Научная статья на тему 'French appellations in the novel war and peace by Lev Tolstoy'

French appellations in the novel war and peace by Lev Tolstoy Текст научной статьи по специальности «Языкознание и литературоведение»

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Журнал
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ВАК
Ключевые слова
ЛИТЕРАТУРНЫЙ ФЕНОМЕН / АНТРОПОНИМЫ / ПРАГМАТИКА / КОММУНИКАТИВНАЯ СИТУАЦИЯ / ХУДОЖЕСТВЕННЫЙ ДИСКУРС / LITERARY PHENOMENON / APPELLATIONS AND ADDRESSES / PRAGMATICS / COMMUNICATIVE SITUATION / LITERARY DISCOURSE

Аннотация научной статьи по языкознанию и литературоведению, автор научной работы — Мэр Светлана

В настоящей статье автор обращается к роману «Война и мир» Л. Н. Толстого, рассмотрев французские имена и обращения, используемые в тексте, их употребление в разных коммуникативных ситуациях и эволюцию в тексте романа. Автор приходит к выводу о том, что чаще всего французские или офранцуженные имена и обращения несут отрицательную характеристику героев автором романа.

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The paper discusses the novel of Lev Tolstoy examining French appellations and addresses used in the novel from the point of view of their evolution in the text and use in different communicative situations. The author comes to the conclusion that French appellations and addresses are evidence of the negative estimation of the characters by Lev Tolstoy.

Текст научной работы на тему «French appellations in the novel war and peace by Lev Tolstoy»

УДК 821.161.1Война и мир7Толстой.08

ФРАНЦУЗСКИЕ ОБРАЩЕНИЯ В РОМАНЕ ЛЬВА ТОЛСТОГО «ВОЙНА И МИР»

С. Мэр

LES FORMES D'APPELLATION FRANÇAISES DANS LE ROMAN DE LEV TOLSTOÏ

GUERRE ET PAIX S. Maire

FRENCH APPELLATIONS IN THE NOVEL WAR AND PEACE BY LEV TOLSTOY

S. Maire

В настоящей статье автор обращается к роману «Война и мир» Л. Н. Толстого, рассмотрев французские имена и обращения, используемые в тексте, их употребление в разных коммуникативных ситуациях и эволюцию в тексте романа. Автор приходит к выводу о том, что чаще всего французские или офранцуженные имена и обращения несут отрицательную характеристику героев автором романа.

The paper discusses the novel of Lev Tolstoy examining French appellations and addresses used in the novel from the point of view of their evolution in the text and use in different communicative situations. The author comes to the conclusion that French appellations and addresses are evidence of the negative estimation of the characters by Lev Tolstoy.

Ключевые слова: литературный феномен, антропонимы, прагматика, коммуникативная ситуация, художественный дискурс.

Keywords: literary phenomenon, appellations and addresses, pragmatics, communicative situation, literary discourse.

Le roman de Léon Tolstoï Guerre et Paix [7], auquel l'écrivain a consacré plus de cinq années de recherches et d'écriture, est un phénomène unique dans la littérature mondiale. Guerre et Paix est à la fois une grande fresque socio-historique, un ouvrage philosophique et un roman psychologique. Paru entre 1867 et 1869, l'ouvrage a rencontré un vif succès auprès du public. Cependant les critiques littéraires lui ont reproché l'introduction du français dans le corps du texte. Comme le remarque V. V. Vinogradov, «смешение русского языка с французским в авторской речи, а тем более в диалогах действующих лиц романа было обычным явлением в рус литературе с XVIII в». Or, ce que l'on reprochait à Tolstoï, c'était l'abondance des phrases en français dans sa fresque russe à fort caractère patriotique; on y trouve en effet des pages entières rédigées en français. Selon le chercheur britannique R. F. Christian, les mots français occupent environ 2 % du texte [5].

