriture numérique réalise une fonction, par exemple la mémoire, ou l'ensemble des compétences cérébrales...nous sommes trop proches du début, pris dans l'accélération de la technique dont le point de stabilité n'est pas atteint. L'écriture numérique repose sur le signal qui ne signifie pas. Son absence de signification dote la machine d'une puissance indifférente, qui permet de traiter les données, textes, calculs, images, sons, avec ce non-signe et une variété complexe d'outils logiciels entre l'utilisateur et le cœur de l'automate. La connexion des ordinateurs pour le transfert des données numérisées a repris à son compte le phénomène monétaire et bouleversé l'univers de la finance, de la valeur et le concept même de monnaie — le dollar fut détaché de l'or et les monnaies des pays industrialisés qui se rattachaient au dollar, en 1971, par Richard Nixon, en plein développement du réseau téléinformatique américain: une période de vingt six siècles de monnaies incarnées ou liées à l'or prenait fin, tandis que démarrait la suivante, celle de la monnaie information.

Nos organe sémiologiques nous paraissent, depuis 53 siècles, associés à un fluide corporel : la bouche à l'eau, l'œil à la vue, le cerveau à l'électricité. La représentation de l'un: bouche d'argile, œil de métal, ordinateur qui calcule, et son association à l'autre: l'eau, le fluide visuel, l'électricité, ont permis la création d'univers sémiologiques neufs. Dans la plupart des sociétés, partager des fluides corporels (sperme, sang, lait) interdit le mariage, être étranger aux fluides du partenaire l'autorise. Les signes portés par les fluides unissent et séparent les hommes, signes des langues, lettres et caractères, monnaies, information. Cet imaginaire technique, né en Mésopotamie, qui réalise le corps commun, a produit notre anthroposphère. Et pourtant nous ne savons pas grand-chose des écritures et des signes.

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Notes

1. Artmann Benno. Mathematical Motifs on Greek Coins, The mathematical Intelligenzer, vol. 12, n°4, (1990). pp.43-50.

2. Daniels Peter, Bright William. The world's Writing Systems. Oxford University Press, (1996). 922 p.

3. Herrenschmidt Clarisse. Les Trois écritures. Langue, nombre, code. Paris, Gallimard (2007). 510p.

4. Piette Albert et Salanskis Jean-Michel (éds.) Le Dictionnaire de l'Homme, à paraître Université Paris Lumières URL: http:/ /www.humain-

humanite. org/ pages / dictionnaire-de-l-homme / [30.03.2016].

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