Étant donné sa quantité, les chercheurs s'accordent à dire que la langue française dans le roman Guerre et Paix donne beaucoup de matière aux chercheurs. Les analyses réalisées par les plus grands spécialistes russes et étrangers comme Boris Uspenskij, Viktor Vinogradov, Boris Goreloff, Marie-Thérèse Bodart [1], Michel Aucouturier ont mis en évidence le rôle important du français dans la fresque tolstoïenne [2 - 6]. Pour tenter d'expliquer un emploi si important du français, Viktor Vinogradov évoque notamment le désir de l'écrivain de recréer l'atmosphère de l'époque dans le milieu de la haute société russe ainsi que dans l'armée napoléonienne. Il convient, en effet de rappeler que le roman de Lev Tolstoï Guerre et Paix met en scène des évènements qui se déroulent entre 1805 et 1820. Les personnages principaux appartiennent à la noblesse russe. À cette époque, la haute aristocratie était sous l'emprise de la gallomanie et préférait par conséquent employer le français plutôt que le russe. En 1805, le fait de s'exprimer uniquement en russe était même perçu comme

une sorte d'excentricité. Seuls les excentriques de la haute aristocratie, comme Maria Dmitrievna Akhrossimova, pouvaient se permettre de s'exprimer uniquement en russe. Le recours à la langue française dans le discours narratif ainsi que dans les dialogues entre les protagonistes du roman permet entre autres à Tolstoï de rapprocher la fiction et la réalité.

D'ailleurs, l'épopée commence par le dialogue entre Anna Pavlovna et le prince Basile en français. Par la suite on y trouve des pages entières rédigées en français.

Viktor Vinogradov évoque par ailleurs deux autres fonctions du français dans Guerre et Paix. Il s'agit donc:

- de la mise en lumière du contraste entre le style théâtral et artificiel du français et le style simple du russe,

- du recours à l'antithèse dans laquelle le français acquiert un trait anti-national du milieu aristocratique de Saint-Pétersbourg et le russe apparaît comme une caractéristique principale de l'ambiance nationale moscovite.

Le choix a été fait de se focaliser sur l'usage pragmatique des formes d'appellation nominales en français par le narrateur et les protagonistes du roman Guerre et Paix. Le but poursuivi est d'observer les appellatifs, plus spécifiquement les anthroponymes, dans le roman afin de dégager quelques traits pertinents pour leur description, et de surcroît, les conséquences d'un tel emploi. Prenant en compte le fait qu'il s'agit d'une œuvre de fiction, il me semble intéressant d'examiner la stratégie auctoriale au niveau des appellatifs dans la construction des relations entre les protagonistes du roman.

On remarque ainsi que les membres de la noblesse russe ont deux prénoms: la version russe et la version française. L'emploi de l'une ou de l'autre est fonction du type de personnage. Les appellatifs véhiculent à titre con-notatif des indications sur leurs traits de caractère et fonctionnent alors comme fixateur de l'attitude auctoriale. Ainsi, en règle générale, la dominance des anthroponymes francisés est essentiellement caractéristique des personnag-

es négatifs. C'est le cas, par exemple, d'Anna Pavlovna Schérer, demoiselle d'honneur de Sa Majesté l'impératrice Marie Féodorovna. Bien que Tolstoï la présente par la forme russifiée accompagnée du patronyme, «Anna Pavlovna», ce personnage est constamment appelé par ses hôtes «Annette». D'autres protagonistes, tels Julie Kara-guine, Hélène Kouraguine ou son frère Anatole, figurent constamment sous une version francisée de leurs prénoms russes (Жюли, Элен, Анатоль). Il se peut également que leurs prénoms soient transcrits en français.

La seule exception parmi tous ces personnages négatifs portant une version francisée du prénom russe est la figure de Pierre Bézoukov. En effet, l'un des protagonistes de Guerre et Paix est nommé par la forme francisée de Пётр, translittérée en russe (Пьер). On peut également trouver son prénom écrit en français (Pierre). On peut s'interroger sur les intentions de Tolstoï à l'égard d'un personnage qu'il affectionnait particulièrement; l'usage de la forme francisée du prénom pourrait probablement être justifié par le passé de Pierre Bézoukhov. En effet, lors de sa première apparition, l'écrivain précise que Pierre a été élevé à l'étranger et que son apparition dans le salon d'Anna Pavlovna est «sa première soirée en Russie». Ainsi, il paraît tout à fait à fait logique de le présenter avec un prénom francisé.

Les appellatifs en français ou francisés donnent des clés au lecteur; non seulement ils lui permettent de mieux comprendre le caractère des protagonistes, mais ils sont également chargés de mettre en évidence le type de relations qui existent entre ces derniers.

Ainsi, il est possible d'énumérer un certain nombre d'exemple où les appellatifs en français ou francisés servent à démonter une mauvaise entente ou un manque de cordialité entre les personnages.

L'exemple le plus éloquent est les relations qui lient le prince Vassily à ses enfants. D'ailleurs dès les premières pages du roman, dans ses échanges avec melle Schérer, le prince avoue ne pas avoir de «bosse de la paternité».

- Que voulez-vous? Lafater aurait dit que je n'ai pas la bosse de la paternité, - сказал князь (p. 12).

«Que voulez-vous? dit le prince. Lavater aurait certainement découvert que je n'ai pas la bosse de la paternité».

Un peu plus loin il se plaint de ses deux fils en les traitant d'imbéciles.

«Вы знаете, я сделал для их воспитания все, что может отец, и оба вышли des imbéciles» (p. 12).

«Comme père, j'ai fait ce que j'ai pu pour leur éducation, et tous les deux ont mal tourné».

Seule sa fille Hélène est digne, à son avis, de continuer la lignée. Cependant les relations entre Hélène et son père ne peuvent en aucun cas qualifiées de cordiales. Cela est véhiculé dans la fresque tolstoïenne notamment par la forme francisée «Элен» que le prince Basile emploie pour s'adresse à sa fille. La seule fois où le prince Basile l'appelle par un diminutif hypocoristique «Лёля» est le moment où le prince décide d'intervenir dans le but d'arranger le mariage entre sa fille et Pierre. Ainsi, voyant que Pierre ne se décide toujours pas à demander la main de sa fille, il rompt le silence pesant entre deux jeunes gens en s'exclamant:

«- Слава Богу! - сказал он. - Жена мне все сказала! - Он обнял одной рукой Пьера, другой - дочь. - Друг мой Леля! Я очень, очень рад. - Голос его задрожал. -

Я любил твоего отца... и она будет тебе хорошая жена... Бог да благословит вас!...» (271 - 272).

«Dieu merci, dit-il, ma femme m'a tout raconté». Et il serra Pierre et sa fille dans ses bras... «Hélène, mon cœur, quelle joie ! quel bonheur !...» Sa voix tremblait... «J'aimais tant ton père... et elle sera pour toi une femme dévouée! Que Dieu vous bénisse!...».

En employant ce diminutif affectif «Лёля», le prince cherche à montrer ses sentiments paternels qu'il n'en a pas et qu'il n'a jamais eu. En effet, afin que le lecteur ne se détrompe pas à propos de la nature de ses sentiments, le narrateur évoque une superbe imitation de la part du prince Basile: «обратился он тотчас же к дочери с тем небрежным тоном привычной нежности, который усвоивается родителями, с детства ласкающими своих детей, но который князем Василием был только угадан посредством подражания другим родителям» / «dit-il à sa fille de ce ton d'affectueuse tendresse, naturelle aux parents qui aiment leurs enfants, et que le prince imitait sans la ressentir...» (270).

De même, les jeux anthroponymiques ou le passage d'autres formes d'adresse en russe aux formes d'adresse en français ou francisées paraissent particulièrement intéressants quand il s'agit d'analyser la nature des relations qui existent à l'intérieur d'un couple. Elles peuvent en effet traduire une mauvaise entente entre les époux. Il peut s'agir notamment des époux Bézoukhov et Bolkonsky. Ainsi, poussé dans les bras d'Hélène, Pierre l'a épousée sans amour. De son côté, Hélène était intéressée uniquement par l'héritage que le vieux conte Bézoukhov avait laissé à son fils. Au fur et à mesure de la narration, les relations entre les époux ne cessent de se détériorer. Les époux s'interpellent uniquement par les appellatifs français ou francisés ce qui sert à mettre en lumière leur mauvaise entente.

Il en va de même pour le couple Bolkonsky, Lise et André. L'appellatif «ma chère» que Bolkonsky adresse à son épouse souligne l'absence de relations cordiales entre son épouse et lui. Par le biais de cet appellatif, le lecteur peut ressentir toute la condescendance et l'ennui du prince André envers sa femme. Tout en reconnaissant les qualités de sa femme, il ne peut s'empêcher de la prendre de haut, de la mépriser presque pour son caractère infantile. Le prince André regrette amèrement de s'être marié, d'où son exclamation à l'intention de Pierre.

- Моя жена, - продолжал князь Андрей, - прекрасная женщина. Это одна из тех редких женщин, с которою можно быть покойным за свою честь; но, Боже мой, чего бы я не дал теперь, чтобы не быть женатым! Это я тебе одному и первому говорю, потому что я люблю тебя (p. 40).

«Ma femme, continua le prince André, est une excellente femme, une de celles avec lesquelles l'honneur d'un mari n'a rien à craindre ; mais que ne donnerais-je pas en ce moment, grands dieux! pour n'être pas marié! Tu es le premier et le seul à qui je l'avoue, parce que je t'aime!».

Malheureux dans son couple, le prince André appelle constamment sa femme par la version française de son prénom «Lise» qui traduit son manque d'affection pour elle et sa déception du mariage. Cette sécheresse de ton que l'on peut ressentir à chaque fois que le prince a des échanges avec son épouse est accentuée par l'emploi pronominal dans son discours. En effet, s'adressant à sa femme, le prince opte pour le vouvoiement officiel.

«- Lise! - только сказал князь Андрей; но в этом слове были и просьба, и угроза, и, главное, уверение в том, что она сама раскается в своих словах (...);

- Lise, я прошу вас перестать, - сказал князь Андрей еще выразительнее (...).

- Lise, - сказал сухо князь Андрей, поднимая тон на ту степень, которая показывает, что терпение истощено» (38).

«- Lise!» dit le prince André. Et ce seul mot contenait à la fois la prière, la menace et l'assurance qu'elle allait regretter ses paroles (...). - Lise, finissez, je vous en prie», reprit son mari en élevant la voix (...).

- Lise!» reprit sèchement le prince André, dont la voix était montée au diapason qui indiquait que sa patience était à bout.

La seule fois où le prince André se montre compatissant envers sa femme, c'est lorsqu'il devient témoin d'horribles souffrances de cette dernière durant son accouchement.

«- Душенька моя, - сказал он: слово, которое никогда не говорил ей. - Бог милостив» (45).

«Ma petite âme, lui dit-il, - il n'avait jamais employé cette expression envers elle, - Dieu est bon!».

À son tour, sa femme l'appelle constamment par la forme francisée de son prénom «André».

Ainsi, Tolstoï dresse le portrait d'un couple de la haute société, couple en quelque sorte classique lorsque les mariages se faisaient plus par intérêt que par amour et que le mari et la femme continuaient à vivre sous le même toit pour des raisons purement matérielles. Le français joue alors un rôle important dans le comportement discursif de ce couple de protagonistes dans la mesure où il véhicule la froideur de ton, l'indifférence (au moins de la part de l'époux).

Les appellatifs français ou francisés servent également à traduire une mauvaise entente entre les frères et sœurs. Ici, l'exemple que je pourrais citer est les relations entre deux sœurs, Véra et Natacha Rostov. Dès la première apparition des deux sœurs, lors des visites incessantes des amis et des connaissances à l'occasion de la fête de Natacha, l'écrivain tient à signaler la grande différence qui les sépare. En effet, l'aînée, Véra, par son physique et par son comportement, est l'opposée de Natacha. Alors que cette dernière, avec son caractère vif, pétillant fait la joie de tous, le caractère trop raisonnable de Véra la rend repoussante malgré sa beauté physique. La première confrontation entre les deux sœurs intervient juste après le premier baiser de Natacha avec son cousin Boris Droubetskoï. Sans en être le témoin direct, Véra ressent une jalousie pour cet amour infantile que sa sœur éprouve à l'égard de Boris et commence à la blâmer pour son comportement indigne. Ce qui met Natacha en colère, elle point alors du doigt la nature sans cœur de sa sœur aînée en la traitant de «madame Gen-lis», ce surnom français inventé par leur frère Nicolas.

«Ты этого никогда не поймешь, - сказала она, обращаясь к Вере, - потому что ты никогда никого не любила; у тебя сердца нет, ты только madame de Genlis (это прозвище, считавшееся очень обидным, было дано Вере Николаем), и твое первое удовольствие - делать неприятности другим» (61).

«Tu ne nous comprendras jamais, car tu n'as jamais aimé personne; tu n'as pas de cœur, tu es Mme de Genlis, et voilà tout (ce sobriquet, inventé par Nicolas, passait pour

fort injurieux); ton seul plaisir est de causer de l'ennui aux autres: (...)».

Tolstoï ne donne pas d'explication pour quelle raison exactement ce surnom était vexant. Or, il est facile de faire le parallèle avec les précepteurs (-trices) français qui venaient en grand nombre à cette époque en Russie. Imposés aux enfants, il arrivait souvent que ces derniers ne s'entendent pas très bien avec les enfants dont ils s'occupaient. Ainsi Véra est comparée à ces précepteurs vivant en conflit avec les enfants dont ils avaient la charge.

Avec les années, le fossé entre les deux sœurs ne fait qu'augmenter. Véra est toujours présente lors des réunions familiales mais son comportement va à l'encontre de celui des autres membres de sa famille, les personnes simples et sincères. D'ailleurs, étant persuadée d'avoir beaucoup plus de qualités que sa sœur cadette, Véra se met elle-même en opposition.

«- Как вы полагаете? - с тонкой улыбкой говорила Вера. - Вы, князь, так проницательны и так понимаете сразу характер людей. Что вы думаете о Натали, может ли она быть постоянна в своих привязанностях, может ли она так, как другие женщины (Вера разумела себя), один раз полюбить человека и навсегда остаться ему верною? (227).

«Que pensez-vous, prince, vous dont la clairvoyance pénètre et apprécie du premier coup la différence des caractères, que pensez-vous de Natacha? Croyez-vous qu'elle puisse, comme d'autres femmes (et elle pensait à elle-même), rester à tout jamais fidèle à celui qu'elle aurait aimé? Car c'est là le véritable amour. Qu'en dites-vous, prince?

On voit ici que les deux versions du prénom, russe et française, se trouvent en totale opposition et portent une charge expressive totalement différente. Cet appellatif français «Nathalie» est tout le contraire de qui est Natacha en vérité. La forme russe «Natacha» met en lumière le côté naturel, sauvage, spontané de la principale héroïne du roman alors que la version francisée «Nathalie» sonne tout à fait faux. Véra appelle sa sœur «Nathalie» ou «Натали» et cette façon de la nommer, soutenue par la mimique et la gestique maniérées fait grimacer le prince André et ne fait que souligner la prétention de Véra en la rendant antipathique aux yeux du lecteur.

La version francisée du prénom peut être considérée comme le signe avant-coureur d'une faille dans les relations entre deux amoureux. Il ne s'agit pas forcément d'un faux sentiment. Or, pour Tolstoï, les amoureux qui s'interpellent par des anthroponymes francisés ne peuvent pas vivre ensemble. Ainsi, malgré un sentiment très fort entre André et Natacha, Tolstoï souligne à plusieurs reprises un certain malaise qui existait entre eux. La veille de son départ pour l'étranger, le prince André emmena Pierre chez les Rostov. Il demanda à Natacha, désormais sa fiancée, de ne pas hésiter à s'adresser à Pierre au moindre problème. À ce moment, il l'appela «Натали» et cela mit immédiatement une barrière entre les fiancés: «Я вас прошу, Натали, - сказал он вдруг серьезно; - я уеду, Бог знает, что может случиться».

Il en va de même pour les relations entre Natacha et Denissov. Ce dernier, en demandant la main de Natacha, prend un air solennel et s'adresse à cette dernière par le prénom «Nathalie»: «- Натали, - сказал он, быстрыми шагами подходя к ней, - решайте мою судьбу. Она в

ваших руках!» Ainsi, leur histoire est déjà terminée sans avoir véritablement commencé.

Les appellatifs français sont également importants dans la construction et le déroulement des relations entre Sonia et Nikolas Rostov. Les formes d'adresse «Sophie» et «Nicolas» par lesquelles les deux amoureux s'interpellent sonnent comme un mauvais présage pour le couple. En effet, alors qu'avant que Nikolaï parte à la guerre, les amoureux s'adressaient par des versions russes de leurs prénoms. Or, après le retour de Nicolas de la guerre en 1806, une certaine gêne s'installent entre eux. Et malgré le fait que leur amour, la sincérité manque à ce couple et les non-dits auront raison de leur rupture. En effet, Sonia n'ose pas luter pour son amour. De peur de causer des soucis à la comtesse Rostov qui espère que son fils Nicolas épouse une riche fille afin de remédier à la situation financière catastrophique de la famille.

«Через минуту вошла Соня, испуганная, растерянная и виноватая. Николай подошел к ней и поцеловал ее руку. Это был первый раз, что они в этот приезд говорили с глазу на глаз и о своей любви.

- Sophie, - сказал он сначала робко, и потом всё смелее и смелее, - ежели вы хотите отказаться не только от блестящей, от выгодной партии; но он прекрасный, благородный человек... он мой друг... (...)

- Nicolas, не говорите мне этого, - сказала она» (52).

La seule fois où elle disparaît pour un tout court instant, c'est lorsque Nicolas, Sonia et Natacha ."Это прежде была Соня", подумал Николай. Or, Sonia, la rétablit aussitôt en lançant à ce dernier: «- Вы что, Nicolas?» (294).

Dans les autres situations du roman tolstoïen, les appellatifs en français ou francisés vont donner le signal du port du masque. Un des buts de l'écrivain était justement de démontrer le côté artificiel et le faux-semblant de la plupart des membres de la haute aristocratie russe. «Il ne faut pas dire tout ce qu'on pense» - conseille le prince André à Pierre. Ainsi, les réceptions et les réunions de l'aristocratie russe du début du XIXe siècle sont en quelque sorte des bals masqués dont les participants cherchent à tirer profit les uns des autres.

La mise en relief de la désémantisation de l'appellatif «mon cher / ma chère» peut être considérée comme un des traits de la dominance du paraître sur l'expression des véritables sentiments au sein de cette «crème de la société russe». À partir des situations d'énonciation que l'on trouve dans le roman, il est facile de voir que cette forme d'adresse sonne comme une simple formule de politesse, privée complètement de son sens initial. Elle fait partie de «ces civilité à bâtons rompus», de ces codes discursifs que les représentants de la noblesse doivent savoir manier afin de ne pas être pris par «un marginal». Ainsi, en accueillant les hôtes venus saluer la comtesse Rostov et sa fille Nata-cha à l'occasion de leur fête, le comte Rostov les répète tout au long de la journée: «Очень, очень вам благодарен, ma chère, или mon cher (ma chère, или mon cher он говорил всем без исключения, без малейших оттенков, как выше, так и ниже его стоявшем людям».

Le roman recense nombre de situations discursives où les formes d'adresses en français sont détachées de leur sens initial. Au début de l'épopée, Julie Karaguine et Maria Bolkonsky, encore jeunes filles, correspondent en français en s'appelant «ma chère amie», .Or, au fur et à mesure du

déroulement du roman, on peut voir l'énorme distance qui les sépare, due à la différence de leurs caractères. Le caractère sincère et entier de la princesse Maria est opposé à la fausseté de sa correspondante. D'ailleurs, le surnom d'«Héloïse» à visée blessante que le vieux prince Bol-konsky donne à Julie doit sonner déjà comme un signal pour le lecteur: «Это от Элоизы? - спросил князь, холодною улыбкой выказывая ещё крепкие и желтоватые зубы».

Les formes d'adresses en français peuvent servir à l'écrivain pour souligner le côté spectacle des relations entre les représentants de la haute aristocratie. Ainsi, surprise de voir Lise et André dans le domaine de Lyssye Gory, la princesse Maria se jette dans les bras de sa belle-sœur. Il n'y a pas de doute sur la sincérité de la joie que Maria et Lise éprouvent au moment de leur rencontre. Or, le prince André éprouve un sentiment de malaise face à ces exclamations en français et ces gestes théâtraux.

«- Ah! chère! ...Ah! Marie! - вдруг заговорили обе женщины и засмеялись. - J'ai rêvé œtte nuit... - Vous ne nous attendez donc pas?... Ah! Marie, vous avez maigri... -Et vous avez repris.

Dans d'autres situations, les représentants de la haute société souhaitent réprimander l'un des leurs pour son comportement. Or, au lieu de passer par une critique directe, ils vont passer par une désapprobation implicite qui suppose toute une mise en scène. Ainsi, choquée par les propos de Pierre lors de sa soirée, Melle Schérer recourt à l'appellatif «monsieur» en s'adressant à son hôte importun. Celui-ci est même appelé «Monsieur Pierre» (ou en version translitérée «мосье Пьeр», «мсье Пьeр», «monsieur Pierre») par l'hôtesse: «Mais, mon cher m-r Pierre, -сказала Анна Павловна, - как же вы объясняете великого человека, который мог казнить герцога, наконец, просто человека, без суда и без вины?».

Cette façon d'appeler Pierre en faisant précéder son prénom de «monsieur», «мой милый мсье» ou «mon cher m-r» permet à l'organisatrice de la soirée de mieux marquer la différence avec ses autres invités. On accueille ce jeune homme dans le salon d'Anna Pavlovna car son avenir est encore incertain: et si jamais le riche comte le reconnaissait et lui léguait toute sa richesse. Cet appellatif composé véhicule un mélange d'arrogance, d'indulgence, d'ironie et de moquerie de la part de «cette crème de la bonne société» envers ce bâtard du riche comte Bézouk-hov.

Conclusion

J'ai essayé de démontrer l'importance des formes d'appellation françaises ou francisées dans le roman tols-toïen. Ces formes d'appellation sont plus qu'un outil linguistique sous la plume d'un des plus grands écrivains russes. Elles acquièrent un rôle plus large en comparaison des formes d'appellation en russe. Non seulement elles livrent des informations sur des participants d'une situation dialogale mais elles participent activement dans le déroulement de l'intrigue du roman. Il est également intéressant à noter que la position très claire de l'auteur vis-à-vis de ces formes d'appellation. À ses yeux, elles sont en quelque sorte des intrus dans la langue russe et peuvent être assimilées à Napoléon et son armée qui ont envahi la Russie. Dès lors, si on suit ce raisonnement, comme tous les autres éléments français, elles n'ont pas leur place dans la langue russe. C'est pourquoi Tolstoï leur attribue la plupart

du temps une charge négative dans Guerre et paix. Cependant tel un fait historique, ces formes ne peuvent pas être supprimées ou remplacées par leurs équivalents russes.

Leur emploi est par conséquent est tout à fait légitime dans l'épopée tolstoïenne.

References

1. Bodart M.-T. Léon Tolstoï. Le Cri. 2011.

2. Bonamour J. La colère dans Guerre et Pais // Cahier Léon Tolstoï. Aspects de Guerre et Paix. 1991. №° 5. P. 17

- 24.

3. Czerny B. Le pouvoir du bonheur chez Tolstoï dans Guerre et paix et Anna Karénine // Pouvoir et société chez Tolstoï sous la direction de Michel Aucouturier. Cahiers Léon Tolstoï. 2013. № 23. P. 17 - 30.

4. Flamant F. Pères et fils dans Guerre et Paix // Cahier Léon Tolstoï. Aspects de Guerre et Paix. 1991. № 5. P. 25

- 36.

5. Goreloff B. La signification de l'emploi du français par la haute aristocratie russe dans Guerre et Paix de Tolstoï // Études slaves et est-européennes. 1975/76. Vol. 20/21. P. 74 - 78.

6. Jurgenson L. La dimension sociale de l'œuvre d'art chez Tolstoï // Pouvoir et société chez Tolstoï sous la direction de Michel Aucouturier. Cahiers Léon Tolstoï. 2013. № 23. P. 75 - 90.

7. Tolstoï L. Voïna i mir // Sobranie sotchineniï en 12 volumes. Moscou: Gosoudarsvtennoe izdatel'stvo khoudo-jestvennoï literatoury. 1958. Vol. 4 - 7.

Информация об авторе:

Мэр Светлана - присяжный переводчик при Суде Первой Инстанции г. Нанси, Франция, svetlana.maire@gmail.com.

Svetlana Maire - Traductrice assermentée en langue russe auprès du TGI de Nancy. Svetlana Maire - Translater at the Court of Appeal in Nancy (France).

Статья поступила в редколлегию 24.12.2014 г.

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